À quelques jours d’élections historiques, Madagascar traverse une semaine décisive. La rédaction du Grand Continent mobilise les voix des meilleurs spécialistes pour suivre cette séquence. Si vous pensez que notre travail mérite d’être soutenu, nous vous invitons à vous abonner à la revue.
La répression des manifestations de l’opposition s’est durcie à l’approche des élections, au point que les Nations Unies s’en sont alarmées dans un communiqué en octobre. Peut-on parler de dérive autoritaire du président Rajoelina ? Et si oui, depuis quand ?
Christiane Rafidinarivo
Le 16 octobre 2023, l’Allemagne, la Corée du Nord, les États-Unis, la France, le Japon, l’Organisation Internationale de la Francophonie, le Royaume Uni, la Suisse, et l’Union européenne déclarent conjointement aussi « la nécessité de garantir la liberté de mouvement des candidats, la liberté de rassemblement pacifique des citoyens, ainsi que l’égalité de traitement entre des candidats de la part des pouvoirs publics et des médias ». Ils dénoncent « l’usage disproportionné de la force pour disperser les manifestations de l’opposition ». Le gouvernement exprime des « inquiétudes » sur ce qu’il qualifie d’ « ingérence ».
Le mandat du Président Rajoelina de 2019 à 2023 est caractérisé par une répression récurrente de ces manifestations dans des lieux publics : rassemblements, réunions, meetings, évènements politiques. Les autorisations accordées sont rares et souvent in extremis. Celles qui se font dans des lieux privés, notamment appartenant aux partis politiques eux-mêmes et ne nécessitant pas d’autorisation, sont fréquemment empêchées ou dispersées. Ce régime de « non autorisation » arbitraire se durcit effectivement en période pré-électorale, puis électorale en devenant la règle par décret, alors que les autorisations formelles et informelles sont accordées aux manifestations du candidat Andry Rajoelina. Ceci est régulièrement documenté par les médias malgré la censure qui sévit dans les médias publics sur les manifestations de l’opposition, particulièrement en cette période électorale.
Les interventions de la gendarmerie contre le mouvement du collectif des candidats de l’opposition sont émaillées de plus en plus de violences faisant des blessés dont trois candidats. De nombreuses arrestations sont faites dont le candidat Jean Jacques Ratsietison arrêté le 6 novembre, puis relâché quelques heures après. Le député Fetra Ralambozafimbololona, président du groupe parlementaire d’opposition Tiako Madagasikara, est arrêté le 8 novembre, en violation de l’immunité parlementaire pendant une session ordinaire. Les parlementaires condamnent l’arrestation à l’unanimité.
Conformément à la loi électorale, le Président Rajoelina a démissionné le 9 septembre 2023 pour présenter sa candidature à l’élection présidentielle prévue le 9 novembre 2023. La Haute Cour Constitutionnelle l’a reportée au 16 novembre en raison de l’indisponibilité d’un candidat, Andry Raobelina, sérieusement blessé à la première manifestation du collectif des candidats de l’opposition. Les oppositions, récemment organisées en « collectif des candidats » à l’élection présidentielle (initialement onze, puis dix sur treize, toutes tendances confondues) demande le report de cette date du 16 novembre pour assainir préalablement les conditions de l’élection avant la compétition électorale considérées comme inéquitables, illégales et inconstitutionnelles à de nombreux égards.
Est-il fondé de parler de dérive autoritaire du candidat Andry Rajoelina depuis sa démission puisqu’il n’est plus en charge ?
On pourrait arguer ainsi que non. Mais si la question se pose plus précisément sur le dispositif intérimaire qu’il a mis en place avec ses partisans, les caractéristiques autoritaires sont indiscutablement présentes.
Selon la constitution (article 46), c’est le Président du Sénat qui assure l’intérim du Président de la République jusqu’à la passation de pouvoir au Président élu. Or, celui-ci, membre de la majorité présidentielle, envoie une lettre de renoncement à la Haute Cour Constitutionnelle. Dans cette situation non prévue par la constitution, la HCC statue pour un exercice collégial de l’intérim par le gouvernement d’ Andry Rajoelina. Le juge se substitue donc au politique pour désigner des nommés et non un élu pour la fonction de Chef d’État par intérim. L’opposition évoque un coup d’État.
