Depuis le mois d’août, l’opposition accuse le gouvernement d’avoir autorisé un système d’achats de visas, à des montants pouvant s’élever jusqu’à 5 000 dollars, par des étrangers afin de pouvoir venir en Pologne. Deux députés de la Plateforme civique (PO), principal parti opposant au PiS à la Diète, ont considéré que 350 000 visas attribués en Afrique et en Asie pourraient être concernés1.

  • Fin août, avant que la polémique ne prenne de l’ampleur, le vice-ministre des Affaires étrangères en charge du système consulaire, et par ailleurs candidat sur les listes de la Droite unie (coalition menée par le PiS), a été limogé et retiré des listes, sans plus de détails. La veille, le ministère recevait la visite du Bureau central anticorruption.
  • Jeudi dernier le 14 septembre, sept personnes ont été mises en examen dans l’affaire. Le bureau du procureur a annoncé que le Bureau central anticorruption travaillait sur le sujet depuis juillet 2022, et plus activement encore depuis mars 2023, considérant cependant que seulement des centaines de visas seraient concernées2.

Le scandale est d’autant plus massif en Pologne que le PiS a multiplié les attaques contre l’immigration en se présentant comme le défenseur d’une nation homogène et sûre.

  • Le gouvernement polonais, aux côtés de la Hongrie, a apposé sans succès son veto à la proposition du Conseil de l’Union des Affaires intérieures du 8 juin dernier, qui a entériné un mécanisme de solidarité entre États dans l’accueil des demandeurs d’asile.
  • En juin également, au moment des émeutes dans les banlieues de plusieurs villes françaises, le Premier ministre Morawiecki reprenait des images de destructions en tweetant : « Notre projet est une Europe aux frontières sécurisées – sécurité et ordre public – ce sont les valeurs à partir desquelles tout le reste commence ! »3 Lorsqu’une Polonaise a été victime d’un viol à Munich en août, par un homme d’origine afghane, le Premier ministre a tweeté : « Ce sont les effets de la politique d’ouverture des frontières. »4.
  • Le même jour que les élections législatives, le gouvernement invite les Polonais à se prononcer dans le cadre de quatre référendums qui servent surtout à mobiliser son électorat, alors que l’opposition appelle majoraitement à les boycotter. L’une des quatre questions, dont la formulation se passe de commentaire, est : “Soutenez-vous l’admission de milliers d’immigrants illégaux du Moyen-Orient et d’Afrique, conformément au mécanisme de relocalisation forcée imposé par la bureaucratie européenne ?”
  • Malgré le scandale des visas qui a constitué ces derniers jours le sujet numéro un de la campagne, le gouvernement n’a pas mis un terme à son discours anti-migrants. « La situation actuelle à Lampedusa est une sorte de symbole d’une situation qui menace toute l’Europe, y compris la Pologne », a déclaré Jarosław Kaczyński, vice-président du Conseil des ministres et souvent considéré comme le dirigeant de facto du pays5.

En réalité, la Pologne n’est pas du tout un pays fermé à l’immigration.

  • Selon le HCR, la Pologne accueillait au 3 septembre 960 000 réfugiés ukrainiens arrivés dans le pays après le 24 février 2022. Seule l’Allemagne la précède dans l’Union, avec 1,1 million6
  • En juin dernier, PiS a lui-même souhaité faciliter l’octroi de visas de travail aux ressortissants de nombreux pays extérieurs à l’Union, comme l’Inde, le Pakistan ou le Nigéria, notamment pour certains chantiers majeurs comme celui de la raffinerie de Płock7. Le discours officiel consiste à dire qu’ainsi le gouvernement contrôle directement les entrées sur le territoire – ce qui lui permet notamment de justifier son opposition au Pacte migratoire européen, dont il considère au contraire qu’il imposerait des contraintes au pays et entraverait sa souveraineté.
  • La Pologne est de fait le pays de l’Union qui octroie le plus de permis de séjour. En 2021, elle en avait délivré près de 970 000 — soit plus d’un tiers de ceux délivrés au sein de l’Union, suivie par l’Espagne (372 000) et la France (285 000). 

La Coalition civique (KO), dirigée par Donald Tusk, et principal opposant au PiS et à sa coalition, a été à l’origine de la polémique sur les visas. Elle y voit la preuve des contradictions du PiS et appuie le sujet pour le mettre en difficulté et discréditer son discours. Pour autant, la Coalition civique ne semble pas plus libérale que le PiS sur l’immigration et, à bien des égards, considère que celui-ci est même laxiste.

  • En juin dernier, lors du débat sur le projet de loi visant à faciliter l’octroi des permis de travail, Tusk l’a fait tomber. Il déclarait notamment : « Nous assistons aux scènes choquantes des violentes émeutes en France et, en ce moment même, Kaczyński prépare un document qui permettra à encore plus de citoyens de pays tels que l’Arabie saoudite, l’Inde, la République islamique d’Iran, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Nigeria ou la République islamique d’Iran de venir en Pologne. […] Les Polonais doivent reprendre le contrôle de leur pays et de ses frontières. »8.
  • La déclaration de Tusk a entraîné quelques polémiques au sein de la KO, par exemple de la part de l’ancien député John Abraham Godson, et premier député noir de Pologne, d’origine nigériane9. Ces réactions ont cependant été minoritaires.

Le programme officiel de la KO mentionne l’immigration à deux reprises dans les 100 mesures qui constituent son programme10.

  • Au point 29 : « Nous fournirons un financement européen pour la défense de la frontière polonaise avec la Biélorussie. Nous supprimerons la route des passeurs passant du Moyen-Orient à travers la Biélorussie jusqu’à la Pologne et ensuite vers l’Union. »
  • Au point 67 : « Nous présenterons un acte d’accusation contre les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères responsables de la corruption qui a conduit à l’afflux incontrôlé de migrants en Pologne. »

Les autres forces de l’opposition, avec lesquelles la KO devra composer si elle espère construire une alliance de gouvernement contre le PiS après les élections du 15 octobre, ont également des positions variées et parfois contradictoires.

  • La Troisième voie, formation centriste relativement proche des principes de la Coalition civique (à quelques exceptions près, comme sur l’avortement ou la transition énergétique), ne mentionne pas l’immigration directement dans son programme, qui est limité à quelques points assez sommaires11. Le leader de Pologne 2050, l’un des deux partis composant la Troisième voie, insistait cependant sur la nécessité d’accueillir « un million de migrants »12 pour répondre aux besoins démographiques et de main-d’œuvre de la Pologne, tout en se montrant virulent sur les contradictions du PiS face au scandale des visas13. Dans ses apparitions publiques après la déclaration de Tusk en juin dernier, il associait souvent sécurité et humanité.
  • La Gauche, dans son programme officiel, mentionne de son côté la nécessité d’une « augmentation du nombre de travailleurs migrants » et souhaite garantir « droit de demander une protection internationale », en s’opposant aux refoulements (pushbacks)14.
  • Confédération enfin, formation d’extrême droite qui pourrait être décisive dans cette élection où elle culmine actuellement autour de 10-12 % des sondages, dénonce le PiS comme « le parti de l’immigration massive et incontrôlée »15 et affiche sur son site un lien vers la pétition intitulée « Nous avons assez d’immigrés ».