Politique

À Cracovie, le discours de Mattarella sur l’avenir de l’Europe

Le Président de la République italienne règne par le silence. Lorsqu’il s’exprime, rarement, il faut décrypter les signes et lire entre les lignes.
À un peu plus d’un an d’une élection européenne qui verra les forces néonationalistes italiennes et polonaises prendre d’assaut l’Union, Mattarella a pris la parole à l'Université de Cracovie. Nous le traduisons et commentons pour la première fois en français.

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Le Grand Continent
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© Présidence de la République italienne

Mercredi 19 avril, le président de la République Sergio Mattarella a prononcé une conférence à l’Université Jagellon de Cracovie — particulièrement longue pour une prise de parole du Quirinal — qui s’inscrivait dans une visite mémorielle de plusieurs jours en Pologne. 

Les principaux éléments du positionnement du Quirinal — atlantisme, européanisme, solidarité, ouverture — étaient présents, ainsi qu’une lecture de la question de l’élargissement à l’aune de l’histoire tragique de la Pologne : « aujourd’hui, à nouveau, la perspective européenne est précieuse pour nos États voisins, qui trouvent dans l’adhésion à l’Union un motif d’espoir et la force de revendiquer la justice, les droits, la paix, et d’élargir le cercle des pays qui témoignent de leur adhésion aux valeurs des droits des personnes et des peuples. »

« On pourrait dire qu’en Europe, l’histoire est toujours contemporaine » — ce discours n’était pas cérémoniel. Le choix de sa localisation — dans une des plus anciennes universités d’Europe, dans une ville gouvernée depuis cinq mandats par une coalition opposée au PiS portée par un juriste, ancien professeur de l’Université — sa relative longueur et son expression pondérée sont autant de signaux qu’il faut interpréter. 

Dans la position qui est celle de Sergio Mattarella, cette prise de parole est ce qui ressemble le plus à un « discours de la Sorbonne » — prononcé par celui qui pourrait rester président de la République jusqu’en 2029.

Monsieur le Recteur, Mesdames et Messieurs,

J’adresse un salut particulièrement chaleureux aux étudiants et à toutes les personnes présentes.

Je salue le corps académique et l’ensemble du personnel, que je remercie pour leur engagement quotidien en faveur de la diffusion du savoir.

En remerciant Monsieur le Recteur pour cette invitation, c’est avec un profond respect pour votre histoire que je prends la parole dans cette prestigieuse Université.

De nombreux noms illustres ont franchi le seuil de cette Université, la plus ancienne de Pologne et l’une des plus anciennes du monde.

Aux côtés du Président Duda, je voudrais rappeler les noms de quelques personnalités, évocatrices des liens profonds entre nos deux pays, comme Nicolas Copernic, et le pape Jean-Paul II, Karol Wojtyla, qui, dans sa jeunesse, a étudié la philosophie dans cette même université.

Souvent évoqué par la droite et l’extrême droite italienne dans une fonction paradoxale d’anti-pape François, perçu comme trop proche d’instances progressistes (accueil des migrants, questions écologiques, lutte contre les inégalités), Jean-Paul II est une référence évidente pour Mattarella (membre de la Démocratie chrétienne jusqu’à sa dissolution) et les Italiens. Cette référence s’inscrit au cœur d’une mémoire politique particulièrement complexe : Wojtyla est aussi bien dans la bannière Twitter du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, que mobilisé par Salvini lors du meeting transnational de Milan et sanctifié par l’Église.

L’évocation de Copernic prend ici un sens ambigu. Dans la construction de l’imaginaire national italien, « le génie italien » est souvent mis en relation avec des figures européennes, ainsi Copernic est vu comme un anticipateur du travail accompli par Galilée. On remarquera ainsi que le positionnement discret de Jean-Paul II en miroir de Copernic marque d’une manière discrète la prudence de Mattarella, en cela héritier de la Démocratie Chrétienne d’Aldo Moro, vis-à-vis de toute tentation « césaro-papiste ».

Je peux aussi évoquer Wislawa Szymborska, très appréciée en Italie, où de nombreuses initiatives sont prévues cette année pour célébrer le 100e anniversaire de la naissance de la poétesse lauréate du prix Nobel.

