Dialectique de la violence et du calcul. Relire Pierre Hassner

Que faire contre la terreur, quand « la guerre s'est étendue bien au-delà des limites » ? Introduit par les philosophes Frédéric Worms et Constantin Sigov, nous publions aujourd’hui le magnifique texte, prophétique, de Pierre Hassner sur le 11 septembre, qui a inspiré le récent discours de Joe Biden en Israël.

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Constantin Sigov, Frédéric Worms
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© AP Photo/Ariel Schalit

La leçon du texte de Pierre Hassner sur « le 11 septembre » qu’il importe tant de relire aujourd’hui (après ce qu’on appellera sans doute le 7 octobre),  est simple à résumer : c’est que ces événements ne sont pas seulement des crimes meurtriers, des actes terroristes, et de guerre, ce sont des défis jetés à la politique, jetés à l’idée et même à la possibilité de la politique.

C’est là l’enjeu principal que Pierre Hassner dégagea aussitôt, d’une manière qui surprit tous ses lecteurs et jusqu’à ses amis lorsque, pour analyser ces événements avec cette profondeur, il eut recours à cet antique terme de psychologie ou de philosophie apparemment désuet, modeste et disproportionné : celui de « passions ».

Mais ce qu’il voulait dénoncer en revenant à ce terme antique, c’était justement une illusion de la politique moderne. Une illusion, qui ne doit pas cependant nous faire renoncer à toute politique, comme ces actes meurtriers voudraient justement nous y inciter. Car ce que ces actes rendent illusoire, et ce que Pierre Hassner voulait justement critiquer ici, comme une illusion qui aggrave le mal, ce n’est pas la politique en général, mais quelque chose de bien plus précis : c’est une politique, toute politique, qui prétendrait contenir définitivement ou même (illusion plus grave encore) abolir cette violence intérieure à l’esprit humain que désigne justement le terme de « passion ».

Certes, la politique, même moderne (pensons à Hobbes bien sûr cité dans le texte), avait mesuré la profondeur de ces gouffres psychologiques et vitaux  qu’on appelle les passions, qui peuvent empêcher la coexistence réglée entre les humains que l’on appelle la politique, et cela que ce soit d’ailleurs en s’appuyant sur la vie ou sur la justice, sur la peur ou sur la haine.

Mais une certaine politique moderne avait pourtant cru pouvoir, au moins depuis le XVIIIe siècle,  dépasser ces dangers intérieurs par une autre force elle aussi appuyée sur la vie,  et même finalement, sur la justice (ces deux sources de toutes les passions) : à savoir, l’intérêt et l’économie, soutenus par la raison qui permet de les atteindre et de les calculer, une politique qui, donc, fait le calcul ou le pari de la coexistence rationnelle.

Les explosions de violence et de haine nous montrent irréfutablement son erreur : elles nous rappellent que les sources intérieures et « passionnelles » qui menacent la politique en profondeur sont toujours là. Non seulement dans ces actes, d’ailleurs, mais dans les réponses à y apporter, et Pierre Hassner avait vu les dangers de l’engrenage des violations, et critiqué les réponses des Etats-Unis au 11 septembre, c’est bien sûr pertinent aujourd’hui encore.

C’est le premier sens du propos de Pierre Hassner.

Mais cela doit-il justement nous faire renoncer à la politique, je veux dire à toute politique, et en particulier à celle dont Pierre Hassner mieux que personne mesurait la fragilité constitutive, la géopolitique ou la politique « internationale » ?

La réponse, bien entendu, est celle-ci : non. Non, il ne faut pas renoncer à la politique, mais la remettre devant son véritable enjeu, son véritable défi, révélé dans ces événements qui n’ont rien d’exceptionnel mais rappellent au contraire à l’essentiel, et donc devant les passions. Il faut s’opposer à ces deux erreurs : l’illusion politique ou l’abandon de la politique, sa naïveté ou sa destruction. 

Mais comment le faire ou que reste-t-il donc à faire ?

La réponse que donne clairement ce texte fondamental (charnière entre les deux derniers grands recueils d’articles de Pierre Hassner) est simple ou plutôt elle est triple : philosophique, mais aussi « sociologique » et enfin politique.

Philosophique d’abord pour revenir aux grandes analyses qui ne refoulent pas les passions mais les affrontent et il en cite trois : Hobbes ou la peur, Nietzsche ou la religion (étonnamment et fortement), Marx et le sentiment d’injustice (tout aussi étonnamment et fortement !). Il faut donc affronter les passions, mais toutes les passions et bien sûr ces attentats nous y replongent dans ce mélange des peurs, de la religion et de l’injustice. 

Mais cela ne suffit pas et sous le nom de « sociologie », Pierre Hassner rejoint son autre domaine, non pas les livres, mais les journaux, non pas la nature humaine mais l’état du monde qu’il joignait constamment dans un modèle encore inégalé et qui nous manque si cruellement. Lisez dans son dernier recueil, La revanche des passions, toutes les combinaisons de ces analyses concrètes avec les enjeux philosophiques que l’on trouve déjà ici, même devant la Société française de philosophie.

Enfin la politique : elle consistera non pas dans une illusion, pas non plus seulement dans les principes de justice, même si c’est fondamental, mais dans le recours à des passions pour le bien, des passions positives. Ici sous le signe (étonnant et fort encore) de Tocqueville, ailleurs de Camus (voir le début du dernier recueil)  ou de Simone Weil qui appelait bien sûr à lutter pour la justice et avec la passion du Bien.

Jusqu’au bout il aura donc creusé comme son ami Emmanuel Doucy les abîmes du « mal » ou de « l’injustifiable » sans jamais renoncé à les inverser, même si c’est le défi ultime.

Mais c’est le véritable défi, pleinement réaliste, d’une politique concrète, aujourd’hui comme à l’heure où il écrivait ces textes : une politique qui a conscience des défis et sait combien elle doit lutter sur les causes, sur les réponses, sur les esprits, pour ne pas tomber dans l’engrenage toujours terriblement menaçant et destructeur des passions.

C’est à ce défi que nous devons encore répondre, et c’est pourquoi, au-delà de la réédition de ce texte clé, nous proposons de lancer des « Conférences Pierre Hassner » à l’Ecole normale supérieure, qui seront lancées en 2024 avec aussi un colloque « sur » Pierre Hassner. Elles sont en quelque sorte précédées par cette reprise dont il faut remercier Le Grand Continent et Constantin Sigov, lequel nous mettra aussi devant la profondeur du défi dans sa conférence du 11 novembre prochain sur « l’expérience de la guerre », dont l’Ukraine est bien entendu le lieu et si l’on ose dire en ce moment le nom.