Le Président du Sénat, Herimanana Razafimahefa, déclare ultérieurement avoir renoncé à l’intérim sous la menace et dépose un recours à la HCC. Le 13 octobre 2023, il est destitué par ses pairs au motif de « désordre psychologique » auquel il oppose un démenti. Ceux-ci, dont deux tiers sont élus et un tiers nommé par le Président de la République, élisent le général retraité de la gendarmerie Richard Ravalomanana à sa place. Ce dernier avait été nommé sénateur par le Président Rajoelina quelques heures avant sa démission. Le 27 octobre, il est nommé Président de la République par intérim par la HCC. La charge est exercée conjointement avec le gouvernement, particulièrement concernant les questions de sécurité et défense. C’est un dispositif inédit dans le monde. La répression des manifestations de l’opposition est principalement opérée par la gendarmerie. L’opposition parle d’un double coup d’État.
La Présidente de l’Assemblée nationale, Christine Razanamahasoa, majorité présidentielle, dénonce et condamne la répression des manifestations de l’opposition dans son discours d’ouverture de la session parlementaire le 17 octobre, en présence du Premier ministre Christian Ntsay et d’ambassadeurs. Elle offre une médiation parlementaire pour une « élection équitable, transparente et acceptée par tous ». Elle est désavouée par sa famille politique. Elle met en place une plateforme de médiation avec le Conseil Œcuménique des Eglises (majorité religieuse à Madagascar historiquement engagée) le 3 novembre. Celle-ci demande le report de l’élection prévue le 16 novembre. Le candidat Andry Rajoelina s’y oppose. Son parti exclut la Présidente de l’Assemblée le 11 novembre. L’Assemblée nationale est la seule institution actuellement qui ne soit pas impliquée par une mesure non conforme à la constitution.
De 2009 à 2014, Andry Rajoelina a exercé le rôle de Président de la Haute autorité de transition. Sa prise de pouvoir a été caractérisée par l’éviction du Président de la République élu, l’empêchement par les armes de se réunir de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que le remplacement de nombre d’élus locaux par des nommés. C’est de 2019 à 2023 qu’il a été Président élu et disposant d’une majorité au parlement suite aux élections législatives. Or celle-ci se désolidarise du Premier ministre et implose à l’Assemblée nationale en 2022. Le candidat Andry Rajoelina aborde donc la pré-campagne avec une vulnérabilité politique à la veille de l’élection. Le 18 octobre 2023 sur France 24, il déplore une implosion de sa majorité en « factions » depuis qu’il a démissionné.
L’opposition s’est organisée au début de la campagne en collectif de candidats pour tenter de faire valoir ses droits et demander des élections transparentes. Au-delà de ces revendications sur le processus électoral, quel est le réel degré d’unité de ce groupe ? Ses membres ont-ils constitué une force politique d’alternance crédible et soutenue par la population ?
La formation et l’unité de ce collectif est une surprise de l’élection présidentielle de 2023. Il rassemble des familles politiques qui se sont opposées à diverses périodes de la vie politique malgache. Nombre d’entre elles ont défait le président Marc Ravalomanana en 2009. Certains des candidats comme Roland Ratsiraka, sont les plus proches artisans de l’avènement d’Andry Rajoelina en 2009 ou de sa gouvernance comme Hery Rajaonarimampianina de 2009 à 2013 avant que celui-ci soit élu Président de la République en 2014, ou encore comme Hajo Andrianainarivelo, de son élection en 2018. Siteny Randrianasoloniaiko est un député dissident de la majorité présidentielle en 2022. Quelques-uns des candidats comme Roland Ratsiraka font de la politique depuis trente ans, d’autres comme Marc Ravalomanana depuis 20 ans, d’autres encore depuis une quinzaine d’années depuis la transition et quelques-uns, très récemment. Marc Ravalomanana est arrivé deuxième à la précédente élection présidentielle avec 44,34 % des voix contre 55,66 % à Andry Rajoelina. Siteny Randrianasoloniaiko a décidé de faire campagne pour le 16 novembre 2023 contrairement aux dix autres qui revendiquent solidairement l’assainissement préalable des conditions électorales avant de fixer un agenda en concertation politique. Il envoie cependant un représentant à la plate-forme de médiation. Andry Rajoelina refuse cette concertation.
