Ces pourparlers font suite à plusieurs mois de pression de la part de Washington pour que les pays jouant un rôle clef dans la chaîne de valeur des semi-conducteurs s’alignent sur les restrictions américaines.

  • En octobre, le Bureau de l’industrie et de la sécurité du département du Commerce américain avait inscrit de nouveaux biens sur la liste des produits contrôlés (Commerce Control List) et imposé de nouvelles exigences en matière d’octroi de licences pour des produits destinés à contribuer au développement et à la production de semi-conducteurs en Chine.
  • Les trois pays (États-Unis, Pays-Bas, Japon) hébergent les plus grandes entreprises du secteur des semi-conducteurs : Applied Materials Inc. (États-Unis), Tokyo Electron Ltd. (Japon) et ASML Holding (Pays-Bas). 

Lors d’une visite bilatérale à Washington début janvier, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte avait nié faire l’objet de « pressions » de la part des États-Unis visant à interdire à ASML la vente de machines de lithographie à la Chine1. Le Premier ministre Kishida, lui aussi en visite à Washington en janvier, s’était montré plus ouvert à de telles restrictions, déclarant qu’il allait « examiner avec responsabilité la manière de traiter le commerce des semi-conducteurs »2.

  • La Chine représentait 11 % des importations totales des Pays-Bas en 2021 (soit son 3ème partenaire commercial en termes d’importations), et constitue la septième destination pour les biens néerlandais en termes de valeur.
  • Toutefois, une note du ministère de la Défense néerlandais de 2020 adressée au ministère des Affaires étrangères conseillait vivement de bloquer la vente de machines de lithographie à la Chine.
  • Le risque présenté était que ces puces permettraient à Pékin de développer plus rapidement des systèmes d’armes avancés qui constitueraient une menace pour la sécurité nationale des Pays-Bas3.
  • Un rapport officiel néerlandais de décembre 2022 présentait également la Chine comme « la plus grande menace pour la sécurité économique des Pays-Bas » en raison du risque de vol de secrets industriels, de concurrence déloyale et « d’utilisation finale non désirée des produits exportés à des fins militaires »4.

Les Pays-Bas vont étendre les restrictions imposées par les États-Unis à ASML Holding, entreprise spécialisée dans la fabrication de systèmes de lithographie en ultraviolets extrêmes (EUV) de dernière génération.

  • Ces machines sont essentielles à la fabrication de puces utilisées dans les superordinateurs et dans le secteur de l’intelligence artificielle
  • Les États-Unis négocient depuis 2018 avec les Pays-Bas pour empêcher la vente à la Chine par ASML de systèmes de lithographie moins sophistiqués que les EUV, les systèmes de lithographie en ultraviolets profonds (DUV).
  • Le nouveau régime de restrictions privera ces entreprises d’une part significative de leur marché. Le marché chinois représente 15 % des ventes d’ASML et le quart de celles de l’entreprise japonaise Tokyo Electron Ltd.

Pékin reste encore dépendante des technologies étrangères, contrôlées par une poignée de pays : Taïwan, le Japon, la Corée du Sud, les Pays-Bas ou les États-Unis. 

  • Selon le Center for Security and Emerging Technology de l’université de Georgetown, en cumulant l’impact de la conception des puces, de la propriété intellectuelle, des outils et de la fabrication sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs, les entreprises chinoises détiennent une part de marché de 6 %, contre 39 % pour les États-Unis, 16 % pour la Corée du Sud ou 12 % pour Taïwan. 

Au mois de décembre, Beijing avait déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce, arguant que les inquiétudes américaines liées à sa « sécurité nationale » relèveraient de logiques anticoncurrentielles, contraires donc aux règles de l’OMC. Il est toutefois peu probable que celle-ci aboutisse, les États-Unis bloquant la nomination d’arbitres — notamment au sein de l’organe d’appel, qui statue sur les litiges les plus importants — depuis la présidence Trump.

  • Après avoir présenté un programme de soutien au secteur des semi-conducteurs de 143 milliards de dollars en décembre5, la Chine a finalement mis en pause sa politique d’investissements massifs visant à développer une industrie nationale de production de puces6.

La Commission européenne a également présenté en février 2022 l’European Chips Act visant à faire de l’Union un des principaux producteurs de puces au monde, avec un objectif de représenter 20 % de la production globale d’ici 2030.

  • Celui-ci vise notamment à soutenir le développement d’usines européennes capables de produire en grand volume les semi-conducteurs les plus avancés.
  • Le Chips and Science Act américain comprend quant à lui 280 milliards de dollars d’investissement dont 52,7 seront dédiés directement à la production de semi-conducteurs.
  • Son équivalent européen repose sur 11 milliards d’euros d’investissements qui viendront compléter les programmes existants en matière de R&D dans le domaine des semi-conducteurs (Horizon Europe et Digital Europe notamment) ainsi que les mesures de soutien annoncées par les États-membres, pour un total de 45 milliards d’euros d’investissements jusqu’en 2030.
Sources
  1. « Dutch PM Rutte denies U.S. pressure over chip export policy », Reuters, 13 janvier 2023.
  2. Isabel Reynolds, « Japan’s Kishida Says He’ll Weigh Stance on Chips Responsibly », Bloomberg, 14 janvier 2023.
  3. Jasper Bone, Bass Knot et Sandra Olsthoorn, « Defensie adviseerde geen geavanceerde ASML-chipmachines naar China te sturen », FD, 20 janvier 2023.
  4. Dreigingsbeeld Statelijke Actoren (DBSA 2), Ministère des Affaires intérieures et des Relations au sein du Royaume des Pays-Bas, 28 novembre 2022.
  5. Julie Zhu, « Exclusive : China readying $143 billion package for its chip firms in face of U.S. curbs », Reuters, 14 décembre 2022.
  6. « Battered by Covid, China Hits Pause on Giant Chip Spending Aimed at Rivaling US », Bloomberg, 4 janvier 2023.