Après la pensée stratégique de Machiavel, l’analyse de la rupture polémologique des guerres d’Italie, les pratiques de la guerre dans le monde grec, l’ère stratégique de la guerre du Golfe, les mamelouks d’Austerlitz, le siège oublié de Dunkerque en 1944, celui de Paris en 1870, notre série d’été « Stratégies : de Cannes à Bakhmout » nous fait plonger dans la guerre de Cent Ans à travers un long entretien.
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Vous écrivez que la guerre de Cent Ans offre « une matière à réflexion beaucoup plus riche pour les stratèges d’aujourd’hui que les guerres de la Révolution et de l’Empire ou les deux guerres mondiales ». Pourquoi ?
Parce que la guerre de Cent Ans est à la fois hybride et multidimensionnelle, comme les conflits contemporains. Les deux adversaires utilisent tous les moyens d’action à leur disposition pour se déstabiliser, et l’emploi de la force armée n’en est qu’un parmi d’autres. Sur le plan militaire, la bataille rangée est un événement exceptionnel — on n’en dénombre pas plus d’une douzaine en un siècle et demi — au contraire des sièges, des embuscades, des « chevauchées » et des « courses » menées par des partis de quelques centaines d’hommes. Les opérations militaires sont séquentielles, à la fois brèves et continuelles, très fragmentées dans l’espace et dans le temps, ce qui les rend très difficiles à appréhender dans leur totalité, tant elles sont nombreuses et semblent échapper à toute logique d’ensemble. Très caractéristique de la culture médiévale est l’économie de moyens pratiquée par les belligérants : une escarmouche ou une embuscade réussie, qui se traduit par la capture de quelques capitaines importants, peut conduire à la capitulation d’une grande ville ou d’une province entière. Ainsi, en 1436, c’est une défaite essuyée par la garnison anglaise de Paris près d’Épinay-sur-Seine qui incite la population de la capitale à se soulever et à ouvrir ses portes aux hommes de Charles VII. Cette bataille de rencontre a mobilisé à peine plus d’un millier d’hommes de part et d’autre. À l’inverse, une victoire majeure peut ne produire que des effets limités — telles les grandes batailles remportées par les Anglais au début du conflit, dont aucune n’a permis d’emporter la décision. Surtout, la guerre de Cent Ans est multidimensionnelle, en ce qu’elle ne peut se résumer aux affrontements militaires. Ne pouvant mobiliser et surtout solder durablement plus de quelques milliers ou dizaines de milliers d’hommes pour contrôler un territoire immense, Plantagenêts et Valois doivent intégrer à leur stratégie les facteurs politique, culturel, financier et fiscal, économique et social. C’est là, du reste, qu’il faut chercher les causes de la victoire finale des Valois.
Justement, comment la France, dont l’État accusait d’importants retards sur l’État anglais — notamment dans le domaine fiscal — a-t-elle réussi à l’emporter ?
Au début de la guerre, le système financier de la monarchie française est très archaïque. C’est un héritage de la vieille monarchie féodale. Les rois de France n’ont pas voulu faire ce à quoi les rois d’Angleterre ont été contraints, c’est-à-dire établir un système fiscal fondé sur le consentement des élites de leur royaume : les prélats, les nobles et les bourgeois réunis en assemblées représentatives – le Parlement en Angleterre, les États généraux en France. Les derniers Capétiens directs ont bien essayé d’instaurer un dialogue institutionnel avec les « trois états du royaume » dans les années 1300-1320, mais les résistances qu’ils ont rencontrées et leur refus de céder la plus petite part de leur souveraineté les y ont fait renoncer. Ils ont préféré esquiver tout échange politique entre gouvernants et gouvernés. Pour cette raison, au début de la guerre, les revenus du roi de France sont à peine supérieurs à ceux du roi d’Angleterre, pour une population quatre à cinq fois plus nombreuse. En outre, ils sont très aléatoires et fluctuent beaucoup d’une année sur l’autre, ce qui gêne la planification des opérations.
