Quelle direction prendra l’avenir du groupe Mediaset après la disparition de Silvio Berlusconi  ? Ses enfants semblent avoir la ferme intention de continuer l’aventure entrepreneuriale commencée par leur père. Ils ont tenté de trouver un accord sur l’héritage, en respectant la volonté de Silvio Berlusconi qui, depuis 2006, a couché sur le papier que la majorité de son empire soit gérée par les enfants de son premier lit, Marina — qui dirige Mondadori — et Pier Silvio, à la tête de l’entreprise de télévision. Celui-ci a commencé sa carrière à Publitalia, puis à la programmation d’Italia 1, avant de prendre la responsabilité des programmes des trois réseaux de Mediaset. Il en est devenu vice-président en 2000 et finalement PDG en 2015. Il sera en charge du défi européen de MFE, c’est-à-dire MediaforEurope, la holding qui regroupe toutes ses filiales télévisuelles, dont Mediaset Espana, récemment fusionnée, 40 % d’EiTowers et ce peu moins de 30 % de l’allemande ProSiebenSat. 

Succession 

Le 11 septembre 2023, le futur de Fininvest a été gelé pour au moins cinq ans. De nombreux éléments contenus dans l’accord entre Marina, Pier Silvio, Barbara, Eleonora et Luigi Berlusconi ont permis de respecter pleinement la volonté du fondateur de Mediaset. Avec une nouvelle démonstration d’unité familiale, sanctionnée par un communiqué affirmant la « totale harmonie » entre tous les héritiers, rappelant que Marina et Pier Silvio « assument conjointement le contrôle indirect de Fininvest », sans aucun mécanisme de majorité qualifiée ou de minorité de blocage, signifiant que toutes les décisions peuvent être prises avec les 51 % dont ils disposent. L’accord contient un pacte d’actionnaires qui incorpore les engagements, y compris une clause de lock-up (engagement de ne pas vendre) de 5 ans, en vertu de laquelle aucun membre de la fratrie ne modifiera les actions détenues dans leurs holdings et, par conséquent, dans Fininvest. Les cinq enfants verseront également, selon le partage de l’ensemble de la succession, les sommes prévues par les legs laissés par leur père, soit un total de 230 millions d’euros, à Paolo Berlusconi (frère de l’ancien premier ministre), à sa compagne Marta Fascina et à son collaborateur et ami historique, Marcello Dell’Utri. Cela signifie que Marina et Pier Silvio contribueront à hauteur de 26 % chacun, et Barbara, Luigi et Eleonora à hauteur de 16 % chacun. Tous les biens sont soumis à un régime de communauté d’au moins cinq ans.

Le patrimoine que Berlusconi a laissé à ses enfants s’élève à plus de 5 milliards d’euros, répartis entre des sociétés cotées en bourse, d’importants investissements immobiliers, des titres, des œuvres d’art et des liquidités. La plus grande partie est contenue dans Fininvest, avec plus de 2,8 milliards de capitalisation boursière des sociétés investies, qui passe à près de quatre milliards si l’on considère également les parts détenues par MFE-Mediaset dans d’autres groupes, à savoir Ei Towers et ProSieben. Les actifs immobiliers sont estimés à environ 700 millions, concentrés principalement dans le holding Dolcedrago, auxquels s’ajoutent les liquidités. Enfin, les yachts et les nombreux tableaux achetés au fil des ans. En fait, Marina et Pier Silvio détiendront environ 52 % de la succession à eux deux, avec le contrôle conséquent par Fininvest des actions des sociétés, tandis que les trois autres enfants, Barbara, Eleonora et Luigi, hériteront d’une fortune personnelle très importante. Bien entendu, les ex-épouses, toutes deux divorcées, ont été exclues du testament.

Le patrimoine que Berlusconi a laissé à ses enfants s’élève à plus de 5 milliards d’euros, répartis entre des sociétés cotées en bourse, d’importants investissements immobiliers, des titres, des œuvres d’art et des liquidités.