La répression de l’opposition a pour effet de réprimer la possibilité d’alternance inhérente à la démocratie électorale. C’est la restauration de ce processus par l’application de l’équité, de la loi et le libre exercice des droits qui est la revendication solidaire du collectif liée au refus de la corruption et particulièrement de la corruption électorale. Cela trouve un soutien grandissant de la population dans tout le pays qui se mobilise pour un État de droit comme fondement de l’amélioration de la situation à Madagascar et de l’avenir des générations. La population est actuellement dans une grande pauvreté : 70 % vit en dessous du seuil de pauvreté et Madagascar est passé en cinq ans, de cinquième à deuxième pays le plus pauvre du monde. Dans cette République de moins en moins démocratique, on peut dire qu’une force d’alternances crédibles se construit par cette mobilisation dans l’épreuve. Elle est décriée et réprimée par les partisans du candidat Rajoelina comme « source de désordre ». Elle apparaît cependant comme une possibilité de transformation collective fondée sur des lois et des droits stables et respectés.
En quoi la formation du collectif de candidats d’opposition a-t-elle constitué une « surprise » ?
L’opposition telle qu’elle existe aujourd’hui est un phénomène récent et une regroupement surprenant pour deux raisons. La première, c’est que la plupart des membres du collectif des candidats faisaient partie de la majorité présidentielle. C’est l’implosion de celle-ci qui a entraîné leur départ, avec une dimension très critique du pouvoir en place, au point de se présenter à l’élection présidentielle dans l’opposition. La deuxième est que ces candidats appartiennent à des familles politiques qui, pour la plupart, avaient participé au renversement du Président Marc Ravalomanana en 2009 et ont travaillé avec le Président Andry Rajoelina. L’implosion de la majorité présidentielle a entraîné la formation d’une nouvelle alliance avec l’opposition à quelques semaines de l’élection. Cela ne s’était jamais produit à Madagascar.
C’est inédit car d’une part, il ne s’agit pas de coalition électorale mais sur les préalables et les conditions de l’élection. Les membres ont toujours dit qu’ensuite, la compétition serait ouverte et qu’ils iraient concourir lorsque l’assainissement sera fait. Donc on ne peut pas parler de coalition politique, ni d’accord électoral. C’est une alliance sur ce thème précis pour obtenir un rééchelonnement de l’agenda électoral. D’autre part, cette alliance se fait non pas sur la contestation des résultats des élections, dont les procédures sont prévues par la constitution, mais en amont du processus électoral.
Ce qui est certain, manifestations ou pas, c’est qu’il y a un très large soutien sur l’assainissement en termes d’État de droit. C’est incontestable et ce n’est pas une surprise que ce thème mobilise. Même ceux qui sont pour le président Andry Rajoelina n’y sont pas forcément tous opposés. Sur la question de l’assainissement du processus électoral, quasiment tout le monde est conscient qu’il y a de très nombreuses imperfections significatives. Cela fait cinq ans que cette question fait partie intégrante du débat public et de la vie politique malgaches comme le documente par exemple, l’Observatoire de la vie publique à Madagascar. L’opposition a bien vu à quel point les recours post-électoraux sont très verrouillés et qu’il est donc plus pertinent d’alerter en amont, où il y a encore des moyens. C’est un processus complètement inédit.
Quel est l’état actuel du processus électoral ?
Beaucoup d’actions ont été menées qui se sont aussi accompagnées de beaucoup de déceptions. La Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a été réorganisée après l’élection de 2018 pour avancer dans l’amélioration du processus électoral. Un dispositif de partenariat est mis en place avec des représentants de la majorité présidentielle, de l’opposition et des sociétés civiles. Cependant, à l’approche de l’année électorale, dès 2022, beaucoup d’alertes ont été lancées par des partis politiques et des organisations de la société civile sur le fait que les mesures n’étaient pas prises suffisamment tôt pour aboutir à un réel assainissement au moment des élections, prévues pour la fin de l’année 2023.
La CENI, Commission électorale nationale indépendante est aussi très critiquée. Le collectif des candidats demande d’ailleurs sa refonte. Le premier type de critique porte sur les nominations et sur le fait que la majorité des membres sont proches du pouvoir. La critique du manque d’équité dans les nominations s’est faite de plus en plus virulente et précise, se fondant sur des preuves et des faits documentés. L’autre critique porte évidemment sur le contenu des mesures, avec le constat que celles-ci favorisent le Président sortant. La troisième série de critiques porte sur la multiplication d’anomalies tant sur le processus que sur les procédés électoraux. Les recours qui ont été déposés auprès de la Haute cour constitutionnelle n’ont pas abouti.
