Après l’Acropole d’Andrea Marcolongo, la Los Angeles d’Alain Mabanckou, la Provence de Carlo Rovelli, les rives de Beyrouth dans l’œil des artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, les marches de la Villa Malaparte par Pierre de Gasquet, la Sicile de l’enfance de Jean-Paul Manganaro, les Pouilles littéraires de Nicola Lagioia et le Royaume-Uni politique de Lea Ypi, ce nouvel épisode de « Grand Tour » voit grand : avec l’académicien Antoine Compagnon, nous embarquons de l’autre côté de l’Atlantique pour une virée dans les rues de Manhattan.
Autant que vous vous en souvenez, aviez-vous une idée de New York avant de vous y rendre pour la première fois ?
J’ai découvert New York pour la première fois à l’âge de 12 ans. Autant dire que ma connaissance des États-Unis se limitait alors à Tintin en Amérique. Je n’avais pas vu de films sur New York, car un enfant allait peu au cinéma en ce temps-là. J’avais dû regarder la télévision une fois ou deux chez un camarade de classe.
Nous avons embarqué pour New York à l’été 1962 sur le paquebot France, car mon père allait travailler à l’ambassade de France à Washington D.C. Le premier contact avec la ville a été souvent raconté par la littérature. Il est mémorable et il l’était encore plus quand on arrivait à New York par la mer. Le navire longeait l’estuaire, remontait la Hudson River avant de rejoindre le quai de la French Line, le Pier 88, au niveau de la 50e rue. On débarquait dans Midtown, en plein centre de la ville. Vus du pont du bateau, les gratte-ciels avaient de l’allure à l’approche de Manhattan, même s’ils n’étaient pas aussi hauts qu’aujourd’hui sur la 57e rue.
Nous ne sommes restés qu’une nuit à New York, prenant le train dès le lendemain pour Washington. Nous avons logé dans un hôtel qui n’existe plus, le Croydon, sur la 86e rue. Je me souviens d’avoir passé la nuit sans réussir à dormir, fasciné par l’agitation et le bruit de la ville.
Pendant nos trois ans de séjour à Washington, je suis revenu à New York plusieurs fois, avec ma sœur aînée, pour visiter les musées. Juste avant notre retour en France, en août 1965, j’ai fait un séjour seul dans la ville. Je revenais de San Francisco où j’étais avec des amis, et je me suis retrouvé seul pendant trois ou quatre jours à New York, alors que je n’avais pas quinze ans. Cela a été une expérience inoubliable. Je me suis promené partout où je pouvais. Je me rappelle avoir eu très peur en bas de la ville, en m’aventurant du côté d’Alphabet City, quartier alors très différent d’aujourd’hui. J’ai été happé par la ville, à tel point que j’ai failli manquer le départ du bateau.
Quand y êtes-vous retourné par la suite ?
En 1972, l’été du Watergate, alors que j’étais élève à Polytechnique, j’ai passé un trimestre d’été à Columbia, où j’ai suivi des cours de logique et de philosophie du langage, au département de philosophie. C’est amusant, car c’est dans ce bâtiment, qui abrite aussi le département de français, que je suis revenu des années plus tard en tant qu’enseignant.
J’ai commencé à enseigner à Columbia en 1985. Pendant dix ans à plein temps, avant d’être élu professeur à la Sorbonne. Par la suite, j’ai continué de retourner chaque automne à Columbia. Ma vie universitaire aux États-Unis, ma vie américaine tout court, est new-yorkaise : je ne suis pas sûr que j’aurais pu enseigner et vivre ailleurs aux États-Unis durant autant d’années.
Ces premières années à New York remontent à près de quarante ans. Rien n’était pareil. Partir pour les États-Unis, à l’époque, c’était rompre quasi totalement avec le monde parisien. Par exemple, le premier kiosque où le journal Le Monde était disponible avec deux ou trois jours de retard et où je l’achetais de temps en temps se trouvait à la 79e rue, à une demi-heure de Columbia, qui est au niveau de la 116e rue. Quand j’étais enfant, nous ne sommes pas revenus en Europe durant trois ans. Maintenant, dès que je me réveille, les affaires parisiennes encombrent mon téléphone. Prendre l’avion pour Paris, sauf lors de quelques moments critiques, après le 11 septembre, l’éruption d’un volcan islandais, ou durant la pandémie, c’est comme prendre le métro pour le quartier latin. On ne vit plus vraiment nulle part aujourd’hui, on est partout à la fois. À l’époque, l’hiatus entre l’université française et l’université américaine était lui aussi considérable. À présent, les étudiants se ressemblent beaucoup plus. Tout s’est globalisé, ou uniformisé.