Dans les années 1340, et surtout à la fin des années 1350, les défaites militaires contraignent Philippe VI de Valois et Jean le Bon à renouer le dialogue avec leurs sujets et à convoquer très régulièrement les États généraux. La politique royale y est violemment contestée, et les subsides pour la guerre ne sont accordés qu’au prix d’importantes concessions, notamment sur le contrôle de la levée et de l’emploi des impôts. Cependant, dès 1360, les Valois reprennent la main, et profitent de la situation d’urgence permanente (« l’urgente nécessité ») créée par l’état de guerre pour confisquer le droit de leurs sujets à consentir l’impôt, fait inouï en Europe. Après bien des aléas, le système politique et fiscal mis en place sous sa forme définitive par Charles VII (r. 1422-1461) allait durer jusqu’à la Révolution, et peut-être au-delà. Si les Valois y sont parvenus, si leurs sujets ont accepté le principe d’un impôt arbitraire, fixé d’autorité, c’est que les uns et les autres ont conclu une sorte de contrat politique implicite qui profitait à tous. La noblesse est exemptée de la plupart des impôts, notamment la taille. Les grands seigneurs reçoivent une pension, en contrepartie du monopole fiscal du roi sur leurs terres. La moyenne et une partie de la petite noblesse occupent des emplois lucratifs à la cour, dans les administrations royales, et surtout, peuplent les compagnies d’ordonnance de la seule armée permanente d’Europe. À la fin du XVe siècle, quelques milliers de familles nobles – elles-mêmes très minoritaires au sein de la noblesse – accaparent la plus grande partie du produit de l’impôt. Les bourgeois ne sont pas complètement en reste car les villes se voient confirmées certaines exemptions fiscales, ainsi que des privilèges de toutes sortes qui profitent aux classes urbaines dominantes. Enfin, la population des campagnes gagne la sécurité, car l’institution de l’armée permanente, rémunérée par la « taille des gens de guerre », met fin au fléau des bandes de gens de guerre itinérants qui, pendant des décennies, avaient pillé le royaume lorsqu’elles n’étaient plus soldées.
En somme, la principale cause de la victoire française est une forme de victoire fiscale.
C’est un facteur majeur, en effet, peut-être le plus important, mais qui dérive lui-même d’un rapport de forces politique. Il faut comprendre qu’au début du XIVe siècle, les États anglais et français sont bien constitués du point de vue de l’ordre public. En revanche, la guerre a des conséquences politiques majeures : en Angleterre, elle renforce le rôle du Parlement ; en France, elle oblige la monarchie à repenser complètement la fiscalité. En cela, la guerre de Cent Ans constitue un moment essentiel pour l’histoire de l’Europe, car du XIe jusqu’au XVIIIe siècle, la manière dont les États européens s’organisent pour collecter les ressources nécessaires à la guerre constitue le fil rouge de l’histoire du Continent : d’elle dépend en effet la nature des régimes politiques et des relations entre gouvernants et gouvernés.
Pendant plusieurs siècles, le système féodal avait extraordinairement bien fonctionné sur le plan militaire : le XIIe et le XIIIe siècles correspondent à la période d’expansion maximale de l’Occident chrétien puisqu’il est marqué par la conquête de la quasi-totalité de la péninsule ibérique, de la Sicile, des Pays Baltes, ou encore par l’établissement de royaumes francs au Proche-Orient. Les revenus des fiefs permettent d’entretenir une classe de guerriers professionnels : on peut ainsi mobiliser des ressources militaires considérables sans avoir à mobiliser de capitaux massifs.
Pourtant, à la fin du XIIIe siècle, ce système est à bout de souffle. Les revenus des seigneurs tendent à diminuer, tandis que les guerres sont plus longues et plus lointaines, ce qui augmente leur coût. Il faut donc désormais rémunérer chevaliers et gens de guerre. C’est ainsi qu’émerge l’impôt moderne, qui repose sur le consentement des populations. C’est une innovation majeure, car auparavant, les monarchies féodales vivaient de revenus d’origine foncière ou de taxes pensées comme la contrepartie d’un service public (droit sur les monnaies, les foires et marchés, fours, moulins, routes, ponts, profits de justice, etc.). Mais l’émergence de l’impôt est violemment contestée, et la crise de l’État féodal est encore aggravée par la Peste noire et l’effondrement démographique européen, qui entraîne le doublement ou le triplement des salaires.
Or la guerre est une industrie de main d’œuvre : les soldes versées aux gens de guerre représentent 90 % de son coût, en un temps où les combattants s’entraînent et s’équipent par eux-mêmes. Paradoxalement, l’avènement de l’État moderne se traduit donc par un recul de la puissance de l’État qui, entre le milieu du XIVe et jusqu’au début du XVIIe siècle, a des moyens d’action plutôt réduits par rapport au Moyen Âge central. Cela a des conséquences politiques majeures : les princes sont en situation de faiblesse par rapport à leurs sujets et doivent négocier. C’est l’origine du développement du Parlement en Angleterre et des États généraux en France. Ceux-ci sont convoqués pour l’avant-dernière fois (avant 1789) au début du XVIIe siècle. Car en effet, la crise finit par se résoudre en faveur des États monarchiques et dynastiques lorsque s’amorce une chute des salaires qui est la conséquence de la reconstitution de la population européenne. L’État retrouve une vraie capacité d’action. Un exemple est très parlant. En France, la pression fiscale est sensiblement la même sous Charles VII, au milieu du XVe siècle, et sous Louis XVI : elle oscille entre 5 % et 10 % du revenu national. Mais alors que la population du royaume n’a fait que doubler, en trois siècles, l’armée permanente de Charles VII compte moins de 10 000 hommes, tandis que Louis XV peut en entretenir 150 000 en temps de paix – sans parler de la marine, inexistante au Moyen Âge, la deuxième du monde sous Louis XVI, s’appuyant sur des infrastructures et des industries majeures.
