Pour l’Ukraine, les conditions de la victoire ont changé : comprendre la doctrine Zaloujny

La stratégie de Zelensky a-t-elle vécu ? Pour le Commandant en chef des forces ukrainiennes, Valeri Zaloujny, il faut à tout le moins prendre acte d’une réalité qui s’est récemment imposée à l’Ukraine : les conditions de la victoire ont changé. Face à la diminution de l’aide militaire, Kiev doit désormais « trouver son propre chemin ». Nous introduisons et commentons ce texte clef.

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Le Grand Continent
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© Ukrainian Presidential Press Office via AP

Tandis que les rumeurs et bruits de couloir concernant le limogeage par le président Volodymyr Zelensky du Commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, se multiplient depuis quelques jours, celui-ci a publié le 1er février un texte dans les colonnes du média américain CNN, dans lequel il expose sa vision de la stratégie ukrainienne dans la guerre imposée par la Russie.

La temporalité de cette publication peut surprendre. Tandis que l’armée ukrainienne fait face à une situation difficile sur le front, ses capacités offensives étant largement bridées par l’affaiblissement de l’assistance militaire occidentale — résultant en grande partie du non-renouvellement de l’enveloppe budgétaire octroyée au département de la Défense américain par le Congrès — ainsi que par l’épuisement de ses hommes sur le terrain, Zaloujny se livre ici à un exercice pour lequel il avait payé le prix quelques mois plus tôt.

Déjà relevées à plusieurs reprises, les apparentes tensions entre le chef des armées ukrainiennes et le président avaient été sérieusement ravivées suite à la publication d’un entretien donné par Zaloujny à The Economist en novembre dernier, alors que la contre-offensive ukrainienne initiée à l’été 2023 se révélait être un échec. Avec ce nouvel article qui explore la nécessaire adaptation et innovation constante de l’armée ukrainienne et de sa stratégie, Zaloujny dresse les contours de ce à quoi pourrait ressembler la guerre ukrainienne dans le scénario d’une réduction — de facto déjà existante — de l’aide militaire extérieure dont elle bénéficie.

Malgré les efforts des Européens et d’autres pays — notamment la Corée du Sud —, il est difficile à ce stade d’imaginer l’Ukraine regagner l’initiative sur le terrain dans l’hypothèse, de plus en en plus prégnante, d’une fin de l’aide militaire américaine, du moins dans sa forme connue jusqu’alors. Mercredi 31 janvier, Josep Borrell déclarait que seulement 524 000 obus seront livrés par les Européens d’ici mars — tandis qu’un million avaient été promis l’an dernier. Le ministre ukrainien de la Défense Roustem Oumierov considère que l’armée requiert au minimum 200 000 obus de 155mm par mois, soit une moyenne de plus de 6 000 par jour. Ces dernières semaines, les forces ukrainiennes n’en tiraient quotidiennement pas plus de 2 000 — soit trois fois moins que leurs opposants.

Près de quatre-vingts ans nous séparent des dernières batailles de la Seconde Guerre mondiale, qui ont servi de base à la vision stratégique des guerres de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle.

Malgré le développement rapide des armes et des équipements militaires, à savoir les avions, les missiles et les moyens spatiaux, le développement des communications et de la guerre électronique, la stratégie de la victoire consistait à détruire l’ennemi et à capturer ou libérer le territoire. Les formes et les méthodes utilisées pour y parvenir dépendent directement du niveau de développement des armes et des équipements militaires utilisés.

Bien entendu, la connaissance des bases de la stratégie, de l’art opérationnel et de la tactique devrait accompagner le développement de la carrière des spécialistes militaires et servir à résoudre deux tâches principales.

La première d’entre elles est probablement secondaire. Elle consiste à préparer un commandant militaire en vue de la guerre à venir avec la tâche de prédire la situation qui caractérisera le début des hostilités. C’est précisément cette tâche extrêmement difficile qui, si elle est résolue, permet de résister à une attaque et de donner une rebuffade digne de ce nom à l’ennemi, en faisant saigner ses groupes d’attaque et en gagnant ainsi du temps pour prendre l’initiative. Tout ce processus comporte des risques et des doutes énormes, dus au fait qu’il n’y a qu’une seule chance de mener un combat décent avec des forces réduites et des ressources limitées.

