Le rôle central d’ASML dans la rivalité technologique sino-américaine

Le 7 octobre 2022, le Bureau de l’industrie et de la sécurité du département du Commerce américain a très considérablement élargi ses mesures restrictives appliquées envers l’industrie chinoise des semi-conducteurs¹.

• De nouveaux biens utiles à la fabrication de supercalculateurs ont été inscrits sur la liste des produits contrôlés (Commerce Control List) et les ressortissants américains se voient désormais imposer l’obtention d’une licence pour contribuer au développement de semi-conducteurs qui pourraient être utilisés pour des programmes militaires chinois.
• Ces mesures visent principalement à empêcher l’importation comme le développement autochtone de puces avancées, notamment utiles pour les applications d’intelligence artificielle.
• En interdisant à tout acteur présent sur la chaîne de production américaine des semi-conducteurs de commercer avec la Chine, les États-Unis empêchent de facto les entreprises européennes du secteur d’entretenir leurs liens commerciaux avec Pékin.

Parmi les entreprises étrangères concernées par ces potentielles restrictions figure Advanced Semiconductor Materials Lithography (ASML), basée aux Pays-Bas. Cette société néerlandaise exerce un monopole sur la fabrication et la commercialisation de machines de lithographie en ultraviolets extrêmes (EUV), nécessaires à la gravure de puces de dernière génération.

En 2019, une demande de licence d’exportation pour ces machines a été bloquée par le gouvernement néerlandais sous la pression des États-Unis.

• Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en 2021, les États-Unis contraignent leurs alliés à choisir un camp entre Washington ou Pékin — en dépit de la promesse faite par Biden d’abandonner cette approche « with us or against us  ».
• Si les Pays-Bas considèrent de plus en plus le rôle de la Chine dans les secteurs technologiques comme une menace, un alignement complet sur Washington instaurerait un précédent pour des entreprises coréennes ou taïwanaises².

Si ASML ne peut plus vendre ses machines de lithographie les plus sophistiquées en Chine depuis 2019, le marché chinois représente toujours presque 15 % des ventes totales de l’entreprise. 

• La profitabilité de l’entreprise ainsi que le quasi-monopole qu’elle exerce sur le marché de la lithographie lui ont permis de multiplier par 4 ses revenus au cours de la dernière décennie³.
• Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. (TSMC), Samsung ou Intel dépendent des machines développées par ASML afin de fabriquer des puces de dernière génération. 

Selon des personnes proches du dossier, l’accord sur les restrictions d’exportations entre ASML et les États-Unis devrait être finalisé dans les prochaines semaines. Seulement, l’arrêt total des exportations de machines et services de lithographie aurait-il un impact sur le développement des capacités chinoises à accroître sa part sur le marché des semi-conducteurs ?

• Les superordinateurs chinois — qui utilisent des puces développées par ASML — aident à construire et exécuter des programmes d’intelligence artificielle qui analysent un grand nombre de données visant à surveiller et contrôler la population chinoise. Notamment au Xinjiang⁴.

• Selon le PDG d’ASML, Peter Wennink, les demandes américaines de restrictions ne répondent pas aux craintes liées à la sécurité nationale évoquées par Washington, les puces utilisées dans l’industrie de l’armement ayant déjà 10 à 15 ans⁵.