À quel point l’entrée en campagne du candidat Siteny Randrianasoloniaiko change-t-elle la donne ? Un tournant de ce type était-il prévisible et attendu ? Comment caractériser le positionnement politique de Siteny Randrianasoloniaiko ?
L’entrée en campagne de Siteny Randrianasoloniaiko, se désolidarisant de la position du collectif des candidats, n’a pas fait l’objet de commentaires de la part de ceux-ci. Mais depuis, il est perçu par une partie de l’opinion publique comme un faire-valoir électoral du candidat Andry Rajoelina. Son entrée en campagne change relativement la donne politique, voire électorale. Elle joue comme une validation des conditions électorales et potentiellement, des résultats. Or, la position solidaire de l’opposition pour un report des élections présidentielles après assainissement du processus et des procédés électoraux pourrait aboutir. Elle porte en tout cas l’argument d’un précédent pour les élections à venir, voire d’invalidation d’élections non reconnues par tous.
Siteny Randrianasoloniaiko a commencé une pré-campagne régionale très précoce dans tout le pays qui a été de plus en plus empêchée par le pouvoir. Depuis son entrée en campagne électorale, il dénonce les empêchements matériels subis comme le non dédouanement des t-shirts de campagne importés ou la rétention d’un hélicoptère loué en Afrique. Le fondement de sa campagne est la critique du pouvoir. Sa principale proposition est la décentralisation. Il a affiché son réseau international Est-Africain et a été reçu par le Pape en période pré-électorale quelques semaines après Andry Rajoelina.
D’après les études de Transparency International Initiative Madagascar, Siteny Randrianasoloniaiko dispose de moyens de campagne électorale considérables, comparables à ceux d’ Andry Rajoelina. La cellule de suivi des élections de l’ONG les évalue à minima à 700 000 euros chacun à la fin octobre et en souligne l’opacité des sources. Les deux candidats utilisent des aéronefs. Après cela, Siteny Randrianasoloniaiko dément bénéficier de quelconque source de financement russe.
Y a-t-il des inquiétudes concernant de potentielles interférences russes dans les élections ?
Outre la question de financements potentiels déjà évoquée, il y a en effet déjà, une question russe spécifique en 2018. Les ingérences russes dans le processus électoral présidentiel de l’époque ont été documentées par des journalistes qui ont reçu pour cela le prix Pulitzer. C’était la même période que l’élection présidentielle américaine et française, le moment où le monde entier découvre ces innovations russes en termes d’ingérence électorale. Ce sont, entre autres, les fermes de trolls numériques, ou faux comptes, sur les réseaux sociaux pour modeler l’opinion et influencer les votes. Ces dispositifs sont désormais mieux connus aujourd’hui dans le monde. Ils ont suscité la création de services spéciaux ainsi que des démarches juridiques spécifiques. Il n’y a pas eu de mesures prises, en tout cas officielles, à Madagascar où on parle d’ « usines à trolls » qui ont fait des émules.
Quelles sont les principales mesures qui constituent le bilan d’Andry Rajoelina ? Comment définir son positionnement politique ? Quelle est actuellement la place de l’opposition gauche–droite dans la vie politique malgache ?
Andry Rajoelina met en avant les réalisations d’infrastructures routières comme le tronçon Moramanga — Ambatondrazaka qui dessert le grenier à riz du pays mais également le gisement de chrome. C’est aussi le cas d’infrastructures sociales comme des hôpitaux et des stades sportifs. Il s’appuie sur un bilan de mesures sociales conjoncturelles pour les plus démunis pendant le Covi-19 ou l’inflation. Il insiste sur le fait qu’il lui faut du temps, en l’occurrence un deuxième mandat, pour réaliser les promesses de la campagne des élections de 2018. Les investissements promis auraient-ils été obérés par le covid et la crise russo-ukrainienne ? Il a mené un agenda soutenu d’inaugurations de type « premières pierres » comme « prémisses » du deuxième mandat auquel il candidate. Certains veulent espérer avec de menus dons à l’appui.
Mais l’appauvrissement généralisé, les graves carences du service public comme les délestages électriques, les ruptures de l’approvisionnement en eau, les défaillances de gestion des déchets, l’aggravation de l’insécurité face au banditisme, les salaires impayés des personnels scolaires et universitaires ont un effet déceptif et démobilisateur dans l’opinion. Beaucoup mettent cela sur le compte de l’incompétence et certains sur celui de la collusion avec des intérêts étrangers. Quoi qu’il en soit, cela relèverait-il d’un positionnement économique ultra-libéral d’une part, et politique autoritaire et populiste d’autre part, où le développement en tant qu’amélioration des conditions de vie a très peu de place ?