Cette première « tâche principale » décrite par Zaloujny renvoie aux premières semaines de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. La progression rapide de Moscou dans le nord-est du pays avait fait craindre une chute rapide de Kiev qui aurait très probablement conduit à la fuite ou à la capture des membres du gouvernement ukrainien, à la mise en place d’un nouveau pouvoir pro-russe et, ainsi, à la fin du conflit. En réalité, c’est probablement autant la résistance ukrainienne acharnée que la désorganisation de l’armée russe qui ont permis d’éviter ce scénario.

La deuxième tâche, à mon avis, est la plus importante : déterminer à temps les exigences de la guerre, qui sont liées à l’évolution du progrès technologique et, par conséquent, au développement rapide des armes et de l’équipement militaire, à la situation politique dans le monde et dans le pays lui-même, à la situation économique, etc. Par conséquent, pour chaque guerre, il est nécessaire de trouver une stratégie et une logique propres, qui nous permettront de trouver le chemin de la victoire dans de nouvelles conditions.

En parlant de notre propre stratégie, nous ne pouvons en aucun cas rejeter les doctrines existantes qui décrivent le processus de préparation et de conduite des opérations. Nous devons simplement nous rendre compte qu’elles seront en constante évolution et qu’elles s’enrichiront de nouveaux contenus.

Les principes de l’art opérationnel resteront inchangés.

Ainsi, en tenant compte des exigences d’aujourd’hui, notre tâche la plus importante sera d’adopter un nouveau point de vue sur les formes et les méthodes d’utilisation des forces de défense pour parvenir à la victoire.

La raison principale du changement de stratégie, de formes et de méthodes d’emploi des troupes est, bien sûr, le développement des armes et des équipements militaires, en particulier des systèmes sans pilote, dont l’utilisation s’est généralisée et permet un large éventail de tâches qui ne cesse de croître. Par conséquent, les systèmes sans pilote, ainsi que d’autres nouveaux types d’armes, sont peut-être le seul outil permettant de sortir de la guerre de position, qui n’est pas bénéfique pour l’Ukraine à temps pour un certain nombre de raisons.

Si les drones ont déjà été utilisés lors de conflits par le passé, leur concentration en Ukraine est sans précédent. Dans un rapport publié en mai 2023, le Royal United Services Institute (RUSI) estimait qu’entre 25 et 50 drones volent en permanence tous les 10 kilomètres de la ligne de front. À peine deux ans après le lancement de l’invasion russe, on observe déjà une évolution dans l’utilisation des drones par les deux camps. L’armée ukrainienne est passée d’aéronefs tactiques turcs Bayraktar TB2 — longs de plus de 6 mètres — au début du conflit à des modèles miniatures disponibles dans le commerce à moindre prix. Pilotables à distance ou en « vue première personne » via des lunettes vidéo, ils se sont avérés redoutables contre les véhicules blindés russes.

La Russie — qui a achevé en juillet la construction d’une usine de production de drones à Ielabouga, dans le Tatarstan, en partenariat avec Téhéran — disposerait d’une capacité de production de drones deux fois supérieure à celle de l’Ukraine. Selon des estimations ukrainiennes, Moscou peut produire ou se procurer environ 100 000 drones par mois, contre seulement 50 000 pour Kiev. Les dernières vagues d’attaques aériennes russes suggèrent une évolution de la stratégie de Moscou. La masse de drones disponible est de plus en plus utilisée pour saturer les défenses antiaériennes ukrainiennes et ainsi offrir une meilleure fenêtre d’opportunité pour les missiles longue portée, plus onéreux et longs à produire mais également plus destructeurs.

Parallèlement, dans la situation actuelle, un certain nombre d’autres facteurs influencent indubitablement la décision de rechercher de nouvelles formes d’emploi des forces de défense.

