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Comment en sommes-nous arrivés au 7 octobre ? Comment Israël est-il arrivé à la situation actuelle, avec plus de 200 otages toujours détenus par le Hamas à Gaza et son armée prête à y pénétrer ?
Pour comprendre cet événement, nous devons examiner ce qui s’est passé en Israël au cours des quatre dernières années environ, une sorte de processus d’autodestruction. En très peu de temps, nous avons traversé de nombreuses élections et la création de ce gouvernement actuel. Pour la première fois dans l’histoire d’Israël, les éléments les plus extrêmes de la société israélienne ont fait partie d’un gouvernement. Pour la première fois dans l’histoire d’Israël, un homme faisant l’objet d’un procès a été élu Premier ministre. Cela ne s’est jamais produit auparavant, et en quelque sorte, c’est ce qui se cache derrière la terrible attaque du 7 octobre.
Encore en amont, nous devons examiner la politique de Benjamin Netanyahou à l’égard des Palestiniens, de la question palestinienne. Dans l’histoire d’Israël, il y avait essentiellement deux approches à la question palestinienne. La première consiste à dire que nous devons résoudre cette question et prendre l’initiative, quelle que soit la solution, qu’il s’agisse d’une solution de droite ou d’extrême droite, ou une solution dite de gauche ou d’extrême gauche. Mais il fallait la résoudre. C’est une approche avec deux branches, la droite et la gauche.
L’autre paradigme consiste à ne rien faire. Pourquoi ? Parce que c’est trop compliqué et politiquement trop dangereux. Nous ne devrions pas prendre d’initiative et laisser les événements nous guider. Je dirais que cette approche qui consiste à ne rien faire a été adoptée par le Parti travailliste immédiatement après la guerre des Six Jours. La même approche a été adoptée par le Likoud lorsque Menachem Begin est arrivé au pouvoir en 1977. Benjamin Netanyahou n’était pas au pouvoir entre 1999 et 2009. Les leçons qu’il a tirées du processus d’Oslo sont que faire quelque chose — autrement dit, prendre une initiative concernant la question palestinienne — est politiquement trop dangereux. Il a été malgré lui partie prenante du processus d’Oslo. Je tiens à rappeler qu’en 1998, il a signé l’Accord d’Hébron.
Mais lorsqu’il est revenu au pouvoir en 2009, Israël était un pays différent. C’était Israël après la deuxième intifada, avec un leader Palestinien différent, Abu Mazen [Mahmoud Abbas], et non Yasser Arafat, en qui Israël n’avait pas confiance. À la base de la politique de Netanyahou, il y a cette décision de ne pas affronter la question palestinienne. Par ailleurs, il s’est de plus en plus appuyé sur l’extrême droite. Celle-ci était représentée par Naftali Bennett, et ensuite Bezalel Smotrich. Le système politique n’a pas viré à droite. C’est Benjamin Netanyahou qui est passé à droite et qui a entraîné tout le Likoud avec lui. Pourquoi ? Parce que, dans son esprit, il faut avant tout s’occuper de la base électorale. La politique pour Benjamin Netanyahou ne consiste pas à s’adresser à la majorité. Il faut parler à la base militante et laisser celle-ci attirer le reste de la population. C’est son système de pensée.
Depuis 2009, en raison de ses problèmes judiciaires, de moins en moins de politiques du centre, du centre-droit et du centre-gauche acceptaient de siéger dans un gouvernement avec Netanyahou. Il est donc passé à droite. Mais, d’un autre côté, un fossé s’est créé entre ce qu’il faisait et ce qu’il disait. Ce fossé a suscité une volonté de plus en plus grande de la part de l’extrême droite de gagner en puissance, d’être plus influente, car même si Benjamin Netanyahou n’a pas fait exactement ce qu’il avait promis, il a commencé à parler comme l’extrême droite. Cela l’a conduit à l’idée folle qu’il fallait affaiblir l’Autorité palestinienne et acheter le silence du Hamas, laissant le Hamas devenir de plus en plus fort.
Voilà la base de la politique de Netanyahou. En plus de cela, il y a des problèmes judiciaires, une instabilité politique, et le gouvernement le plus extrême de l’histoire d’Israël qui fragilisent toutes les institutions gouvernementales. Cela renforce la perception qu’Israël est faible, divisé, et qu’il perd son allié le plus important, les États-Unis d’Amérique. Cette perception se propage dans un voisinage très dangereux. Et c’est ainsi que nous en arrivons au 7 octobre, le point le plus bas de notre histoire.
