15 août 2021. Il y a deux ans, le monde basculait. Depuis, de nouveaux bouleversements ont fait passer au second plan les conséquences du retrait américain d’Afghanistan et de la prise de Kaboul par les Talibans. Dans notre nouvelle série d’été, nous avons décidé de donner à la parole à des voix afghanes pour nous aider à prendre la mesure de ce qui est en train de se jouer là-bas, en particulier pour les femmes, oppressées par le régime. Pour reprendre les mots de Rada Akbar, photographe et artiste conceptuelle que nous interrogeons dans ce premier épisode : « On ne peut pas penser que les Talibans sont sur une autre planète, ou oublier qu’ils vivent à la même époque que nous. »

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Vous avez grandi à Kaboul mais vous êtes originaire du nord de l’Afghanistan. Comment définiriez-vous votre famille, votre identité à l’intérieur de l’Afghanistan et vous-même, parmi les multiples couches d’identité qui peuvent coexister en Afghanistan ?

Je suis née à Jawzjan et j’ai grandi à Mazar-é-Sharif jusqu’à l’âge de deux ans, puis à Kaboul. Mon père, militant politique et journaliste, travaillait principalement à Kaboul, où nous avions donc un appartement.

À l’époque, la division entre les groupes ethniques n’était pas aussi marquée qu’aujourd’hui. Dans ma ville natale, la majorité de nos voisins étaient des Ouzbeks et des Turkmènes, et nous avions également des amis arabes. Ma mère est ouzbèke, tandis que mon père appartient au groupe ethnique arabe. Tous deux travaillent dans la même région depuis des décennies, aux côtés de Pachtounes, de Tadjiks et d’autres. Même dans le Helmand 1, des Hazaras ont vécu pendant des siècles, coexistant pacifiquement avec d’autres. Nous n’étions pas habitués à nous haïr. Toutefois, au cours des dernières décennies, les seigneurs de guerre ont encouragé la haine à l’encontre des autres groupes ethniques. La situation est différente pour les Hazaras, qui ont été victimes d’un génocide perpétré par le roi Abdur Rahman Khan 2. Ils ont été également l’une des principales cibles des Talibans au cours des 20 dernières années. Dans leur quartier à Kaboul, les Hazaras subissent très régulièrement des attaques terroristes dans les écoles, les hôpitaux, les centres éducatifs et les mosquées.

J’étais fermement convaincue que la lutte contre le patriarcat en Afghanistan s’inscrivait dans un cadre mondial.

Rada Akbar
Photo de la série “Invisible Captivity” de Rada Akbar, 2013

Parlons de votre vie artistique en Afghanistan et des grandes étapes de votre carrière. Pourriez-vous nous donner quelques détails sur les principaux projets sur lesquels vous avez travaillé en Afghanistan ?

Dès le départ, j’ai souhaité utiliser l’art comme un outil d’activisme pour lutter pour les droits des femmes. J’ai remarqué que les femmes qui avaient apporté une contribution significative à notre culture, notre politique et notre société n’étaient pas bien connues de la population. C’est pourquoi, en 2018, j’ai lancé un projet consistant à faire une sélection de figures féminines d’Afghanistan, et utiliser leur vie comme point de départ d’expositions artistiques.

Au fil du temps, j’ai élargi le projet pour y inclure des femmes de la région et du monde entier. J’étais fermement convaincue que la lutte contre le patriarcat en Afghanistan s’inscrivait dans un cadre mondial. Les femmes ont été effacées des livres d’histoire dans le monde entier, et pas seulement en Afghanistan.

Chaque année, le 8 mars, Journée internationale de la femme, nous organisions l’exposition. En voyant l’impact et l’intérêt que la première a suscités, j’ai pensé à créer un musée de l’Histoire des femmes, pour en faire un projet plus durable et accessible aux gens de tout le pays.

En 2020, j’ai finalement présenté le concept au bureau du président Ashraf Ghani que j’ai rencontré au début de l’année 2020, vers janvier ou février, qui a donné l’autorisation pour construire un musée,à l’étage d’un palais historique récemment reconstruit.

Un des grands soutiens du musée était le professeur Michael Barry, membre du Conseil d’administration. Je l’ai connu grâce à son exposition de peintures miniatures afghanes datant des XVe et XVIe siècles. Le livre contenant ces peintures avait été désassemblé au XVIIIe siècle, et les pages individuelles avaient été données à différentes personnes, disséminées dans le monde entier. Il a toutefois réussi à rassembler la plupart de ces pages et à organiser une exposition autour du livre. 

