Brasília. Dans l’après-midi du dimanche 8 janvier 2023, des irréductibles manifestants d’extrême-droite entrent sur la Place des Trois Pouvoirs, lieu qui concentre le Palais du Planalto, centre de l’exécutif brésilien, le Congrès national, centre du pouvoir législatif, et le Tribunal Suprême Fédéral, centre du pouvoir judiciaire. Pendant plus de deux heures, sous les regards complaisants des forces de l’ordre, ils saccagent ces bâtiments dans un excès de violence inédit dans l’histoire de la jeune république brésilienne.

Il est aisé de voir dans ces actes une reproduction des violences ayant eu lieu aux États-Unis au Capitole le 6 janvier 2021. La comparaison doit cependant être nuancée, car l’extrême-droite brésilienne a ses propres ressorts. Si ces exactions sont bien inspirées du cousin nord-américain, deux éléments importants les en distinguent. D’une part, elles interviennent au Brésil alors que Luiz Inácio Lula da Silva est déjà investi président de la République depuis une semaine, tandis que Donald Trump était encore au pouvoir le 6 janvier 2021. D’autre part, si Donald Trump a appelé dès la publication du résultat des élections à la contestation de ces dernières, Jair Bolsonaro s’en est abstenu — bien qu’il l’ait fait à de multiples reprises, par anticipation, au cours de son mandat. Il séjourne d’ailleurs depuis le 31 décembre 2022 aux États-Unis, notamment en Floride.

© Eraldo Peres/AP/SIPA

Pourtant, les irréductibles soutiens de Jair Bolsonaro n’ont pas adhéré au mutisme de leur champion et, depuis le 30 octobre 2022, refusent le résultat des élections, campent notamment dans le quartier militaire de Brasília et demandent une intervention des forces armées qui empêcherait l’investiture de Lula. Ce dernier n’était pas à Brasília ce 8 janvier mais à Araraquara, une ville de l’État de São Paulo touchée par des pluies torrentielles. Il semble donc clair que les manifestants d’extrême-droite ont vu dans cette absence le moment parfait pour « attaquer ». C’est depuis Araraquara que Lula a pris la parole pour décréter l’intervention fédérale dans le District Fédéral (c’est-à-dire l’unité fédérative où se trouve Brasília)1. Concrètement, jusqu’au 31 janvier les forces de police du District Fédéral passent sous contrôle direct du gouvernement fédéral, le temps que l’ordre soit rétabli2. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle qui avait déjà été activée en 2018 contre l’État de Rio de Janeiro.

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Le choix du président Lula de recourir à une mesure aussi forte traduit la gravité de la situation. En effet, loin d’être cantonnés à Brasília, d’autres évènements ont eu lieu dans le reste du pays, en particulier à São Paulo où une manifestation d’extrême-droite menaçait de prendre le siège du gouvernement de l’État fédéré, avant d’être prévenue par le gouverneur, Tarcisio de Freitas, pourtant arrivé à cette charge grâce à Bolsonaro. Toujours le 8 janvier, des appels d’extrême-droite visant à bloquer des raffineries, comme à Manaus, afin de paralyser le pays, ont été lancés sur les réseaux sociaux, sans résultats tangibles.

La complicité des forces de police avec les manifestants dans la marche vers ces violences est flagrante, les policiers n’ayant rien fait pour empêcher les manifestants (renommés «  terroristes  ») d’entrer sur la place et tout saccager. Certains ont même escorté les manifestants lors de leur marche de 8 kilomètres entre leur camp et la Place des Trois Pouvoirs. Pire, ils ont été vus prenant les évènements en photo et discutant gaiement avec les protagonistes3.

La complicité des forces de police avec les manifestants dans la marche vers ces violences est flagrante, les policiers n’ayant rien fait pour empêcher les manifestants (renommés «  terroristes  ») d’entrer sur la place et tout saccager.

Guillaume Cornille

Il est en effet avéré que la police est et reste favorable à l’ancien président d’extrême-droite. Pendant l’élection présidentielle, elle a ainsi bloqué de nombreux axes routiers où devaient passer les bus provenant de quartiers pro-Lula pour amener les électeurs aux bureaux de vote4. Le secrétaire à la sécurité du District Fédéral de Brasília — équivalent d’un ministre de l’Intérieur de la région — Anderson Torres, était indisponible toute la journée du 8 janvier, en route vers les États-Unis pour, selon certains, rencontrer Jair Bolsonaro5. Il a été remercié hier par le gouverneur du District Fédéral, Ibaneis Rocha, lui aussi plutôt proche de Bolsonaro. Ce dernier a été démis de son poste pendant 90 jours par le juge Alexandre de Moraes du Tribunal Suprême Fédéral, ennemi juré des bolsonaristes fanatiques6.