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En ce qui concerne votre position politique, on vous présente souvent comme étant de gauche sur le plan politique, tout en étant de droite sur les questions de sécurité. Comment expliquez-vous cela ?
C’est le résultat de la politique de Netanyahou. Selon lui, si vous êtes de droite, vous êtes dur, vous êtes un guerrier. Et si vous êtes de gauche, c’est le contraire. C’est absurde. Je suis de gauche parce que je crois que nous devons nous séparer des Palestiniens. Nous aspirons à vivre en paix aux côtés des Palestiniens. Et je pense qu’en tant que pays fort et nation forte, nous devons prendre l’initiative pour atteindre cet objectif. C’est ce que signifie pour moi être de gauche. Cela ne dit rien de ma volonté ou de ma capacité à lutter contre nos ennemis. Et je peux vous révéler un secret : beaucoup, beaucoup, beaucoup des meilleurs généraux israéliens sont de gauche. C’est simplement une méprise orchestrée et promue par Benjamin Netanyahou. Dire que si quelqu’un est de gauche, c’est un traître qui affaiblit Israël, c’est affirmer un mensonge.
La situation actuelle en Israël est sans précédent. Il y a eu de nombreuses flambées de tensions au fil des années, en 2008, 2012, 2014, mais cette guerre est différente. Ce genre de crise, de changement de paradigme, peut-il ouvrir des opportunités pour la gauche israélienne, d’une part, et pour la paix avec les Palestiniens, d’autre part ?
Pour la gauche en Israël, la crise offre l’opportunité de réaliser que la plus grande erreur est de ne pas prendre l’initiative. Le statu quo est une sorte de mensonge confortable. Mais il bloque la capacité à percevoir la réalité telle qu’elle est. Par conséquent, Israël se doit de prendre l’initiative. Il existe de nombreuses formes d’initiatives de paix qui peuvent être tentées. Mais nous ne pouvons pas rester au même endroit et espérer un avenir optimiste pour Israël sans prendre d’initiative. L’objectif est de nous séparer des Palestiniens tout en conservant la responsabilité de la sécurité. Nous n’avons pas l’intention de les laisser renforcer leur pouvoir dans la bande de Gaza. Cela signifie que nous devons établir une sorte de zone démilitarisée entre Israël, la bande de Gaza et l’Égypte.
Nous avons la capacité d’arrêter complètement toute tentative de contrebande d’armes sophistiquées dans la bande de Gaza. C’est ce que nous allons faire. La bande de Gaza doit demeurer une zone démilitarisée pour l’éternité. Je n’ai pas l’intention de les laisser devenir une menace pour les civils israéliens. Le reste du monde doit comprendre cela. Nous ne pouvons pas permettre à une organisation terroriste de devenir puissante. Nous devons protéger nos civils. L’objectif ultime est de rétablir la confiance entre le peuple et son armée. C’est essentiel.
En même temps, nous devons parler aux gens et leur dire que l’annexion de la Cisjordanie, qui est l’objectif ultime de la droite en Israël, et surtout de l’extrême droite, est une folie. Aujourd’hui, nous parlons de 4,9 millions de personnes qui ne sont pas disposées à rester sous notre contrôle. C’est insensé de s’attendre à ce que quelque chose de bon en résulte en ne donnant aux Palestiniens aucune perspective d’un avenir meilleur. Nous devons tenter de comprendre les Palestiniens, lancer des initiatives, et espérer qu’ils nous comprennent.
Pensez-vous que Benjamin Netanyahou et les membres d’extrême droite de son gouvernement, tels que Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, ont désormais complètement perdu toute légitimité politique ?
En ce moment, le débat public ne porte pas sur la politique, nous sommes en guerre. Le débat concerne davantage le leadership. Lorsque vous avez détruit Israël au cours des dix derniers mois et conduit le pays au point le plus bas de son histoire, vous ne pouvez plus gouverner. Benjamin Netanyahou n’a plus le droit de nous gouverner. La question concerne le leadership et la capacité à conquérir le cœur et l’esprit du peuple. Et ils ont perdu cette capacité. Par conséquent, je pense que nous ne pouvons pas mener cette guerre avec le gouvernement actuel.