Quelle place tient l’université Columbia dans New York ?
Columbia est un acteur important dans la cité. Après la municipalité, c’est l’un des premiers employeurs. Quand on franchit l’immigration à Kennedy et que l’on se présente comme professeur à Columbia, les fonctionnaires savent de quoi il s’agit — tandis qu’à Paris, pas grand monde n’a la moindre idée de ce qu’est le Collège de France. Columbia compte dans la vie culturelle et économique de la ville. Le campus actuel a été inauguré à la fin du XIXe siècle, en 1897, après avoir monté en deux étapes depuis le bas de la ville, en passant par Midtown. L’université s’est alors installée dans le quartier de Morningside Heights dans lequel elle n’a cessé de s’étendre. La proximité avec des quartiers populaires, Harlem à l’est et Manhattanville au nord, est parfois un facteur de tensions.
1968 a commencé par des manifestations contre la construction d’un complexe sportif à l’est de l’université, dans Morningside Park. C’est de là qu’est partie l’occupation de l’université, suivie de l’intervention de la police sur le campus à l’appel de l’administration. L’université a mis près de vingt ans à se relever de ces événements et de leurs répercussions financières. Columbia est aussi un propriétaire foncier important, ce qui lui permet de loger beaucoup de ses professeurs et de ses étudiants. Mais c’est une université nationale, et même internationale : ses étudiants ne sont pas new-yorkais pour la plupart, et de moins en moins, à la différence de ceux de New York University, au sud de Manhattan, dont le recrutement est plus local.
Voyez-vous des différences dans votre manière d’enseigner, en France et aux États-Unis ?
Je n’exerce pas mon métier de la même façon aux États-Unis. Au Collège de France comme auparavant à la Sorbonne, j’ai donné surtout des cours magistraux. À Columbia, j’anime traditionnellement deux séminaires, où les étudiants sont beaucoup moins nombreux et plus impliqués dans la discussion. Ce n’est donc pas tout à fait le même métier. Mais les échanges sont de plus en plus nombreux entre universités françaises et américaines. Comme je le disais, les étudiants se ressemblent à présent des deux côtés de l’Atlantique.
Passons maintenant à la relation — réelle ou fictive — des auteurs sur lesquels vous avez écrit avec New York. La flânerie baudelairienne est-elle possible à New York ?
New York, un peu comme Venise, est une ville — une île — où l’on marche beaucoup. C’est historiquement une ville de la flânerie, où les musées, les grands magasins, les lieux les plus emblématiques sont sans cesse parcourus, revisités, redécouverts. C’est aussi une ville où a longtemps vécu Edgar Allan Poe, que Baudelaire a traduit. Mais Baudelaire déclare qu’il se méfie de l’« américanisation », qu’il l’associe au matérialisme, à la perte de l’idéal, et qu’il lit à travers Poe, mais sans qu’on puisse savoir ce qu’il entend exactement par là.
Les pages de Céline dans Voyage au bout de la nuit sur la « ville debout » sont mémorables. Elles ont fixé le mythe de l’arrivée à New York, celle des immigrants et celle des touristes. Il décrit les banques comme des cathédrales, impression que l’on retrouve encore dans certaines des anciennes banques, qui ont parfois changé d’emploi mais qui ressemblent toujours à de vraies basiliques. Céline transcrit également très bien le sentiment d’anonymat et en même temps d’intimité, ou plutôt de promiscuité et de solitude, que donnent les lumières et les silhouettes aux fenêtres, les fenêtres sur cour, comme dans les tableaux de Hopper et le film de Hitchcock.
Marcel Proust aurait-il été malheureux à New York ?