Camilla Conti

L’acceptation pleine, qui prévoit un accord total contrairement à d’autres grandes familles d’entrepreneurs italiens, permet de se projeter immédiatement dans l’avenir. En effet, Fininvest détient 48,6 % de MFE-Mediaset (et environ 50 % des droits de vote), 53,3 % de Mondadori et 30 % de Banca Mediolanum, le groupe de télévision conservant également 40 % de Ei Towers et près de 30 % de l’allemand ProSieben.

Une gageure européenne

« Face à ces tempêtes, il faut garder le gouvernail droit et tenir le cap. Mediaset ne s’est jamais arrêté. C’est notre moteur. Nous nous sommes efforcés d’élargir notre audience professionnelle et avons construit un système cross-média qui touche 90 % de la population. Personne d’autre en Europe n’y est parvenu », a déclaré Pier Silvio Berlusconi le 9 juillet 2023, lors de la présentation des programmes de la nouvelle saison. Il s’agissait de sa première déclaration publique après la mort de son père, le 12 juin. 

Lorsque Silvio Berlusconi a quitté la société en 1994 pour s’engager en politique et fonder Forza Italia, il a confié à son fils Pier Silvio le défi de poursuivre, dans un marché national difficile, la croissance de la télévision commerciale, qu’il avait révolutionnée. Le PDG de MFE est toutefois allé plus loin en projetant cette stratégie à l’échelle européenne et en ouvrant une perspective en Allemagne avec l’opération ProSieben. Pourquoi l’Allemagne ? « Nous devons nous développer et c’est pourquoi nous sortons des frontières. Nous nous sommes hissés à 30 % du capital de l’opérateur allemand afin de créer un acteur paneuropéen. Si quelqu’un peut relever ce défi, c’est bien Mediaset », avait déclaré Pier Silvio, en soulignant que l’unité de la famille était l’atout à jouer pour soutenir cette ligne européenne. « Nous sommes des actionnaires à long terme intéressés par la création d’un radiodiffuseur européen. Nous voulons aller de l’avant, nous ferons en sorte d’y parvenir. »

Nous sommes des actionnaires à long terme intéressés par la poursuite de la création d’un radiodiffuseur européen. Le projet a été mis sur pied, mais il n’est pas facile d’entrer sur le marché allemand — le plus grand d’Europe du point de vue de la publicité. La stratégie de MFE doit également s’accommoder de celle de l’autre actionnaire, le groupe tchèque Ppf, qui a augmenté sa participation dans ProSieben à 15,04 %. Se pose aussi la question du modèle d’entreprise : ProSieben poursuit une stratégie qui intègre le divertissement avec le commerce électronique et les sites de rencontres. C’est une entreprise audiovisuelle avec des contenus locaux qui sont proposés aux utilisateurs. 

Le projet a été mis sur pied, mais il n’est pas facile d’entrer sur le marché allemand — le plus grand d’Europe du point de vue de la publicité.

Camilla Conti

Nous sommes des actionnaires à long terme intéressés par la poursuite de la création d’un radiodiffuseur européen. Le projet a été mis sur pied, mais il n’est pas facile de pénétrer le marché allemand — le plus grand d’Europe du point de vue de la publicité n’est pas simple. La stratégie de MFE doit également s’accomoder de celle de l’autre actionnaire, le groupe tchèque Ppf, qui a augmenté sa participation dans ProSieben à 15,04 %. Se pose aussi la question du modèle d’entreprise : ProSieben poursuit une stratégie qui intègre le divertissement avec le commerce électronique et les sites de rencontres. C’est une entreprise audiovisuelle avec des contenus locaux qui sont proposés aux utilisateurs. La direction de Mediaset, en revanche, est convaincue que ProSieben devrait abandonner le « souverainisme télévisuel » et emprunter la voie de la fusion transfrontalière en s’associant à MFE, afin de pouvoir créer d’importantes synergies au niveau des coûts technologiques et de disposer d’un plus grand pouvoir de négociation face à la concurrence. « Un radiodiffuseur européen, sans l’Allemagne, n’existe pas et sans nous, l’Allemagne échoue. Nous avons une minorité de blocage, je ne vois pas comment d’autres acteurs pourraient progresser en restant limités à l’intérieur de leurs frontières », a déclaré Pier Silvio en juillet. Le défi portera également sur les synergies et les investissements, en commençant par ceux dans le domaine de la technologie, grâce à la gestion des données. De fait, l’entreprise de Berlusconi a toujours lorgné vers le modèle de l’américain NBC, qui vient de renforcer sa plateforme de streaming. ProSieben a racheté à Warner Bros Discovery les 50 % restants de la plateforme de streaming Joyn, une coentreprise créée avec Discovery en 2017. Bref, le message de la direction est simple : il est possible de faire plus en unissant ses forces. 