Ne renonçons donc à rien, mais mesurons le défi de tout, pour continuer à l’affronter, ensemble. (Frédéric Worms)

***

Ce texte de Pierre Hassner est fondamental pour comprendre ce qui se passe et nous aider à y réagir de façon adéquate, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il rappelle que l’acte terroriste, que ce soit le 11 septembre ou cette année au Proche Orient, vise à manipuler les passions. Pierre Hassner a raison d’inviter à la plus grande prudence vis-à-vis de cette guerre des passions. Il est indispensable que les experts contribuent à contrôler la colère inévitable, la rage des passions. Avec sang froid, comme l’a fait Timothy Snyder, il faut se demander quelle est la stratégie derrière cette attaque terroriste préparée depuis très longtemps, pas seulement au niveau local du Hamas, mais aussi à l’échelle internationale. En effet, ce n’est pas pour rien que le Hamas a remercié le Kremlin pour son soutien ; ce n’est pas pour rien que Poutine n’a pas réagi pendant neuf jours à la suite de cette attaque, avant de proposer d’être médiateur, c’est-à-dire de capitaliser sur la crise. Il ne faut pas entrer dans le scénario de l’agresseur, ne pas être dupe, mais plutôt changer le scénario. Cela implique de ne pas répéter les erreurs du 11 septembre, ce qu’a déclaré le Président Joe Biden, inspiré par un texte de Timothy Snyder récemment publié, lui-même inspiré du texte de Pierre Hassner que nous commentons ici. En somme, il ne faut pas réagir à chaud et de façon immédiate à la guerre des passions. 

Ensuite, Pierre Hassner explique dans ce texte que nous sommes passés du monde de Kant à celui de Hobbes. Cela est confirmé par l’annexion de la Crimée en 2014, par la guerre qui a suivi cette annexion, et encore plus par l’invasion de l’Ukraine de 2022. Or je partage l’idée de Pierre Hassner que nous faisons face à un duo, celui de Hobbes et de Tocqueville. Cela revient à considérer que la démocratie peut réarmer, peut permettre à l’Europe de devenir plus forte et plus responsable à l’échelle de toute la région. 

Enfin, dans la dernière phrase du texte, Pierre Hassner parle du « goût sublime pour la liberté » en citant Tocqueville. Il s’agit de la passion la plus forte qui doit orienter notre stratégie. Nous ne devons pas oublier les passions et penser que des relations économiques suffisent à résoudre les problèmes. Nous nous sommes trompés avec Nord Stream, en Allemagne mais pas seulement ; nous nous sommes trompés avec Netanyahu qui pensait que l’économie résoudrait les difficultés de son pays ; nous nous sommes trompés en traitant avec le régime de Poutine décrit comme une dictature par le conseil de l’Europe. La défense de la liberté démocratique et de toutes les forces des citoyens permet une solidarité qui réunit les sociétés déchirées.

Dans les sociétés divisées, comme au Royaume-Uni après le Brexit, comme aux États-Unis coupés entre les Républicains et les Démocrates, la défense de l’Ukraine, et à travers l’Ukraine de la démocratie, réunit les peuples qui tendent à s’éloigner. Le texte de Pierre Hassner est visionnaire puisqu’il permet de comprendre comment nous pouvons réunir les énergies des passions démocratiques pour la liberté et la dignité de chaque être humain, indépendamment des races, religions et ethnies, afin d’assurer la sécurité dans nos sociétés, notamment en Europe. (Constantin Sigov)

La signification du 11 septembre. Divagations politico-philosophiques sur l’événement

Le 11 septembre 2001, nous avons changé de paradigme dominant. Nous étions, où nous croyions être, dans le monde de Locke, avec des ouvertures sur le monde de Kant. Nous nous retrouvons dans le monde de Hobbes, avec des ouvertures sur le monde de Nietzsche et celui de Marx. Essayons d’expliquer cette formulation abrupte des effets produits par l’attentat des deux tours sur la perception occidentale du monde.

Nos sociétés (et par « nos », j’entends celles qui appartiennent au monde développé, libéral et capitaliste, qu’on le désigne comme l’Ouest par opposition à l’Est, le Nord par rapport au Sud, ou le Centre par opposition à la Périphérie) étaient des sociétés dominées par ce que MacPherson a appelé « l’individualisme possessif1 ». Comme Benjamin Constant l’avait prévu, la liberté des Modernes l’emportait sur la liberté des Anciens, le privé sur le public, l’économie sur la guerre. La liberté et la sécurité semblaient mieux garanties que dans la plupart des autres époques de l’histoire et des autres lieux de la planète, et elles étaient interprétées de manière lockéenne, c’est-a-dire comme liées à la propriété, au travail et à leur résultat, la prospérité. Mais en même temps, comme l’indiquait Locke lui-même, cette garantie était liée à des règles juridiques, politiques et économiques, celles de l’État de droit ou de la république libérale, et à un code de la coexistence entre personnes et entre États. D’où l’ouverture que nous évoquions au monde de Kant. Certes, ce que Francis Fukuyama appelait le syllogisme démocratique, selon lequel « la prospérité favorise la démocratie et la démocratie favorise la paix », ne faisait pas l’unanimité et sa notion de « fin de l’histoire » encore moins2. Mais les thèses moins célèbres de Michael Doyle dans son article « Kant, Liberal Legacies and Foreign Affairs »3, selon lequel les trois articles définitifs du Projet de paix perpétuelle de Kant (gouvernement republicain, organisation fédérale, droit cosmo­politique) étaient en train d’être réalisés et cela grâce à l’interdépendance des sociétés, au commerce, au prix croissant de la guerre, semblaient confirmées : une certaine juridisation des rapports internationaux (marqués par exemple par l’apparition d’institutions pénales internationales) semblait s’affirmer. 

Le 11 septembre a changé tout cela. Le souci de la sécurité revient au premier plan. L’humanité a l’impression de vivre dans un État d’insécurité permanente où domine la peur de la mort violente et celle d’une vie qui serait nasty, brutish and short (pénible, brutale et brève). Il s’agit donc, pour éliminer la peur de l’autre — en l’espèce, un autre mystérieux, multiforme et plus ou moins anonyme —, de prendre d’autres risques et de donner naissance à d’autres peurs, le risque d’atteintes à la liberté individuelle et la peur de la violence venant de ceux-là mêmes, État ou empire, que nous avons charges de nous protéger.

Il s’agit donc, pour éliminer la peur de l’autre — en l’espèce, un autre mystérieux, multiforme et plus ou moins anonyme —, de prendre d’autres risques et de donner naissance à d’autres peurs, le risque d’atteintes à la liberté individuelle et la peur de la violence venant de ceux-là mêmes, État ou empire, que nous avons charges de nous protéger. 

Pierre Hassner

J’ai ajouté dans ma formule introductive : avec une ouverture sur le monde de Nietzsche et sur celui de Marx. 

En effet, si la conséquence la plus apparente de l’attentat du 11 septembre sur l’Occident développé est le sentiment d’insécurité et ce qui s’ensuit, les causes de l’attentat qui, elles aussi, impriment leur marque sur la période qui s’ouvre sont à chercher ailleurs. D’abord du côté de Nietzsche. N’est-il pas le penseur qui a le mieux prévu le déroulement du XXe siècle, prédisant qu’il serait celui des guerres pour la domination de la terre, livrées au nom de principes métaphysiques ? Surtout, n’a-t-il pas indiqué avec une force inégalée la source de ces guerres, à savoir ce qu’il appelle la mort de Dieu ? Sur un plan politique proprement dit, il indiquait que la mort de Dieu, et donc celle de l’autorité des représentants du sacré, amènerait une mort de l’État et de la politique4 et, en dernière analyse, l’avènement du « dernier homme5 », c’est-à-dire d’un nihilisme satisfait, passif et hédoniste. C’est contre celui-ci qu’il prédit une révolte nihiliste contre le nihilisme : plutôt que de ne rien vouloir, il s’agit de « vouloir le rien »6 et c’est ce nihilisme actif qui doit frayer le chemin à la grande affirmation du surhomme. 