Après le pape Jean-Paul II évidemment crucial dans l’imaginaire politique italien, l’évocation du Prix Nobel Wislawa Szymborska peut paraître suprenant vu de France où la réputation d’autres auteurs polonais (Milosz, Tokarczuk) est plus évidente — publiée par la maison Adelphi, dirigée par le Prix Grand Continent Roberto Calasso, Wislawa Szymborska est devenue une référence culturelle en Italie du réalisateur Ferzan Ozpetek (avec son Cuore sacro), au populaire chansonnier Jovanotti qui a chanté ses vers dans son tube Buon sangue.

Cette université et la ville où elle se trouve sont un lieu symbolique pour la Pologne, mais pas seulement pour la Pologne : elles sont symboliques pour l’ensemble de la culture européenne.

C’est un lieu qui véhicule l’image d’une Europe qui, dans ses expériences nationales et institutionnelles, a créé un corpus commun de connaissances et de valeurs.

Cet esprit unitaire englobant tout le continent a commencé à se concrétiser dans les universités qui, comme à Cracovie, ont vu le jour dès le Moyen-Âge, donnant naissance au réseau de liaison que l’on a appelé la « République des lettres ».

L’Académie de Cracovie, qui existait alors, a été le phare de la première Res publica européenne dans cette partie de l’Europe.

C’est dans le réseau des universités qui ont vu le jour au cours des premiers siècles après l’an 1000, des lieux qui accueillaient et stimulaient un débat intellectuel, juridique et de valeurs animé, qu’a mûri l’image d’institutions capables d’incarner l’idéal européen.

Au-delà du topos de la Res publica, le fait que Mattarella inscrive son discours au sein d’une université marque d’une manière explicite son ambition. Depuis le discours de la Sorbonne, plusieurs leaders européens ont voulu partager leur vision de l’intégration européenne dans des universités européennes historiques : Olaf Scholz à Prague, Mateusz Morawiecki à Heidelberg

Nous avons derrière nous des siècles de tragédies au cours desquelles les peuples d’Europe ont été dressés les uns contre les autres.

Votre pays en a été le témoin et la victime, dans la quête de l’indépendance, dans la conquête de la liberté ; il conserve et exprime cette histoire.

Et c’est précisément la leçon de l’histoire qui a donné, après la Seconde Guerre mondiale et non sans contrastes, une impulsion irrésistible au projet d’intégration européenne tel que nous le connaissons aujourd’hui ; jusqu’à son achèvement, après la fin de l’Union soviétique, avec la réunification de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale et orientale.

Mais avant d’atteindre ce point d’atterrissage historique de l’intégration européenne, les prémisses de la Seconde Guerre mondiale ont eu lieu ici, en Europe centrale et orientale, en Tchécoslovaquie et en Pologne, avec l’agression de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique stalinienne, résultat d’idéologies nationalistes exaspérée et d’une quête de puissance effrénée.

Le massacre de Katyn, au début de la Seconde Guerre mondiale, en est une page éloquente.

Je viens de rendre hommage auprès de la plaque voisine commémorant les professeurs de cette université qui ont été déportés le 6 novembre 1939.

Hier, j’ai rendu visite, avec un groupe de jeunes du monde entier et les sœurs Bucci, deux Italiennes qui ont miraculeusement survécu aux horreurs de Birkenau lorsqu’elles étaient enfants.

Nous célébrons aujourd’hui le 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.

Le souvenir de ces barbaries reste dans nos esprits et nos cœurs.

Je suis reconnaissant à la Pologne pour ses efforts inlassables en vue de préserver et de diffuser la mémoire de ce qui s’est passé, afin que cela ne se reproduise plus jamais.

L’Italie se consacre également à cette cause.

Nous devons intensifier notre action, sachant qu’à l’avenir, nous pourrons de moins en moins compter sur les preuves directes de ce qui s’est passé et que nous devrons les transmettre et les confier aux nouvelles générations.

En prononçant ces mots dans une université, un temple qui transmet, développe et diffuse le savoir, vous confiez implicitement aux jeunes la responsabilité de la mémoire.

Le thème central du voyage de Sergio Mattarella est la mémoire de la tragédie du génocide pendant la Seconde Guerre mondiale. La veille de ce discours, le président italien s’est rendu à Auschwitz, où il a prononcé un bref discours sur la responsabilité du fascisme dans la déportation des Juifs. Ce discours s’inscrivait dans le cadre des célébrations du 25 avril, jour de la « Fêtes de la Libération » en Italie qui marque la fin du régime fasciste et la fin de l’occupation nazie. Depuis les élections de septembre 2022 — qui ont vu la victoire d’un parti issu de la droite post-fasciste — il s’agit d’un thème particulièrement sensible en Italie.