Derrière la succession de l’empire se joue donc une partie complexe qui tourne autour de Media for Europe-Mediaset. Le projet est de créer un grand pôle continental de télévision généraliste qui puisse réaliser les économies d’échelle propres à un grand marché. L’idée de la direction est que la taille est désormais fondamentale, non seulement pour la télévision commerciale, mais pour tous les médias. Soit on demeure de petites boutiques locales, soit on crée des groupes européens capables de rivaliser avec les géants américains. C’est donc un défi qui dépasse largement les frontières nationales et qui ne concerne pas seulement l’entreprise de Berlusconi, mais aussi le rôle de l’Italie en Europe dans le secteur télévisuel. MFE-Mediaset doit cependant compter avec le marché généraliste de la télévision, lui aussi en perte de vitesse en raison du vieillissement de son public et, surtout, de la concurrence des grands producteurs de contenus devenus diffuseurs, comme Disney et Paramount, et des plateformes devenues productrices, comme Netflix et Prime. La croissance rapide des plateformes de streaming, qui conquièrent les auditeurs avec des abonnements à 10 euros par mois, fait apparaître la télévision généraliste basée sur la publicité comme un outil démodé. La manière d’apprécier les événements a changé, rendant obsolète la programmation verticale de la télévision traditionnelle. 

Aujourd’hui, les productions phares de Mediaset sont principalement des émissions de téléréalité, dont elle n’a pas la propriété intellectuelle. Pier Silvio ne veut pas d’un contenu commun : chacun doit développer un contenu pour son propre public national, où il pourrait apporter une valeur ajoutée par rapport aux séries télévisées des streamers, qui investissent des milliards par an. Le défi du pôle européen repose plutôt sur la technologie, et sur les plateformes de distribution de télévision par internet (Smart TV), un moyen de collecter des données sur les clients et de dresser leur profil à l’intention des publicitaires. Les coûts de construction et de maintenance des plateformes sont très élevés et peuvent être partagés avec d’autres groupes européens. De même, il est possible de construire des plateformes communes de collecte de publicité qui permettent aux centres médias d’entrer et de choisir la meilleure solution de distribution pour leurs clients : la première expérience a eu lien en Espagne, où MFE a fait une Opa sur Telecinco, la fusionnant avec Mediaset avant de commencer commencer à travailler sur Infinity et Mitele, deux plateformes Internet.

Derrière la succession de l’empire Berlusconi se joue une partie complexe. 

Camilla Conti

Cependant, cette stratégie a besoin de temps pour porter ses fruits alors que l’entreprise a immédiatement besoin de trouver de nouveaux moyens d’augmenter ses revenus. En 2010, Mediaset a réalisé un chiffre d’affaires de 4,3 milliards d’euros ; celui-ci a baissé à 3,5 milliards d’euros en 2015 ; l’année 2022 s’est achevée avec un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros, soit une baisse de 35 % en termes nominaux. La quasi-totalité du chiffre d’affaires — environ 70 % — provient de la publicité, à tel point que MFE Advertising a été créée début juillet pour les ventes de publicité en Italie et en Espagne. L’Italie représentait 1,94 milliard en 2022 (contre 2,8 milliards en 2010), et l’Espagne 800 millions. La plupart des bénéfices proviennent de l’Espagne (alors que l’Italie était déficitaire au premier trimestre 2023).