Selon moi, la véritable révolution militaire européenne de l’âge moderne tient moins à l’arme à feu, aux fortifications bastionnées ou à la bureaucratie, qu’au fait que les États européens, à fiscalité constante, ont pu recruter des armées beaucoup plus nombreuses.
Comment qualifier la guerre de Cent Ans ? S’agit-il d’un conflit féodal, d’une guerre civile, d’une proto-guerre nationale ?
C’est une hybridation de tous ces types de guerre. Le chrononyme « guerre de Cent Ans » est fixé au début du XIXe siècle, et c’est aussi à ce moment-là que s’imposent les dates de début et de fin qui lui sont habituellement données : 1337-1453. Choisir l’année 1337 n’a rien d’anodin puisque c’est à ce moment-là qu’Édouard III revendique officiellement le trône de France. Mais on a donné à cet événement une importance qu’il n’a pas eue pour ses contemporains. Édouard III ne pense pas réellement évincer Philippe VI, monté sur le trône depuis une petite dizaine d’années déjà (1328) et que personne n’avait sérieusement contesté. Pour le roi d’Angleterre, il s’agissait surtout de mettre la pression sur le roi de France pour régler en sa faveur la question de la Guyenne.
C’est ce conflit territorial qui est le véritable enjeu de l’affrontement entre Valois et Plantagenêt, du moins au début. On a affaire à une guerre de souveraineté entre deux États, où le droit féodal est certes invoqué, mais ne sert que de prétexte. Au sens strict du terme, une guerre féodale impliquerait qu’il y ait deux prétendants pour un fief, ou pour un trône. Or, au début du XIVe siècle, le roi de France ne conteste pas que le roi d’Angleterre soit duc de Guyenne, et le roi d’Angleterre ne conteste pas que le duché de Guyenne relève du royaume de France. Seulement, les deux entendent être pleinement souverains en Guyenne.
On a coutume de présenter la guerre de Cent Ans comme une guerre féodale qui se serait transformée au fil du temps en guerre nationale. On pourrait presque soutenir la proposition contraire ! C’est seulement dans un deuxième temps, sous Henri V, après Azincourt (1415) et le traité de Troyes (1420) que le roi d’Angleterre peut réellement imaginer se substituer au roi de France. L’historiographie traditionnelle reflète une vision bien trop linéaire et finaliste de l’histoire.
Mais la période est aussi caractérisée par des guerres civiles ?
Oui, pendant la guerre de Cent Ans s’enchâssent effectivement des guerres civiles en France et en Angleterre. Celles-ci se jouent à plusieurs niveaux. Au début, le conflit est d’abord une affaire intérieure française : elle ne devient une guerre étrangère que parce que le duc de Guyenne est en même temps roi d’Angleterre. Puis très vite, les premières victoires anglaises fracturent la société politique française. La mise en place d’une fiscalité nouvelle mécontente les bourgeois des villes, et la période est marquée par une succession de soulèvements et d’insurrections urbaines, que le pouvoir royal aura le plus grand mal à réprimer. Une partie de la noblesse, en Gascogne mais aussi en Poitou ou en Normandie, se tourne du côté des Anglais. Surtout, une fraction notable d’entre elle va soutenir Charles de Navarre, un arrière-petit-fils de Louis X, qui aurait été roi si les femmes n’avaient pas été évincées de la succession au trône de France. Tout ceci débouche sur une première guerre civile, très dangereuse pour les Valois, qui connaîtra son apogée après la capture de Jean le Bon à Poitiers en 1356, lorsque Charles de Navarre s’allie au prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel. Ce dernier est finalement vaincu et assassiné en 1358, mais il faudra encore une vingtaine d’années pour que Charles V l’emporte sur Charles de Navarre.
Un demi-siècle plus tard, la folie de Charles VI provoque une lutte de presque trente ans entre deux branches cadettes de la maison de Valois : les Armagnacs (en fait les Orléans) et les Bourguignons. Pour la première fois, les deux camps ont des programmes politiques bien distincts qui touchent directement aux grandes questions que pose la guerre de Cent Ans, c’est-à-dire la triple querelle dynastique, territoriale et politique. La principale question posée par le conflit est celle de la nature de la monarchie française. Sera-t-elle absolue ? Ou, au contraire, se conformera-t-elle à l’idéal d’une monarchie mixte, avec un roi qui gouverne avec l’approbation de ses sujets et le concours des princes, des grands seigneurs et des gens de savoir ?
La principale question posée par le conflit est celle de la nature de la monarchie française. Sera-t-elle absolue ? Ou, au contraire, se conformera-t-elle à l’idéal d’une monarchie mixte, avec un roi qui gouverne avec l’approbation de ses sujets et le concours des princes, des grands seigneurs et des gens de savoir ?