Les reconfigurations du clivage gauche-droite à Madagascar sont liées à une histoire spécifique des mouvements sociaux qui ont transformé la vie politique du pays (1972, 1991, 2002, 2009, 2018). Il serait plus approprié actuellement de parler de clivage politique entre autoritarisme et libéralisme. Ce dernier est au sens des libertés publiques et de la liberté d’entreprendre (11 % seulement de la population active est salariée en 2021 selon les Nations Unies), garanties par un État de droit ainsi que soutenues par un État social, si ce n’est un État-providence.
Le positionnement « anti-français » est-il actuellement une donnée significative du débat politique malgache, avec des évolutions similaires à ce qu’on a pu voir notamment en Afrique de l’Ouest ?
Le positionnement « anti-français » a toujours été une donnée significative du débat politique malgache mais son contenu n’est pas le même d’une période à l’autre ou selon les acteurs politiques. Il a une teneur anticolonialiste qui est passée de la vindicte à la vigilance. Il comporte un fond de défiance contre les discriminations, le racisme et le paternalisme. Il est très critique contre les formes de manipulation, de domination et de prédation.
Cela ne relève pas seulement de la rhétorique ou des émotions. Depuis 1975, il s’incarne dans diverses politiques publiques comme la recherche d’autres partenaires. Cela rejoint aujourd’hui les nouvelles coopérations africaines aves les émergents. Ça se retrouve également dans les politiques très restrictives d’obtention de la citoyenneté malgache ainsi que de propriété foncière par les étrangers. Ces politiques sont souvent critiquées par les communautés « karana » (d’origine indo-pakistanaises) présentes à Madagascar depuis la politique de migration coloniale menée par le Général Galliéni. Elles détiennent actuellement les secteurs stratégiques de l’économie malgache et beaucoup parmi elles ont acquis la nationalité française. C’est aussi le cas plus récent, de démarches effectuées dans la lutte contre la corruption. Certaines très grandes entreprises françaises ont été frappées depuis 2022 d’interdiction dans tous projets financés par la Banque mondiale à Madagascar pendant quelques années, pour cause de corruption et collusion.
Une des données significatives du débat politique malgache actuel est sur la nationalité française par naturalisation, récemment révélée, du candidat Andry Rajoelina. Or l’article 42 du code de nationalité prévoit la perte de la nationalité malgache dans le cas de demande de naturalisation. Cela pose la question de la légalité de sa candidature à l’élection présidentielle selon l’article 46 de la constitution. Cela soulève également la question de souveraineté dans le choix d’un dirigeant de nationalité étrangère. Toutes questions que le candidat récuse.
En ce qui concerne la présence militaire française à Madagascar, les bases ont été fermées en 1972 dans le cadre des nouveaux accords de coopération. Les forces militaires françaises se sont alors installées à La Réunion. Dans le contexte des sanctions diplomatiques de non reconnaissance internationale entre 2009 et 2014 à l’encontre du régime de transition d’Andry Rajoelina, les activités de coopération militaire française avaient été maintenues. Cela avait fait l’objet de critiques de la part des États-Unis et d’autres pays.
Aujourd’hui, il n’y a pas d’enjeux militaires français comparables à l’Afrique de l’Ouest ou au Sahel à Madagascar. Cependant, les liens entretenus par la Russie avec la Grande Ile représentent un enjeu vis-à-vis du compétiteur russe dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne. Madagascar n’a pas voté pour les résolutions onusiennes condamnant l’agression russe jusqu’en octobre 2022. Le 18 octobre 2022, son ministre des affaires étrangères est limogé par décret présidentiel pour avoir voté contre la Russie aux Nations-Unies. Depuis, le vote malgache continue cependant à l’encontre de la Russie. Mais un accord militaire russo-malgache vient d’être renouvelé en février 2023.
Le point commun à l’opinion publique malgache est sans aucun doute l’attachement profond à la souveraineté du pays, même, voire d’autant plus, dans la plus grande pauvreté.
Comment le Président est-il actuellement perçu ?
