Chine+1 : tel est le nom donné à la stratégie de diversification adoptée par un certain nombre de pays et d’entreprises pour réduire leur dépendance à l’égard de la Chine comme centre unique de fabrication ou d’approvisionnement. Cette approche consiste à explorer des localisations alternatives en plus de la Chine afin de transformer la géographie des chaînes d’approvisionnement et de minimiser les risques associés à une dépendance excessive à l’égard d’un seul fournisseur. Elle reflète un effort plus large de la part des pays et des entreprises pour contrebalancer la domination économique de la Chine et s’adapter aux changements dans les rapports de puissances à l’échelle mondiale. Les analyses des données relatives au commerce et à l’investissement au cours des trois dernières années indiquent que l’Union européenne, le Mexique, Taïwan, la Malaisie et le Viêt Nam sont devenus les principaux bénéficiaires de la stratégie Chine+1 dans des secteurs tels que les machines-outils, les automobiles, les équipements de transport et les équipements électriques.

L’Inde cherche également à tirer parti de l’inquiétude suscitée par la domination de la Chine sur les chaînes d’approvisionnement mondiales en réformant son cadre économique et réglementaire en vue de renforcer son attractivité. La stratégie de l’Inde comprend ainsi trois volets : réduire sa dépendance à l’égard de la Chine, attirer les investissements de ceux qui cherchent à diversifier leurs relations commerciales et adopter une politique protectionniste en introduisant des droits de douane à l’importation.

Le point de vue de l’Inde sur les relations économiques avec la Chine

Au début des années 2000, l’Inde était optimiste par rapport à la Chine. New Delhi espérait en effet que le développement du commerce et la complémentarité économique avec la Chine contribuerait à renforcer ses relations avec Pékin. En effet, la Chine se développait en tant que puissance manufacturière tandis que l’Inde, en parallèle, devenait une importante économie de services, portée notamment par la croissance des besoins en développement et maintenance informatique. En 2012, Subrahmanyam Jaishankar, actuel ministre des Affaires étrangères indien, alors ambassadeur en Chine avait fait remarquer que les liens économiques entre l’Inde et la Chine allaient changer la donne dans les relations bilatérales. Lorsque l’actuel Premier ministre indien, Narendra Modi, élu sur la promesse d’accélérer la croissance indienne, est entré en fonction en 2014, on aurait pu s’attendre à ce que les relations économiques avec la Chine soient renforcées. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

La Chine a déployé divers outils pour limiter les importations dans les secteurs dans lesquels l’Inde est compétitive, tels que les produits pharmaceutiques et certains types de produits alimentaires et laitiers. En tant qu’exportateur de services informatiques, l’une des principales barrières non tarifaires à l’encontre de l’Inde est la grande muraille de Chine numérique (Great Firewall), qui isole l’Internet national. Dans le même temps, l’Inde est devenue plus dépendante de la Chine pour ses besoins en produits manufacturés, qu’il s’agisse d’électronique, de téléphones portables, d’ordinateurs, de jouets bon marché ou de poêles à frire. La Chine a également profité de manière disproportionnée des accords de libre-échange (ALE) que l’Inde a signés avec les pays d’Asie du Sud-Est en exploitant les lacunes des règles d’origine et en pratiquant le dumping de produits chinois sur le marché indien. Le déficit commercial bilatéral croissant, qui a franchi la barre des 100 milliards de dollars l’année dernière, est désormais considéré comme une vulnérabilité en Inde.

L’Inde a ainsi refusé de signer le Partenariat économique régional global (RCEP), qui créait la plus importante zone de libre-échange au monde, principalement parce que ses principales préoccupations — telles que le contournement des règles d’origine (en particulier par la Chine), l’inclusion d’un accord équitable pour traiter les questions des déficits commerciaux et la libéralisation des échanges de services — n’y étaient pas abordées. Outre la non-réciprocité de la Chine en matière d’ouverture commerciale, la dimension stratégique des relations bilatérales entre l’Inde et la Chine a également connu une évolution significative.

La dimension stratégique des relations bilatérales entre l’Inde et la Chine a également connu une évolution significative.