La reine Goharshad était un personnage central de la dynastie des Timourides au XVe siècle. Elle a joué un rôle essentiel dans le déplacement de la capitale de la dynastie de Samarkand à Herat et a soutenu activement les artistes, les philosophes et les scientifiques de son époque.

Rada akbar

Mon objectif était de lancer officiellement le musée en 2024-2025, car je pensais que nous aurions accumulé suffisamment de matériel et de ressources pour l’ouvrir au public.

Pouvez-vous me donner des exemples de femmes que vous avez choisies pour ces expositions que vous organisez chaque 8 mars ?

Une figure historique que j’admire beaucoup et que je considère comme mon modèle est la reine Goharshad (1378-1457), qui a été l’objet de ma toute première exposition. Bien que son nom soit connu en Afghanistan en raison des lieux et des institutions qui le portent, peu d’Afghans connaissent vraiment l’ampleur de ses contributions à l’histoire du pays.

La reine Goharshad était un personnage central de la dynastie des Timourides au XVe siècle. Elle a joué un rôle essentiel dans le déplacement de la capitale de la dynastie de Samarkand à Herat et a soutenu activement les artistes, les philosophes et les scientifiques de son époque. Son règne a marqué une période de renaissance dans la région, notamment dans l’architecture et la calligraphie. Certains des sites demeurent de cette époque comme le mausolée de Goharshad et la mosquée d’Herat.

Photographie de l’exposition autour de la reine Goharshad, 2019, Kaboul

En outre, elle a contribué à l’essor de la peinture miniature. C’est pourquoi je m’inspire des miniatures d’Hérat pour mes derniers travaux, qui lui rendent un hommage indirect. Enfin, elle a créé des bourses pour l’éducation de femmes. Après avoir régné de facto pendant dix ans après la mort de son mari, elle a été exécutée par Abu Saïd Mirza qui régna par la suite sur l’empire timouride, jusqu’en 1469. 

Shabana Basij-Rasikh est l’une des femmes contemporaines auxquelles j’ai consacré une pièce dans ma deuxième exposition. Cette militante a créé le premier internat pour filles en Afghanistan, en provenance de toutes les régions du pays. Lorsque j’ai visité l’école et interagi avec les filles, j’ai été étonnée par leur intelligence et leur détermination. Bien qu’elles viennent de régions rurales et éloignées, l’école leur a apporté plus qu’une simple éducation ; elle leur a donné les moyens de s’émanciper et de sortir de leur condition. Lors de l’effondrement de l’Afghanistan, Shabana Basij-Rasikh a réussi à évacuer l’ensemble de l’internet vers le Rwanda. Elle continue ainsi d’assurer l’éducation de filles afghanes et de leurs familles, dans un nouveau pays, sur un autre continent.

Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à venir en France en exil ? Vos collègues artistes ont-ils pu également fuir le pays et dans quels pays sont-ils allés ?

Je suis venue ici parce que j’étais sur la liste des personnes que la France souhaitait évacuer. Peu avant la chute de Kaboul, j’ai été appelé par l’ambassade de France pour rencontrer l’ambassadeur David Martinon, deux semaines avant la chute de Kaboul. Il m’a proposé un visa Schengen de longue durée et m’a assuré qu’il ferait de son mieux pour obtenir un visa à entrées multiples. C’est au cours de cette discussion que j’ai compris la gravité de la situation, alors que je vivais probablement jusque-là dans le déni de l’imminence de la chute.

Que savent-ils de l’histoire et de la culture de mon pays, s’ils considèrent que les Talibans les représentent ?

rada akbar

Le jour de l’effondrement, un dimanche matin, mon frère m’a appelé pour m’informer que des rapports non vérifiés faisaient état de nouvelles inquiétantes. Je suis allée à mon appartement après avoir reçu la nouvelle et, à ce moment-là, une amie journaliste qui travaillait pour le New York Times m’a appelée du centre de Kaboul. Elle était en larmes et m’a dit que c’était fini. Elle n’était pas sûre de sa situation ni de celle de ses collègues. La plupart des journalistes internationaux avaient déjà quitté le pays, laissant leurs collègues afghans dans l’incertitude.

Après avoir reçu cet appel, je me suis rendu à l’ambassade de France, où nous sommes restés pendant trois jours et trois nuits. Le troisième jour, nous avons été conduits à l’aéroport où nous avons passé une nuit. Finalement, nous avons été transportés par avion à Abu Dhabi et avons passé une nuit sur la base militaire française. Le 19 août, nous sommes finalement arrivés à Paris. Mes autres amis proches ont également réussi à quitter le pays, car la plupart d’entre eux figuraient sur la liste d’évacuation pour les États-Unis.