De nombreux réservistes ont été appelés à servir, l’armée israélienne est prête pour des opérations terrestres dans le nord, le sud, et ainsi de suite. Mais je ne vois pas ce gouvernement capable de mener une guerre. Nous envoyons nos fils et nos filles à l’armée. Ai-je confiance en les échelons politiques pour mener cette guerre de manière raisonnable ? Non, et j’ai deux fils en uniforme en ce moment. Que puis-je leur dire ?
Je n’ai pas confiance en Netanyahou. J’ai trop de raisons de croire que ses décisions ne sont pas prises en fonction de considérations rationnelles, mais plutôt en fonction de ses propres intérêts personnels. Nous devons changer notre leadership immédiatement.
Vous avez dit que la droite a perdu le cœur et l’esprit du peuple. Comment la gauche peut-elle gagner le cœur et l’esprit du public israélien ? Quelle devrait être le récit politique ? Les kibboutz qui ont été attaqués près de Gaza représentent la gauche historique, qui a créé le pays. C’est le cas du kibboutz Beeri où les revenus des habitants y sont toujours mis en commun. Mais cette histoire de la gauche, qui a créé le pays, est oubliée aujourd’hui en Israël. Quelle devrait être son récit politique aujourd’hui ?
L’erreur fondamentale de la gauche en Israël est de coopérer avec la droite, alors que celle-ci ne cesse d’affirmer que la gauche n’a rien à dire en ce qui concerne la sécurité, et qu’elle n’a pas le courage de s’attaquer aux véritables problèmes économiques et sociaux. Commençons par le premier point. Pendant des années, Netanyahou a décrit son camp politique comme le camp national, tandis que ses adversaires, qui constituaient autrefois le camp de la paix, seraient devenus le camp des traîtres. Au lieu de combattre cela et de dire que nous sommes les seuls à comprendre véritablement comment assurer la sécurité des citoyens israéliens, la gauche a tendance à dire qu’elle va s’occuper des questions environnementales, des droits des animaux et des droits LGBT. Ces sont des questions importantes, mais moins importantes que la sécurité d’Israël. Nous avons commis une erreur en abandonnant ce sujet.
La deuxième erreur est que la gauche, qui est assez riche en Israël, a tendance à dire qu’elle ne se soucie pas vraiment des pauvres parce qu’ils ne votent pas pour elle. La gauche devrait toujours être axée sur la justice sociale et sur la promotion des égalités d’opportunités. Et c’est quelque chose pour lequel nous devons nous battre. Je pense que nous avons maintenant une opportunité pour cela en montrant que la stagnation des années Netanyahou est désastreuse. Ainsi, nous devons assurer la sécurité et offrir des perspectives d’avenir prometteuses. Il est également essentiel de promouvoir l’égalité, de repenser notre économie, de partager équitablement la richesse du pays et d’établir une pleine égalité civile pour construire une société meilleure. Israël a de nombreux défis à relever.
Ces derniers jours, Emmanuel Macron, Rishi Sunak et Joe Biden sont venus en Israël. Au cours de l’année écoulée, Benjamin Netanyahou et son gouvernement avaient pourtant pris leurs distances avec l’Occident, en ne sanctionnant pas la Russie, par exemple. Que révèle la situation actuelle sur la place d’Israël dans le monde ?
Le fait que Joe Biden et Antony Blinken soient venus en Israël ne relève pas simplement d’une sympathie envers Israël. Il s’agit davantage de l’intérêt de Washington dans la région et de l’intérêt mondial des États-Unis. Les États-Unis doivent faire face à une guerre en Ukraine, à des conflits en cours avec la Russie, la Chine et l’Iran. Ils n’ont aucune intention de s’impliquer dans un conflit très local entre le Hamas et Israël, qui est fondamentalement sans importance pour les intérêts américains. Afin de limiter ce conflit, Washington cherche à dissuader l’Iran d’intervenir directement ou par le biais de ses proxies. Par conséquent, ils ont envoyé dans la région un porte-avion.
La deuxième chose que les États-Unis font, c’est d’expliquer à Israël qu’il ne faut pas prendre l’initiative contre le Hezbollah ou l’Iran. Je pense qu’Emmanuel Macron et Rishi Sunak adoptent la même ligne. Bien sûr, il existe une forme de sympathie pour Israël, ce dont je leur suis reconnaissant. C’est très important. Mais je pense qu’ils regardent avant tout la situation actuelle en Israël, en y voyant un potentiel de détérioration supplémentaire et qu’ils essaient de l’arrêter au plus vite.