Armagnacs et Bourguignons s’affrontent très violemment sur cette question. Bien évidemment, chaque camp défend les intérêts d’un prince — le duc d’Orléans pour les Armagnacs et le duc de Bourgogne pour les Bourguignons —, mais chacun porte aussi une vision de l’État royal radicalement différente. Le parti armagnac défend l’affirmation sans frein de l’autorité royale. En revanche, le parti bourguignon défend le « bon gouvernement », qui se définit par le respect des « franchises et libertés » des communautés et des ordres de la société, et par une fiscalité à la fois modérée, temporaire et consentie. Par la suite, ce programme a été caricaturé et présenté comme démagogique : les défenseurs de l’État absolutiste, suivis par les promoteurs du roman national (qu’ils soient de gauche ou de droite) jusqu’au xxe siècle ont prétendu que les partisans des Bourguignons étaient hostiles à l’impôt en tant que tel. En réalité, ils ne réclamaient pas autre chose que ce qui se pratiquait alors partout ailleurs en Europe. Leur mécontentement portait sur l’impôt arbitraire.
Cette deuxième guerre civile, qui a déchiré le royaume pendant trois décennies, témoigne paradoxalement de sa meilleure intégration politique. Les programmes des deux camps sont discutés à Paris comme à Toulouse, à la différence des troubles civils antérieurs, qui concernaient essentiellement la noblesse féodale.
Il y a une forme de convergence entre le programme bourguignon et l’idéologie de la monarchie anglaise telle qu’elle se construit — parfois dans la violence — à la même époque. Peut-on suggérer que leur alliance n’était pas seulement de circonstance ?
Oui, en effet. Quand Henri V conquiert la Normandie en 1417-1419, il ne cesse d’affirmer qu’il va y rétablir le bon gouvernement de saint Louis. Ce discours est opportuniste, bien sûr, puisqu’il permet de rallier les élites locales, mais il correspond aussi au discours politique des Lancastre en Angleterre, face aux autres branches de la dynastie Plantagenêt. Lorsqu’Henri IV fait déposer, puis assassiner, Richard II, il affirme qu’il gouvernera avec le Parlement. En France, Henri V rétablit progressivement le régime fiscal antérieur mais il recherche le consentement de ses sujets : en 1420, il réunit les États généraux pour ratifier le traité de Troyes et obtenir l’octroi des subsides nécessaires à la guerre. Cette idéologie du consentement n’est pas que pure hypocrisie : les ducs de Bourgogne la mettent du reste en application dans leurs fiefs héréditaires, en Bourgogne mais aussi et surtout dans leurs principautés septentrionales, en particulier en Flandre, Brabant, Hollande, etc.
Pour vous, l’art de la guerre à la fin du Moyen-Âge est directement inspiré de l’Antiquité et se traduit par la volonté d’éviter le choc frontal. Pourquoi cette culture de l’évitement ?
Le grand penseur militaire du Moyen Âge, mais aussi du début de l’époque moderne, est Végèce, un auteur romain chrétien du IVe siècle de notre ère. Celui-ci préconisait l’approche indirecte : éviter la bataille quand l’ennemi est plus nombreux ou en position favorable ; attaquer les arrières ; multiplier les embuscades ; couper les lignes d’approvisionnement. Bref, c’est le contraire de la thèse défendue par Victor Davis Hanson Le Modèle occidental de la guerre (2001), dans lequel il soutient que la culture occidentale de la guerre est fondée sur la recherche de l’affrontement décisif. Ses thèses sont audacieuses, séduisantes comme peuvent l’être les grandes modélisations historiques ; elles sont sans doute convaincantes pour la Grèce classique, dont il est un très éminent spécialiste, mais de là à les appliquer à Lépante et Midway…
Végèce est lu partout en Occident et ses leçons sont méditées par tous les chefs militaires. C’est aussi le cas en France, dont la suprématie militaire est pourtant fondée depuis deux siècles sur la charge de la cavalerie lourde, équipée de lances. Si la tactique des armées royales repose en effet sur le choc frontal, il en va tout autrement sur le plan stratégique. Philippe VI sait temporiser. En 1339-1340, lorsqu’Édouard III débarque en Flandre avec une armée importante, il choisit de refuser la bataille, et ses troupes, supposément indisciplinées, lui obéissent. Au bout de quelques mois, Édouard III est obligé de jeter l’éponge après avoir dilapidé toutes ses ressources financières, comme l’avait parfaitement anticipé Philippe VI – et cela avant même la grande défaite de Crécy, le premier désastre français de la guerre.
Crécy, Poitiers et Azincourt sont donc des exceptions. Comment expliquer que ce soient ces énormes défaites qui sont restées dans l’imaginaire français ?