Quant à ma famille, ma sœur, qui était présidente de la Commission des droits de l’homme, et son mari, un citoyen britannique d’origine afghane, ont déménagé à Istanbul avec leur jeune fils. Elle a conservé son poste jusqu’en février de l’année dernière (2022) parce qu’elle voulait assurer l’évacuation en toute sécurité de ses collègues afghans qui se trouvaient encore en Afghanistan. Puis ils ont déménagé au Royaume-Uni. Ma famille, y compris ma mère, mes deux frères et une autre sœur, est partie en Allemagne une semaine après mon arrivée ici.

Quel regard portez-vous sur le processus de paix qui a conduit au retrait des troupes occidentales d’Afghanistan ?

Je dois dire que pendant le processus de paix, la France était le seul pays de notre côté, essayant de remettre en cause certains aspects du processus de paix, que nous avons perçu comme une trahison.

Les femmes afghanes sont capables de faire bien plus que de la couture et de la broderie. Elles ont le même potentiel que les femmes du monde entier, mais elles ont besoin de meilleures ressources et de meilleures opportunités. 

rada akbar

Moi-même, ma sœur et mes amis, nous essayions de participer à toutes ces réunions, conférences et événements autour du processus. Nous avons eu de nombreux contacts avec des diplomates, des ambassadeurs et des journalistes. Mais très vite, ils ont commencé à défendre les Talibans, considérant l’idée qu’ils avaient changé et qu’il fallait maintenant les accepter.

Je me souviens avoir participé à un événement en 2020, auquel l’ambassadeur d’Allemagne était présent. Il nous a demandé, après avoir appris que nous venions d’Afghanistan, ce que nous pensions du processus de paix. Comment voulez-vous que je réponde à cette question ? Ils essayent de nous enlever tout ce pour quoi nous nous sommes battus. Comment sommes-nous censés nous sentir ? Le diplomate m’a répondu : « Vous savez, les Talibans font partie de l’Afghanistan et vous devez les accepter. »

J’étais bouleversée et leur ai dit qu’ils n’avaient pas le droit de me dire ce que je devais accepter. Que savent-ils de l’histoire et de la culture de mon pays, s’ils considèrent que les Talibans les représentent ?

Mais l’accord a été conclu. Les négociateurs sont restés au Qatar pendant deux ans, dans des hôtels de luxe, à parler des droits des femmes et des générations futures à huis clos. Après cela, il m’est difficile de croire encore en la communauté internationale.

Quel a été l’effet de l’aide internationale sur la société civile afghane entre 2001 et 2021 ?

Les choses progressaient bien qu’assez lentement. On ne peut pas s’attendre à ce qu’une société ou une nation change du jour au lendemain. J’ai parfois eu l’impression que la société internationale dépensait des millions, voire des milliards, pour des projets d’émancipation des femmes, mais que personne ne s’intéressait à l’impact réel que ces projets pouvaient avoir sur la vie quotidienne des femmes afghanes.

Les femmes connaissaient déjà leurs droits ; ce dont nous avions besoin, c’était d’expliquer les droits des femmes aux hommes !

rada akbar

Quelle part de cet argent allait réellement aux femmes afghanes ? En effet, les fonds provenant de USAID ne sont accordés qu’à des entreprises américaines. J’ai vu des idées comme celle d’une américaine qui a reçu 10 millions de dollars pour un projet visant à aider 5 000 femmes afghanes à apprendre la broderie et à créer leur propre entreprise. Finalement, le projet a échoué. De nombreux projets étaient de ce type — promettant des écoles, des hôpitaux et des routes — sans jamais rien concrétiser.

Quant au féminisme et aux droits des femmes, beaucoup d’Occidentaux arrivaient en Afghanistan sans connaître la culture et les communautés qu’ils voulaient aider. Ils réunissaient des groupes de femmes et leur enseignaient leurs droits, mais cela me semblait superficiel. Les femmes connaissaient déjà leurs droits ; ce dont nous avions besoin, c’était d’autonomiser l’ensemble de la société, donc d’expliquer les droits des femmes aux hommes !

Un grand nombre de projets soutenus par des organisations internationales consistaient à enseigner la couture et la broderie aux femmes afghanes, mais presque toutes les femmes en Afghanistan ont déjà ces compétences ! Les femmes afghanes sont capables de faire bien plus que de la couture et de la broderie. Elles ont le même potentiel que les femmes du monde entier, mais elles ont besoin de meilleures ressources et de meilleures opportunités. Je ne comprends toujours pas pourquoi les acteurs internationaux pensaient que les femmes afghanes devaient être cantonnées à des rôles aussi traditionnels.

