Politique

Olaf Scholz : l’autre Europe géopolitique

Scholz est-il en train de devenir le nouveau « think tanker-in-chief » du continent ? Dans son discours au Parlement européen le 9 mai, le Chancelier allemand a proposé une formulation alternative de l’Union géopolitique, opposée à celle d’une Europe puissance baignée du mythe civilisationnel. Nous la traduisons et la commentons ligne à ligne pour la première fois.

Le discours d’Olaf Scholz à l’occasion de la journée de l’Europe poursuit une série commencée à Prague en septembre 2022 et se place déjà dans la perspective des élections européennes à venir en 2024. Ce discours de commémoration n’est pas une déclaration de politique générale, mais il permet de saisir certains points forts de la politique européenne de la coalition en feu tricolore en place depuis novembre 2021 : le chancelier développe un éloge de l’Union et en présente également une conception spécifiquement allemande.

Il s’agit là sans doute d’une volonté d’« occuper l’espace » européen et de reprendre au président français — affaibli par la crise sociale en France — une forme de leadership dans l’agenda. Le style n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui d’Emmanuel Macron. Comme lui, Olaf Scholz a ici beaucoup recours à des références, mêlant citations politiques (Robert Schuman et Willy Brandt) et littéraires (Paul Valéry et Oscar Wilde) pour agrémenter son discours. 

Le chancelier délivre un discours en forme de variation sur le slogan social-démocrate « l’Europe est notre avenir », mis en perspective par rapport à la rupture civilisationnelle que représente l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cependant l’Europe décrite par Scholz ne doit pas constituer une « puissance à l’ancienne », mais bien être « ouverte » — à la fois géographiquement à de nouveaux États membres, économiquement à des accords de libre échange et à l’innovation, et géopolitiquement à l’alliance transatlantique.

Madame la présidente, 

Mesdames et messieurs les députés, 

Mesdames et messieurs, 

Je vous remercie pour l’opportunité de m’exprimer devant vous, dans ce lieu particulier, aujourd’hui, en cette journée de l’Europe. Votre invitation m’honore et me touche. Elle m’honore parce que vous, députés librement élus, représentez 450 millions d’Européennes et d’Européens – les citoyennes et citoyens d’Europe. 

Et elle me touche parce que le 9 mai est la seule bonne réponse d’avenir à la guerre mondiale déchaînée par l’Allemagne, au nationalisme destructeur et à la mégalomanie impérialiste. 

Aujourd’hui, il y a 73 ans, le ministre français des affaires étrangères Robert Schuman proposait de créer une nouvelle « Europe organisée et vivante ».

Au commencement était la collectivisation du charbon et de l’acier, les biens qui avaient servi pendant des décennies à la production d’armes, des armes que nos grands-parents et arrière-grands-parents ont tourné les uns contre les autres. Le rêve des pères et mères de l’Europe était de mettre fin à ces tueries réciproques. Pour nous ce rêve est réalité : la guerre entre nos peuples est devenue inconcevable – grâce à l’union Européenne et pour notre bonheur à tous. 

Mais il suffit de jeter un œil dans notre voisinage immédiat pour réaliser que ce rêve n’est pas réalité dans tous les pays d’Europe. Au prix de nombreuses victimes, les Ukrainiens défendent chaque jour leur liberté et la démocratie, leur souveraineté et leur indépendance contre la brutalité de l’armée d’invasion russe, et nous les soutenons pour cela. 

Les pères et mères de l’Europe attribuaient déjà à l’Europe une mission qui dépasse de loin celle de faire la paix dans ses frontières. C’était pour eux une évidence : l’Europe porte une responsabilité globale, parce que le bien-être de l’Europe ne peut être séparé du bien-être du reste du monde. 

Dans la déclaration Schuman, on peut lire : « Cette production », c’est-à -dire le charbon et l’acier, « sera offerte à l’ensemble du monde sans distinction ni exclusion, pour contribuer au relèvement du niveau de vie et au développement des œuvres de paix. L’Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l’une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain. »

Au « développement du continent africain » s’opposait alors l’exploitation coloniale perpétrée par l’Europe sur notre continent voisin. 

C’est pourquoi la prise en compte des conséquences du colonialisme doit faire partie intégrante de chaque partenariat avec les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Un partenariat qui se défait du regard eurocentrique du passé. Un partenariat qui ne se contente pas de proclamer l’égalité, mais qui la met en œuvre. Construire de tels partenariats est plus important que jamais. 