Que ces énormes défaites soient restées dans l’imaginaire collectif est en grande partie dû à un chroniqueur, Jean Froissart, qui a composé de beaux morceaux de bravoure sur la première partie de la guerre de Cent Ans et notamment sur la bataille de Crécy. La perception qu’on a eue des premières grandes défaites françaises est donc largement tributaire de l’incroyable talent littéraire de Froissart mais aussi d’autres chroniqueurs. A contrario, nous ne disposons que de chroniques fort sèches et concises pour la deuxième partie du conflit. Par ailleurs, les batailles de Poitiers et d’Azincourt ont assez naturellement frappé l’opinion par l’ampleur de la défaite. Dans le premier cas, le roi est capturé ; dans le second, la noblesse française du Nord et de l’Ouest du pays a été décimée, et une part très considérable de la haute noblesse du parti armagnac se retrouve prisonnière en Angleterre pour plusieurs décennies. C’est ainsi que l’historiographie militaire de la guerre de Cent Ans paraît parfois se limiter à trois défaites françaises — alors même que la dernière partie du conflit est marquée par de grandes victoires.
Par ailleurs, les historiens modernes ont projeté sur ces batailles leurs propres préjugés ou les préoccupations de leur époque. Ainsi, les victoires anglaises sont souvent présentées comme celle des archers, d’origine roturière, sur la chevalerie française, issue de la noblesse. À l’époque, pourtant, les Anglais ne voient pas du tout les choses ainsi : ils mettent en avant les exploits de leur propre noblesse. Crécy est par exemple présentée comme la victoire d’un roi chevalier, Édouard III, sur un autre roi chevalier, Philippe VI. En Angleterre, le rôle souvent (mais pas toujours) décisif des archers sur le champ de bataille ne se traduit nullement par une remise en cause de la prééminence sociale et politique de la noblesse.
Par ailleurs, le déclin de la cavalerie est temporaire. Certes, au XIVe siècle, les hommes d’armes français abandonnent la charge à cheval et combattent à pied. Cependant, dès les années 1420-1430 se généralisent les armures de plates, qui offrent une meilleure protection contre les flèches anglaises, pour les hommes comme pour les chevaux. La seconde partie du règne de Charles VII est marquée par un véritable renouveau de la cavalerie lourde, qui va durer jusqu’aux années 1520-1530. Cela tient aussi à une réalité démographique spécifique à la France : sa noblesse est si nombreuse qu’elle peut constituer l’essentiel — voire la quasi-totalité, à l’époque de Du Guesclin — des combattants engagés dans le conflit. En Angleterre, où l’on ne compte pas plus de 3 000 ou 4 000 nobles, le roi est obligé d’ouvrir largement son armée aux roturiers.
Lorsque l’on considère les compagnies d’ordonnance qui sont instituées sous Charles VII, la proportion de roturiers, qui servent pour la plupart en tant qu’archers à cheval, ne va cesser de décliner jusqu’au milieu du XVIe siècle, au point que les places d’archers elles-mêmes seront réservées aux nobles. Ainsi, les grandes réformes militaires engagées par la France dans les années 1445-1450 tendent à préserver la culture et les pratiques guerrières, éminemment aristocratiques, héritées du Moyen-Âge central.
Comment se déroule une journée de bataille ?
Lorsque c’est possible, on se confesse et on communie ; chacun prie et se signe, puis l’affrontement s’engage. La phase initiale, qui détermine le sort de la journée, est généralement très intense et très brève : peut-être une heure de mêlée, parfois moins. Les heures qui suivent sont généralement caractérisées par la retraite des vaincus, la capture des de ceux qui sont en mesure de payer une rançon, et le massacre des blessés et des troupes à pied débandées.
Cette brièveté tient autant à la férocité de l’engagement qu’à la faiblesse des effectifs qui sont engagés : les batailles qui impliquent plus de 10 000 hommes d’un côté ou de l’autre sont très rares. À Azincourt, qui est la plus importante bataille de la deuxième partie de la guerre de Cent Ans, on estime que 9 000 Anglais ont affronté environ 15 000 Français.
Au cœur de la mêlée, comment se bat-on au Moyen-Âge ?
Les batailles médiévales sont beaucoup moins standardisées que celles de l’époque moderne. Chacune d’elle est unique en son genre. À Crécy (1346), les archers anglais retranchés sur une colline résistent victorieusement aux charges de la cavalerie française. À Poitiers, les Français combattent à pied et ce sont au contraire les Anglais qui parviennent à vaincre leurs ennemis par un mouvement tournant de leur cavalerie. À Azincourt, les Anglais prennent l’initiative d’engager le combat, déclenchant une réaction française et une charge à pied qui dégénère en gigantesque bousculade. La plus grande victoire associée à Jeanne d’Arc, Patay (1429), est une bataille de rencontre, où l’avant-garde française, forte de quelques centaines d’hommes d’armes à cheval, charge avec succès les archers anglais avant qu’ils n’aient eu le temps de se mettre en position. À Formigny, en 1450, les Français l’emportent grâce à leur sang-froid, à leur discipline et à l’arrivée opportune du connétable de Richemont sur le flanc gauche anglais, aussi décisive que l’intervention de Blücher à Waterloo. À Castillon enfin (1453), nous voyons les Anglais attaquer de manière pour le moins très inconsidérée des ennemis retranchés derrière fossés et palissade.