MFE, la holding qui contrôle Mediaset, a clôturé le premier semestre de l’année avec des revenus sensiblement stables (-1,2 % à 1,37 milliard) et une amélioration de sa rentabilité, qui s’est traduite par un résultat d’exploitation en hausse à 120,9 millions d’euros (+7,9 %) et un bénéfice en hausse à 87,1 millions d’euros (+3 %). Ces résultats sont également dus à une gestion attentive des coûts, qui ont diminué de 2,2 % au cours du semestre grâce aux synergies générées par la fusion entre l’Italie et l’Espagne. « Grâce à la dimension de plus en plus internationale » qui « amortit les éventuels déséquilibres sur les différents marchés », les résultats « ont été nettement positifs malgré des éléments critiques comme la pression inflationniste, les coûts énergétiques et la réduction des dividendes » de l’entreprise allemande Prosieben, explique MFE. Les ventes publicitaires sont « essentiellement stables », à 1 343,7 millions d’euros (-1,4 %), l’Italie se contractant moins que l’Espagne. Les ventes de juin ont été affectées en Espagne par les élections et, en Italie, par le décès du fondateur Silvio Berlusconi. La situation a été plus compliquée en Allemagne, où Prosieben, qui sortait déjà d’un trimestre noir, en a clôturé un autre avec un bénéfice presque nul (4 millions d’euros contre 64 millions d’euros précédemment) et des revenus inférieurs aux estimations des analystes.

Sur le plan des acquisitions, MFE cherche à créer un système multimédia en Espagne. Lors de la présentation des grilles de programmes de juillet, Pier Silvio Berlusconi, répondant à une question, a déclaré que « si Prisa décidait de mettre en vente ses stations de radio, nous les examinerions ». Il y a eu ensuite l’opération ProSieben. La question de racheter une télévision française a également été posée : M6, le troisième réseau national, a été mis en vente il y a un an, mais lorsque l’Autorité de la concurrence a clairement indiqué que la fusion avec TF1 n’était pas possible, poussant les Allemands de RTL à la retirer du marché. Si cette fusion avait été approuvée, RTL aurait alors essayé d’acheter ProSieben en Allemagne, ce qui aurait ouvert la voie à une domination franco-allemande du marché télévisuel européen. Mais cela n’a pas été le cas et l’intervention de l’Autorité de la concurrence a en quelque sorte redonné vie à l’idée de Pier Silvio d’une télévision paneuropéenne basée sur la publicité. Les autres dossiers ouverts sont celui de la participation dans Ei Towers (une société de tours de transmission) en vue d’une éventuelle fusion avec RAI Way, et celui de l’équipe de football de Monza, la dernière aventure footballistique de Silvio Berlusconi. Le passage en Serie A a permis de plus que doubler ses revenus, qui sont passés de 15,4 à 32,7 millions, mais l’année civile ayant été interrompue par la Coupe du monde au Qatar, la facture a été forcément salée, avec une perte de 65,4 millions. C’est là que Fininvest enregistre les versements les plus importants : 64,5 millions sur le compte de capital. Ce n’est pas un hasard si la recherche d’un partenaire au moins minoritaire se poursuit (la file d’attente n’est pas longue, mais l’armateur grec Evangelos Marinakis, ancien propriétaire de l’Olympiakos et de Nottingham Forest, est l’hypothèse la plus concrète à l’heure actuelle). Enfin, l’autre défi que MFE doit affronter est celui des droits télévisuels du football, car la future stratégie européenne du groupe passera par là. 

Revenir sur les terrains de football

Pier Silvio Berlusconi a commencé sa carrière chez Publitalia, puis à la programmation d’Italia 1, avant de prendre la responsabilité des programmes des trois réseaux Mediaset. Il se spécialise ensuite dans les contenus télévisuels. Il devient vice-président en 2000 et il est également directeur général depuis 2015. En 2007, il a une intuition importante, Mediaset doit se renforcer dans la production de contenus télévisuels qui seront l’étalon-or des années suivantes et il achète Endemol, qui est à l’époque le leader en Europe dans la production de ces contenus. Mais la transaction s’élève à 2,6 milliards d’euros et est réalisée avec un effet de levier excessif. En 2011, Mediaset est donc contrainte de la vendre aux fonds spéculatifs qui avaient acheté la dette d’Endemol. Dès lors, Mediaset ne se concentre plus sur la production de contenus mais reste une société de distribution télévisuelle et Pier Silvio décide de retenter l’expérience de la télévision payante, après l’échec de son père à imposer Telepiù au début des années 1990. 

L’autre défi que MFE doit affronter est celui des droits télévisuels du football, car la future stratégie européenne du groupe passera par là. 