Saurabh Todi

La pandémie de Covid-19 a conduit à une prise de conscience quant à la concentration des chaînes d’approvisionnement et au degré de dépendance envers la Chine, y compris pour les fournitures médicales de base et les principes pharmaceutiques actifs (IPA) essentiels à la fabrication de produits pharmaceutiques. À l’instar de nombreux autres pays dans le monde, cela a fait naître de vives inquiétudes en Inde. En outre, la tentative de la Chine de modifier le statu quo à la frontière avec l’Inde, le long de l’Himalaya, a considérablement nui aux relations bilatérales, la mort de 20 soldats indiens ayant considérablement détérioré l’état d’esprit de l’opinion publique concernant les relations avec Pékin. Il faut rappeler que les deux pays restent en état d’alerte le long de la frontière, avec un déploiement militaire renforcé de part et d’autre. Une avancée positive sur le plan diplomatique semble peu probable dans un avenir proche.

Car au lieu de considérer ses liens économiques avec la Chine comme une opportunité, l’Inde y voit de plus en plus une vulnérabilité, en particulier dans les secteurs sensibles. Le ministre indien des affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a fait remarquer que la mondialisation et la technologie ne relevaient plus seulement de l’économie mais qu’il s’agissait également de questions stratégiques. Par exemple, dans les domaines des chaînes d’approvisionnement et des technologies stratégiques, les impératifs de prix et de coûts économiques ne sont plus les seuls à devoir être pris en compte. Ils font désormais partie de l’architecture de la sécurité nationale et la résilience comme la confiance constituent des critères clés.

L’Inde a adopté plusieurs mesures visant à restreindre les investissements chinois ou à les soumettre à un examen plus approfondi dans divers secteurs, notamment les technologies émergentes, les télécommunications, et les médias. Ces restrictions sont devenues nécessaires car il s’avère de plus en plus difficile de différencier un acteur privé chinois de l’État-parti, en particulier dans les secteurs stratégiques. Alors que les liens commerciaux auraient dû favoriser une détente, les frictions politiques ont exacerbé les préoccupations économiques.

Alors que les liens commerciaux auraient dû favoriser une détente, les frictions politiques ont exacerbé les préoccupations économiques.

Saurabh Todi

Au cours de la dernière décennie, l’Inde a pris plusieurs mesures — directes et indirectes — pour améliorer des affaires. Ces mesures comprennent l’abrogation de milliers de lois redondantes, la rationalisation des lois sur les faillites, l’augmentation des dépenses d’investissement pour développer les infrastructures logistiques (ferroviaires, maritimes et routières), la numérisation des processus gouvernementaux et la dépénalisation des manquements mineurs, techniques ou procéduraux. L’Inde cherche à augmenter la part de son industrie manufacturière à 25 % du PIB d’ici 2025, contre 17,7 % actuellement1. L’opportunité géoéconomique offerte par l’évolution mondiale vers la stratégie Chine+1 a accéléré ses efforts — qui avaient bien besoin d’un tel coup de pouce.

Changement d’approche en matière d’accords de libre-échange

L’Inde est traditionnellement réticente à signer des accords de libre-échange, en particulier avec des pays situés en dehors de sa région. Jusqu’en 2021, elle n’en avait conclu que 11, limités à ses voisins d’Asie du Sud, aux pays de l’ASEAN, au Japon et à la Corée du Sud.

L’Inde est traditionnellement réticente à signer des accords de libre-échange. 

Saurabh Todi

L’expérience en matière d’ALE. Entre 2017 et 2022, les exportations de l’Inde vers ses partenaires des accords de libre échange ont augmenté de 31 %, tandis que ses importations ont augmenté de 82 %. Si les accords avec le Japon et la Corée peuvent être qualifiés d’équilibrés dans l’ensemble, celui avec l’ASEAN ne l’est pas du tout. Par exemple, les importations globales de l’Inde au cours de la période 2010-21 ont augmenté de 63 %, mais les importations en provenance de la seule ASEAN ont augmenté d’environ 120 %. Ceci s’explique notamment par le fait qu’une grande partie des échanges avec ses partenaires ne sont pas couverts par les accords de libre-échange qu’elle a négociés (exemple : les services). Le taux d’utilisation des accords de libre échange par l’Inde reste ainsi très faible, à moins de 25 %2. En revanche, elle se situe généralement entre 70 % et 80 % pour les pays développés.