De façon globale, je suis frustrée par les attentes peu élevées qui ont prévalu en Afghanistan au cours des deux dernières décennies. Nous ne voulions pas seulement des droits élémentaires, mais jouir de l’ensemble des droits de l’homme, comme chaque femme, chaque fille et chaque homme peut l’espérer. Nous méritons tous le droit à l’éducation, le droit de nous exprimer et le droit de penser librement ! C’est là, à mon avis, l’une des plus grandes erreurs de la communauté internationale. Elle avait des attentes minimales pour l’Afghanistan, en particulier pour les femmes afghanes.

Au cours du processus de paix, je faisais remarquer que les Occidentaux étaient venus en Afghanistan en disant donner du pouvoir aux femmes afghanes, mais considéraient à présent que j’avais trop de pouvoir pour que ma parole compte. J’étais considérée comme « une femme de Kaboul » ou « de l’élite », suggérant que je ne pouvais pas représenter les femmes afghanes. Pourtant, eux, qui étaient des hommes étrangers, prétendaient bien représenter l’ensemble de la nation en négociant son destin avec les Talibans !

De façon globale, je suis frustrée par les attentes peu élevées qui ont prévalu en Afghanistan au cours des deux dernières décennies. Nous ne voulions pas seulement des droits élémentaires, mais jouir de l’ensemble des droits de l’homme, comme chaque femme, chaque fille et chaque homme peut l’espérer.

rada akbar

Pour conclure sur ce point, je voudrais rappeler que le féminisme n’est pas une invention de l’Occident. Les femmes afghanes ont fait des progrès majeurs en matière de droits et de représentation politique avant toute intervention extérieure. Par exemple, l’Afghanistan s’est doté d’une Constitution il y a un siècle, qui accorde des droits aux femmes. Les femmes occupaient des postes importants, y compris des postes de ministres et même une femme vice-présidente, Anahita Ratebzad (1980-1985), bien avant que les pays occidentaux n’obtiennent des résultats similaires. Je pense que l’aide internationale aurait mieux fonctionné si elle avait reconnu la richesse et la complexité de l’histoire afghane au lieu de considérer qu’il fallait tout construire de l’extérieur.

Sur l’image qui sert d’illustration à cet entretien, vous posez en reine intemporelle afghane ornée de bijoux antiques. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Quels sont par ailleurs vos projets artistiques actuels et comment poursuivez-vous ce que vous faisiez en Afghanistan aujourd’hui ?

Cette photo a été prise avec des objets du premier siècle avant Jésus Christ, qui viennent du site archéologique Tillya Tepe (« Montagne d’Or », au Nord de l’Afghanistan). C’est un moyen de dire que je ne suis pas un produit de l’après 2001, que nous avons de longues et riches racines que nous ne devons à personne.

Par ailleurs, les deux tableaux que j’ai mentionnés plus tôt font partie d’un projet en cours, qui sera achevé en 2025. Ils seront exposés de septembre à décembre à la Grande Galerie de la Cité des Arts. L’exposition présentera des artistes féministes françaises et internationales de renom, ainsi que quelques artistes plus jeunes, dont moi-même.

Je m’inspire des peintures d’Hérat du XVe et du début du XVIe siècle, grâce à la reine Qarahshod, qui a fait naître la peinture miniature, dont l’objectif est aussi d’offrir un aperçu de la vie quotidienne de l’époque. Je reproduis ce geste pour donner une idée de ce que traversent les femmes afghanes d’aujourd’hui.

Je pense que l’aide internationale aurait mieux fonctionné si elle avait reconnu la richesse et la complexité de l’histoire afghane au lieu de considérer qu’il fallait tout construire de l’extérieur.

rada akbar

Pour symboliser la force et la résilience des femmes afghanes, je présente ces œuvres sous forme de tapis, qui est une industrie dans laquelle les femmes afghanes ont joué un rôle central, et qui a été un des produits par lesquels l’Afghanistan a été introduit dans la mondialisation. Je veux mettre en lumière ces femmes qui ont été les acteurs cachés de cette mondialisation dont le pays est aujourd’hui aussi coupé.

Les femmes de cette première miniature portent des pancartes disant « L’éducation est notre droit » (tahsil hâq-é mâst) et « pain, travail, liberté » (nân kâr âzâdi). Ce dernier slogan fait évidemment penser aussi à « zan, zendégi, âzâdi », le slogan de la révolution des femmes iraniennes. Évidemment, la lutte des Iraniennes et celle des Afghanes sont similaires en de nombreux points, même si les Iraniennes ont reçu, dans leur lutte contre le pouvoir, le soutien de nombreux hommes, de façon tout à fait incomparable à ce qui s’est passé en Afghanistan.