Camilla Conti

Au milieu des années 2000, il lance donc l’aventure Mediaset Premium, avec ses chaînes payantes, et défie Sky sur son terrain en remportant les droits télévisuels de la Ligue des Champions 2015-2018 pour 630 millions d’euros en 2014. Penser faire jeu égal avec Sky de Rupert Murdoch dans le domaine de la télévision payante s’est avéré être un pari risqué. Mediaset Premium n’a jamais réussi à percer en termes de nombre d’abonnés, même avec un positionnement différent à celui de Sky.

Les Berlusconi ont alors cherché à réparer leurs pertes par un accord avec le français Vivendi, qui, combiné à Canal Plus, aurait dû donner naissance à un groupe paneuropéen, également présent dans la production et capable de contrer l’avancée de Netflix en Europe. Nous sommes en avril 2016 et le partenariat avec Vivendi succombera quelques mois plus tard, à la fin du mois de juillet, lorsque Vincent Bolloré commence à introduire Mediaset en bourse, déclenchant une querelle juridique devant les tribunaux de la moitié de l’Europe et une réaction du « système italien » en 2017-2018 qui a bloqué tout mouvement de Vivendi, aussi bien dans Tim que dans Mediaset.

Entretemps, il y a eu une première tentative de créer Mediaset for Europe, basée en Hollande, qui, avec Vivendi, aurait voulu agréger non seulement la filiale Mediaset Espaňa mais aussi d’autres groupes européens présents dans la télévision en clair, c’est-à-dire celle qui est soutenue par la vente de publicité. Ce projet a également échoué en raison de l’opposition des Français, qui y ont vu une manœuvre de la société italienne pour garder le contrôle du groupe aux dépens de la minorité gênante.

Après cinq années d’intenses batailles juridiques, la famille Berlusconi et Vincent Bolloré comprennent alors qu’il est temps de déposer les armes et de chercher une issue. La paix a été scellée en mai 2021 : l’assemblée des actionnaires de Mediaset a révoqué le recours au vote à la majorité, qui plaçait le groupe de télévision encore plus étroitement sous le contrôle de Fininvest. Vivendi et son mandataire Simon ont également voté en faveur de la révocation, ce qui permettra de sortir progressivement de la structure de l’actionnariat de Mediaset. « Le mécanisme de cession et d’achat par la holding de la famille Berlusconi de l’abondant 19 % de Mediaset détenu par le trust français Simon sur une période de cinq ans est complexe, mais au final Vivendi pourra rester actionnaire de MFE avec une participation résiduelle de moins de 5 % », rapporte un communiqué de l’Ansa du 27 mai 2021. Soulignant que « maintenant le Biscione [le symbole de Milan que Berlusconi avait choisi pour orner MFE] peut regarder avec liberté le développement à l’étranger », c’est-à-dire rebaptiser la nouvelle société mère en Hollande du nom de MFE, MediaforEurope, le même que la plate-forme qui comprenait la fusion avec Mediaset Espana et l’apport des parts majoritaires dans le ProSieben allemand. C’est un choix symbolique. En novembre 2021, l’assemblée des actionnaires de Mediaset sanctionne le début officiel de l’ère MFE avec une division des actions qui introduit la double classe d’actions A et B, égales en termes économiques (elles assurent les mêmes dividendes et doivent toutes deux faire l’objet d’une éventuelle offre publique d’achat), mais avec des garanties différentes en termes de droits de vote.

Penser faire jeu égal avec Sky de Rupert Murdoch dans le domaine de la télévision payante s’est avéré être un pari risqué. 

Camilla Conti

La paix avec Bolloré, la naissance de la holding néerlandaise et la division des actions ont enfin aligné les planètes : Pier Silvio a dépoussiéré le projet MFE en termes de croissance européenne, seul moyen possible de dépasser les bassins nationaux limités. Les domaines compétitifs sont les films ou séries internationales à exploiter dans le monde entier, les contenus locaux à monétiser par la publicité et le sport de masse, à commencer par le football. En Italie, Mediaset et Rai se disputent les droits de la Coppa Italia et de la Supercoppa. Mais les projecteurs ont surtout été braqués sur les négociations compliquées concernant la vente aux enchères des droits de télévision de la Serie A. Il s’agit d’un milliard d’euros par saison. Où verra-t-on les matches du championnat à partir d’août 2024 ? C’est ce que se sont demandé nombre de supporters italiens.