Proust a peu voyagé. Il a pris une fois le bateau pour l’Angleterre, mais on pense qu’il n’est même pas descendu sur le quai. Les villes étrangères qu’il a visitées sont Amsterdam, Bruges, surtout Venise, et c’est tout, à une époque où les gens aisés voyageaient déjà beaucoup. On imagine Proust déboussolé à New York. Mais un exil américain n’est pas une hypothèse absurde. Proust est mort très jeune, à 50 ans à peine, en 1922. Il n’avait que deux grands-parents juifs, ce qui lui aurait permis, s’il avait vécu, d’être épargné par les lois antisémites de Vichy, mais il aurait peut-être été plus prudent de partir pour New York. Beaucoup parmi les hommes et les femmes de sa génération, dont certains de ses amis et de ses camarades comme le banquier Horace Finaly, l’ont fait. New York aurait été pour lui l’endroit le plus naturel où s’expatrier, peut-être même où finir sa vie.
Vous êtes l’auteur d’un célèbre ouvrage intitulé Les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes (Gallimard, 2005). New York, ville moderne par excellence, laisse-t-elle une place à l’antimodernité ?
New York a énormément changé depuis que je la connais. Il y a un demi-siècle, c’était encore l’extrême Europe, une ville européenne en profondeur coïncidant avec une métropole cosmopolite tentaculaire. Depuis, le quartier allemand de l’Upper East Side a disparu, tout comme Little Italy, dévorée par Chinatown. Cet esprit d’extrême Europe qui rendait New York très attirante, mais porteuse d’une certaine antimodernité, a quasi entièrement disparu. New York est aujourd’hui beaucoup moins européenne que mondiale, asiatique, hispanique, africaine. C’est très sensible à l’université, aussi bien à NYU qu’à Columbia où, il y a quarante ans, les immigrés allemands faisaient encore autorité dans la plupart des disciplines. Chassés sous le nazisme, ils avaient refondé l’université américaine à partir de 1933 : des hommes comme Oskar Kristeller, passé par l’Italie jusqu’en 1938, pour la Renaissance et l’Humanisme, ou Salo Baron, originaire de Galicie, pour les études juives. Toute une culture juive allemande, habsbourgeoise, d’Europe centrale, très présente dans la ville, s’est estompée au profit d’une culture plus globale. L’antimodernité new-yorkaise a aussi trouvé à s’exprimer au travers de tous les radicaux, notamment trotskistes, convertis en néo-conservateurs, les « neocons », autour de la revue Commentary par exemple.
New York est aussi une ville postmoderne : comment avez-vous vu s’y installer, puis évoluer, ce qu’il est convenu d’appeler la French Theory ?
Dans les années 1980, quand Jacques Derrida nous rendait visite, c’était l’émeute. Il fallait convoquer des renforts de gardiens, car l’auditorium était pris d’assaut. Je n’ai pas vu ce phénomène se produire avec d’autres que lui. L’influence de Derrida est peu à peu passée. Aujourd’hui, c’est plutôt la pensée de Michel Foucault qui demeure forte aux États-Unis.
L’héritage de la théorie structurale française a aussi été déplacé vers des objets nouveaux, notamment sur le terrain des Cultural Studies. Avez-vous entretenu un dialogue avec des enseignants de Columbia qui ont compté dans ce renouvellement, tels qu’Edward Said ou Gayatri Spivak ?
Said a été longtemps mon voisin de bureau, nous nous voyions donc à peu près tous les jours. Nous avions beaucoup d’échanges, car il était très attaché à la culture française, mais il était assez amer, car il estimait qu’il n’était pas assez traduit et compris en France. Il ne cessait de me demander pourquoi les intellectuels français lui résistaient. Jusqu’à sa mort, il a joué un rôle très important, mais aussi ambigu, dans l’université. Il en était pour ainsi dire la « caution » par rapport au mondialisme. Les choses ont changé à la génération suivante. Said appartenait encore au old boy system. Toujours tiré à quatre épingles, pur produit de la culture européenne, il avait fait ses études dans les meilleures écoles anglaises de Jérusalem et du Caire, puis à Princeton, et il était le partenaire de squash, sport distingué, du provost de l’université. Said était au fond un bon exemple du dead white male en voie d’extinction, et en même temps un proche d’Arafat. Il était utile pour une université encore très ou trop européenne de disposer d’un militant palestinien élégant qui remplissait le rôle de gage tiers-mondiste. Cela lui permit longtemps de freiner des revendications plus exigeantes en faveur de la présence de minorités subalternes sur le campus. Les équilibres ont commencé à changer après la mort de Said, notamment avec l’arrivée de Gayatri Spivak, que vous citiez.