En voici quelques-uns :

  • La situation politique instable autour de l’Ukraine, qui entraîne une réduction du soutien militaire ;
  • la forte probabilité que la Russie provoque un certain nombre de conflits, à l’instar d’Israël et du Yémen, et détourne les principaux partenaires du soutien à l’Ukraine ;
  • l’épuisement des stocks de missiles et de munitions pour l’artillerie et la défense aérienne de nos partenaires en raison de la forte intensité des hostilités en Ukraine et de l’impossibilité de les produire rapidement dans un contexte de pénurie mondiale de poudre à canon ;
  • l’efficacité insuffisante de la politique de sanctions, qui entraîne le déploiement des capacités de l’industrie de la défense en Russie et dans ses États partenaires, permettant au moins la réussite d’une guerre d’usure ;
  • l’avantage significatif de l’ennemi dans la mobilisation des ressources humaines et l’incapacité des institutions de l’État ukrainien à améliorer les effectifs des forces de défense sans prendre des mesures impopulaires ;
  • l’imperfection du cadre réglementaire régissant l’industrie de la défense dans notre pays et la monopolisation partielle de cette industrie entraînent des difficultés dans la production de munitions nationales et, par conséquent, une dépendance accrue de l’Ukraine à l’égard des approvisionnements en provenance des alliés ;
  • l’incertitude quant à la nature future de la lutte armée à cette échelle et, par conséquent, les difficultés pour nos alliés de déterminer les priorités du soutien.

La population russe est plus de trois fois supérieure à celle de l’Ukraine. Si la ferveur patriotique ukrainienne ainsi que la piètre formation dont bénéficiaient les mobilisés et volontaires russes partis au front ont pu faire oublier — ou du moins nuancer — durant un temps cette réalité du rapport de force entre les deux pays, celui-ci se fait de plus en plus visible sur le terrain. Sur certaines zones du front, les troupes ukrainiennes sont épuisées et parfois trop peu nombreuses pour résister aux assauts russes répétés. La semaine dernière, Moscou progressait dans les oblasts de Louhansk, Donetsk et Kharkiv dans l’est du pays.

Alors que l’armée russe recruterait (selon la Bundesheer autrichienne) 1 200 hommes chaque jour — soit un nombre suffisant pour couvrir ses pertes — le gouvernement ukrainien a proposé en décembre une nouvelle loi visant à augmenter le nombre de personnes mobilisables ainsi que les conditions encadrant cette mobilisation. Considérée comme anticonstitutionnelle, une nouvelle version du texte a été dévoilée il y a quelques jours. Bien que nécessaire pour faire face aux forces russes, les conditions encadrant la mobilisation pourraient fragiliser le soutien dont bénéficie le président ukrainien ainsi que l’armée en tant qu’institution — en laquelle le niveau de confiance parmi la population a considérablement augmenté depuis le lancement de l’invasion russe en février 2022.

L’expérience des forces armées ukrainiennes, en particulier en 2022-2023, est unique et nous est propre. Par conséquent, dans notre recherche du chemin vers la victoire, nous devons constamment revoir les capacités disponibles qui déterminent l’issue de la guerre et chercher des moyens de prendre l’avantage sur l’ennemi. En outre, lorsque nous utilisons le concept d’issue des opérations de combat, nous comprenons les conditions dans lesquelles l’ennemi refusera toute nouvelle agression, et la création de ces conditions est considérée comme une utilisation efficace des capacités disponibles dans l’arsenal des forces armées ukrainiennes.

Compte tenu de ce qui précède et des conditions de la guerre d’aujourd’hui, la principale option pour obtenir un avantage est peut-être de maîtriser l’ensemble de l’arsenal de moyens relativement bon marché, modernes et extrêmement efficaces qui se développent rapidement. C’est la tentative d’utiliser les acquis du progrès dans le développement des dernières technologies qui nous permettra de gagner la bataille scientifique, technique, technologique et tactique et qui conduira non seulement à une victoire inconditionnelle, mais aussi à l’économie et à la conservation des ressources tant pour l’Ukraine que pour nos partenaires.

La nécessité d’accroître considérablement les capacités des systèmes sans pilote et d’autres systèmes technologiques avancés afin d’influencer positivement le cours des hostilités incite à rechercher de nouvelles formes et méthodes d’application qui, à leur tour, affecteront certainement la structure des forces armées et d’autres composantes des forces de défense ukrainiennes.