Le 23 octobre 2023, le match pour les droits de télévision de la Serie A s’est pourtant terminé, en confirmant le statu quo. Dazn et Sky continueront à diffuser le championnat pour les cinq saisons allant de 2024/25 à 2028/29. Après des mois de tractations, et à la surprise générale lors du premier vote, l’assemblée des clubs a en effet décidé d’accepter l’offre des deux diffuseurs de 900 millions d’euros par an de base, dont 700 millions d’euros de Dazn et 200 millions d’euros de Sky, contre les 927 millions d’euros de la période triennale 2021/24. « Une fin heureuse », a expliqué le président de la Lega Serie A Lorenzo Casini lors d’une conférence de presse : la décision a été adoptée avec 17 votes favorables. Dazn diffusera donc les 380 matchs du championnat, dont 114 en coexclusivité avec Sky, qui, en doublant son offre par rapport à la période triennale actuelle, a obtenu plus de grands matchs et des créneaux horaires différents (non seulement le samedi à 20h45 mais aussi le dimanche à 18h et le lundi à 20h45). Le chiffre de 900 millions par an ne constitue toutefois qu’une base, car la Ligue vise en fait à collecter environ un milliard, notamment grâce au mécanisme de partage des recettes introduit dans l’accord avec Dazn : en substance, lorsque le chiffre d’affaires de 750 millions provenant des abonnements de la plateforme Ott est dépassé, les recettes supplémentaires sont divisées à 50 % entre la Ligue et Dazn elle-même. Ainsi, par exemple, si cette dernière atteignait 800 millions de chiffre d’affaires, la Ligue percevrait 25 millions supplémentaires (la moitié des 50 millions de différence avec les 750 millions mentionnés ci-dessus). En outre, il faut ajouter à ces chiffres environ 40 millions de frais techniques, c’est-à-dire la redevance que les radiodiffuseurs versent à la Ligue de football pour la production des matches. Entre les coûts techniques et les recettes, le football italien prévoit donc des revenus supérieurs à un milliard par an. 

En revanche, pour la saison de football 2023/24, l’intégralité de la Coppa Italia sera diffusée en clair et en exclusivité sur les réseaux de Mediaset. Ces derniers continueront à diffuser tous les matches jusqu’à la finale qui aura lieu à Rome le 15 mai 2024. En outre, la Supercoupe d’Italie, dans le nouveau format des quatre finales, se jouera en Arabie saoudite. Après la demande des organisateurs de repousser les dates (initialement elle devait se jouer du 4 au 8 janvier) en raison des nombreux événements prévus dans le pays à cette époque (entre la Coupe du monde des clubs et la Supercoupe d’Espagne), la Ligue a choisi de déplacer le tournoi à la fin du mois de janvier, avec une hypothèse pour l’instant entre le 21 et le 25 janvier. A partir du 22 août viendra ensuite la mise en bouche de la Ligue des champions avec les matchs de barrage sur Italia 1 et Mediaset Infinity.

Entre les coûts techniques et les recettes, le football italien prévoit donc des revenus supérieurs à un milliard par an. 

Camilla Conti

Quant à Sky, partenaire historique du football italien, elle a acquis pour le cycle 2024/2029 les droits co-exclusifs de 3 matches par journée pour un total de 114 matches de Serie A par saison, ainsi que les temps forts des 380 matches, les droits d’archivage des saisons en cours et les droits exclusifs de tous les matches de Serie A pour les bars, hôtels et autres lieux publics. Et, après avoir acheté la nouvelle Ligue des champions, elle peut également compter sur un nouvel accord pluriannuel avec la NBA, les Six Nations jusqu’en 2025 et la voile avec le retour de la Coupe de l’America. C’est pourquoi elle n’a pas fait de folies sur le championnat : au cours des trois dernières années, elle a dépensé 87 millions par saison pour trois matchs co-exclusifs ; il aurait donc fallu presque doubler ce montant pour confirmer la même tendance.