Dans cette perspective, ce qui était visé le 11 septembre, c’était un monde matérialiste et relativiste, sécularisé et désenchanté. L’attaque s’inscrivait clans une longue tradition dont l’inspiration positive serait diverse et contradictoire, mais l’ennemi serait toujours le même : la bourgeoisie et la corruption de la ville, la femme et le féminisme, l’utilitarisme et le rationalisme, bref, l’Occident ou la modemité opposés à l’heroïsme, à la virilité, à la guerre, à la mort, au grand geste spectaculaire et apocalyptique, destructeur et suicidaire. Les idées de 1914 opposant les vertus protestantes et l’héroïsme allemand au matérialisme anglo-saxon et au rationalisme français, le « Viva la muerte ! » des fascistes espagnols, le manifeste futuriste de Marinetti en 1911 feraient bon ménage, d’une part, avec le nihilisme des héros de DostoÏevski évoqué par André Glucksmann7, d’autre part, avec le fanatisme religieux ou patriotique des « bombes humaines » actuelles ou des kamikazes japonais. 

En faisant intervenir la religion, nous apportons un complément sinon un correctif évident et indispensable à l’interprétation par le nihilisme. Les meurtriers suicidaires sont, bien sûr, loin de ne croire à rien ; au contraire, ils sont sûrs de servir le Bien contre le Mal, d’être au service d’un absolu de nature religieuse (même s’il prend une forme patriotique ou idéologique), et animés par l’espoir d’une victoire finale collective ou d’une récompense immédiate clans l’autre monde. Mais, comme le dit Nietzsche, le désir d’une forte foi peut être l’envers du scepticisme ou du désespoir8. Les mouvements « fondamentalistes » sont moins l’expression d’une tradition ou d’une foi vivantes que celle d’une révolte qui s’inspire de la modernité même qu’elle combat. Souvent, comme dans le cas de Ben Laden, cette révolte est liée à une conversion, et la contrepartie positive est moins importante que la déception et la haine qui ont inspiré sa recherche. Ce qui importerait, ce serait moins le contenu des idées qui guident la violence anti-modeme ou anti-occidentale que les passions qui la propulsent. 

Les motivations paradoxales des terroristes appartenant à Al-Qaïda sont décrites dans le livre de Farhad Khosrokhavar, Les Nouveaux Martyrs d’Allah

Le dénominateur commun serait essentiellement le fanatisme ou ce que Hume appelait l’enthousiasme, qui est certes avant tout religieux, mais que l’on retrouve dans le nationalisme extrême ou dans les mouvements totalitaires. En ce sens, vu d’en face, si l’on peut dire, la lutte serait toujours la même : celle des Lumières ou de la tolérance contre le fanatisme.

Mais, à côté de Nietzsche, nous avons invoqué un autre prolongement possible de l’univers hobbesien, celui de Marx. Dans un article suggestif, intitulé « La colère des damnés »9, l’écrivain turc Orhan Pamuk soulignait que, de l’Asie à l’Afrique, sans parler de l’Amérique latine, à travers tout le Sud de la planète, quelle que fut la désapprobation des méthodes employées par les auteurs de l’attentat, voire la compassion pour le sort des victimes, une certaine dose de satisfaction devant le fait que la toute-puissante Amérique fut frappée à son tour constituait une partie importante et omniprésente de la réaction à l’événement. 

De la Schadenfreude au sentiment d’un équilibre rétabli, du ressentiment et de l’esprit de vengeance à l’idée de l’hubris punie, la frustration des exclus s’est fait sentir un peu partout. Certes, il est difficile de voir en Ben Laden un « damné de la Terre » et il est légitime de constater que ce ne sont pas les zones les plus déshéritées de la Terre qui ont recours à la violence suicidaire contre les États-Unis, l’Occident ou le monde développé. Mais il reste que l’opposition entre un petit nombre d’exploiteurs toujours plus riches et une majorité d’exploités toujours plus démunis, même si elle ne correspond pas à la réalité économique, fait partie de l’imaginaire social au niveau planétaire : la plus grande partie de la périphérie se sent exclue d’un processus — la globalisation — qui bouleverse ses habitudes et ses manières de vivre sans lui apporter la prospérité, et elle identifie ce processus à l’action des plus riches et des plus puissants, à savoir les États-Unis. Même au sein des autres pays du centre développé ou capitaliste, eux aussi visés par le ressentiment et la violence, si les contorsions qui évacuent l’horreur de l’attentat pour n’y voir qu’un jeu de l’impérialisme américain avec lui-même ne sont le fait que d’une petite minorité d’intellectuels10, une grande partie de l’opinion, peut-être même majoritaire, considère que les États-Unis sont trop riches et trop puissants pour leur propre bien et pour celui des autres.

De la Schadenfreude au sentiment d’un équilibre rétabli, du ressentiment et de l’esprit de vengeance à l’idée de l’hubris punie, la frustration des exclus s’est fait sentir un peu partout.

Pierre Hassner

Ce qui reste incontestable, en tout cas, c’est que si l’inegalité, l’ex­clusion et l’oppression ne sont pas les causes directes de l’action d’Al-Qaida, dont la motivation est d’abord religieuse (chasser les infidèles des Lieux saints de l’islam) et politique (remplacer les gou­vernants arabes actuels par une contre-élite fondamentaliste), elles sont a l’origine de l’adhésion que Ben Laden recueille à des degrès divers chez les jeunes exclus ou desherités, et de la profusion de can­didats a l’assassinat suicide chez qui le desespoir, l’humiliation et le sentiment de l’injustice occupent une place déterminante.

Le 11 septembre et ses suites doivent donc être vus clans une optique double, dont il ne faut à aucun prix perdre de vue l’une des facettes. D’une part, la lutte du fanatisme, du « parti des purs », d’un totalitarisme religieux succédant aux totalitarismes idéologiques, contre le même adversaire : le pluralisme, le relativisme, le règne de l’argent, la corruption des moeurs et, plus généralement, contre la modernité et la démocratie à la fois. D’autre part, une réaction contre l’inégalité et l’anarchie produites par cette même modernité et cette même démocratie sous les espèces de la globalisation libérale — action qui se nourrit, selon les interprétations, du ressentiment ou du sens de l’injustice.

Dans les deux cas, les musulmans et plus particulièrement les Arabes se trouvent en première ligne. 

D’un côté, la religion musulmane a moins été affectée par la sécularisation que les autres grandes religions monothéistes : elle n’a pas connu l’équivalent de la Réforme protestante, les Lumières n’y ont pas connu la même victoire sur la tradition qu’en Occident, la laïcisation de la vie politique et sociale et le retrait de la religion dans la sphère de la conscience individuelle n’ont pas eu lieu. Hegel parlait à propos des Mahométans du fanatisme de l’Un et du refus des médiations menant à une alternance ou à une polarité entre la terreur (« la Religion ou la Terreur », qu’il comparait à « la Liberté ou la Terreur » de la Révolution française) et les délices de la jouissance voluptueuse11

De l’autre, les musulmans et en particulier les Arabes sont dévorés d’humiliation et de ressentiment à l’idée du contraste entre leur gran­deur passée — culturelle, politique et religieuse — et leur déchéance présente. Ce sentiment est exacerbé par l’existence même d’Israël et plus encore par l’occupation des territoires palestiniens, qui est vécue comme une poursuite de l’oppression coloniale en même temps que des croisades. L’intrusion de l’Occident apparait comme un scan­dale politique et religieux, le terrorisme étant alors vécu à la fois comme une arme contre les lnfidèles devant aboutir à une contre­ mondialisation — celle de l’ouma islamique — et comme une défense du territoire contre les occupants étrangers.