De plus, la croissance du commerce international de l’Inde est ralentie par l’inefficacité et des problèmes structurels du pays. L’écart de performance entre le secteur manufacturier indien et ceux des économies avec lesquelles elle est liée par un accord de libre-échange, comme la Corée du Sud, la Malaisie, le Vietnam et la Thaïlande, a également entravé l’utilisation des ALE. Ces pays ont mis l’accent sur la recherche, l’innovation et l’amélioration de la chaîne de valeur pour renforcer leur compétitivité. Pour les fabricants indiens, il est donc plus rentable d’importer directement de ces pays que de produire sur place, en raison des difficultés inhérentes au paysage industriel indien. En outre, la complexité des exigences en matière de certification et des règles d’origine a encore aggravé les difficultés rencontrées par les exportateurs indiens. La lourdeur des procédures et les coûts élevés associés aux certificats d’origine ont augmenté les dépenses de mise en conformité, entravant ainsi la rationalisation des processus d’exportation. Cependant, même lorsque l’Inde a réduit ses droits de douane, des barrières non tarifaires persistantes, telles que des normes strictes et des obstacles techniques au commerce, limitent l’accès des exportateurs indiens aux marchés partenaires. 

Un autre problème majeur a été l’absence de participation globale de l’industrie et des parties prenantes au cours de la phase de négociation, ce qui a conduit à accorder l’accès au marché aux partenaires sans répondre aux préoccupations essentielles des industries nationales. En outre, les efforts déployés par le gouvernement après la mise en œuvre pour populariser les accords de libre-échange auprès des acteurs de l’industrie ont été insuffisants. Les activités de sensibilisation limitées et les efforts de marketing insuffisants ne parviennent pas à sensibiliser les exportateurs aux avantages de ces accords. Reconnaissant l’inefficacité de ces accords, l’Inde a commencé à les réexaminer en 2019.

Toutefois, la façon dont l’Inde perçoit les accords de libre-échange et les objectifs qui leurs sont assignés a évolué ces dernières années. Alors que les premiers accords étaient axés sur le voisinage oriental de l’Inde dans le cadre de la politique « Look East », l’accent est désormais mis sur les partenaires occidentaux tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union et l’Eurasie. La principale raison de ce changement est la reconnaissance de la nécessité de rechercher des partenaires crédibles pour développer les chaînes d’approvisionnement. Outre l’abaissement des droits de douane, les priorités de l’Inde sont désormais la mise en place de chaînes d’approvisionnement résistantes, l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales, l’intégration de la production, le commerce numérique et la protection de l’environnement.

L’Inde a ainsi décidé de faire partie du cadre économique indo-pacifique (IPEF), qui a été lancé à Tokyo en 2022 pour renforcer les relations économiques entre les pays participants en vue d’améliorer la résilience, la durabilité, l’inclusivité, la croissance économique, l’équité et la compétitivité dans la région indo-pacifique. L’Inde a accepté de discuter de trois des quatre piliers, à savoir les chaînes d’approvisionnement, la fiscalité et la lutte contre la corruption, et l’énergie propre . Bien qu’il ne s’agisse pas d’un accord de libre-échange à proprement parler, ce cadre est important pour développer une vision commune entre les participants sur les piliers identifiés. 

La façon dont l’Inde perçoit les accords de libre-échange et les objectifs qui leurs sont assignés a évolué ces dernières années.