Comment avez-vous vu la ville évoluer au fil des quatre décennies où vous l’avez fréquentée ?
Sur le campus même de Columbia, quand j’y ai séjourné pour la première fois en 1972, on se faisait attaquer. On ne pouvait pas s’y aventurer la nuit. Quand j’y suis retourné en 1985, le quartier était encore dangereux. Le premier dimanche, j’ai traversé Morningside Park, qui descend vers Harlem. Lorsque je l’ai raconté le lendemain à mes collègues, ils se sont étonnés que j’en sois revenu. Les rues voisines de Columbia étaient alors infréquentables à cause de l’épidémie de crack. Dans le métro, il fallait faire preuve de prudence, si tant est qu’on osait le prendre le soir. L’état de la ville a beaucoup changé dans les années 1990 et 2000, pour beaucoup de raisons, économiques, démographiques, politiques… On a commencé à pouvoir aller à peu près partout et à monter dans le métro sans surveiller ses voisins.
À la différence de Paris, les cycles économiques ont des répercussions immédiates sur l’activité de la ville. Rien ne les amortit comme en France. Le budget des universités est tout de suite affecté. Le premier choc que j’ai connu a été le krach boursier d’octobre 1987 : dès le lendemain, à l’université, tout le monde se demandait comment on allait survivre. Pour moi, venant d’une université française, la réaction paraissait pour le moins surprenante. De même, quand je suis retourné à New York après le Covid, le nombre des restaurants et boutiques ayant mis la clé sous la porte rappelait qu’ils n’avaient pas bénéficié du « quoi qu’il en coûte » français.
Avez-vous constaté un déclin de l’intérêt américain pour la langue et la culture françaises ?
L’intérêt pour la langue et la culture françaises est en perte de vitesse, comme pour les autres langues européennes. C’est pire pour l’allemand, par exemple. À Columbia, nous donnons encore des cours en français dans le département de français, mais il n’y a quasi plus de cours en allemand dans le département d’allemand. Beaucoup d’universités ont fusionné les langues romanes, voire toutes les langues européennes, dans un seul département.
L’apprentissage du français se réduisant dans les écoles secondaires, il est difficile de le défendre dans l’enseignement supérieur. Les études françaises aux États-Unis se maintiennent malgré tout parce que les grandes universités imposent un cours de langue étrangère. Le paysage américain des études françaises est aujourd’hui très disparate : entre la côte Est et la côte Ouest, à de rares exceptions près, c’est un grand désert. Claude Pichois avait créé un centre d’études baudelairiennes à Nashville (Tennessee), il y avait un grand centre de manuscrits français à Austin (Texas) — où ils avaient même envisagé d’acheter le fonds Proust, heureusement acquis par la BNF en 1962 —, et Chicago reste dynamique. Mais la survie des études francophones est majoritairement cantonnée aux grands centres universitaires des deux côtes.
Où étiez-vous le 11 septembre 2001 ?
J’étais revenu à New York depuis une dizaine de jours. Ma compagne m’avait rejoint la veille au soir avec ses deux nièces. Décalage horaire oblige, elles s’étaient levées tôt et étaient parties se promener vers le sud de Manhattan. À 9 h, quand un ami m’a téléphoné pour me raconter qu’il avait vu depuis NYU le premier avion percuter le World Trade Center, je me suis inquiété pour elles : par une journée splendide comme celle-là, n’étaient-elles allées contempler New York depuis le sommet des tours jumelles ? Et impossible de communiquer. Elles sont remontées à pied en fin de matinée. Le cours que je devais donner l’après-midi a été annulé, mais nous avons recommencé dès le lundi suivant. Une étudiante de mon séminaire avait perdu son frère dans l’une des tours. Le soir du 11 septembre, nous avons rendu visite à des amis pour ne pas être seuls et nous avons traversé une ville déserte, comme après une attaque nucléaire. Les parcs et les avenues étaient vides. Je suis descendu sur les lieux dès le dimanche, jusqu’à Canal Street : la poussière, omniprésente, est restée très longtemps.