Du côté de la réaction occidentale, et en particulier américaine et israélienne, on retrouve un certain équivalent de cette dualité et de ses combinaisons. Certains s’efforcent de préserver les perspectives lockeo-kantiennes d’avant le 11 septembre, et de combattre le fanatisme terroriste au nom du pluralisme et de la tolérance, conscients de « défendre une demi-vérité contre un mensonge total » (selon l’expression de Koestler du temps de la guerre froide), avec des méthodes qui préservent autant que faire se peut le respect de la loi ; bref, ils appliquent la formule de Malraux à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Il est juste que la victoire revienne à ceux qui auront fait la guerre sans l’aimer. » D’autres, au contraire, reproduisent le manichéisme des terroristes en ne se contentant pas de voir ceux-ci comme le Mal, mais en se percevant eux-mêmes comme le Bien. Sur le plan des méthodes, ils professent que le droit et la morale supposent la réciprocité et que, devant des guerriers sans scrupules, il faut également retrouver les vertus païennes, celles du guerrier12, et traiter ceux qui se placent en dehors des lois comme des bêtes malfai­santes qu’il s’agit d’éliminer purement et simplement avant qu’ils ne vous éliminent. À l’horizon de cette élimination, on retrouve le rêve de la domination universelle. Qu’il s’agisse de maintenir ce qui reste de l’ordre civil ou de se rallier au retour à l’état de nature, on est bien sur le terrain de Hobbes, celui de l’insécurité et de la peur.

De la pacification à l’insécurité

Essayons de quitter — avant d’y revenir — le plan philosophique pour nous placer sur celui, plus empirique, de l’analyse sociologique des guerres et de la violence sociale. Une vision dominante au XIXe siècle, que nous avons deja évoquée à propos de Kant, considérait que les sociétés bourgeoises libérales (ou encore commerciales ou industrielles) étaient essentiellement pacifiques. C’était par exemple la thèse de Benjamin Constant dans De l’esprit de conquête, opposant la liberté des Modernes, fondée sur la sécurité des jouissances privées, à celle des Anciens. À notre époque, Norbert Elias, définissant la dynamique de l’Occident par la « civilisation des mœurs », retraçait un vaste mouvement de pacification par lequel la violence se trouvait apprivoisée. Cette vision, qui semblait spectaculairement démentie par les deux guerres mondiales et les deux grandes révolutions totalitaires, semblait à nouveau confirmée après la chute de ces dernières (chute qui, de surcroît, s’était produite dans le cas du communisme avec le minimum de violence). La victoire des démocraties libérales, le déclin du romantisme de la guerre et du prestige des armées devant le caractère technique et impersonnel de la guerre moderne qu’avait prévu Hegel13 et son caractère financièrement et physiquement suicidaire (comme l’avait prévu Kant14) semblaient introduire le couple de l’État de droit à l’intérieur et de l’équilibre nucléaire entre États aboutissant à des sociétés essentiellement individualisées et civiles et où régnait, selon l’expression de la doctrine militaire française, la « non-guerre ». 

Certes, celle-ci ne s’appliquait que dans le centre et entre puis­sances nucléaires. Ailleurs, guerres interétatiques, révolutions et sur­tout guerres civiles liées en particulier à la succession des empires coloniaux ou continentaux, étaient fréquentes et posaient le problème qui a dominé la douzaine d’années séparant la chute du mur de Berlin de celle des Twin Towers : celui de l’intervention internationale, venant d’États ou d’organisations ayant, pour leur part, renoncé à la guerre mais s’efforçant de mettre un terme aux massacres ou à l’anar­chie de la périphérie.

D’où le problème de la distance entre sociétés et de la difficulté de demander aux fils de nations bourgeoises et pacifiques qui n’étaient pas menacées directement dans leurs intérêts vitaux de tuer ou de se faire tuer au nom des droits de l’homme, de l’ordre international ou de la solidarité humanitaire. D’où la tentation de laisser le monde turbulent et violent de la périphérie pour se replier dans une oasis bien gardée — forme internationale de la révolte des nantis, qu’il s’agisse du monde développé ou, à l’intérieur de celui-ci, des beaux quartiers ou des résidences protégées.

Ce qui est le plus frappant au point de vue géopolitique comme au point de vue social dans le 11 septembre, c’est que l’attentat est venu du cœur des États-Unis, du centre du centre.

Pierre Hassner

Le terrorisme a changé tout cela. Ce qui est le plus frappant au point de vue géopolitique comme au point de vue social dans le 11 septembre, c’est que l’attentat est venu du cœur des États-Unis, du centre du centre, qu’il a été perpétré par des hommes éduqués en Occident, mais venus d’Arabie Saoudite ou d’Algérie et appartenant à une organisation transnationale dont le quartier général se trouve en Afghanistan, ou antérieurement au Soudan, et dont les ramifications s’étendent au monde entier. Plus question de mur séparant les deux mondes, même si l’un des effets du choc a été de provoquer un réflexe universel de fermeture à l’immigration : c’est aux quatre coins du monde que la lutte contre le terrorisme doit se derouler. Mais comment et contre qui ? La question reste ouverte ; il en résulte une situation relativement inédite et hautement déstabilisante au point de vue de la sécurité tant objective que subjective. Pendant la guerre froide, le terme utilisé dans la planification stratégique et les écoles militaires était la menace. Celle-ci, dans un monde bipolaire, était hautement identifiée et concentrée : c’était celle de l’URSS.

Avec la fin de la guerre froide, on lui a substitué la notion de risque, beaucoup plus indéfinie et diffuse : son origine et sa nature pouvaient être multiples, elle n’était ni personnalisée, ni ciblée. Le risque pouvait être celui d’une catastrophe totale, mais il n’était pas l’expression d’une intention hostile.

Aujourd’hui, on retrouve la notion de menace, mais avec toute l’ambiguïté et le caractère multiple et insaisissable de celle de risque. Des ennemis nous veulent du mal, mais on ne sait ni d’où ils viennent, ni qui les motive. À cet égard, la menace de l’anthrax et surtout l’épisode de la secte Aoum qui répandait du gaz sarin dans le métro de Tokyo sont encore plus emblématiques et inquiétants que l’attentat du 11 septembre.

Nous l’avons vu, Al-Qaida, pour suicidaire et apocalyptique qu’elle soit, a un objectif politico-religieux compréhensible, la lutte contre les Américains et les Juifs, et au-delà, contre les Infidèles, et la reconstitution de Califat. Pour l’anthrax, on ne sait pas d’où provient la menace et pour la secte Aoum, on ne peut lui assigner aucun but ni aucun ennemi précis — elle semble animée par le pur désir de la des­truction ou de l’Apocalypse.

Ce qui est encore plus frappant et inquietant, c’est la difficulte de combattre des organisations transnationales et délocalisées dont les membres acceptent le suicide, voire y aspirent avec ferveur. 