En arrière-plan, le problème demeure qu’en Italie, le nombre de spectateurs au stade augmente, tandis que le nombre de supporters dans leur siège devant la télévision diminue : la Serie A, dans la première partie du championnat, poursuit la tendance enregistrée l’année dernière, c’est-à-dire que de plus en plus de supporters vont voir leur équipe en direct et de moins en moins la regardent à la télévision. Le streaming de Dazn, dont l’image arrive environ deux minutes après la diffusion en direct, a contribué à une forte baisse de l’audience par rapport à il y a quelques années, lorsque, à l’époque du duopole Sky-Mediaset Premium, l’audience de chaque tour du championnat s’élevait en moyenne à 8 millions de téléspectateurs.

Ensuite, il y a la crise économique et l’inflation qui touche tout le monde, les abonnements sont élevés, dans certains cas ils ne garantissent pas le service souscrit. Et puis pour créer le malaise, il y a aussi la question de la Premier League : 5,8 milliards pour les droits de diffusion au Royaume-Uni (période 2022-2025), donc 1,5 milliard par championnat et 5,950 milliards pour les droits dans le reste du monde.

« Pour nous, le football est le produit le plus important ; nous aimerions toujours avoir du football de haut niveau, le football qui compte, sur nos réseaux, mais les prix d’aujourd’hui sont fous. Si nous continuons comme ça, ce seront des chiffres vraiment fous » : c’est ainsi que Pier Silvio Berlusconi a répondu, le 5 juillet 2023, aux journalistes qui l’interrogeaient sur le rôle de Mediaset dans la course aux droits de retransmission du football italien. « D’une part, nous voulons du football, mais d’autre part, nous faisons preuve de rationalité. Nous sommes toujours une société cotée en bourse et nous devons faire des marges ». Quoi qu’il en soit, « pour l’instant, il n’y a pas de stratégie, mais il me semble que la base d’enchères pour la Coppa Italia est très, très élevée ». Quant au championnat, « honnêtement, nous ne savons même pas de quoi nous parlons, car ils changent d’avis à chaque fois. Nous sommes là, nous voulons être là, et nous allons aviser. À terme, nous pourrions utiliser Italia 1 comme chaîne du football ». Toutefois, conclut-il, « nous serons toujours rationnels et nous ne ferons pas de folies ».

L’Affaire Giambruno

En octobre que le match sur les droits télévisés de la Serie A s’est terminé. Au même moment commençait l’affaire Giambruno, du nom d’Andrea Giambruno, journaliste de télévision et compagnon de la présidente du Conseil italien. Une vidéo de lui tenant des propos scabreux a été diffusée par le journal télévisé satirique Striscia la Notizia, diffusé sur les réseaux Mediaset, qui est également l’employeur d’Andrea Giambruno. Le 20 octobre, Giorgia Meloni a annoncé sur les réseaux sociaux la fin de sa relation de près de dix ans avec le père de sa fille. Le 24 octobre, Mediaset a publié un communiqué annonçant que « Andrea Giambruno, désolé pour l’embarras et le malaise créés par son comportement, a convenu avec la société de quitter la conduction vidéo » de son programme « dont il continuera à assurer la coordination éditoriale ». 

L’affaire, au-delà du voyeurisme qu’elle a provoqué, a suscité des réactions politiques, médiatiques et financières, au point de se retrouver dans les pages du Financial Times et de faire chuter l’action de Mediaset en bourse. La raison ? Les insinuations, diffusées dans la presse italienne, selon lesquelles les enfants Berlusconi auraient décidé de ne pas bloquer la diffusion de la vidéo dans Striscia. Et l’hypothèse d’une implication de Forza Italia dans ce qui s’est passé a jeté le trouble dans les relations au sein de la majorité. Ces rumeurs ont toutes été démenties, aussi bien par la direction du parti, désormais dirigée par le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, Antonio Tajani, que par les enfants de Berlusconi, Piersilvio et Marina. Les tensions ont toutefois effrayé le marché et déclenché des ventes d’actions de Mediaset. À l’heure actuelle, de nouveaux épisodes de l’affaire Giambruno pourrait encore plus secouer cet écosystème financier et politique.