Chers étudiants,

c’est la mémoire qui nourrit la conscience, laquelle, à son tour, fait de nous des êtres pleinement conscients : vous serez certainement à la hauteur de cette tâche.

Liliana Segre, survivante de l’Holocauste, aujourd’hui membre à vie du Sénat de la République italienne et exemple incessant d’engagement, nous le rappelle avec force  : « la mémoire est le seul vaccin contre l’indifférence ».

Ces mots prennent tout leur sens lorsque nous pensons à ce qui se passe non loin d’ici, aux frontières de l’actuelle Union européenne.

Personne ne peut rester indifférent face à l’agression brutale de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, un pays souverain, libre, indépendant et démocratique, dont la population est la cible d’attaques ciblées et criminelles qui tuent avec férocité, ciblant sans scrupules les infrastructures civiles pour laisser la population gelée et dans l’obscurité.

Aujourd’hui, l’Europe est témoin de crimes résultant d’une exaspération nationaliste renouvelée qui prétend violer les frontières, conquérir des espaces territoriaux en revendiquant la présence de groupes de population appartenant à la même culture.

Comment ne pas penser à l’affaire des Sudètes et aux populations d’origine allemande qui y habitaient, à la Conférence de Munich qui a ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ?

Face à cette tentative insensée de renverser les règles de l’ordre international, l’Union européenne a réagi fermement et continuera à soutenir l’Ukraine.

Un soutien qui s’exprime de multiples façons et dont vous et votre université êtes un précieux exemple.

Mattarella rappelle l’engagement qui lie l’Italie à Kiev, et s’ouvre aux positions historiques de la Pologne qui, depuis longtemps, met en garde contre le danger que représente la Russie. C’est le signe qu’après l’invasion de l’Ukraine, les pays de l’ancien bloc communiste ont renforcé leur poids spécifique dans l’Union.

Depuis le début du conflit — je voudrais le rappeler — vous avez accueilli ici plus d’un millier de réfugiés, en mettant à leur disposition non seulement de l’espace, mais aussi votre temps, vos connaissances, en leur offrant une assistance juridique et psychologique, une formation, pour garantir la dignité que d’autres ont essayé de leur arracher.

Ce furent un effort et une solidarité reproduits dans toute la Pologne, où plus d’un million et demi de réfugiés ukrainiens trouvent refuge, et dans de nombreux autres États de l’Union européenne.

Aujourd’hui, nous devons tous nous efforcer de préserver la valeur de cette unité.

C’est un atout primordial qu’il faut absolument préserver.

Faire face avec succès aux graves conséquences de la poursuite du conflit, à l’explosion des phénomènes migratoires, aux inégalités économiques et sociales croissantes, en passant par l’insécurité énergétique et alimentaire, tel est le défi que les Européens sont appelés à relever.

Le président italien fait un passage important sur la solidarité européenne, en louant la Pologne pour son ouverture aux réfugiés ukrainiens. Le sens de cet éloge n’est pas dénué de considérations politiques : après des années de calme relatif en Méditerranée, l’Italie est à nouveau confrontée à une augmentation significative des débarquements sur ses côtes. Au 18 avril 2023, selon les données du ministère italien de l’intérieur, 34 327 personnes ont débarqué, contre 8642 à la même période en 2022, et le gouvernement italien semble vouloir adopter des politiques très strictes à l’égard des migrants. En particulier, l’exécutif de droite veut limiter l’application de la protection spéciale, une procédure qui permet aux migrants d’obtenir la protection des autorités italiennes si leur demande d’asile selon les conventions internationales n’est pas acceptée.

En 2018-2019, Sergio Mattarella avait ratifié une mesure similaire voulue par Matteo Salvini, alors ministre de l’Intérieur, mais avait émis de sérieux doutes sur l’opportunité d’une telle mesure, dans une lettre sévère au Premier ministre Giuseppe Conte.

Avec lucidité, il faut comprendre que se proposer de sauvegarder la paix entre les nations, d’affronter les risques globaux qui secouent le monde entier – une mission dont, hélas, nous nous sommes actuellement éloignés par la fureur belliqueuse de la Russie – signifie avant tout rejeter la tentation de fragmenter la solidarité entre les pays libres, cimentée par l’expérience de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne.