Saurabh Todi

Surtout, preuve d’une récente évolution dans l’appréciation portée sur les accords de libre-échange, l’Inde en a conclu depuis 2021 avec les Émirats arabes unis, l’Australie et l’île Maurice. Des discussions sur des accords similaires avec l’Union européenne et le Canada sont en cours, tandis que celui avec le Royaume-Uni est à un stade avancé . Signe encourageant, le taux d’utilisation de l’accord de libre-échange entre l’Inde et les Émirats arabes unis est supérieur à 50 % et, au cours des neuf premiers mois, il est d’environ 77 % pour l’accord entre l’Inde et l’Australie. Toutefois, l’Inde doit accélérer ses efforts pour signer des ALE avec le plus grand nombre possible de partenaires afin d’accroître son potentiel d’exportation et de s’intégrer profondément dans les chaînes de valeur mondiales. Mais, à rebours de la recherche d’accords de libre-échange, l’Inde a également encouragé activement la substitution des importations en appliquant des droits de douane et en accordant des subventions à l’industrie manufacturière nationale.

Une politique industrielle pour encourager l’industrie manufacturière

En mars 2020, l’Inde a annoncé la mise en place d’un régime d’incitations liées à la production (Production Linked Incentive – PLI) visant à encourager les entreprises de certains secteurs à augmenter leurs ventes de produits fabriqués en Inde. Comme l’Inde cherche à à la fois à encourager les investissements directs étrangers et à pousser les entreprises nationales à accroître leur capacité de production, les entreprises nationales et étrangères sont éligibles à ces subventions. Le régime visait initialement trois secteurs : la fabrication de téléphones mobiles, la fabrication de composants électriques et les appareils médicaux.

Le champ d’application du régime PLI s’est progressivement étendu à plusieurs autres secteurs tels que l’automobile et les composants automobiles, les produits pharmaceutiques, les médicaments, les aciers spéciaux, les produits de télécommunication et réseau, les produits électroniques, les produits électroménagers (climatiseurs et LED), les produits alimentaires, les produits textiles, les modules solaires photovoltaïques, les batteries à cellules chimiques avancées, les drones et les composants de drones. Le gouvernement s’attend à ce que la production en Inde dans les cinq ans grâce aux programmes PLI soit supérieure à 500 milliards de dollars et s’est engagé à dépenser plus de 26 milliards de dollars pour fournir ces incitations. Jusqu’en mars 2023, 733 demandes ont été approuvées par le gouvernement dans 14 secteurs avec un investissement attendu de 3650 milliards de roupies (43 milliards de dollars). La valeur de l’investissement réalisé était d’environ 625 milliards de roupies(7,5 milliards de dollars), ce qui a entraîné une augmentation de la production de plus de 6750 milliards de roupies (81 milliards de dollars) et la création d’environ 325 000 emplois.

Un élément essentiel de cette stratégie consiste à inviter les entreprises étrangères phares de certains de ces secteurs à installer des capacités de production en Inde, ce qui permet d’apporter des capitaux, les meilleures pratiques mondiales et leurs écosystèmes de recherche et de développement pour servir de catalyseur à l’ensemble de l’industrie nationale. Un examen plus approfondi du secteur indien de la fabrication de téléphones mobiles illustre la manière dont l’Inde a saisi l’opportunité offerte par la stratégie Chine+1.

Un élément essentiel de la nouvelle stratégie indienne consiste à inviter les entreprises étrangères phares de certains de ces secteurs à installer des capacités de production en Inde. 

Saurabh Todi

En 2023, l’Inde devrait exporter des téléphones portables pour une valeur de 11 milliards de dollars, contre 5,5 milliards de dollars en 2022 et seulement 1,7 milliard de dollars en 2021. Une part importante de ces exportations est constituée par les iPhones, qui représentent environ 50 % de tous les téléphones mobiles expédiés depuis l’Inde. Apple a rapidement développé ses activités en Inde et devrait y transférer au moins 18 % de la production mondiale d’iPhones d’ici 2025, contre 7 % actuellement et seulement 1 % en 2021.

Dès 2017, le gouvernement indien et Apple ont entamé des négociations relatives à des avantages fiscaux pour que les sous-traitants d’’Apple commencent à fabriquer des iPhones en Inde. Bien que le gouvernement ait finalement exclu d’accorder un traitement préférentiel à une seule entreprise, ces discussions ont contribué à la création du régime PLI pour l’ensemble du secteur, qui a été lancé en 2020. Le bras de fer géopolitique entre la Chine et les États-Unis a également obligé Apple à diversifier ses chaînes d’approvisionnement pour éviter les perturbations.