Malgré tous les engagements, toutes les difficultés et toutes les critiques qu’il a essuyées pendant quasiment dix ans, le retour au pouvoir d’ Andry Rajoelina a été accompagné d’une sorte de grand espoir. Ceux qui étaient contre lui adoptaient très souvent une posture de deuxième chance. C’était l’esprit de 2019, au début de son mandat de Président élu.
En termes de perception, les partisans actuels du candidat Andry Rajoelina sont un socle de fidèles réduit par l’implosion politique de la majorité présidentielle, de légitimistes ébranlés par la dégradation de la situation du pays et une clientèle de vote qui forme un électorat relativement volatile.
On constate un sentiment de déception impressionnant dans la population. Il peut mener dans deux directions différentes : soit, cela devient de l’abstention et une dépolitisation, ce qui est assez massif à Madagascar ; soit, ça mène dans l’opposition ou les mouvements sociaux.
Quelle est la géographie électorale du soutien à Andry Rajoelina à Madagascar ? Andry Rajoelina a été maire d’Antananarivo. À quel point est-il soutenu dans la capitale ?
La géographie électorale à Madagascar pose des problèmes méthodologiques intéressants à éclairer. Les résultats des élections présidentielles de 2018 en sont une première image quantitative. Il faut cependant les comparer au corps électoral (nombre d’inscrits) ainsi qu’à l’abstention. Cela peut être affiné à différentes échelles comme les localités ou les régions. Le socle de légitimité est significativement moindre. L’enjeu des listes électorales et des PV de vote pour les élections de 2023 par rapport à celui-ci est évidemment un enjeu important de cette approche quantitative.
L’observation électorale et la surveillance des scrutins sont inégalement déployées dans le pays. La fraude électorale est relativement plus surveillée dans la capitale par exemple. En 2019, la HCC a considéré que les recours et signalements déposés en ce sens n’étaient pas significatifs. Les compétiteurs eux-mêmes ont reconnu le résultat des élections. La situation est toute autre aujourd’hui.
Dans le contexte actuel, le recours massif à la communication numérique d’une part, et à la censure dans les médias publics d’autre part, créent des asymétries, voire des distorsions de l’information par rapport au réel. En outre, la disproportion entre le déversement de visuels numériques du candidat Andry Rajoelina et la communication des autres candidats amplifie cette asymétrie. Les médias publics sont les seuls à avoir une couverture nationale sans connexion à Madagascar. La censure médiatique de l’opposition a donc des effets plus que significatifs dans le processus électoral. De surcroît, l’ordre des journalistes fait état de nombreux obstacles à l’exercice de leur métier (pressions, violences, coups et blessures, destructions de matériel), en particulier dans la couverture du mouvement du collectif des candidats. À cela s’ajoute la répression subie par le mouvement contrairement à celui du candidat Andry Rajoelina, particulièrement à Antananarivo.
Par ailleurs, l’opacité des sources de financement ne permet pas de documenter aisément le soutien des notables qui s’affichent très peu. Il est difficile d’identifier, de recouper et de corriger les asymétries de l’information qui découlent de tout cela. Il n’est donc pas aisé d’évaluer la réalité quantitative et qualitative des soutiens à Andry Rajoelina, mais aussi aux autres candidats.
Outre tout cela, d’un côté, les enquêtes des ONG qui observent les élections, comme le KMF CNOE qui le fait actuellement dans 75 districts sur 119 dont à Antananarivo, font état de nouvelles formes de dysfonctionnements, voire de fraudes électorales, preuves à l’appui, avant le vote. Il s’agit d’anomalies de doublons, voire triplons dans les listes électorales ; de bureaux de vote fantôme ; de bulletins de vote uniques pré-cochés ; d’utilisation avant l’heure des cartes électorales pour d’autres usages, notamment la distribution de petits dons et matériels de propagande ; de collectes de signatures d’électeurs avec numéro de carte électorale. D’un autre côté, Transparency International Initiative Madagascar, comme d’autres organisations, soulignent que la corruption électorale s’aggrave avec la vulnérabilité des populations : participations aux manifestations, promesses de votes, délivrance de signatures par exemple, en échange d’argent ou de cadeaux. Cette corruption prend aussi la forme d’utilisations illégales de biens publics et d’agents publics dans la campagne électorale.
Certes, la frontière entre incitation sélective et corruption n’est pas toujours décelable. Mais ces pratiques sont si répandues que la clientèle de vote prend le pas sur l’électorat dans le processus électoral. La conséquence politique est la fragilisation de la légitimité qui favorise l’autoritarisme et la dé-démocratisation. Cet affaiblissement de la redevabilité est le terreau de crises protéiformes.