La sécurité européenne et la sécurité euro-atlantique sont des concepts indivisibles à défendre ensemble avec détermination ; pour garantir et développer le modèle démocratique et social européen.

Comment s’unir ?

Jean Monnet, l’un des inspirateurs du processus d’unification européenne, nous rappelait — c’est bien connu — que l’Europe se ferait dans les crises et serait le résultat des solutions qu’elle apporterait à ces crises.

Chaque jour est donc une épreuve.

Mais il serait totalement inadéquat de penser l’Europe comme le résultat d’une course effrénée à des problèmes dictés par d’autres, dans un cadre international décidé par d’autres.

En d’autres termes, la nécessité de faire de l’Europe un protagoniste ne trouve pas de réponse adéquate dans une Union vue comme une somme temporaire et changeante d’humeurs et d’intérêts nationaux – par définition perpétuellement instable.

À cet égard, une autre indication est utile, cette fois de Robert Schuman, pour qui la voie européenne « se fera par des réalisations concrètes, d’abord par la création d’une solidarité de fait ».

C’est cette voie qui est capable de donner vie à une identité de valeurs et à une communauté de destin, impliquant les peuples qui l’animent, avec un processus démocratique complet dont les citoyens européens sont les protagonistes.

On retrouve ici la position classique et pro-européenne de l’Italie, en particulier de la Première République (1946-1994), dont Mattarella est une expression pure. Pour Rome, l’objectif de l’intégration européenne est, comme le dit le président de la République, de gagner en stabilité et en crédibilité internationale grâce à une coopération accrue avec les États membres. L’accent mis sur la solidarité est cohérent avec cette approche, car l’Italie se perçoit comme un sujet plus faible que la France et l’Allemagne, et n’a jamais voulu assumer un véritable rôle de leader dans les processus européens — ce qui présuppose au contraire, dans la vision de Monnet, d’accepter les crises comme des moments permettant de faire des « pas en avant ».

Après tout, l’Europe est née comme un grand projet de paix, comme une vision du développement capable de surmonter les contrastes historiques, comme ceux entre l’Allemagne et la France.

Une vision tout aussi sage et solide est nécessaire.

Au début des années 1950, il a dû sembler visionnaire à beaucoup de vouloir mettre en commun les ressources énergétiques dans la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et c’est pourtant ce qui s’est produit, donnant un coup de fouet à l’intégration européenne après l’échec de la Communauté européenne de défense.

L’Union européenne est avant tout une communauté de valeurs qui trouve dans le refus de la guerre comme instrument de règlement des différends, dans le respect de l’État de droit, dans la démocratie et le dialogue, dans la cohésion sociale et dans les perspectives d’épanouissement des jeunes, ses principes cardinaux.

Pour tout cela, l’Europe appartient à ses citoyens.

C’est un modèle de réussite poursuivi comme un idéal sur d’autres continents.

Faire partie de ce projet, c’est partager, dans un esprit de solidarité et de responsabilité, ses valeurs fondatrices et s’engager au quotidien pour défendre les droits inscrits dans la Charte des valeurs de l’Union européenne.

On peut y voir une critique voilée des positions polonaises du président Morawiecki, qui avait déclaré à Heidelberg qu’à l’heure actuelle, l’Union a l’intention de « frapper les autres avec le fouet des « valeurs européennes » sans se mettre d’accord sur leur définition ni comprendre quels changements doivent être apportés par les différents pays ». Cette remarque faisait directement référence à la procédure d’infraction contre l’État de droit engagée en vertu de l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE) à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie en raison de leurs réformes internes.

Mattarella a toujours été très sensible au respect des droits, et il est clair que sa position a également une implication nationale : le gouvernement de Giorgia Meloni est largement inspiré, au moins en ce qui concerne les politiques de droits civils, par ce que les Polonais et les Hongrois ont mis en place.

Chers étudiants, chers étudiants,

Il s’agit d’une tâche qui ne vous est certainement pas étrangère.

La culture polonaise a été un exemple de modernité et de courage.

Je pense à Maria Salomea Sklodowska, née à Varsovie il y a plus d’un siècle et demi et plus connue internationalement sous le nom de Marie Curie, la première femme de l’histoire à recevoir le prix Nobel.