L’augmentation de l’impact des drones et d’autres systèmes avancés sur l’efficacité des opérations de combat est possible par les moyens suivants :

  • l’amélioration continue de la connaissance de la situation des commandants et la capacité de la maintenir en temps réel dans la zone d’opération, de jour comme de nuit, par tous les temps ;
  • l’appui au feu et à la frappe en temps réel, 24 heures sur 24 ;
  • l’apport d’informations de renseignement en temps réel en vue de la frappe ;
  • la réalisation de frappes de précision et de haute précision contre l’ennemi et ses cibles, tant sur la ligne de front que dans la profondeur.

Il est donc nécessaire de créer une nouvelle conception des opérations basée sur les capacités technologiques existantes, qui reposera non seulement sur les indicateurs spatiaux et temporels des opérations militaires (de combat), mais aussi principalement sur la création de conditions décisives et l’obtention d’effets pertinents qui contribueront à la réalisation de l’objectif de l’opération.

Sur la base de l’expérience de la guerre et des prévisions concernant l’évolution de la lutte armée, ces conditions décisives sont les suivantes :

  • obtenir une supériorité aérienne absolue, en particulier à des altitudes permettant des frappes, des reconnaissances, des surveillances et des logistiques efficaces ;
  • priver l’ennemi de la capacité de mener des actions offensives ou défensives ;
  • accroître la mobilité de ses troupes et limiter complètement celle des troupes ennemies ;
  • accéder en toute sécurité aux frontières désignées, en prenant le contrôle de zones importantes du terrain ;
  • priver l’ennemi de la possibilité de rétablir la position perdue et de redoubler d’efforts.

À première vue, il s’agit là de conditions tout à fait conservatrices et classiques, dont la réalisation est assurée depuis longtemps par les formes et les méthodes existantes. Mais ce n’est qu’un premier regard, car les moyens de les réaliser ont déjà changé, et les anciens moyens, malheureusement, sont de plus en plus un rêve pour les forces armées de l’Ukraine, et les moyens de les réaliser changent également.

L’un des principaux messages qui ressort du texte de Zaloujny est la nécessaire adaptation de l’armée ukrainienne face à un affaiblissement du soutien militaire dont elle bénéficiait alors. Les 50 milliards d’euros débloqués par les États européens lors du conseil du 1er février sont vitaux pour le maintien du fonctionnement de l’appareil d’État ukrainien qui encadre et alimente l’effort de guerre. Cependant, comme le résument les journalistes de la BBC Laura Gozzi et Sarah Rainsford, « ce programme de financement n’est pas destiné à la ligne de front, mais à la vie à l’arrière »1.

L’attente de nouveaux financements du Congrès américain ressemble de plus en plus à une chimère, tant le positionnement des élus républicains de la Chambre — et, dans une certaine mesure, du Sénat — vis-à-vis de l’assistance à l’Ukraine a évolué en l’espace de quelques mois, sous l’impulsion de la campagne de Donald Trump. Les sénateurs en charge des négociations sur un paquet réunissant des fonds pour la crise à la frontière sud des États-Unis et l’assistance à l’Ukraine, Taïwan et Israël notamment doivent dévoiler prochainement le texte qui pourrait garantir à Kiev le soutien militaire dont son armée a besoin pour faire face à la Russie. Cependant, Trump, souhaitant faire de l’immigration irrégulière une arme politique contre Joe Biden au cours de la campagne présidentielle, œuvre pour tuer cet accord dans l’œuf, et ainsi faire d’une pierre deux coups en verrouillant la crise à la frontière tout en privant l’Ukraine de fonds.

Il est à anticiper que, dans la perspective de la nomination de Trump par le GOP à l’issue de la primaire, les élus républicains du Congrès ne se risqueront pas à s’opposer au potentiel futur président. Mitch McConnell lui-même, leader de la minorité républicaine au Sénat dont la relation avec Trump a été tumultueuse par le passé, aurait déclaré lors d’une réunion du parti républicain la semaine dernière que « la politique liée à la frontière a changé », et qu’il ne voulait « rien faire qui puisse nuire aux chances des candidats du GOP à la présidence »2. Jusqu’à présent, McConnell était l’un des ardents défenseurs de l’assistance à l’Ukraine au sein des rangs républicains du Congrès. Il est difficile de voir comment le vote sur l’accord qui pourrait avoir lieu dès la semaine prochaine pourrait réunir 60 voix pour passer le Sénat — et encore moins la Chambre.