450 millions, peut être 500 millions de citoyennes et de citoyens après le prochain élargissement vivent dans l’Union. Cela représente tout juste 5 % de la population mondiale. En Asie, en Afrique, en Amérique du Sud émergent de nouveaux poids-lourds économiques, démographiques et politiques — un succès, soit dit en passant, de la division du travail entre pays et continents qui a sorti un milliard de personnes de la pauvreté. Ils ne s’accommoderont pas d’un monde bi- ou tripolaire, et ce à juste titre. C’est pourquoi j’ai la conviction que le monde du XXIe siècle sera multipolaire — ce qu’il est déjà depuis longtemps. 

Qu’est ce que cela signifie pour nous en Europe ? « L’Europe deviendra-t-elle » pour citer l’écrivain français Paul Valéry « ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ». Nous ne pourrons pas trouver la réponse à cette question en regardant vers le passé. Vivre dans le passé, c’est s’accrocher au souvenir nostalgique de la puissance mondiale de l’Europe, se bercer de l’illusion nationale d’être une grande puissance. Mais ceux qui alertent en permanence sur le déclin de l’Europe ne gagnent pas non plus l’avenir, d’autant plus qu’ils sous-estiment à quel point l’Europe est capable de se transformer et d’agir.

Nous l’avons prouvé, encore et encore dans les crises des dernières années et du présent. Souvenons-nous seulement comment nous avons surmonté ensemble l’hiver dernier, solidaires et unis avec nos partenaires dans le monde entier.

J’en tire cependant trois enseignements : 

Premièrement : l’avenir de l’Europe est entre nos mains. 

Deuxièmement : plus nous affermissons l’unité de l’Europe, plus il sera facile de nous garantir un  bon avenir.

Et troisièmement : nous avons actuellement besoin non pas de moins, mais de plus d’ouverture et de coopération. 

Pour garantir à l’Europe une bonne place dans le monde de demain, une place non pas au-dessus ou en dessous des autres pays et régions, mais à égalité avec les autres, à leurs côtés.

Le discours s’ouvre par un aperçu mémoriel sur l’histoire de l’Union comme la réponse à l’impérialisme et aux nationalismes fauteurs de guerre. Par ailleurs, Scholz présente la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) comme un projet conçu dès l’origine avec une vocation extérieure et une responsabilité pour le monde non européen, citant la déclaration Schuman qui donnait comme mission à la CECA le « développement du continent africain ». Le contexte colonial de cette déclaration n’échappe pas à Olaf Scholz qui maintient cependant que l’œuvre des « pères et des mères de l’Europe » est un antidote aux illusions de grandeur, et implique aujourd’hui de rechercher des partenariats d’égal à égal. L’Europe n’a de toute façon plus les moyens d’être une puissance mondiale dominatrice ; elle doit être un acteur à l’influence globale positive.

Une Europe géopolitique

Pour cela, l’Europe doit changer. Nous avons besoin d’une Europe géopolitique, d’une Europe élargie et réformée et enfin d’une Europe tournée vers l’avenir. Pour tout cela, je vois le parlement européen comme une force motrice et un allié. Prenons la création d’une Europe géopolitique. Willy Brandt, en soulignait la nécessité existentielle ici, devant le Parlement Européen, il y a cinquante ans déjà. « L’unification de l’Europe » écrivait-il alors dans votre livre d’or « n’est pas seulement une question affectant la qualité de notre existence. C’est une question de survie entre des géants et dans le monde percé de crevasses des nationalismes nouveaux et anciens ». 

Le parlement européen a toujours agi selon cette maxime et je lui en suis pour cela très reconnaissant. Vous le faites, lorsque vous honorez la force du droit, et lorsque vous nous rappelez à tous que l’Europe ne peut être entendue que lorsqu’elle parle d’une seule voix. La guerre d’invasion brutale de la Russie contre l’Ukraine nous a démontré encore récemment à quel point c’est indispensable, et en conséquence, après cette infâme violation de la paix internationale, l’Union s’est resserrée comme rarement auparavant. Cette expérience nous mène à la fondation d’une Europe géopolitique, comme j’en ai fait la proposition lors de ma visite à l’Université Charles de Prague l’été dernier

Cela inclut une coordination bien plus étroite de nos efforts de défense et la construction d’une économie de la défense intégrée en Europe. La European Peace Facility, l’acquisition commune de munitions pour le compte de l’Ukraine, la coopération resserrée de nos pays pour la défense aérienne, notre boussole stratégique, une coopération étroite entre l’Union et l’OTAN, autant de bonnes mesures que nous devons approfondir et accélérer. 

