La création d’un format bilatéral sur les « technologies critiques et émergentes » a pour la première fois été mentionnée suite à la rencontre entre le Premier ministre indien Narendra Modi et son homologue américain, Joe Biden, à l’occasion d’une rencontre à Tokyo en mai 2022 dans le cadre d’un sommet du Quad — qui réunit les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie.1

  • Cette initiative est pilotée directement par les cabinets des deux conseillers à la sécurité nationale : Jake Sullivan, à la tête du NSC (National Security Council) et Ajit Doval (NCSC, ou National Security Council Secretariat), conseiller à la sécurité nationale indien.
  • Il ne s’agit pas ici de la signature d’un nouvel accord mais d’un « élargissement » visant à « renforcer et étendre le partenariat technologique stratégique et la coopération industrielle en matière de défense entre les gouvernements, les entreprises et les institutions universitaires »2.

Les domaines de coopération de cet élargissement concernent notamment : 

  • le renforcement de la coopération à long terme en matière de recherche et de développement, particulièrement dans les champs de la sécurité maritime, du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance ;
  • le soutien au développement d’un écosystème de conception, de fabrication et de production de semi-conducteurs en Inde ;
  • la contribution des États-Unis au développement de canons et de véhicules de combat blindés en Inde visant à aider Delhi à « développer une industrie de défense indigène pour sa propre défense et l’exportation »3.

Washington s’engage également à favoriser l’accès de l’Inde aux technologies de calcul intensif (ou High Performance Computing, qui concernent les calculs réalisés par les superordinateurs utilisés notamment dans le champ de l’intelligence artificielle), à l’opposé de la dynamique visant à limiter l’accès de Pékin à des technologies américaines.

La coopération technologique entre les deux pays a par le passé conduit à des frictions.

  • Dans les années 1970, les États-Unis ont imposé à l’Inde des contrôles à l’exportation visant à limiter le développement des technologies nécessaires au d’armes nucléaires.
  • Depuis la levée de ces sanctions en 2001, de nombreux accords ont été signés notamment l’accord sur le renseignement géospatial en 2020, renforçant la coopération technologique4.
  • Depuis l’arrivée au pouvoir de Biden les relations sont devenues plus étroites. En décembre 2021, le président américain avait invité Modi au premier « Sommet pour la démocratie » visant à rassembler les like-minded partners pour résister à la « pression extérieure des autocrates »5.

Ce rapprochement acte l’éloignement vis-à-vis de Pékin. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 a coïncidé avec l’intensification des manœuvres militaires et des crises à la frontière sino-indienne, culminant en 2020 avec les combats de Ladakh ayant conduit à la mort de 20 militaires indiens.

Le 31 janvier, l’Inde a annoncé envisager des mesures tarifaires et non-tarifaires visant à réduire les importations de biens de consommation et de produits électroniques, notamment en provenance de Chine, afin de réduire les déséquilibres commerciaux existants6.

  • Sur la période avril-décembre 2022, le déficit commercial s’est creusé de 28 % par rapport à l’année précédente. Si la demande intérieure indienne est restée forte, la politique zéro-Covid chinoise a réduit le volume des importations en provenance d’Inde.
  • Malgré sa politique de non-alignement, l’Inde cherche de plus en plus à limiter sa vulnérabilité vis-à-vis de la Chine dans des domaines critiques. En 2020, le ministère du Commerce et de l’Industrie indien annonçait que « les investissements provenant de tout pays partageant une frontière terrestre avec l’Inde seront soumis à un processus d’approbation gouvernemental ». Étant donné que le Pakistan et le Bangladesh faisaient déjà l’objet de restrictions, cette annonce visait en premier lieu les investissements chinois7.
  • Au cours des dernières années, les autorités indiennes ont également restreint l’accès des investisseurs chinois aux marchés publics indiens, aux secteurs de la technologie, des télécommunications, de l’éducation8

De par sa taille et sa géographie, l’Inde occupe également une place centrale dans l’agenda Indo-Pacifique de l’administration Biden. Si Jake Sullivan a déclaré que ce rapprochement s’inscrivait dans la stratégie visant à « renforcer les liens des États-Unis avec les alliés et les partenaires dans la région indo-pacifique », Delhi reste prudent sur la présence militaire chinoise en mer de Chine du Sud et sur Taïwan, accordant plus d’importance aux crises frontalières avec la Chine et le Pakistan9.

Sources
  1. Readout of President Biden’s Meeting with Prime Minister Modi of India, Maison-Blanche, 24 mai 2022.
  2. FACT SHEET : United States and India Elevate Strategic Partnership with the initiative on Critical and Emerging Technology (iCET), Maison-Blanche, 31 janvier 2023.
  3. Ellen Nakashima, « U.S. and India launch high-level defense and tech initiative », The Washington Post, 31 janvier 2023.
  4. Rajat Pandit, « India, US to ink pact for geospatial intelligence, will help in missile-targeting & navigation », The Times of India, 27 octobre 2020.
  5. Remarks By President Biden At The Summit For Democracy Opening Session, Maison-Blanche, 9 décembre 2021.
  6. Shubham Batra, Sarita Chaganti Singh and Shivangi Acharya, « India plans measures to curb Chinese imports as trade gap concerns mount », Reuters, 31 janvier 2023.
  7. Government amends the extant FDI policy for curbing opportunistic takeovers/acquisitions of Indian companies due to the current COVID-19 pandemic, Ministère indien du Commerce et de l’Industrie, 18 avril 2020.
  8. Tanvi Madan, « China Has Lost India. How Beijing’s Aggression Pushed New Delhi to the West », Foreign Affairs, 4 octobre 2022.
  9. Demetri Sevastopulo et John Reed, « US and India launch ambitious tech and defence initiatives », Financial Times, 31 janvier 2023.