Situation générale

Dans le point de situation du 28 mai, j’avais expliqué que la prise par les Russes de Popasna le 7 mai et l’avancée rapide de leurs forces dans toutes les directions avaient formé une poche qui menaçait toutes les forces ukrainiennes dans le secteur de Severodonetsk-Lysychansk (S-L). Cette situation délicate plaçait, selon moi, les forces ukrainiennes devant trois options : contre-attaquer, résister ou se replier.

La sagesse aurait sans doute voulu choisir la troisième solution, la politique et la volonté de ne pas céder un mètre ont fait choisir la première. La zone a donc été renforcée de nouvelles unités avec comme mission de desserrer l’étau de Severodonetsk à Horlivka (sur la zone de la république séparatiste de Louhansk). En comptant la 4e brigade blindée de réaction rapide de la Police, il y a désormais dans cette petite poche 12 brigades de manœuvre ukrainiennes et six unités de milices ou de l’armée territoriale. C’est entre un quart et un tiers de l’armée ukrainienne qui se trouve ainsi réunie dans un carré de 50 kilomètres de côté. Que les Russes s’emparent de la petite ville de Soledar — ils en sont à quelques kilomètres — et c’est toute la route T1302 qui relie les villes de Severodonetsk et Lysychansk (S-L) au reste de l’Ukraine qui se trouvera coupée. Il restera le passage par Siversk au nord de la poche, beaucoup moins pratique. Bien entendu, si Siversk tombait aussi, toutes les forces ukrainiennes de la poche seraient sérieusement menacées de destruction ne serait que par assèchement logistique. La région de Siversk à Lysychansk, protégée par deux brigades de manœuvre renforcées, n’est pour l’instant pas menacée après plusieurs tentatives russes, parfois désastreuses, de franchissement de la rivière Donets. Un nouveau pont mis en place par les Russes à Bilohorivka a été décelé et détruit le 16 juin, preuve que les Russes n’ont pas renoncé à attaquer de ce côté.

Front du Donbass

On assiste bien à un renforcement et à des contre-attaques, mais les efforts déployés ne repoussent pas vraiment l’ennemi. Les unités ukrainiennes déployées sur Severodonetsk et Lysychansk (S-L) ont pu ainsi refouler un temps les Russes à Severodonetsk, mais ne les ont pas empêchés de reprendre le terrain alors que la destruction des trois ponts reliant la ville à Lysychansk les isolait. Actuellement, les Ukrainiens ne tiennent plus que 20 % de la ville, soit le quartier de Metolkine et surtout le complexe chimique d’Azot, où comme dans Azovstal à Marioupol des centaines de civils sont également réfugiés. Ils doivent avoir engagé dans la zone de l’ordre de trois ou quatre bataillons issus des trois brigades placées à Lysychansk, qui font face à une « division Severodonetsk » de 7 à 9 bataillons composés d’infanterie tchétchènes, de miliciens issus de la société Wagner, de soldats de la république séparatiste de Lougansk et d’un bataillon de chars. En résistant fermement, les bataillons ukrainiens peuvent tenir plusieurs semaines dans la ville, mais il reste à déterminer si cela a une utilité militaire. Lysychansk située en hauteur et au-delà de la rivière du Donets qui ne peut plus être franchie par les ponts est beaucoup plus facile à défendre que Severodonetsk. 

Il est probable cependant que les forces russes ne cherchent pas à aborder Lysychansk de front mais à la contourner par les localités de Tochkivka, Hirske et Komyshuvakha, situés entre 6 et 10 kilomètres au Sud de la ville et au Nord de la poche russe de Popasna. Comme à Severodonetsk et Lysychansk, ce secteur est défendu par deux brigades de manœuvre et une brigade territoriale ukrainiennes. La face Ouest de Popasna est également défendue par trois brigades de manœuvre et une une brigade territoriale qui s’efforcent au mieux de reprendre du terrain et au pire de défendre Soledar et l’axe Bakhmout-Lysychansk. La face Sud est plus légère avec une brigade blindée et plusieurs bataillons d’infanterie qui défendent surtout les abords de la ville clé de Bakhmut, celle-ci étant également tenue par une brigade territoriale.

En face, les Russes ont renoncé à tout lien organique et ont formé trois divisions ad hoc sur chaque face de Popasna à partir d’une base de 20 à 25 bataillons de la république séparatiste de Lougansk, de blindés-mécanisées et surtout d’une infanterie d’élite avec une division et une brigade d’assaut aérien, ainsi que trois brigades d’infanterie navale réunies dans la zone.

Le dernier axe d’effort russe autour de la poche Severodonetsk et Lysychansk (S-L) et même de l’ensemble allant jusqu’à Sloviansk-Kramatorsk a lieu dans la région d’Horlivka, dans la république séparatiste de Donetsk, où un petit groupement d’assaut russe (Wagner et infanterie navale) appuyé par des unités du 1er corps d’armée de cette république séparatiste s’efforce de repousser, sans grand succès, la 46e brigade d’assaut aérien ukrainianne vers Kostiantynivka.

Comme à Severodonetsk, les Ukrainiens ont ralenti considérablement la progression russe dans toute cette zone, mais leurs attaques n’ont guère eu de succès et n’ont en tout cas pas permis de reprendre ni même de menacer la poche de Popasna, le seul objectif dont la prise pouvait changer le cours des opérations.