Quelles sont les questions politiques majeures et les priorités portées par la population malgache — rurale ou urbaine ? L’inflation sur les produits alimentaires qui a augmenté dans le contexte de la guerre en Ukraine est-elle toujours présente dans le débat en tant que problème social et question politique majeurs ?
Les questions politiques majeures et les priorités portées par la population malgache sont la sécurisation alimentaire, le pouvoir d’achat, la lutte contre les vulnérabilités (monétaires, sanitaires, énergétiques, hydriques, sécuritaires…). Toutes les cultures malgaches font de l’avenir des enfants ainsi que de la postérité une question politique majeure. C’est ce prisme qui met l’appauvrissement et la dégradation de l’éducation, mais aussi les promesses, en perspective.
Une nouvelle polarisation autour de l’État de droit émerge en termes de construction de problèmes publics. Les pêcheurs refusent, par exemple, de respecter l’arrêt saisonnier de la pêche actuellement dans la région du Lac Alaotra près d’Ambatondrazaka. Ils disent disposer de ressources insuffisantes dans la situation inflationniste actuelle. Ils déclarent ne pas pouvoir se permettre de voir la pêche profiter seulement aux forces de l’ordre qui prélèvent déjà leur part de corruption et confisquent leur attirail. Le tarissement des poissons et la trappe à pauvreté durable s’aggravent par la corruption et les manquements à l’État de droit. La perception du problème par la population en tant que problème systémique favorise alors l’abstention et la dépolitisation.
Le pari de la mobilisation collective est la redynamisation de la construction publique et politique de la question de la corruption, par le refus de l’illégalité et de la corruption. La solution scandée par la population qui participe au mouvement du collectif des candidats est « tsy voavidy vola », « ne peut être acheté » à commencer par le vote, en un mot « incorruptible ». Mais il évoque aussi un sens en creux : « hors de prix ». Il est en phase avec la polysémie malgache qui énonce d’un seul élan solution et problème. Le contraste est saisissant avec la ligne du candidat Rajoelina incarné dans les carnavals organisés à chaque étape de sa campagne électorale. Saisissant aussi comparé à la solennité de sa campagne de 2018 présentant son programme électoral exprimé point par point en promesse rituelle malgache, « velirano ». Sa campagne de 2023 est ponctuée de promesses et sans tracts.
Derrière l’enquête de Transparency International sur les financements de campagne électorale se pose la question de l’influence de ceux qui exercent leur puissance pour organiser des pouvoirs institués favorables à leurs intérêts. Ils mettent ainsi en place au pire des cas leur pion et au meilleur des cas leur partenaire. Le choix souverain du dirigeant qu’est l’élection présidentielle ne peut faire l’économie d’une évaluation du processus électoral qui tienne compte du contexte politique et géopolitique. A Madagascar, elle se fait aujourd’hui de manière inédite, en amont. Elle a aussi à faire le tri entre ingérence destructrice de souveraineté et partenariat constructif.
Pensez-vous que les élections se dérouleront vraiment le 16 novembre ?
Il s’agit, à l’heure qu’il est, d’un véritable rapport de force. Il était plutôt à l’avantage du camp d’Andry Rajoelina jusqu’ici puisqu’il tient beaucoup de leviers institutionnels et non institutionnels. En observant le dispositif intérimaire, on peut parler de verrouillage institutionnel, en tout cas de verrouillage électoral en faveur du Président sortant. Il est clair que sa ligne jusqu’ici est le maintien de l’agenda électoral par la force. Elle accuse l’opposition d’être anti-démocratique. L’argument est qu’elle empêcherait les électeurs d’exercer leur droit de vote en réclamant le report des élections que ce soit au nom de l’État de droit.
Mais si l’on observe les déclarations du collectif des candidats depuis le début, il n’y a jamais eu de variation. Ils veulent les élections et revendiquent la mise en place de l’assainissement du processus électoral en préalable. En termes moraux mais aussi de mobilisation, on peut dire que le collectif des candidats a gagné beaucoup de terrain en très peu de temps. La médiation de l’Assemblée nationale pourrait-elle faire monter en capacité opératoire le rééchelonnement de l’agenda électoral et les enjeux que cela porte ? En tout cas, derrière la démocratie électorale de façade, cette séquence apparaît déjà d’une puissance inédite en termes de démocratisation.