J’ai également incorporé dans ces miniatures des poèmes de femmes, dont notamment un poème de Nadia Anjoman. Elle est allée à l’école talibane pour faire semblant d’apprendre à lire le Coran mais en fait elle étudiait la littérature. Elle a plus tard enseigné la littérature à l’université d’Hérat, après 2001, est devenue une figure littéraire de la République afghane, mais est morte en 2005, battue à mort par son mari.

*

Poème de Nadia Anjoman figurant dans le tableau de Rada Akbar :

یاد آن روز گرامی که قفس را
بشکافم
سر برون آرم از این عزلت و
مستانه بخوانم
من نه آن بید ضعیفم که ز هر باد
بلرزم
دخت افغانم و برجاست که دایم به
فغانم

Garde vert dans ton esprit
Le souvenir de ce jour
Où je briserai cette cage.
Échappée de ma captivité, je chanterai
Ivre de bonheur.
Même aphone
Les chants ne m’ont pas désertée.
À chaque instant
J’arrange une fugue de mots
Aux ailes murmurées.

*

Cet autre tableau est une reprise d’un tableau de 1568 à Herat, nommé « La dame après le bain ». J’ai laissé la dame dans la même position que dans l’original. J’ai remplacé en revanche le jardin de rose sur lequel elle dormait par un buisson d’épines. Il y a des serpents cachés derrière elle, pour symboliser les temps sombres dans lesquels les femmes afghanes se sont retrouvées. Enfin, le tapis lui cache le visage car c’est ce que tentent de faire les Talibans.

Tableau de Rada Akbar
Tableau original de Hérat

Il y a une forme de création artistique qui sert selon vous au quotidien les femmes afghanes à lutter contre l’oppression. Il s’agit des « landays ». Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

Landay est le nom d’un serpent de petite taille, très vénéneux. Par extension, il désigne de très courts poèmes, une forme d’expression populaire pour les femmes afghanes, en particulier celles des régions pachtounes comme Helmand et Kandahar. Historiquement, les landays sont utilisés comme un moyen pour les femmes d’exprimer leurs sentiments dans une société où leur voix ne peut pas être entendue. Ils servent à exprimer des vérités intemporelles, des expériences partagées à travers les générations. Un landay dit par exemple : « Personne ne connaît ma date de naissance car je suis une fille ».

Ces poèmes se transmettent de façon orale depuis des siècles, voire des milliers d’années. Leurs autrices ne sont jamais connues car cela pourrait leur attirer des représailles. Par conséquent, on ne sait pas d’où viennent les landays ni par quels chemins ils ont circulé. Les landays sont les manifestations collectives et poétiques de la résistance des femmes afghanes contre le silence qu’on veut leur imposer.

Aujourd’hui, des extrémistes Talibans négocient au nom d’un pays avec la communauté internationale. Une telle situation devrait être une alarme pour chaque citoyen du monde. On ne peut pas penser que les Talibans sont sur une autre planète, ou oublier qu’ils vivent à la même époque que nous.

rada akbar

L’anonymat des landays permet aussi d’exprimer des sentiments intimes qui ne sont pas tolérés dans la sphère publique afghane. Un landay, par exemple, raconte à quel point il est dégoûtant de faire l’amour avec un vieil homme. 

Comment expliquez vous la perte d’intérêt pour la situation en Afghanistan ?

Il est décourageant de voir que l’intérêt de la communauté internationale pour l’Afghanistan s’estompe une fois que la crise immédiate s’apaise ou lorsque d’autres événements mondiaux prennent le pas.

Même si les situations sont différentes, l’exemple d’un pays de 40 millions d’habitants où les femmes n’ont absolument aucun droit est une attaque portée au féminisme à l’échelle mondiale, et pas seulement à l’Afghanistan. Accepter ce gouvernement taliban contribue à la régression globale du droit des femmes et renforce la lutte acharnée des conservateurs à l’encontre des droits qu’elles ont acquis ces dernières décennies, comme la suppression de la garantie constitutionnelle du droit à l’avortement aux États Unis, par exemple.

Aujourd’hui, des extrémistes Talibans négocient au nom d’un pays avec la communauté internationale. Une telle situation devrait être une alarme pour chaque citoyen du monde. On ne peut pas penser que les Talibans sont sur une autre planète, ou oublier qu’ils vivent à la même époque que nous.

Sources
  1. Province du Sud-Ouest de l’Afghanistan.
  2. Émir d’Afghanistan de 1880 à 1901.