Conformément à l’idée de créer les conditions déterminantes, le processus de réalisation sera bien entendu assuré par la résolution d’un certain nombre de tâches opérationnelles, et au cours de la résolution de chaque tâche opérationnelle, les effets nécessaires seront créés grâce aux forces et aux moyens impliqués. Et ce sont eux qui, en raison de leur supériorité technologique, doivent agir en dehors des sentiers battus et en conformité avec au moins la doctrine en vigueur.

La création des effets nécessaires conduit inévitablement à des changements radicaux dans le système d’application. Ainsi, pour remplir les conditions de la création des effets nécessaires, il faut déjà considérer comme distincts :

  • une opération de création d’un champ numérique ;
  • une opération de contrôle de l’environnement électronique ;
  • une opération combinant des frappes aériennes sans pilote et des frappes cybernétiques ;
  • une opération logistique.

Toutes ces opérations sont déjà maîtrisées et développées. Elles sont menées selon un concept et un plan uniques, sont coordonnées et interconnectées, mais diffèrent par leur contenu.

Quant à la conduite concrète des opérations pour obtenir des effets, elles devraient être essentiellement défensives et offensives, mais elles peuvent être différentes en termes de méthode d’exécution :

  • une opération de réduction du potentiel économique de l’ennemi ;
  • une opération d’isolement et d’épuisement complets ;
  • opération robotisée de recherche et de frappe ;
  • opération robotisée de contrôle d’une zone de crise ;
  • opération psychologique avec des moyens de frappe ;
  • opération défensive technologique sans contact. 

Cette liste d’opérations ne cessera de s’allonger avec le développement des moyens eux-mêmes et, bien entendu, entraînera des changements dans les documents doctrinaux et la formation d’une philosophie entièrement nouvelle de l’entraînement et des opérations de combat. L’apparition de nouvelles opérations indépendantes ou leur combinaison entraîne la nécessité de créer une nouvelle structure organisationnelle. Tout cela sera possible si les institutions de l’État réagissent avec souplesse et rapidité aux changements.

Ainsi, la nature et le contenu des opérations défensives, offensives et de stabilisation classiques, dont l’approche de la planification et de la conduite était généralement linéaire et basée sur des modèles, ont changé. Dans le même temps, ces opérations ont été unifiées dans leur essence, y compris dans les points de vue des partenaires. Dans le même temps, le concept bien connu de guerre réseau-centrée dans le nouvel environnement, grâce à des moyens de lutte armée de haute technologie, trouve son interprétation non pas à travers les actions des troupes, mais à travers la création d’effets et la réalisation de conditions décisives à l’aide de capacités appropriées.

J’aimerais également souligner qu’en plus d’accroître l’efficacité des opérations de combat, les systèmes aériens sans pilote et d’autres systèmes technologiques avancés peuvent résoudre un certain nombre de problèmes clés dans l’organisation et la conduite des opérations de combat des forces de défense ukrainiennes :

  • Augmenter le degré de guerre sans contact et, par conséquent, réduire le niveau des pertes dues à la capacité de contrôler ces moyens à distance ;
  • réduire le degré de participation des moyens de destruction traditionnels dans l’exécution des missions de combat ;
  • assurer des opérations de combat avec un engagement limité d’équipements militaires lourds ;
  • malgré l’absence d’une flotte, frapper les forces ennemies de surface et sous-marines et leurs infrastructures côtières presque sur toute la profondeur du théâtre d’opérations en mer, avec une grande efficacité et un risque minimal pour le personnel ;
  • infliger des frappes surprises massives sur des infrastructures critiques et des communications importantes sans avoir recours à des missiles coûteux et à des avions pilotés.