La notion de dissuasion repose sur l’idée d’adversaires rationnels et calculateurs, qui craignent les représailles en cas de première frappe. Comment dissuader un adversaire pour qui les représailles, qu’il s’agisse de mort ou de souffrance, conduisent tout droit au para­dis ? À cet obstacle psychologique, se joint dans le cas d’une organisation décentralisée comme Al-Qaida un obstacle physique. Sur qui faire porter ces représentations ? Normalement, il s’agit de territoire, d’un État, de son organisation militaire, de ses bases ou, à la rigueur et selon certaines doctrines comme celle de la France, de ses populations. Mais quand l’adversaire n’a ni territoire ni populations sous son contrôle et que son organisation et ses bases sont hautement mobiles et décentralisées ? On est alors obligé de se rabattre sur les États suspects de l’aider ou de lui donner asile. C’est ce que fait le président Bush en déclarant que quiconque abrite ou soutient les terroristes sera considéré comme terroriste, quand il attaque l’Afghanistan et annonce qu’il en fera autant pour l’lrak, quand il proclame comme objectif le « changement de régime » des États comme ceux de « l’axe du Mal » (Irak, Iran, Corée du Nord) suspects de construire des armes de destruction massive et/ou d’aider les terroristes et risquant un jour de mettre celles-là au service de ceux-ci.

Il est clair qu’il ne s’agit plus avant tout de dissuasion. Il s’agit de prendre les devants en empêchant physiquement l’agresseur éventuel d’attaquer en le privant des moyens de le faire ou, mieux, en éliminant le premier. C’est ce qu’on appelle la guerre préventive, ou clans le jargon stratégique, préemptive (lorsqu’il s’agit de prévenir une attaque considérée comme certaine et imminente).

Il n’est pas besoin de longs développements pour démontrer les dangers de cette doctrine, et l’instabilité ou l’insécurité généralisée qui régnait sur un monde dans lequel dominerait ce que les stratèges nucléaires appellent l’avantage à la première frappe. Ce serait le triomphe de ce que l’on a appelé « la peur réciproque de l’attaque par surprise »15.

L’idée que les États-Unis auraient fait une erreur stratégique dans leur réaction au 11 septembre a également été développée par le chercheur Bradley A. Thayer, qui considère dans un article publié dans nos colonnes que l’effort porté sur la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient a conduit les États-Unis à négliger la montée en puissance de Pékin.

C’est la version stratégique du « dilemme de la sécurité », d’inspi­ration hobbesienne. Il se trouve exacerbé par la doctrine actuelle des États-Unis, qui s’autorisent à agir seuls contre des États déclarés voyous ou criminels alors que les Européens restent plus attachés aux freins par lesquels le droit international ou l’ONU s’efforcent d’atténuer le dilemme de la sécurité. À la préemption, ils préfèrent la prévention, censée agir pacifiquement sur les causes plutôt que prendre l’initiative de la violence. Mais il faut reconnaître que le caractère des conflits asymétriques dans lesquels des États se trouvent aux prises avec des groupes terroristes imprévisibles se prête mal aux procédures multilatérales et que le traitement à long terme ne peut tenir lieu d’actions immédiates marquées au sceau de l’incertitude et du risque. Il semble peu probable que l’humanité puisse de sitôt s’af­franchir de cette situation s’il est vrai que, comme l’économiste mathématicien Martin Shubik a tenté de le montrer, le coût décroissant des armements et la complexité de la société moderne permettent à un nombre d’hommes de plus en plus restreint d’opérer des destructions sans cesse plus considérables à un coût toujours moins élevé.

Un Palestinien regarde sa maison endommagée par les frappes aériennes israéliennes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, mercredi 18 octobre 2023. © AP Photo/Hatem Ali

La dialectique de la peur : un nouveau stade ?

Peut-être sommes-nous alors en train de vivre un nouveau stade dans ce que l’on pourrait appeler la dialectique de la peur. On connaît la fameuse formule de Roosevelt : « Vous n’avez rien à craindre, sinon la peur elle-même. » Elle s’accorde parfaitement avec l’idee d’Alain selon laquelle la peur est toujours peur de la peur. On peut aussi interpréter l’histoire de l’humanité comme une succession de peurs dont le remède produit à son tour une nouvelle peur. La peur de la mort, des catastrophes naturelles, des grands fauves, produit, notamment selon Lucrèce, l’invention des dieux. Mais à leur tour, les lieux deviennent source de peur : celle, directe, de la punition, et celle, indirecte, des guerres de religion. Pour éviter celles-ci, on invente l’État séculier. Mais celui-ci, issu de la peur de la mort vio­lente, peut l’infliger à son tour par la peine capitale, par la guerre extérieure, par la terreur du gouvernement despotique. Pour éviter celle-ci, on fait appel à l’État liberal, au droit, à l’équilibre des pouvoirs. L’adoucissement des mœurs contribue à atténuer aussi bien la peur de la violence interindividuelle que celle des châtiments ; les progrès de la science atténuent la peur des épidémies et des catastrophes naturelles ; plus récemment, l’équilibre nucléaire éloigne la peur de la grande guerre. Il semble, comme le remarque Edgar Morin, que les grandes peurs fassent place à une multitude de petites peurs liées à la santé ou à l’environnement.

Assisterait-on aujourd’hui au retour des grandes peurs, dont les événements de Tokyo et de New York seraient les signes annonciateurs ?

Comment dissuader un adversaire pour qui les représailles, qu’il s’agisse de mort ou de souffrance, conduisent tout droit au para­dis ?

Pierre Hassner

On est tenté de le penser, à condition de souligner le caractère à la fois complexe et changeant de ces grandes peurs qui apparaissent et disparaissent en se combinant à d’autres émotions sur fond d’une fragilité essentielle due à la perte de repères. La société du risque, telle que l’a définie Ulrich Beck16, est caractérisée justement par cette ambiguïté des dangers par laquelle des risques assumés quotidiennement et implicitement peuvent soudain se combiner et se transformer en menace absolue, provoquant la panique. Entre catastrophes naturelles, accidents d’une technique autodestructrice et actes criminels, l’hésitation est inscrite dans la nature même de notre société. Il en résulte des conséquences paradoxales : d’une part, des risques vécus inconsciemment ou assumés comme inévitables par d’autres cultures mais qui font problème aujourd’hui17, tels les risques alimentaires ou écologiques ; d’autre part, une catastrophe globale dont le caractère inévitable est affirmé par certains comme démontré18 et accepté confusément par tous mais généralement refoulé ; en troisième lieu, une intentionnalité morale ou religieuse resurgit : certains veulent activement la catastrophe et s’efforcent de la hâter, d’autres l’attri­bueraient à une causalité maléfique qu’il s’agit de combattre ou d’exorciser.

Tout cela ramène brutalement dans l’actualité l’idée de bouc émissaire que René Girard place, comme on sait, au centre de la gestion sociale de la violence. Pour Girard lui-même, la société moderne parvient à remplacer la fonction sacrificielle par les institutions. Jean-Pierre Dupuy, dans le Sacrifice et l’envie, précise le rôle de l’économie qui « contient la violence au double sens du terme ». Cela signifie que cette violence peut certes éclater — à l’occasion de la crise ou de la panique ; mais normalement, « la société marchande réussit à faire coïncider un ordre stable et un état de crise permanent » car « l’économie, c’est la gestion rationnelle du sacrifice ». Mais :

« la sortie du monde sacrificiel s’accompagne du déchaînement de la concurrence entre les hommes. C’est le déferlement des passions modernes dont parle Stendhal : l’envie, la jalousie et la haine impuissante. »19

La question que je posais à ce propos, dès avant le 11 septembre, était de savoir si ces passions modernes ne pouvaient pas ressusciter la violence et la recherche de bouc émissaire. De même que, sur le plan de la capacité de destruction, je me demandais si l’optimisme modéré selon lequel la prolifération des « conflits de faible intensité » promettait d’être moins meurtrière que les grandes guerres modernes ne devait pas être modéré à son tour par la nouvelle économie de la violence qui promet à de petits groupes, voire à des individus, la puissance de destruction nucléaire, chimique ou biologique autrefois réservée aux superpuissances ou du moins aux États20, de même, les petites passions modernes poussées à l’extrême pourraient bien, alliées à la technologie moderne, aboutir à la folie destructrice, reli­gieuse ou idéologique qui caractérise le totalitarisme21 — et cela, davantage encore si elles sont décuplées par leur alliance ou leur fusion avec la peur.

