Étonnamment, lors du discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen, la réforme des règles budgétaires et de la gouvernance économique de la zone euro n’a pas été abordée. Il nous semble qu’elle a eu raison de laisser ce point de côté : cette réforme s’insèrerait dans une refonte bien plus large du fédéralisme budgétaire européen. 

Il y a presque un an jour pour jour, l’Allemagne relançait les négociations sur la réforme de la gouvernance économique européenne en présentant un document officiel. Ce dernier dessinait les contours d’une réforme ambitieuse des règles budgétaires européennes. Après des années pendant lesquelles les règles limitant les déficits à 3 % du PIB, la dette à 60 %, et l’ajustement structurel à 0,5 %, ont été régulièrement contournées par des exceptions ponctuelles ou totalement suspendues en périodes de crise, une opportunité d’optimiser le cadre régissant les finances publiques en Europe s’est enfin présentée. Au fil des années, le consensus intellectuel parmi les économistes a évolué et la pertinence et l’efficacité des règles actuelles ont été remises en question, poussant vers un nouvel ensemble de directives. Ces dernières seraient plus simples, transparentes, moins sensibles aux cycles économiques, et surtout, elles favoriseraient davantage l’investissement public.

Des pays autrefois radicalement opposés paraissent aujourd’hui capables de compromis. Du moins, c’était l’espoir que suscitait un document conjointement publié par les gouvernements néerlandais et espagnol en avril 2022. Ce document remettait en question les alliances historiques entre les pays réputés frugaux et ceux du Sud. Il reléguait aussi la France et l’Allemagne à un rôle plus périphérique dans la fabrique du compromis et de l’intégration européens, du moins sur ce dossier précis. En novembre 2022, poussée par le soutien politique de La Haye et de Madrid, la Commission européenne a suggéré de remplacer le cadre actuel par un nouveau système. Celui-ci permettrait d’ajuster le budget de chaque État membre en fonction de ses niveaux d’endettement spécifiques et des défis liés à la pérennité budgétaire.

L’Espagne et les Pays-Bas, qui étaient les véritables moteurs initiaux des négociations budgétaires, sont freinés par des incertitudes politiques internes.

Philippe Lamberts, Shahin Vallée

Presque un an plus tard, les avancées sont minimes dans les négociations menées par les ministres des Finances. D’un côté, le ministre allemand des Finances a tenté de ranimer une vieille coalition conservatrice frugale, connue sous le nom de Ligue hanséatique. La France et l’Italie, quant à elles, semblent détachées de ces débats, parfaitement à l’aise avec l’ensemble des règles actuelles — sachant qu’elles peuvent manipuler le système à leur avantage si besoin. L’Espagne et les Pays-Bas, qui étaient les véritables moteurs initiaux des négociations, sont actuellement freinés par des incertitudes politiques internes. Dans le contexte actuel, faute de percée au sein de l’Eurogroupe, les dirigeants européens semblent prêts à tenter d’imposer un compromis lors du Conseil européen de décembre.

© Valentì Fargnoli Iannetta, Maquinària de la fundició Alberch, 1926, Girona, Espagne. CC BY-NC-ND.

Mais le problème des négociations actuelles est bien plus profond. La Commission européenne a fait le choix stratégique de dissocier les négociations qui portent sur les règles budgétaires nationales de celles concernant le budget commun de l’Union et sa capacité d’emprunt. S’il semble judicieux de séparer les négociations en segments plus digestes, la réalité est que les nouvelles règles budgétaires, la taille future du budget de l’Union, ses ressources, sa composition, et la capacité à long terme de l’Union à emprunter sont indissociablement liées. Il est quasiment impossible de les séparer, d’autant plus que le traitement des dépenses de l’Union dans les dépenses publiques nationales serait différent sous le nouveau cadre proposé. Il est essentiel de comprendre l’ampleur de ces dépenses à l’avenir pour évaluer la rigueur, le réalisme et l’efficacité des nouvelles règles.

Ainsi, il est difficile d’imaginer que les États membres au sein du Conseil ou du Parlement européen puissent s’accorder sur un point sans trouver un consensus sur l’ensemble. C’est précisément ce qu’a souligné l’ancien président de la BCE et ex-Premier ministre italien, Mario Draghi, dans son dernier discours. C’est également ce que la ministre Laurence Boone, Anna Lührmann et Tiago Antunes ont suggéré dans une tribune récente.

Il faudrait établir des recettes fiscales permanentes pour financer le budget de l’Union, par exemple en lui transférant directement une partie de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. 

Philippe Lamberts, Shahin Vallée

Bien que l’objectif fondamental d’une réforme efficace de la gouvernance économique approuvée par le Conseil européen ait été de rendre les règles plus transparentes, moins procycliques et à répondre aux exigences conjointes de davantage d’investissements publics et de durabilité fiscale, la réalité est que le compromis élaboré au terme d’âpres négociations techniques au sein de l’Eurogroupe ne remplira pas ces objectifs. En adoptant une définition restrictive de la viabilité de la dette, celui-ci néglige complètement l’impact potentiel de l’adaptation au climat et des chocs économiques sur la dynamique de la dette. Elles ne garantissent pas non plus suffisamment d’investissements publics pour réaliser nos objectifs de transition climatique tout en maintenant un niveau viable d’endettement public. Le rapport de Finance Watch de juillet 2023 souligne que la résilience globale de l’économie d’un pays importe davantage aux marchés financiers que l’ampleur de sa dette.

Pour ce faire, les règles budgétaires nationales adoptées devraient favoriser des investissements écologiques accrus au niveau national. Elles doivent être accompagnées d’un engagement clair à augmenter considérablement la taille du budget de l’Union, le faisant passer de 1 % à 2 ou 3 % du PIB de l’Union. Il faudrait également établir des recettes fiscales permanentes pour le financer, par exemple en transférant directement une partie de la TVA et de l’impôt sur les sociétés au budget de l’Union. De plus, le mécanisme actuel d’emprunt conjoint, mis en place au plus fort de la crise pandémique, devrait se transformer en une capacité d’emprunt permanente.

Ces questions doivent être au cœur de la prochaine campagne électorale européenne, afin que le nouveau Parlement et la nouvelle Commission européenne puissent recevoir un mandat électoral clair pour progresser vers une Europe plus intégrée sur le plan budgétaire. Cela signifie aussi que la réforme actuelle des règles européennes ne sera pas achevée avant la fin de cette législature. La Commission européenne peut continuer à orienter la position budgétaire de l’Europe et à faire preuve de flexibilité dans l’application des règles actuelles jusqu’à l’émergence d’un nouveau compromis fiscal plus significatif. C’est non seulement nécessaire pour que l’Europe relève ses défis géopolitiques et climatiques actuels, mais également indispensable avant l’élargissement éventuel de l’Union à l’Ukraine et, potentiellement, à neuf nouveaux États membres.