Les chroniqueurs parlent-ils de ces heures sanglantes qui suivent le choc initial ?
Ils en parlent fort peu. Leur rôle, tel qu’ils le conçoivent, est de conserver le souvenir des lâches et surtout des héros, qui doivent servir d’exemple aux générations suivantes.
Quelle est la place de Dieu dans ces batailles ?
Elle est fondamentale, il est en effet toujours bon de le rappeler ! La bataille est perçue comme un jugement de Dieu. Quand on perd, c’est à cause de ses péchés. Les vainqueurs sont présentés comme de bons chrétiens, récompensés pour leur piété, voire comme des pénitents. Ce jugement de Dieu est néanmoins toujours temporaire, car il peut sans cesse être remis en question. La défaite de Crécy n’a pas incité Philippe VI à demander la paix à Édouard III. Même la capture de Jean II n’a débouché que sur un traité de paix extrêmement temporaire. On peut toujours se repentir, s’amender, et retrouver ainsi le chemin de la victoire. Que constate-t-on du reste dans l’Ancien Testament, qui est le principal recueil d’exemples historiques au Moyen Âge ? Dieu passe autant de temps à punir cruellement les Hébreux, lorsqu’ils ignorent Ses commandements, qu’à leur donner la victoire quand ils s’y conforment.
Il a souvent été avancé que la guerre de Cent Ans avait été une étape importante dans la construction des identités française et anglaise. Qu’en est-il ?
À cette époque, l’identité anglaise est plus affirmée que l’identité française : c’est un territoire linguistiquement, administrativement et politiquement beaucoup plus homogène que la France. Mais le conflit, qui prend très vite un tour essentiellement défensif, a clairement favorisé l’émergence d’un sentiment d’appartenance qui se cristallise au XVe siècle. Il me paraît néanmoins préférable de parler de « sujets du roi de France » plutôt que de Français, même si ce terme commence alors à désigner l’ensemble des habitants du royaume. C’est important parce que la matrice du sentiment national en France est l’exaltation de la dynastie, alors qu’en Angleterre, le peuple l’emporte sur le roi. Cette situation évolue au XVIe siècle : les Guerres de religion se traduisent par un affaiblissement du prestige personnel des rois de France. Émerge alors un récit des origines qui valorise les Gaulois et surtout les Francs, et qui se diffuse bien au-delà des cercles érudits au sein desquels il était confiné auparavant.
Du Guesclin, érigé en héros de la construction nationale au XIXe siècle, a longtemps été un parent pauvre de l’histoire militaire. Pourquoi est-il si difficile de faire l’histoire de sa reconquête ?
Parce que l’histoire militaire a longtemps été l’apanage d’historiens qui s’intéressaient d’abord aux batailles et à la tactique, et qui ont donc fait la part belle aux grandes confrontations spectaculaires, permettant d’articuler un récit bien construit, comportant un début et une fin. La guerre telle que la mène du Guesclin repose sur l’approche indirecte, et la multiplication de sièges et de petites embuscades dans le but de reconquérir à moindre coût les territoires perdus : des centaines de petites actions, fastidieuses à recenser, insipides à raconter, et pourtant si efficaces ! Son armée, qui est la première armée permanente de l’histoire de France, compte à peine 3 000 ou 4 000 hommes, mais ils sont bien commandés, frappent du fort au faible, là où on ne les attend pas. On est très loin de l’imaginaire de la grande et glorieuse bataille. Saluons au passage la mémoire de l’historien militaire britannique B. Liddell-Hart, qui a été le premier à comprendre la stratégie du connétable breton et à lui avoir rendu hommage. Une quinzaine d’années plus tard, en 1945, l’historien français Édouard Perroy présentait encore Du Guesclin comme un vulgaire chef de bande « bouffi de son importance ».
Par ailleurs, l’action militaire de Du Guesclin est subordonnée et intégrée à l’action politique de Charles V. Il s’agit de de sidérer l’ennemi en remportant quelques succès locaux, ce qui met la population locale – essentiellement les nobles et les bourgeois des villes – en situation de négocier avec l’autorité royale. Un très bel exemple est la reconquête du Poitou de 1372. À cette époque, la noblesse y est assez nettement favorable aux Anglais. Les armées royales remportent quelques engagements mineurs contre des bandes anglaises un peu inférieures en nombre et très dispersées, ce qui pousse les nobles à entamer des pourparlers avec le frère du roi, le duc de Berry, tandis que les bourgeois des principales villes se voient confirmer leurs privilèges et ne tardent pas à ouvrir leurs portes aux Français. C’est ainsi que pour un coût minimum, la plus belle province de l’Aquitaine anglaise bascule du côté français.