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Peut-on en conclure qu’il s’agirait d’une tentative de coup d’État instiguée par Jair Bolsonaro  ? Cela reste improbable tant ce dernier reste discret depuis la fin du second tour de l’élection présidentielle. Il a même été conspué par ses partisans lorsqu’il a pris l’avion pour les États-Unis. Il semble que les intérêts de l’ancien président soient surtout de chercher à obtenir la citoyenneté italienne pour aller vivre dans ce pays, par peur d’être rattrapé par la justice brésilienne. Concernant les attaques, Jair Bolsonaro n’a fait que rappeler son attachement à la démocratie, sans les condamner7.

Les alliés de l’ancien président se sont aussi rapidement désolidarisés de la manifestation. Devenu gouverneur de São Paulo grâce au soutien de Bolsonaro, Tarcisio de Freitas les a condamnés, à l’instar du président du Parti Libéral (le parti de Bolsonaro) Valdemar Costa Neto. Le président de la Chambre des Députés, Arthur Lira, lui aussi allié de l’ancien président, s’est joint aux dirigeants des pouvoirs exécutifs (Lula) et judiciaire (Rosa Weber) pour apporter une réponse fédérale commune aux violences. Seul Ibaneis Rocha, discrédité par son incapacité — ou son manque de volonté — à prévenir les exactions n’est pas parvenu à rejoindre le camp légaliste, malgré des excuses publiques.

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Quelles conséquences attendre de ces évènements  ?

Cette séquence constitue un événement inédit dans l’histoire de la République brésilienne. Il s’agit de la première fois qu’une attaque d’aussi grande ampleur contre les institutions fédérales se produit. Elle révèle que la crise politique brésilienne qui a commencé par les manifestations de 2013 est loin d’être résolue. Si Lula a été élu sur le thème de la réconciliation, son discours du 8 janvier a montré sa volonté de punir les «  terroristes  », mais aussi les instigateurs des attaques. Au moins 300 manifestants ont été arrêtés, mais la justice va devoir identifier les organisateurs de la manifestation. Campant depuis plus de deux mois à Brasília, dans un pays connaissant la faim et la précarité, les soupçons de l’existence de «  bienfaiteurs  » ravitaillant et soutenant financièrement les manifestants gagnent en importance.

Cette séquence révèle que la crise politique brésilienne qui a commencé par les manifestations de 2013 est loin d’être résolue.

Guillaume Cornille

La complaisance des forces de l’ordre va générer des remaniements internes pour assurer la fidélité institutionnelle de ce corps. Ibaneis Rocha sera très certainement l’un des principaux perdants de ces évènements. Déjà suspendu de son poste pour 90 jours, sa crédibilité est désormais minée alors qu’il avait été réélu gouverneur dès le 1er tour lors des élections de 2022. Un échec tandis que le District Fédéral est un bastion de Bolsonaro.

Une scission semble s’être opérée entre les cadres du camp bolsonariste et leur base. Les premiers ont en effet montré leur attachement aux institutions et à leur cadre légal en se désolidarisant rapidement des manifestants, malgré les contestations des résultats électoraux et menaces de coup qui ont pu être proférées jusqu’à la prise de pouvoir de Lula. Ils ont montré qu’ils n’étaient pas prêts à risquer leur fonction électorale et ses avantages pour soutenir un président en fuite et ses fanatiques. Il reste désormais à voir si cette scission entre «  bolsonaristes modérés  » et «  bolsonaristes fanatiques  » se creusera avec le temps ou non, ce qui aura nécessairement un impact sur l’ensemble du camp de l’opposition à Lula.

Sources
  1. Décret n°11 377 de la Présidence de la République, 8 janvier 2023.
  2. Au Brésil, les forces de police relèvent de la compétence des États fédérés.
  3. « Policiais são flagrados tirando fotos bolsonaristas durante invasão ao Congresso », G1 Globo, 8 janvier 2023.
  4.  Isabela Camargo et Márcio Falcão, « PRF descumpre ordem do TSE e para pelo menos 610 ônibus de eleitores em blitze ; Moraes intima diretor-geral », G1 Globo, 30 octobre 2022.
  5. Raquel Lopes, « Secretário de Segurança do DF, ligado a Bolsonaro, Anderson Torres é exonerado depois de ataques a poderes em Brasília », Politica Livre, 8 janvier 2023.
  6. Rosanne D’Agostino, « Moraes decide afastar o governador Ibaneis Rocha, do Distrito Federal, por 90 dias », G1 Globo, 9 janvier 2023.
  7.  Compte Twitter de Jair Bolsonaro, 9 janvier 2023.