Quels livres recommanderiez-vous de lire pour s’imprégner de New-York ?
Quand je suis arrivé à New York dans les années 1980, on lisait Paul Auster, ancien étudiant du département de français de Columbia. New York est au centre de ses romans, par exemple Moon Palace, du nom d’un restaurant bon marché de Broadway que nous fréquentions. Le livre de Jay McInerney, Bright Lights, Big City, a décrit le New York de la finance et de la cocaïne. Avant cette époque, il y a bien sûr The Great Gatsby de Fitzgerald ou Manhattan Transfer de Dos Passos, sans oublier The Bonfire of the Vanities de Tom Wolfe, immense épopée de New York. Mais je garde un faible pour The Catcher in the Rye de Salinger, qui a marqué mon adolescence.
Où vous procurez-vous des livres à New York ?
Les librairies sont rares à New York aujourd’hui. L’une des dernières, Book Culture, est proche de Columbia : c’est là que j’achète mes livres. Il en reste quelques autres au sud, du côté de NYU, mais plus guère entre les deux, à l’exception de quelques succursales de la chaîne Barnes and Nobles. Les bibliothèques sont nombreuses en revanche, à commencer par la New York Public Library, que j’ai beaucoup fréquentée dans le passé. Aujourd’hui, je dépends pour l’essentiel des riches bibliothèques de Columbia. Pour les livres en français, il m’arrive de me rendre à la librairie Albertine, ouverte par Antonin Baudry, l’un de mes anciens étudiants, quand il était conseiller culturel. C’est une belle réalisation, car il n’y avait plus de librairie française à New York depuis que celle du Rockefeller Center, bien placée dans l’allée centrale, avait succombé à la hausse du prix du mètre carré. Enfant, quand mon père se rendait à New York, nous lui donnions une liste de livres de poche à se procurer dans cette librairie.
À quelle saison préférez-vous New York ?
L’automne, parce que ce n’est ni l’été, assez insupportable à New York, ni l’hiver, qui y est très long. À New York, il n’y a pour ainsi dire pas de printemps : on bascule instantanément de l’hiver à l’été. À l’automne, entre Labor Day au début de septembre et Thanksgiving à la fin de novembre, la période est magnifique. J’ai la chance que ce soit celle où a lieu mon temps d’enseignement chaque année.
Pouvez-vous nous évoquer un lieu new-yorkais qui vous est cher ?
Quand j’arrive à New York, l’une de mes premières promenades me conduit généralement au Metropolitan Museum en passant par Central Park. Je vais voir le toit du musée, qui accueille chaque été une exposition de sculptures.
Vous occupez des positions prestigieuses en France, au Collège de France, à l’Académie française désormais : gardez-vous quelque chose de New York au sein de ces institutions ? En quoi seriez-vous différent sans cette expérience transatlantique au long cours ?
New York m’a certainement marqué. Lorsque j’ai publié Les Cinq Paradoxes de la modernité (Seuil, 1990), j’ai reçu une lettre très désagréable d’une grande intellectuelle parisienne qui me reprochait de m’être « américanisé », dans mes références, dans ma perception de la culture. L’anti-américanisme français reste vif. Le Démon de la théorie (Seuil, 1998) contient lui aussi une part de mon expérience new-yorkaise, bien qu’il porte largement sur la théorie littéraire française. J’ai mûri ce projet pendant plusieurs années à New York avant de revenir enseigner à la Sorbonne. Ce qui a fait le succès du livre, qu’on lit toujours dans les classes préparatoires, c’est justement de ne pas être enfermé dans une perspective franco-française. À l’Académie française, nous verrons si je suis plus tolérant pour les anglicismes que mes confrères et sœurs ! Mais ce n’est pas sur la base de ce critère que l’on peut le mieux mesurer ce que l’on porte en soi d’une autre culture.