Les forces ukrainiennes sont face à un choix cornélien : choisir entre se replier en bon ordre ou tenir sur place. Ils pourraient ainsi se replier sur la conurbation Sloviansk – Kramatorsk – Droujkivka – Kostiantynivka, qui peut constituer une solide ligne de défense pour peu que les trois mois précédents aient été consacrées à la préparation de la défense avec la mise en place de nombreux dépôts. Cela offrirait également l’avantage de raccourcir le front et donc de pouvoir densifier sa défense. Ils peuvent choisir de tenir sur place en espérant l’usure russe, mais à ce jeu-là ils risquent de craquer avant eux, non par manque de courage mais simplement par manque de munitions, et cela peut tourner au désastre.

Le renforcement de la poche Severodonetsk et Lysychansk (S-L) a eu forcément pour effet de dégarnir les autres secteurs. Dans la région de Sloviansk, sur un front large allant de la poche russe d’Izium à celle de Lyman, on peut distinguer la face Ouest de la poche d’Izium, un temps axe d’effort russe et désormais plutôt défensif où la 106e division aéroportée et trois brigades indépendantes russes disputent la zone à quatre brigades ukrainiennes, sans grand effet de part et d’autre. À l’autre extrémité, après la prise de Lyman, deux à trois brigades russes s’efforcent de prendre le contrôle de la forêt jusqu’à la rivière Donetsk et peut-être de prendre contact avec la 95e brigade d’assaut aérien ukrainienne à Raihorodok à 2 km au Nord-Est de Sloviansk.

L’effort russe dans la région est clairement dans la zone entre ces deux extrémités en concentrant une division d’infanterie motorisée et la 90e division blindée, renforcées de plusieurs brigades blindées-mécanisées indépendantes et de deux brigades d’infiltration (45e brigade spéciale et 3e brigade spetsnaz) face à la 81e brigade d’assaut aérien (et peut-être aussi une brigade motorisée), renforcée de plusieurs bataillons indépendants d’infanterie qui tiennent la région forestière de Dovenhke-Krasnopillya et la route M03 qui relie Izium à Sloviansk. Les combats sont difficiles et les progrès russes très lents, mais on ne voit pas comment les forces ukrainiennes ne seraient pas amenées à se replier vers Sloviansk, même si cette dernière est encore loin d’être menacée.

Front périphériques (Kherson, Kharhiv, Zaporijia)

Dans les secteurs périphériques du front, on assiste au nord de Kharkiv à une série de contre-attaques russes afin de repousser les forces ukrainiennes le plus loin possible de la frontière et sans doute de revenir à portée de tir d’artillerie de Kharkiv. Les Russes veulent sans doute se protéger d’incursions ou de frappes ukrainiennes sur leur territoire et on observe une zone de reconstitution de leurs forces dans la région-base de Belgorod et l’axe logistique vers Izium via Vovchansk.

Avec deux divisions complètes et plusieurs brigades au repos, la base de Belgorod constitue également une zone de forces dans laquelle les Russes peuvent puiser pour renforcer la 6e armée en charge du secteur de Kharkiv. On y retrouve ainsi une présence permanente d’unités des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk qui ont le sentiment d’être surutilisés (les deux corps d’armée DNR/LNR approchent le seuil de destruction) à la place des Russes, et des renforts ponctuels de brigades blindées-mécanisées ou d’artillerie, qui permettent à la 6e armée de repousser des unités ukrainiennes affaiblies par le renforcement du Donbass en hommes et une logistique réduite. Après avoir suscité beaucoup d’espoirs, les succès ukrainiens dans le secteur de Kharkiv n’ont pas été décisifs.

A l’autre extrémité du front, la région de Kherson constitue une tête de pont au-delà du Dniepr que les Russes veulent conserver à tout prix, mais sans avoir pour l’instant les moyens de s’en servir comme base offensive. La zone de 80 kilomètres de long sur 30 de large est défendue par le 49e armée qui coiffe la 20e division d’infanterie motorisée à Kherson, la 7e division et la 11e brigade d’assaut aérien au centre et trois brigades indépendantes au nord. Avec en plus trois brigades de reconnaissance dont une de spetsnaz, l’ensemble représente peut-être 10 bataillons, plutôt de bonne qualité tactique même si très usées, retranchés depuis presque deux mois et surtout appuyés par au moins trois brigades d’artillerie et comme partout ailleurs un important appui aérien rapproché. Il est difficile dans ces conditions pour les Ukrainiens, pourtant forts de six brigades de manœuvre et d’autant d’unités territoriales ou de milices d’obtenir des résultats importants. La zone entre Kherson et Mykolaiv est verrouillée et il est impossible de part et d’autre d’y percer. Au début du mois de juin, les forces ukrainiennes étaient parvenues à franchir la rivière Inhulet au centre du dispositif, mais après une progression de quelques kilomètres, la puissance de feu et la contre-attaque russe ont bloqué la progression. Depuis, les combats sont à nouveau très statiques.Pour être complet, il faut évoquer également la zone qui va du Dniepr à la ville de Donetsk, qui est la moins densément occupée de part et d’autre et où les deux camps sont simultanément plutôt en posture défensive. Depuis des mois, le 1er corps d’armée de la république de Donestk s’efforce de repousser les forces ukrainiennes au-delà de la ville de Donetsk mais sans grand succès. Le 1er corps est épuisé et les forces ukrainiennes bien que réduites sont dans une bonne position défensive. Pour le reste, on assiste tout le long de la ligne à de nombreux combats de petite ampleur et sans autre effet que de fixer et user un peu les forces ennemies. La prise d’Orikhiv pourrait avoir de l’intérêt pour les Russes en menaçant Zaporijia mais ils manquent pour l’instant de forces dans le secteur pour pouvoir l’envisager.