Nous devons dès à présent poser les jalons pour la reconstruction de l’Ukraine. Certes, cela demande un capital politique et financier à long terme. Mais cela représente aussi une grande chance, non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble. Car une Ukraine prospère, démocratique et européenne est la réponse la plus claire à la politique impérialiste, révisionniste et contraire au droit international de Poutine. 

L’Europe doit aussi faire face dans la compétition internationale avec les autres grandes puissances. Les États-Unis restent l’allié le plus important de l’Europe. Cela signifie que nous serons de meilleurs alliés pour nos amis transatlantiques d’autant plus que nous investissons dans notre sécurité et notre défense, dans notre résilience civile, dans notre souveraineté technologique, dans la sécurité des approvisionnements, dans notre indépendance vis-à-vis des matières premières critiques. Notre relation à la Chine est décrite avec justesse par le triptyque « partenaire, concurrent, rival systémique », même si la rivalité et la concurrence ont augmenté sans aucun doute. L’Union le voit et y réagit. Je suis d’accord avec Ursula von der Leyen : notre devise n’est pas un de-coupling, mais un de-risking intelligent !

Comme à Prague en septembre et à la Sorbonne en janvier lors des commémorations des 60 ans du traité de l’Élysée, le chancelier fait sienne l’idée d’une « Europe géopolitique ». En se saisissant de ce concept, il en donne cependant un sens « plus allemand », où il est moins question d’autonomie que d’efficacité. Ses principaux éléments concrets concernent des aspects logistiques et économiques : l’intégration de l’industrie européenne de défense, les achats communs d’armes et de munitions pour Kiev, l’aide à la reconstruction de l’Ukraine. Concernant les projets structurants de cette Europe géopolitique, Olaf Scholz mentionne le projet de défense aérienne européenne, lancé en octobre 2022 par l’Allemagne à l’insu de la France, mais fait encore une fois l’impasse sur le SCAF et le MGCS. La conception des alliances du chancelier allemand reste également fondamentalement atlantiste : son Europe géopolitique n’existe que dans l’OTAN, où elle est un meilleur partenaire pour les États-Unis. Pour Olaf Scholz, le monde n’est cependant ni « bi- » ni « tripolaire » mais bien multipolaire. La question délicate de l’alignement sur l’un où l’autre pôle est donc remplacée par celle de la diversification nécessaire des alliances et accords. Vis-à-vis de la Chine, le chancelier allemand soutient la formule du « de-risking » promue par la Commission européenne, une option moins radicale que le « de-coupling » qu’il rejette.

Les pays du sud global sont de nouveaux partenaires dont nous prenons les inquiétudes et les intérêts au sérieux. C’est pourquoi il est crucial que l’Europe s’engage avec force et solidarité pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté, que nous tenions les promesses que nous avons faites sur la protection internationale du climat et de l’environnement. 

Et, cela aussi relève de l’Europe géopolitique, il est plus que raisonnable de conclure de nouveaux accords de libre échange : avec le Mercosur, le Mexique, l’Inde, l’Indonésie, l’Australie, le Kenya et en perspective avec bien d’autres pays, des accords équitables, qui encouragent le développement économique de nos partenaires plutôt que de le freiner ! Équitable signifie par exemple, que le traitement initial des matières premières ait lieu sur place, et non en Chine ou ailleurs. Si nous ancrons ces idées dans nos relations commerciales, nous contribuons d’ailleurs grandement à la diversification de nos chaines de production. 

L’Europe doit se tourner vers le monde, car si nous continuons à négocier des années sans résultat de nouveaux accords de libre échange, ce seront d’autres qui dicteront les règles — avec des standards environnementaux et sociaux moins élevés.

Une Europe élargie et réformée

Nous avons pris l’an dernier une décision centrale pour la forme de l’Europe géopolitique. Nous avons choisi une grande Europe. Nous avons dit aux citoyennes et citoyens des pays des Balkans occidentaux, de l’Ukraine, de la Moldavie, et en perspective aussi de la Géorgie : votre place est avec nous. Nous voudrions que vous deveniez membres de notre Union européenne. Et il ne s’agit pas d’altruisme, mais de notre crédibilité et de bon sens économique. Il s’agit de garantir la paix en Europe après le changement d’époque qu’a provoqué la guerre d’agression de la Russie. On jugera l’ Europe géopolitique aussi à la mesure qu’elle tient les promesses qu’elle a faites à ses voisins immédiats. Une politique d’élargissement applique ses promesses — tout d’abord vis-à-vis des États des Balkans occidentaux à qui nous avons fait miroiter l’adhésion en tout et pour tout depuis vingt ans. Bien sûr, le processus de normalisation entamé entre la Serbie et le Kosovo et les réformes engagées dans les États candidats doivent se poursuivre. Bien sûr, il faut qu’à la suite du courage politique de la Macédoine du Nord, son processus d’admission fasse rapidement des progrès. De tels progrès doivent être honorés de notre part, sans quoi la politique d’élargissement perd en attrait et l’Union en influence et en rayonnement.