Sklodowska s’est installée à Paris pour étudier à la Sorbonne. Une citoyenne européenne capable d’appliquer aux femmes l’expérience des clerici vagantes, l’expérience de la génération Erasmus, ante litteram.

La scientifique polonaise a déconstruit les stéréotypes et les préjugés et a obtenu des résultats inimaginables avant elle, ouvrant la porte, même au prix de sacrifices et d’attaques personnelles, à toutes les jeunes femmes qui ont emprunté le même chemin après elle.

Marie Sklodowska Curie avait coutume de dire que « la voie du progrès n’est ni rapide ni facile », mais il nous appartient de veiller à ce que la porte reste ouverte à tous ceux qui souhaitent l’emprunter.

L’Union européenne s’interroge en ce moment historique — à commencer par la Conférence sur l’avenir de l’Union, dont il faut assurer l’issue positive — sur les meilleurs moyens de garantir la défense de nos démocraties et donc l’avenir des jeunes Européens.

Regardons l’Europe comme une grande communauté d’hommes et de femmes libres qui, ensemble, sont capables de façonner leur propre destin.

Voyons comment concrétiser la perspective d’une autonomie stratégique de l’Union européenne, capable d’assurer la dissuasion, en étant conscients que cela implique de renforcer encore — et non d’affaiblir — nos alliances, point fort de notre système de défense.

Je pense à la relation entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique, ainsi qu’à celle avec les États-Unis qui, dans la crise de sécurité que traverse notre continent, se sont placés aux côtés de leurs alliés.

En outre, les sommes allouées au renforcement de la défense par les différents pays de l’Union (qui dépassent de loin celles de leurs concurrents), si elles étaient mises en commun, constitueraient un levier sans pareil, qui profiterait également à l’Alliance atlantique.

Mais il faut surmonter avec courage et clairvoyance les contradictions qui consistent à vouloir viser, d’une part, un cadre solide de défense européenne sans pouvoir vaincre, d’autre part, la timidité de ceux qui hésitent à avancer sur la voie de l’intégration. L’un ne va pas sans l’autre.

Un cadre de coopération économique, même commode, ne pourra jamais suffire à assurer la sécurité mutuelle, mais il faut la solidité d’une véritable communauté de valeurs partagées.

Il est possible de déceler dans ce passage un accord substantiel avec l’approche d’Emmanuel Macron sur l’autonomie stratégique européenne et la nécessité de rendre l’Union européenne plus forte en matière de défense et de diplomatie. Bien sûr, le président italien utilise, comme à son habitude, des tons beaucoup plus conciliants à l’égard des Polonais, mais la phrase « vaincre avec courage et clairvoyance la timidité de ceux qui hésitent à avancer sur la voie de l’intégration » est sans équivoque.

Bien entendu, par rapport à la position française, Sergio Mattarella n’oublie pas l’importance de l’Alliance atlantique pour les Européens (« nous devons renforcer et non affaiblir nos alliances »). Il s’agit d’un pilier fondamental du positionnement international de l’Italie et d’une source de tensions bien moindre que celles qui animent les relations entre Paris et Washington.

Sur cette voie, la confiance en nous-mêmes et dans les valeurs qui nous animent doit nous conduire à projeter des gestes de paix, et à refuser d’être esclaves de la logique de la guerre et du conflit.

Ce qui doit prévaloir, c’est le droit international, le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États et le dialogue sur les différends.

En Europe, en ce moment, deux guerres se déroulent en même temps, à des niveaux différents mais étroitement liés : celle qui voit l’Ukraine attaquée par la Fédération de Russie dans son intégrité territoriale, et une guerre des valeurs, dans laquelle tous les éléments qui caractérisent l’expérience occidentale d’aujourd’hui, à commencer par la liberté, sont en jeu.

Les deux terrains se croisent souvent. C’est ce qui s’est passé lors de la Seconde Guerre mondiale.

On pourrait dire qu’en Europe, l’histoire est toujours contemporaine.

La mémoire passe nécessairement par une ville, Gdańsk (Dantzig), qui a marqué à deux reprises au XXe siècle l’histoire de la Pologne : Le « plan blanc » de 1939 avec l’agression de la ville par le régime nazi et le début, en 1988, du processus de libération du régime communiste.

« Mourir pour Dantzig », telle était la question posée en Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences de ces incertitudes sont bien connues.