Personne n’a mieux pressenti cette alliance que Georges Bernanos, dans les pages prophétiques des Grands cimetières sous la lune  :

« La peur, la vraie peur est un délire furieux. De toutes les folies dont nous sommes capables, elle est assurément la plus cruelle. Rien n’égale son élan, rien ne peut soutenir son choc. La colère qui lui ressemble n’est qu’un état passager, une brusque dissipation des forces de l’âme. De plus, elle est aveugle. La peur, au contraire, pourvu que vous en surmontiez la première angoisse, forme, avec la haine, un des composés psychologiques les plus stables qui soient. Je me demande même si la haine et la peur, espèces si proches l’une de l’autre, ne sont pas parvenues au dernier stade de leur évolution réciproque, si elles ne se confondront pas demain dans un sentiment nouveau, encore inconnu, dont on croit surprendre parfois quelque chose clans une voix, un regard. Pourquoi sourire ? L’instinct religieux demeure intact au cœur de l’homme et de la science, qui l’exploite follement, fait lentement resurgir d’immenses images, dont les peuples s’emparent aussitôt avec une avidité furieuse, et qui sont parmi les plus effrayantes que le génie de l’homme ait jamais proposées à ses nerfs si terriblement accordés aux grandes harmoniques de l’angoisse. »22

Bernanos écrivait cette page sous le coup de son expérience de la guerre d’Espagne. Elle devait être amplement confirmée par bien des aspects de la Seconde Guerre mondiale. Plus près de nous, la mani­pulation de la peur conduisant à une haine inexpiable est amplement illustrée par ce qu’on pourrait appeler « le génocide préventif » ou « la crainte réciproque du massacre », selon la logique du : « Il faut les tuer avant qu’ils ne nous tuent » pratiquée par Milosevic au Kosovo. Par certains aspects, sa pertinence ne saurait etre exclue pour des affrontements plus proches de nous et de notre thème, comme le conflit israélo-palestinienla peur et l’horreur devant les attentats chez les lsraéliens, l’humiliation impuissante devant la répression chez les Palestiniens, la soif de vengeance chez les uns et les autres, alimentent tous les jours la montée aux extrêmes. Surtout, la dialectique du terrorisme et du contre-terrorisme à l’échelle mon­diale, en commençant par l’attentat du 11 septembre et la « guerre au terrorisme » du président Bush, risque de s’inscrire dans la version catastrophique de ce que nous avons appelé la dialectique du bour­geois et du barbare23.

Nous étions partis de l’opposition entre la conception américaine de la « révolution dans les affaires militaires » et la pratique des Mladic, des Charles Taylor ou de leurs homologues du Soudan et de la Sierra Leone. Dans un cas, il y avait la vision d’une guerre sans mort (en tout cas, du côté des combattants américains, autant que possible du côté des populations civiles et éventuellement même, du côté des forces de l’adversaire) : c’était l’utopie d’une guerre aseptisée, entièrement livrée à la technique qui correspondait bien à l’idéal d’une société bourgeoise vouée entièrement à éviter la mort violente. Dans l’autre, il s’agissait, non pas d’épargner les populations civiles, mais au contraire de les chasser, de les terroriser ou de les exploiter en jetant par-dessus bord toutes les restrictions que la religion et la morale, l’honneur militaire et le droit international, ont accumulées pendant des siècles, à commencer par la distinction entre combat­tants et non-combattants.

La dialectique du terrorisme et du contre-terrorisme à l’echelle mon­diale, en commençant par l’attentat du 11 septembre et la « guerre au terrorisme » du président Bush, risque de s’inscrire dans la version catastrophique de ce que nous avons appelé la dialectique du bour­geois et du barbare.

Pierre Hassner

Cette opposition n’était, évidemment, qu’un point de départ : l’essentiel, après avoir souligné le caractère asymétrique que prenaient désormais les grands affrontements, était de dégager la dialectique des deux termes et leur renversement possible comme dans la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave. Deux dynamiques opposées mais parfois simultanées pouvaient s’affronter : l’embourgeoisement du barbare et la barbarisation du bourgeois. D’une part, le terro­riste d’aujourd’hui peut devenir le chef d’État (condamnateur intran­sigeant du terrorisme) de demain et le mafieux d’aujourd’hui, l’homme d’affaires respectable de demain. D’autre part, le bourgeois libéral (voire pacifiste) d’aujourd’hui peut, sous le coup de la peur, de la colère, du sentiment d’avoir été trahi, devenir barbare.

C’est bien ce qui risque de se passer au moins en partie pour la réaction, particulièrement américaine et israélienne, à la barbarie des attentats suicides dirigés contre les populations civiles. Le durcissement de populations pacifiques, prêtes aujourd’hui à accepter les mesures les plus brutales, est perceptible, aussi bien que la renaissance des sentiments de solidarité nationale dans des populations naguère essentiellement individualistes. Certaines pratiques — celles des États-Unis envers les prisonniers talibans, surprenantes pour un pays qui paraissait excessivement légaliste, ou celles de l’armée israélienne dans les territoires occupés — ne suscitent guère de critiques dans l’opinion publique américaine et israélienne. Surtout, ce qui se fait jour, par contraste avec l’embourgeoisement des dernières décennies, c’est la référence à des attitudes plus anciennes remontant à l’expérience du Far West, à l’extermination des Indiens et à la brutalité de la guerre de Sécession d’un côté, aux pratiques adoptées contre les Anglais et Arabes lors de la création d’Israël de l’autre. Des commentateurs americains de centre droit n’hesitent pas à recom­mander d’executer les prisonniers suspects de terrorisme plutôt que de les juger ou de les maintenir en detention. Deux livres récents accueillis avec faveur annoncent que le « leadership exige un État païen »24 et que la modernité ne change rien à cet égard, ou évoquent « les guerres sauvages de la paix »25.  Le président à la mode est Theodore Roosevelt, incarnation des vertus martiales, qui disait : « Si nous ne gardons pas les vertus barbares, acquérir les vertus civilisées ne nous servira à rien. »26

Certes, il est question de vertus et d’ethos plutôt que de passions. On peut voir aussi dans cette évolution le simple résultat de la logique de la confrontation, ou encore le retour de l’ancienne conception du droit public européen, telle du moins qu’elle est interprétée par Carl Schmitt, selon laquelle règles et restrictions à la destruction guerrière ne s’appliquent qu’entre États qui les appliquent en retour et dont on reconnaît la légitimité, alors que, face aux barbares — c’est­ à-dire à la fois les pirates ou les bandits et les sauvages ou encore les colonisés —, tout est permis27. Mais ce dont il s’agit, c’est bien de ce que Freud appelait le retour du refoulé, c’est à dire d’une agressivité dont il disait bien qu’elle était d’autant plus déchaînée chez les civilisés, une fois les tabous levés, qu’elle avait été réprimée ou sublimée28.