Quelle place faut-il donner à Jeanne d’Arc dans la stratégie de Charles VII et de ses conseillers ? Est-elle un pur symbole ou a–t-elle un rôle véritablement stratégique ?
Dans l’esprit de Charles VII, sa contribution devait être essentiellement morale. Le roi s’est laissé convaincre qu’elle pouvait être inspirée par Dieu, d’une part parce que Jeanne en était intimement persuadée, c’est une évidence, et d’autre part qu’il l’avait soumise à une enquête serrée, conduite par des clercs qui se méfiaient des laïcs prétendant avoir eu des visions, surtout lorsqu’ils étaient peu instruits (Jeanne l’était plus qu’on ne l’a dit). À la surprise générale, Jeanne d’Arc s’est très vite révélée comme une stratège de génie, ayant parfaitement compris la dimension psychologique de la guerre. Son rôle a été absolument déterminant.
La stratégie de Jeanne d’Arc repose sur l’offensive à outrance, afin d’arracher l’initiative à l’ennemi et de retrouver l’ascendant moral. C’est à son instigation que la garnison d’Orléans, auparavant réduite à la passivité, décide d’attaquer les retranchements provisoires des Anglais autour de la ville. On commence par la bastille Saint-Loup : c’est un minuscule succès remporté sur une centaine d’hommes. Ensuite, les Anglais sont délogés des Tourelles, qui défendaient l’accès au pont sur la Loire, au sud du fleuve. Ils sont contraints de lever le siège, et de s’enfermer dans les autres places qu’ils tenaient le long de la Loire. Frappés de stupeur, ils réagissent à peine. Jargeau, Meung-sur-Loire et Beaugency tombent. Le 18 juin 1429, c’est la victoire de Patay, la plus grande victoire française depuis le début de la guerre franco-anglaise !
De même, la chevauchée du sacre est un acte de pure psychologie. L’armée royale est dépourvue de vivres et d’artillerie, et rassemble une dizaine de milliers d’hommes mal équipés. On arrive en Champagne, une province très favorable aux Anglo-Bourguignons. À Troyes, Jeanne d’Arc simule un assaut, qui n’avait aucune chance de réussir, mais qui pousse les habitants à écouter leur évêque, partisan discret de Charles VII. La soumission de Troyes est assortie de multiples conditions. Seul Charles VII est autorisé à entrer dans la ville, tandis que l’armée reste à l’extérieur. La ville est exemptée d’impôt et de garnison. L’exemple de Troyes incite pourtant les villes champenoises à se rendre, à des conditions toujours plus favorables pour le roi. Très vite, elles se résolvent à faire « obéissance plénière » à Charles VII, enfin sacré à Reims le 16 juillet 1429. La querelle successorale est tranchée en faveur des Valois. Reste à reconquérir le royaume. Jeanne d’Arc a parfaitement saisi qu’il ne fallait surtout pas laisser retomber l’élan imprimé par les victoires sur la Loire.
Le XVe siècle est caractérisé par la multiplication des bandes mercenaires qui, lorsqu’elles ne sont pas payées, vivent sur le pays. Par-delà les immenses destructions qu’elle causent — par exemple dans le Bassin parisien et en Champagne dans les années 1430 —, ces bandes jouent-elles un rôle politique ?
En réalité, les grandes compagnies des années 1360 ou les écorcheurs du XVe siècle ne sont pas exactement des mercenaires, si l’on entend par là des hommes combattant exclusivement pour leur profit et n’ayant aucun lien de fidélité ou d’allégeance avec leur employeur. Ceux que les Bourguignons appellent les « écorcheurs » ne combattent que pour le roi de France. Certes, ils ne se privent pas de piller et de rançonner les sujets du roi de France quand ils ne sont pas payés, mais ils ne passent pas d’un camp à l’autre. De même, au XIVe siècle, les capitaines des grandes compagnies sont le plus souvent des nobles, cadets ou bâtards issus de lignages reconnus, et à ce titre vassaux de l’un ou l’autre monarque en conflit, les plus nombreux étant les Gascons au service du roi d’Angleterre. Leurs douteux exploits ont lieu après la paix de Brétigny, en 1360, lorsqu’ils se mettent à leur propre compte et s’en vont ravager le Midi du royaume, la vallée du Rhône, l’Espagne, l’Italie et les marges de l’Empire, trouvant parfois à s’employer auprès des cités italiennes ou de souverains étrangers. À de rares exceptions près, les capitaines de compagnies franches évitent autant que possible d’aller directement à l’encontre des intérêts de leur souverain « naturel ». L’immense problème de l’époque est que ni le roi de France, ni le roi d’Angleterre n’ont les moyens de solder une armée permanente. L’armée de Charles V, dont les effectifs sont ridicules au regard de la taille du royaume, mais qui est la première à être continument en opération plus d’une dizaine d’années (1369-1380), absorbe à elle seule la moitié des recettes de la monarchie. On en revient à cette question centrale du coût de la guerre, devenu exorbitant par suite de la disparition du service féodal gratuit et de la Peste noire.