Comment construire la paix, comment créer un système qui respecte les droits de chaque État et qui soit capable de rayonner autour de lui des valeurs positives de coopération, comme cela a été le cas au cours des décennies avec l’Union et l’OTAN, des organismes qui ont projeté la sécurité, en assurant la stabilité et le développement ?

La Pologne est un excellent témoin de ces processus, le chef de file de celui qui a conduit à la libération du joug soviétique de nombreux pays d’Europe centrale et orientale.

Les valeurs sur lesquelles la communauté peut construire son avenir doivent être partagées.

Jean-Paul II a inventé le slogan « de l’Union de Lublin à l’Union européenne », une représentation plastique de ce « retour à l’Europe » que la Pologne a pu réaliser, sur le chemin qui a accompagné sa pleine entrée dans les institutions de l’Union.

Ce processus était étayé par la conviction que le « retour à l’Europe » exprimait le caractère intégral de l’identité polonaise après le long voyage à travers le régime communiste soviétique, la souffrance et la lutte du peuple polonais pour être réuni au destin des autres peuples européens. Les droits de l’individu bafoués par le régime communiste ont ainsi trouvé leur place.

En 2004, l’adhésion de la Pologne et des autres pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne a permis de franchir une première étape dans l’unification historique de notre continent.

Le cercle vertueux des réformes, de la croissance et des perspectives d’adhésion a fonctionné.

Aujourd’hui, à nouveau, la perspective européenne est précieuse pour nos États voisins, qui trouvent dans l’adhésion à l’Union un motif d’espoir et la force de revendiquer la justice, les droits, la paix, et d’élargir le cercle des pays qui témoignent de leur adhésion aux valeurs des droits des personnes et des peuples.

C’est avec la conscience du pouvoir évocateur et transformateur de la perspective européenne qu’a été prise la décision historique d’accorder le statut de candidat à Kyiv et à Chişinău,, dont les peuples doivent savoir que l’Europe ne les laissera pas seuls face aux défis auxquels ils sont confrontés.

La conclusion rapide du processus d’adhésion de nos voisins des Balkans, qui sont sur le chemin de l’Union depuis de nombreuses années, est un objectif que la République italienne soutient pleinement, afin de donner un débouché à leurs aspirations et de ne pas concéder des espaces dangereux d’acceptabilité à des forces hostiles aux valeurs de la coexistence ; des espaces qui corroderaient les systèmes démocratiques.

C’est un pas qui doit être fait sans tarder, un pas indispensable si nous ne voulons pas créer une instabilité dangereuse pour le continent.

L’Italie est, parmi les États fondateurs, probablement le pays le plus intéressé par l’intégration des Balkans dans l’Union européenne. Le veto français au statut de candidat de l’Albanie et de la Macédoine du Nord en 2019 avait été très critiqué par Rome, qui y voyait au contraire la nécessité d’achever le processus. Dans ce contexte, Sergio Mattarella a réitéré la position italienne traditionnelle, qui s’étend également à l’Ukraine et qui, dans ce cas, s’accorde parfaitement avec la position polonaise.

L’Union européenne a également joué un rôle précieux sur l’autre front qui caractérise les frontières du continent, le continent méditerranéen et africain.

L’attention, réclamée il y a des années face à l’émergence du terrorisme islamiste, laisse aujourd’hui place à une distraction négligente et dangereuse.

La frontière méditerranéenne est une question qui ne concerne pas seulement les pays européens qui la bordent.

Et l’objectif d’un partenariat plus fructueux et plus solide entre l’Union européenne et l’Union africaine est un choix clairvoyant, capable d’anticiper les tensions et de contribuer à la cause de la paix.

Magnifique Recteur, Autorités, Professeurs et Enseignants, chers étudiants,

Nombreuses sont les collaborations que vous développez chaque jour avec les universités italiennes.

Ces échanges renforcent la connaissance et la compréhension mutuelles, une vision commune de l’avenir et la volonté de la réaliser.

Je suis convaincu que vous, jeunes de l’Université Jagellonne et jeunes du monde entier, savez trouver des ressources extraordinaires sur lesquelles fonder une action commune.

Je vous souhaite à tous de garder intacts le courage et l’esprit indomptable et généreux dont vous avez fait preuve au cours de cette année difficile, et de franchir résolument toutes les portes que vous trouverez sur votre chemin vers un avenir pacifique.

Je vous adresse mes meilleurs vœux !

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