Un manifestant palestinien utilise un lance-pierre derrière des pneus enflammés lors d’affrontements avec la police des frontières israélienne à la suite d’une manifestation contre les frappes aériennes israéliennes sur Gaza, dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, mercredi 18 octobre 2023. © AP Photo/Nasser Nasser

De la dialectique du bourgeois et du barbare à une géopolitique des passions

C’est donc bien au niveau le plus général, à la fois anthropologique et historique, qu’il faut envisager la dialectique du bourgeois et du barbare, ce qui devrait nous amener à entreprendre une véritable économie et une véritable « géopolitique des passions », selon la belle expression de Stanley Hoffmann. Ne peut-on considérer toute la politique moderne depuis Hobbes et Locke, Hume et Montesquieu, comme une vaste entreprise d’embourgeoisement du barbare ? Ne s’agit-il pas essentiellement de substituer les passions calmes et froides aux passions violentes, l’amour du gain — qu’il s’agisse de l’avidité ou de l’avarice — à l’amour de la gloire, de la domination ou de la jouissance sexuelle, bref, ce qu’on appelle communément les intérêts à ce que l’on appelle communément les passions ?

En ce sens, Albert Hirschman a bien eu raison de placer en exergue de son livre The Passions and the Interests la phrase de Montesquieu qui peut apparaître comme le slogan de la modernité libérale :

« Et il est heureux pour les hommes d’être dans une situation où, pen­dant que leurs passions leur inspirent la pensée d’être méchants, ils ont pourtant intérêt à ne l’être. »29

C’est cette entreprise dont le XXe siècle a montré les limites. Elle semblait certes renaître et se trouver reconfirmée in extremis ces dernières années, quand le capitalisme semblait avoir triomphé de tous ses concurrents idéologiques. Mais le XXIe siecle naissant lui apporte un nouveau defi, celui du terrorisme inspiré par le fanatisme religieux et d’un contre-terrorisme inspiré par la peur et une autre forme, réac­tive, de fanatisme manichéen. On peut y voir, comme dans toutes les réactions romantiques à l’utilitarisme bourgeois, un retour du thumos, de la partie irascible de l’âme, et s’en féliciter en considérant qu’une modernité fondée entièrement sur l’utilitarisme et le calcul égoïste, ou sur l’alliance de ceux-ci avec un universalisme abstrait, celui de la morale et du droit, conduisait à une humanité mutilée, car elle évacuait à la fois le sens de la communauté et celui de l’action, ou, selon la formule de Pietro Barcelona, reposait sur « l’oubli des passions »30. Mais on peut aussi craindre que le retour de celles-ci sous forme violente ne soit autre chose que le retour de la barbarie.

Ne peut-on considérer toute la politique moderne depuis Hobbes et Locke, Hume et Montesquieu, comme une vaste entreprise d’embourgeoisement du barbare ?

Pierre Hassner

On ne peut, évidemment, en rester à cette alternative. La critique de la modernité bourgeoise ne saurait faire oublier que toute éducation philosophique ou politique implique, d’une manière ou d’une autre, un effort pour apprivoiser les passions, qu’il s’agisse de les refouler ou de les sublimer, de les modérer ou de les canaliser en les utilisant les unes contre les autres. La recherche de la paix ne saurait se dispenser ni de la force punitive, ni de l’attrait matériel. Mais si elle se fonde exclusivement sur une psychologie utilitariste ou calculatrice, behavioriste ou pavlovienne, elle risque d’aboutir à une autre barbarie, mécanique et impersonnelle. Au moment de la guerre d’Algérie, Raymond Aron avait répondu à ceux pour qui la victoire militaire française démontrerait aux Algériens qu’ils avaient intérêt à renoncer à l’indépendance : « C’est oublier l’expérience de notre siècle que de croire que les hommes sacrifieront leurs passions à leurs intérêts. »31 Au moment de la guerre du Viêt-Nam, Thomas Schelling avait suggéré d’interpréter les bombardements sur ce pays comme une forme de compellence, une manière d’influencer les décisions de l’adversaire en affectant son calcul des coûts et des bénéfices, de la punition et de la récompense. Deux autres auteurs américains, Karl Deutsch et Kenneth Boulding, lui avaient répondu que cette psychologie néo-benthamienne négligeait les réactions non utilitaires à l’emploi de la force, la manière dont celui-ci peut renfor­cer la résistance au lieu de l’affaiblir.

« La faiblesse fondamentale de l’analyse de type économique appliquée à des symptômes sociaux essentiellement non économiques est précisément qu’elle néglige les aspects du comportement humain qui ne sont pas économiques, mais qui sont « héroïques » ou plus exactement créateurs d’identité. Dans la mathématique de l’identité personnelle, les payoffs négatifs renforcent fréquemment l’engagement existant. »32

Il se peut que cette erreur ait été commise à la fois par les auteurs des attentats anti-américains et anti-israéliens, pensant faire fléchir des adversaires embourgeoisés, et par ces derniers, pensant priver les terroristes de leur soutien uniquement à coup de punitions, en négligeant l’humiliation et le désir de vengeance qu’elles susciteraient.

La dialectique de la violence et du calcul, des passions et des intérêts fait partie de l’essence des sociétés modernes et, sans doute, des sociétés tout court. Mais elle ne peut mener qu’à la destruction générale si elle ne laisse pas de place à l’exigence humaine de reconnais­sance et de respect, de liberté et de dignité. Pour le dire autrement, le problème le plus grave est dans l’oubli ou la méconnaissance des pas­sions, qui ne se réduisent ni à l’avidité ni à la haine, et des intérêts, qui ne se réduisent pas aux satisfactions personnelles mais qui font place à ce « goût sublime de la liberté » dont parle Tocqueville. Aussi voudrions-nous conclure par une citation de ce dernier qui date de 1844 mais qui paraît étrangement actuelle :

« Vous dites que les passions politiques s’effacent ; oui, mais ajoutez que ce sont les passions politiques de toute espèce.

Vous dites qu’on abandonne les mauvaises idées politiques, et moi je vous dis qu’on abandonne même les bonnes.

Les mauvaises passions sans doute, les passions que toutes les longues révolutions enfantent, quelles qu’elles soient, les passions de violence, d’anarchie, de tyrannie populaire, ces passions-là sans doute s’eteignent.

Mais, Messieurs, je vous le demande, les passions généreuses, les passions de liberté, le désintéressement, l’amour de la patrie, l’envie de se consacrer à sa gloire et à sa grandeur, qui ont fait la vie et qui font encore la gloire de la Révolution française ; ces passions, je vous le demande à vous-mêmes, ne sont-elles pas atteintes du même mal ? Cette même langueur qui dévore un parti, ne les dévore-t-elle pas tous en même temps ? Cet énervement politique ne se fait-il pas remarquer dans la portion du pays qui vous soutient, comme dans celle qui vous attaque ? N’est-il pas vrai que le même mal qui, selon vous, atteint l’opposition, dévore la majorité ? Et ce mal, savez-vous comment il s’appelle ? C’est l’indifférence, c’est le sommeil. Vous dites que la nation est tranquille, et moi je dis qu’elle dort.