La capacité de l’armée ukrainienne à résister face aux assauts russes et à conduire des opérations offensives repose sur un besoin constant d’innovation. C’est notamment le cas en mer Noire, où les rapports de force étaient et sont toujours très asymétriques, en faveur de la Russie. Bien que ne disposant pas de réelle marine de guerre, l’Ukraine est parvenue à détruire environ 20 % de la flotte russe de la mer Noire depuis le début du conflit, ce notamment grâce à l’utilisation de de drones de surface navals (USV) et de missiles ukrainiens — Neptune notamment — et occidentaux. 

Le commandant de la marine ukrainienne Oleksiy Neïjpapa a néanmoins reconnu récemment que « les tactiques élaborées en 2022 et 2023 ne fonctionneront pas en 2024. Il faut donc changer de tactique, changer les caractéristiques techniques de tout ce que l’on fait ». Si la Russie a été particulièrement lente à réagir face aux attaques ukrainiennes en Crimée et en mer Noire, elle s’adapte et pourrait y retrouver sa supériorité. Face à ce risque, l’armée ukrainienne explore le développement de nouvelles capacités — par exemple des drones sous-marins autonomes — qui continueraient à tenir la flotte russe à distance et permettrait ainsi le maintien du commerce en mer Noire.

Cette liste d’avantages est incomplète et évoluera sans aucun doute, élargissant la gamme des applications efficaces. Il est clair que sur le champ de bataille, l’ennemi cherchera des moyens de se défendre et tentera de prendre l’initiative. Par conséquent, à mesure que les capacités des systèmes de frappe, y compris les systèmes sans pilote, se développent, il est impératif d’améliorer la défense et les contre-mesures. Pour maîtriser les nouvelles formes et méthodes, les forces de défense doivent donc créer un système étatique de réarmement technologique entièrement nouveau, qui comprendra les sous-systèmes suivants : 

  • développement et soutien scientifique ; 
  • production et services ; 
  • maintenance la formation du personnel et la généralisation de l’expérience de combat ;
  • utilisation des troupes ; 
  • financement flexible ;
  • logistique.

Il est très probable que chacun des sous-systèmes nécessitera des recherches et des développements distincts à l’avenir, mais on peut d’ores et déjà affirmer que le système doit être holistique et dans le même temps flexible en termes d’acteurs pouvant être impliqués, ainsi qu’en termes de financement et de changements de production.

Il n’y a aucun doute que tout cela prendra du temps, mais le temps est essentiel.

Compte tenu du système d’application existant, des solutions techniques trouvées, du système de gestion déjà établi, de l’expérience acquise ainsi que des points de vue des partenaires dans l’environnement actuel, la création d’un tel système avec le volume de production requis pourrait prendre jusqu’à cinq mois. Cette période est due à la nécessité de créer des structures organisationnelles appropriées et de les doter en personnel, de le former, de fournir des ressources, de créer l’infrastructure et la logistique nécessaires et d’élaborer un cadre doctrinal.

Dans cette optique, en 2024, nous devrons concentrer nos efforts sur : 

  • la création d’un système permettant de doter les forces de défense d’équipements de haute technologie ;
  • l’introduction d’une nouvelle philosophie de préparation et de conduite des opérations militaires, en tenant compte des limitations ;
  • l’acquisition de nouvelles capacités militaires dans les plus brefs délais.

Nous parlons donc du fait que dans les conditions modernes, les forces armées de l’Ukraine, ainsi que d’autres composantes des forces de défense de l’État, disposent de capacités qui permettent non seulement de détruire l’ennemi, mais aussi d’assurer l’existence même de l’État. Il est donc nécessaire de tirer parti des possibilités offertes par les nouvelles conditions de guerre pour maximiser l’accumulation des capacités de combat les plus récentes, ce qui permettra de disposer de moins de ressources pour infliger un maximum de dommages à l’ennemi, mettre fin à son agression protégeant l’Ukraine à l’avenir.

Sources
  1. Laura Gozzi et Sarah Rainsford, « Ukraine support package worth €50bn agreed by EU leaders », BBC, 1er février 2024.
  2. Siobhan Hughes et Lindsay Wise, « Trump’s Hard-Line Border Stance Endangers Funding for Ukraine », The Wall Street Journal, 25 janvier 2024.
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