Il faut le dire honnêtement : une Union élargie doit être une Union réformée.

Il faut le souligner, l’élargissement ne doit pas être la seule raison pour des réformes, mais bien leur objectif. Je me réjouis que le Parlement européen travaille à des propositions de réforme institutionnelles — y compris à des propositions qui ne s’arrêtent pas au Parlement lui-même. Je continuerai à œuvrer au conseil européen pour que nous nous saisissions de ces idées. 

Il y a beaucoup à faire : plus de décisions du conseil avec la majorité qualifiée en politique étrangère et fiscale. Je poursuivrai mes efforts pour convaincre à ce sujet et je vous remercie du large soutien venu de vos rangs. Je veux dire aux sceptiques : l’unanimité, l’accord à 100 % sur tous les sujets ne crée pas la plus grande légitimité démocratique. Au contraire ! C’est la persuasion, la lutte pour constituer des majorités ou des alliances qui nous distingue en tant que démocratie, la recherche de compromis qui font aussi justice aux intérêts des minorités. Voilà notre compréhension de la démocratie libérale !

Les réformes européennes que préconise le chancelier se rapprochent des propositions françaises en plusieurs points. Sur le plan institutionnel, Olaf Scholz reste pour l’élargissement de la majorité qualifiée. Le chancelier se décrit à plusieurs reprises comme un allié du Parlement européen au sein du Conseil européen, et promet de défendre leurs propositions. Concernant la réforme du droit d’asile européen et du droit de la migration, il exhorte les institutions communautaires et les Etats membres à des progrès rapides. Un point récurrent des discours européens d’Olaf Scholz reste cependant le plaidoyer pour plus d’ouverture en matière commerciale, ce qui le différencie d’un Emmanuel Macron plus volontiers critique de la mondialisation. Dans la tradition de la République fédérale, le chancelier conçoit ces accords de libre échange « équitables », comme des facteurs de stabilité, de diffusion du progrès socio-économique permettant de nouer également de nouvelles alliances dans le reste du monde.

Il me semble également indispensable pour l’avenir de tenir ferme sur le respect des principes démocratiques et de l’État de droit, et je sais qu’une très grande majorité d’entre vous est ici à mes côtés. Pourquoi ne pas utiliser la discussion prochaine sur les réformes de l’Union pour encourager la commission européenne à engager un processus de violation des traités à chaque fois qu’on atteint à nos valeurs fondamentales : liberté, démocratie, égalité, État de droit et protection des droits humains ? 

Ce discours se distingue par un fort soutien à l’élargissement, en insistant pour un calendrier et des progrès rapides pour honorer les promesses faites à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Pour Olaf Scholz, l’urgence est dans les Balkans, où il appelle à donner des gages de sérieux pour maintenir le rythme du rapprochement. L’élargissement n’est « pas altruiste » mais au contraire relève d’un intérêt bien compris et d’une opportunité « de bon sens économique ». Cependant le chancelier ne mentionne pas l’initiative française de Communauté politique européenne.

L’impression d’une confrontation de vues avec le président français est cependant concomitante d’un rapprochement ostensible entre Berlin et Paris, avec une multiplication des événements bilatéraux : présence de la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock à Paris le 9 et 10 mai, visite d’Emmanuel Macron dans la circonscription d’Olaf Scholz à Potsdam prévue le 6 juin prochain — qui rappelle le voyage de François Hollande dans celle d’Angela Merkel à Rügen en mai 2014, pour discuter déjà à l’époque de la guerre en Ukraine —, avant la première visite d’État d’un président français en Allemagne depuis 2000, du 2 au 4 juillet.

Une Union ouverte vers l’avenir

Mesdames et messieurs, il faut ajouter un élément que je viens d’évoquer. Nous autres, Européennes et Européens, devons nous ouvrir sans hésiter vers l’avenir. Cela signifie s’occuper des problèmes qui nous handicapent depuis des années, et qui font que d’autres pays peuvent si facilement nous diviser et nous jouer les uns contre les autres.