(Exclamation au centre. A gauche : Très bien l)

Et croyez-le bien, une grande nation ne dort au profit de personne. Son réveil est à craindre pour tout le monde, parce que de ce réveil il ne peut sortir que des révolutions nouvelles. 

(Rumeurs au centre). 

Mais ce repos public dont on se vante, est-il vrai même qu’il existe ?

La guerre est terminée, dit-on ; je dis, moi, qu’elle n’a fait que changer son théâtre ; des opinions, elle a passé dans les intérêts. Est-ce que vous n’entendez point des mots extraordinaires qui retentissent et qu’on n’entendait plus depuis cinquante ans en France ? Est-ce que vous n’entendez pas parler sans cesse des intérêts exclusifs d’une partie du territoire opposés à ceux du reste du royaume ? Est-ce que de folles menaces de séparation n’ont pas été naguère prononcées ? Est-ce que cette grande unité française, que la Constituante a voulu créer, ne va pas se morcelant toujours, au moins dans les esprits ? Est-ce qu’il n’existe pas une lutte acharnée de ville à ville, de province à province, et quelquefois de quartier à quartier ? Est-ce que chaque partie du territoire ne semble pas près de s’isoler au sein de son intérêt particulier ?

Il en a toujours été ainsi, dit-on. Non, Messieurs, je le nie. Sans doute y a-t-il toujours des intérêts égoïstes et des hommes pour s’y livrer ; mais au-dessus de ces intérêts implacables, étaient placés des idées communes, des passions politiques communes, un patriotisme commun, sur lequel pouvait au besoin s’appuyer le gouvernement pour mettre chaque chose à sa place et faire triompher sur les localités tout l’État. Ces idées communes, ces passions communes, ce patriotisme commun, où est-il ? Qu’en avez-vous fait, et qui vous aidera désormais à vaincre cette anarchie industrielle qui vous dévore ?

Si nous n’y prenons garde, Messieurs, nous arriverons bientôt à cet excès qu’ici nous ne représenterons plus ni des idées, ni des hommes, mais des intérêts, des canaux et des chemins de fer. 

(Mouvement d’approbation à gauche).

Vous dites que la paix existe, et je vous dirais encore que la guerre n’a fait que changer de théâtre ; de politique, elle est devenue philosophique et religieuse. 

(Rumeurs).

Assurément, Messieurs, ceci mérite d’attirer votre attention toute particulière. Ne vous y trompez pas ; il se passe en ce moment quelque chose de nouveau et, à mon sens, déplorable.

La liberté d’enseignement a été sans doute la cause première, le prétexte de cette guerre, mais la guerre s’est étendue bien au-delà de ces limites. Écoutez les partis. Est-ce que les uns ne font que réclamer la liberté d’enseignement ? Leurs paroles ne vont-elles pas jusqu’à atta­quer la liberté même de penser, le principe même de l’éducation laïque en France, qui en est la garantie ? Ecoutez les autres, et vous verrez qu’ils ne se bornent plus seulement à parler de l’université et de ses règles, mais ils attaquent encore la religion même, les principes généraux, les règles générales sur lesquelles elle repose.

Qu’est-ce que ceci, Messieurs ? Je vous le dirai : ce n’est pas autre chose que la guerre, la vieille guerre qui recommence entre le siècle et les croyances, cette guerre si heureusement interrompue pendant dix ans, et qui recommence sur tous les points, qui s’étend, si j’ose le dire, sur toute la ligne qu’elle occupait jadis. 

Croyez-vous, Messieurs, que ce soit là un petit événement ? Je crois le contraire, je vois dans cet état de choses un grand péril. J’aimerais bien mieux assister à cette lutte légitime et salutaire des partis, qui est la vie même des peuples libres, que de voir cette guerre qui trouble les consciences, agite profondément les âmes et remue ainsi jusqu’au fondement même des sociétés. »33

Sources
  1. C. B. MacPherson, The Political Theory of Possessive Individualism, Oxford, Oxford University Press, 1962.
  2. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Odile Jacob, 1990.
  3. Michael Doyle, « Kant, Liberal Legacies and Foreign Affairs », Political Theory, XII, 3-4, 1983.
  4. F. Nietzsche, Humain, trop humain, paragraphe. 472.
  5. ld., Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, 5.
  6. F. Nietzsche, Généalogie de la morale, 13.
  7. André Glucksmann, Dostoïevski à Manhattan, Paris, Robert Laffont, 2001.
  8. F. Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, p. 12.
  9. Orhan Pamuk, « The Anger of the Damned, New York Review of Books, 1er novembre 2001.
  10. Voir la typologie proposée par Jean-Marie Colombani, Tous américains ?, Paris, Fayard, 2002.
  11. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’Histoire, W, I, chap.« Le mahométisme ».
  12. Voir Robert Kaplan, Warrior Politics. Why Leadership demands a Pagan Ethos, New York, Random House, 2002.
  13. Voir Hegel, Système de la vie éthique. III, Vie éthique, I — Constitution de l’État, trad. fr. par Tarniniaux, Paris, Payot, 1976, p. 166-167.
  14. Voir E. Kant, Idées pour une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, proposition.
  15. Voir Thomas Schelling, The Strategy of Conflict, 1960.
  16. Ulrich Beck, La Société du risque, trad. fr., Paris, Aubier, 2001.
  17. Voir Mary Douglas et Aaron Wildawsky, Risk and Culture.
  18. Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Paris, Le Seuil, 2002.
  19. J.-P. Dupuy, Le Sacrifice et l’envie, Paris, Calmann-Lévy, 1992, p. 34-44.
  20. Pierre Hassner, « Par-delà le totalitarisme et la guerre », La Violence et la Paix, Paris, Le Seuil, 2000, p. 307-308.
  21. ld., La Violence et la Paix, op. cit., p. 55.
  22. Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune, Paris, Plon, 1938, p. 83-84.
  23. P. Hassner, La Violence et la Paix, op. cit., p. 287-289 et p. 301-305.
  24. R. Kaplan, Warrior Politics… , op. cit.
  25. Max Boot, The Savage Wars of Peace, NewYork, Basic Books, 2002.
  26. Cité par Walter McDougall, Promised Land, Crusader State, Boston-Haughton, 1997, p. 105.
  27. Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre, trad fr., P.U.F., p. 87-101.
  28. Sigmund Freud,« Pourquoi la guerre ? », Résultats, idées, problèmes, II, P.U.F., p. 211-212.
  29. Montesquieu, De l’esprit des Lois, Livre XI, chap. 20.
  30. Pietro Barcelona, Le passioni negate. Globalismo e diritti umani, Troina, Città Aperta, 2001.
  31. Cité par Tony Judt, “Israel : the Road to Nowhere », The New York Review of Books, 9 mai 2002, p. 6.
  32. Kenneth Boulding, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, novembre 1970, p. 184-185. Voir l’article : « On ne badine pas avec la force », Revue Française de Science politique, XXI 16, décembre 1971, p. 1226-1235.
  33. Alexis de Tocqueville, Discours du 17 janvier 1844, Écrits politiques, Paris.
Crédits
Esprit, novembre 2002, n°289, p. 153-169. NB. Ce texte reprend une conférence prononcée par Pierre Hassner devant les membres de la Société française de philosophie et publiée dans son Bulletin (mai-juin 2002).
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