Pourquoi ces phénomènes de compagnies ont-ils autant marqué l’imaginaire ? Y a-t-il une mémoire longue des destructions qui l’ont causé ?
Oui, mais l’historiographie a sans doute trop insisté sur les grandes chevauchées anglaises, spectaculaires, frappant l’imagination, destinées à terroriser les populations, mais qui ne duraient que quelques semaines, quelques mois tout au plus. La relative légèreté des infrastructures médiévales les rendait assez faciles à reconstruire. Ce qui a causé infiniment plus de dégâts, c’est la prolifération de bandes minuscules de quelques dizaines ou centaines d’hommes, disséminées et enkystées un peu partout, et tout particulièrement dans le nord du royaume entre les années 1410 et 1445. Pendant trente ans, les populations ont dû vivre dans une insécurité totale. Le Bassin parisien, la Picardie et la Champagne ont été en grande partie désertées par leurs habitants. Dans certaines zones, on peut estimer que la population a été divisée par quatre ou cinq, l’immense majorité des habitants fuyant ces territoires pour s’installer dans des régions plus sûres.
Vous cherchez à démontrer que nous sommes beaucoup plus proches des hommes du Moyen-Âge que nous ne voulons bien l’admettre. Pourquoi ? Et comment expliquez-vous notre réticence à admettre cette familiarité ?
J’aurais du mal à l’expliquer, à vrai dire. Sans doute est-ce la complexité de la période, la persistance d’une vision très gothique de la période médiévale, surtout de ses deux derniers siècles. C’est regrettable. Je suis frappé par la vitalité et la richesse de la réflexion politique au XIVe siècle, tellement supérieure à celle des siècles suivants, pendant lesquels s’élabore l’absolutisme royal. Je lisais récemment La Politique tirée des propres paroles de l’Écriture Sainte, de Bossuet, qui est considéré comme un monument de la pensée absolutiste française. Le style est limpide, les formules sont magnifiques, mais que le fond est pauvre ! Il ne propose rien de plus que les Miroirs de prince du Moyen Âge. Deux à trois siècles plus tôt, on trouve des réflexions très audacieuses sur le régime politique idéal, sur le bien commun, la chose publique et la finalité de la monarchie. Au risque de céder à la manie qu’ont les médiévistes de revaloriser leur sujet d’élection, il faut rappeler à quel point le Moyen Âge est le temps des libertés. Tout converge en ce sens : le christianisme, qui considère que l’homme est libéré du péché originel par le baptême ; le système féodal, fondé sur la réciprocité des devoirs, et où le vassal se met librement au service de son seigneur ; enfin bien sûr l’héritage gréco-romain, qui fait de l’homme le membre d’une communauté politique à laquelle il apporte son concours. La fin du Moyen Âge est un moment décisif pour la formation des identités nationales et régionales européennes. Dans les années 1460, nous voyons déjà les Catalans prononcer la déchéance de leur prince. En 1477, après la mort de son père Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne est obligée de concéder à ses sujets flamands un Grand Privilège, qui leur accorde entre autres choses le droit d’être administrés et jugés dans leur propre langue.
En ce qui concerne la France, la guerre de Cent Ans est interprétée comme l’acte de naissance de son identité nationale. C’est une lecture tout à fait recevable, mais un peu réductrice, dans la mesure où il existe une France et un sentiment d’appartenance avant qu’elle n’éclate, et la fierté d’être français en 1450, bien réelle, est tout de même fort différente du patriotisme contemporain. Bref, il ne s’agit que de l’accélération d’un processus déjà engagé. Il me semble que son legs le plus durable est politique : c’est à ce moment-là qu’émerge une tradition politique qui lui est propre, fondée sur une mystique de l’État qui laisse bien peu de place aux gouvernés. L’image du roi comme père de ses sujets, ces éternels mineurs, s’impose au tournant du XVe et du XVIe siècle. On peut en l’espèce bien parler de tournant, et d’une rupture par rapport à la monarchie féodale antérieure et aux autres États dynastiques européens, disposant d’assemblées représentatives (Parlement, Cortès, diètes, Landtage, etc.). L’autoritarisme de la monarchie française et l’absence de dialogue institutionnel avec ses sujets finissent par se retourner contre elle. La fiction représentative – car seules les élites ont voix au chapitre – est une fiction agissante et légitimante très efficace. Elle explique du reste qu’à la veille de la Révolution française, la pression fiscale ait pu être trois fois plus forte en Angleterre qu’en France, et la dette publique anglaise quatre fois plus lourde. Et pourtant, après l’échec de l’assemblée des notables de 1787-1788 et la constitution des États-Généraux en Assemblée nationale, c’est bien la monarchie française qui s’est effondrée.