Si la fabrication de l’iPhone en Inde semble connaître un succès fulgurant, les tensions géopolitiques entre l’Inde et la Chine ont également affecté les projets d’expansion d’Apple en Inde. En avril 2020, l’Inde a rendu obligatoire l’approbation préalable des investissements étrangers en provenance des pays avec lesquels elle partage une frontière de l’Inde, une mesure qui vise prioritairement la Chine. Bien que cette décision soit justifiée par des préoccupations légitimes de sécurité nationale, elle a eu un impact négatif sur la croissance du secteur indien de la fabrication de produits électroniques, car les entreprises chinoises sont des acteurs essentiels de l’écosystème, en particulier en tant que fournisseurs de composants intermédiaires. Par exemple, sur les 188 entreprises figurant sur la liste des fournisseurs d’Apple, 151 sont chinoises ou ont une présence manufacturière importante en Chine.

Apple doit amener ses fournisseurs chinois à investir en Inde pour y transférer une partie de sa chaîne d’approvisionnement. Toutefois, les restrictions en matière d’IDE ont rendu ce processus extrêmement difficile et imprévisible. En 2021, la tentative d’Apple d’amener son principal fournisseur, le conglomérat manufacturier chinois BYD, à assembler des iPads en Inde a échoué en raison des restrictions imposées par New Delhi sur les investissements chinois. Récemment, Luxshare, un important fournisseur d’Apple basé en Chine, a déplacé un investissement prévu de 330 millions de dollars de l’Inde vers le Viêt Nam après que les approbations requises de la part de l’Inde ont connu des retards démesurés.

Si la fabrication de l’iPhone en Inde semble connaître un succès fulgurant, les tensions géopolitiques entre l’Inde et la Chine ont également affecté les projets d’expansion d’Apple en Inde.

Saurabh Todi

Toutefois, l’Inde a compris qu’elle devait faire preuve de souplesse. Au début de l’année, New Delhi a donné à plusieurs fournisseurs chinois d’Apple l’autorisation préliminaire d’établir des installations en Inde, mais uniquement dans le cadre d’une coentreprise avec des entreprises indiennes. En outre, les fournisseurs d’Apple situés en dehors de la Chine, tels que Corning aux États-Unis et Pegatron et Foxconn à Taïwan, trouvent qu’il est relativement plus facile d’obtenir des autorisations pour démarrer ou étendre leurs activités en Inde.

Les provinces indiennes sont également en concurrence les unes avec les autres pour attirer ces nouveaux investissements. Il a été rapporté qu’Apple et son partenaire de fabrication, Foxconn, ont réussi à faire pression pour obtenir une libéralisation significative du droit du travail dans l’État du Karnataka, dans le sud de l’Inde. La loi révisée autorise désormais les équipes de 12 heures et le travail de nuit pour les femmes, à l’instar des pratiques des entreprises en Chine.

Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le succès global des programmes PLI, car de nombreux secteurs couverts sont à forte intensité de capital et il faudra un certain temps avant que la production ne démarre. Toutefois, des secteurs tels que la fabrication de téléphones portables et les principes actifs pharmaceutiques ont enregistré des progrès significatifs qui se sont traduits soit par une augmentation des exportations indiennes, soit par une diminution de la dépendance à l’égard de la Chine, même si celle-ci est lente. Pour que ces succès puissent être reproduits dans d’autres secteurs, l’Inde doit rapidement s’attaquer aux goulets d’étranglement spécifiques à l’industrie pour chaque programme. Alors que la concurrence entre les destinations alternatives à la Chine s’intensifie, l’Inde est engagée dans une course pour obtenir une part du gâteau.