Je pense par exemple à notre rapport aux migrations de réfugiés. Naturellement il faut trouver une solution qui soit à la hauteur de l’exigence de solidarité européenne, mais nous ne pouvons pas attendre que cette solidarité descende sur nous pour ainsi dire comme le Saint Esprit. L’Europe, comme le formulait il y a 73 ans Robert Schuman, s’incarne par des réalités concrètes, par une « solidarité de fait ». C’est pourquoi je soutiens avec force qu’il faut que les progrès accomplis pour la réforme du droit d’asile européen après de longues et difficiles négociations soient pérennisées avant les élections européennes. Votre accord sur une position de négocation pour des parties centrales de la réforme le mois dernier était un pas très important sur cette voie. Maintenant nous devons achever ce travail avec toutes nos forces. 

Nous sommes unis par l’objectif de mieux orienter et organiser les migrations irrégulières, sans trahir nos valeurs. Nous pouvons cependant en profiter bien plus qu’avant : dans beaucoup d’endroits en Europe, on a besoin de main-d’oeuvre, y compris d’Etats extra-européens. Si nous lions fermement ces chances liées aux migrations régulières avec l’exigence, que les états d’origine et de transit reprennent aussi ceux qui n’ont pas le droit de résider chez nous, toutes les parties pourront en profiter. A cela s’ajoutent mesures pour une défense efficace des frontières, comme nous en avons décidé au conseil européen de février. Ainsi l’acceptabilité dans nos pays pour une immigration intelligente, orientée et contrôlée augmente-t-elle, et ainsi coupons-nous l’herbe sous le pied de ceux qui font de la politique avec la peur et les ressentiments. 

S’ouvrir à l’avenir signifie aussi se confronter au défi probablement le plus important de notre temps. Je parle de la transformation de nos pays, de nos économies vers la neutralité climatique. La première révolution industrielle a commencé en Europe. Pourquoi ne pas avoir l’ambition que le prochain grand changement soit aussi influencé par l’Europe — pour le bien de tous ?

L’ouverture préconisée par Scholz se décline aussi dans la formule « ouvert vers l’avenir » que le chancelier emploie trois fois. Il identifie pour cela deux grands chantiers en Europe : à relativement court terme, la gestion juste et intelligente des flux migratoires et à plus long terme la transformation écologique de nos économies.

Même s’il expose dans des termes assez clairs la vision allemande d’une Union avant tout au service du bien-être économique et détachée d’une ambition de puissance, le discours n’est pas strictement polémique. Ainsi le chancelier évite certains sujets chauds qui sont pourtant essentiels au niveau européen : les débats autour des critères budgétaires, la politique industrielle et l’attitude commerciale à adopter vis-à-vis des États-Unis.

Je n’ai pas besoin de vous expliquer les chances que cette transformation offre à l’Europe. Il est important que les citoyennes et les citoyens de nos pays les perçoivent dans leur quotidien. Par exemple parce que les prix de l’électricité de sources renouvelables baissent, parce qu’il y a suffisamment de stations pour des voitures et camions électriques, parce que de nouveaux emplois d’avenir sont créés dans les secteurs énergétiques, des puces électroniques, parce que nous développons et commercialisons en Europe les technologies dont le monde entier a besoin pour la transition écologique. Façonner ce changement avec ambition et n’abandonner personne en route – voilà le grand projet d’avenir derrière lequel, Européennes et Européens, nous devrions maintenant nous rassembler. 

Conclusion

Comme le disait Oscar Wilde : « L’avenir appartient à ceux qui reconnaissent les possibilités avant qu’elles deviennent évidentes ». il n’appartient certainement pas aux nostalgiques, ni aux révisionnistes rêvant de gloire nationale et assoiffés de puissance impérialiste. Les Ukrainiennes et Ukrainiens paient de leur vie pour cette folie de leur puissant voisin. 2200 kilomètres au nord-est d’ici, à Moscou, Poutine fait aujourd’hui défiler ses soldats, ses chars et ses missiles. Ne nous laissons pas impressionner par une telle manifestation de force. Restons fermes dans notre soutien de l’Ukraine, tant que ce sera nécessaire ! Aucun d’entre nous ne veut de retour à l’époque où le droit du plus fort était en vigueur en Europe, lorsque les petits pays devaient se soumettre aux grands, lorsque la liberté était le privilège d’une minorité et non pas le droit fondamental de tous. Notre Union Européenne, unie dans sa diversité, est la meilleure assurance que ce passé ne revienne pas, et c’est pourquoi le bruit venu de Moscou n’est pas le message de ce 9 mai, mais notre message : le passé ne triomphera pas sur l’avenir. Et l’avenir — notre avenir — c’est l’Union européenne. 

Merci beaucoup !

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