Imposer des droits de douane à l’importation

L’Inde a également cherché à encourager la substitution des importations par des politiques telles que l’augmentation des droits de douane afin d’encourager la fabrication nationale. Selon une étude, entre 1991 et 2014, les tarifs moyens de la nation la plus favorisée (NPF) ont baissé de 125 % à 13 %. Cependant, depuis 2014, il y a eu environ 3 200 augmentations tarifaires au niveau HS-6 (sur les importations de la nation la plus favorisée), ce qui a fait passer le tarif moyen de 13 % à près de 18 %. Certains économistes considèrent qu’une augmentation aussi radicale des tarifs d’importation s’éloigne de la libéralisation économique dans laquelle l’Inde s’est engagée en 1991, tandis que d’autres la considèrent comme une nécessité (si elle est effectuée de manière chirurgicale) pour aider les programmes PLI de l’Inde à fonctionner.

L’industrie indienne de la fabrication de produits électroniques fournit un exemple illustratif à cet égard. L’Inde a imposé des droits de douane sur les intrants électroniques qui dépassent largement ceux de ses principaux concurrents comme le Viêt Nam, le Mexique, la Thaïlande et la Chine. Malgré quelques réductions spécifiques des droits d’importation pour les composants de smartphones en 2022, la trajectoire tarifaire globale de l’Inde contraste fortement avec la tendance à la baisse observée dans les économies concurrentes. C’est pourquoi l’industrie exhorte le gouvernement à reconsidérer cette approche, arguant que les droits de douane élevés, initialement bénéfiques durant les phases axées sur la substitution des importations, n’ont plus de raison d’être.

L’industrie a parcouru un long chemin depuis 2014, lorsque 78 % de tous les smartphones vendus en Inde étaient importés, jusqu’en 2023, lorsque 99,2 % de tous les téléphones vendus en Inde seront fabriqués dans le pays. Avec plus de 11 milliards de dollars d’exportations par an, les droits de douane à l’importation freinent désormais la progression d’un secteur tel que l’électronique. En effet, la fabrication de téléphones mobiles en Inde implique principalement l’assemblage de l’appareil à partir de composants importés d’autres pays, en particulier de Chine. Les droits d’importation élevés sur les composants électroniques ont donc un impact significatif sur l’industrie en aval et sa capacité à exporter.

L’industrie indienne a parcouru un long chemin depuis 2014.

Saurabh Todi

L’Indian Cellular and Electronics Association, un organisme industriel représentant les fabricants d’électronique, a exhorté le gouvernement à remédier à cette disparité. Elle suggère d’abandonner la structure alambiquée actuelle des droits d’importation, qui comprend six niveaux allant de 0 % à 20 %, au profit d’un système plus rationnel à trois niveaux (0 %, 5 % et 10 %). Cette simplification permettrait d’atténuer les erreurs d’interprétation dans les classifications tarifaires, réduisant ainsi les litiges entre les importateurs et les autorités douanières.

Compte tenu de la prédominance de la Chine dans les échanges commerciaux avec l’Inde et de son statut de puissance économique, il convient de faire preuve de réalisme dans l’évaluation des possibilités offertes par la stratégie « Chine+1 ». Parmi ses trois principales approches, les tarifs protectionnistes et le fait de devenir un élément crucial des chaînes d’approvisionnement mondiales sont tout simplement inconciliables. L’Inde doit réduire les restrictions sur les importations, en particulier sur les biens intermédiaires, afin de profiter pleinement de l’opportunité offerte par l’évolution mondiale vers la stratégie Chine+1.

L’Inde devrait continuer à travailler avec son industrie nationale, ses investisseurs étrangers et ses partenaires mondiaux pour s’assurer qu’elle réduit les vulnérabilités commerciales stratégiques avec la Chine, en particulier dans des secteurs tels que les semi-conducteurs, les produits pharmaceutiques et l’électronique de pointe, tout en permettant au commerce non stratégique de se développer rapidement.

Sources
  1. Ces données sont issues de l’institut indien de statistique et diffèrent des données de la Banque Mondiale.
  2. Le taux d’utilisation de l’ALE indique la valeur des échanges réalisés sous préférences par rapport à la valeur totale des échanges éligibles aux préférences dans un ALE.