Key Points
  • Après l’annexion de la Crimée en 2014 et alors que Lukashenko sentait son pays menacé, Minsk a résisté à la pression de Moscou, tant dans les domaines militaire qu’économique et culturel.
  • L’élection présidentielle de l’été 2020 en Biélorussie et la répression des manifestants contre la fraude électorale ont largement transformé ces dynamiques.
  • Au moment des sanctions européennes, le soutien de Vladimir Poutine à son voisin s’est payé au prix de l’indépendance de la Biélorussie.
  • Le début de l’invasion russe en Ukraine marque sans doute la fin de la souveraineté biélorusse. Celle-ci, qui s’accompagne depuis le 27 février de la fin de son statut constitutionnel de puissance non-nucléaire, a des conséquences importantes pour la sécurité européenne.

La souveraineté de l’Ukraine est activement remise en question par l’invasion des troupes russes sur le territoire du pays. Alors que l’issue de la guerre en Ukraine est encore incertaine, le conflit a d’ores et déjà marqué la fin de la souveraineté d’un État européen. Dans cette séquence, en effet, la Biélorussie s’est transformée en véritable vassale de la Russie, disposant d’une souveraineté de façade, comparable au statut de la République socialiste soviétique de Biélorussie dans l’Union Soviétique. Ce développement, aux antipodes de la réaction de Minsk après l’annexion de la Crimée en 2014, est potentiellement lourd de conséquences pour la sécurité européenne.

Suite à l’annexion de la Crimée et au soutien direct apporté aux forces séparatistes dans le Donbass par la Russie en 2014, le dirigeant Biélorusse Alexandre Loukachenko avait souhaité prendre ses distances d’avec Moscou de peur d’être le prochain pays à subir une invasion russe et afin de renforcer l’autonomie de son pays.  «  Seul un fou ne tirerait aucune conclusion des événements qui ont lieu près de la Biélorussie » avait alors indiqué Loukachenko. Dans le domaine de l’information, du soft power, de la sphère économique et militaire, la Russie a tenté de limiter l’indépendance de la Biélorussie tandis que le Président Biélorusse cherchait à sécuriser la souveraineté du pays.

Dans le domaine de l’information, du soft power, de la sphère économique et militaire, la Russie a tenté de limiter l’indépendance de la Biélorussie tandis que le Président Biélorusse cherchait à sécuriser la souveraineté du pays.

Milán Czerny

La télévision russe a ainsi commencé à référence, de plus en plus fréquemment après 2014, le « lien naturel » entre la Russie et la Biélorussie1. L’idéologie du « zapadnorusisme » selon laquelle la Biélorussie serait une création artificielle qui appartient intrinsèquement, aux côtés de l’Ukraine, au monde russe a été également mise en avant par la création de plateformes en ligne imitant de véritables sites d’information biélorusses2. Ces sites nationalistes pro-russes ont commencé à diffuser des arguments similaires à ceux déployés par Vladimir Poutine lors de sa déclaration de guerre : ils insistaient particulièrement sur l’histoire de la Rus’ de Kiev, qui constituerait un lien historique entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Le territoire de cette principauté – devenue un mythe dans la construction impériale russe – s’étendait en effet sur le territoire actuel des trois États.

En réaction, Loukashenko avait alors dénoncé la « guerre informationnelle russe contre la Biélorussie »3 et s’était engagé dans une politique de « biélorussification » par la promotion de langue biélorusse, le folklore et la redéfinition de l’identité historique du pays indépendamment de la Russie, en insistant notamment sur les liens avec le Grand-Duché de Lituanie. Ces efforts visaient à renforcer l’identité nationale afin de fournir un fondement à la souveraineté biélorusse.

Le secteur économique jouait également un rôle important dans cette dynamique. Le soutien financier de la Russie à Minsk a été utilisé à de nombreuses reprises par Moscou comme levier afin de forcer la main du président biélorusse et de limiter la souveraineté du pays dans la prise de décisions économiques. Après 2014, Loukachenko a ainsi cherché à diversifier les partenaires économiques du pays et a accueilli début 2020 à bras ouverts la proposition faite par le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo de fournir du pétrole à la Biélorussie4.

Le soutien financier de la Russie à Minsk a été utilisé à de nombreuses reprises par Moscou comme levier afin de forcer la main du président biélorusse et de limiter la souveraineté du pays dans la prise de décisions économiques.

Milán Czerny

Enfin, dans le domaine militaire, après l’annexion de la Crimée, la Russie a cherché à renforcer l’intégration des forces armées biélorusses au sein de l’Armée russe. Le ministère de la défense Sergei Shoigu avait alors déclaré, sans l’accord préalable de Minsk, qu’une organisation militaire conjointe serait créée dans le cadre de l’Union de la Russie et de la Biélorussie avec un centre de décision commun situé à Moscou. La Russie a également multiplié les demandes visant à établir une base aérienne en Biélorussie. Ces différentes mesures auraient largement limité la souveraineté militaire de la Biélorussie. 

Toutefois, comme dans les domaines économique et culturel, Minsk a résisté à la pression de Moscou, en se tournant notamment vers la Chine pour limiter sa dépendance aux importations d’armements russes. En 2020 elle a aussi accueilli des marines britanniques pour des exercices militaires et a tenté d’établir des contacts militaires avec les États-Unis.

© Peter Kovalev/TASS/Sipa USA

L’élection présidentielle de l’été 2020 en Biélorussie et la répression des manifestants qui protestaient contre la fraude électorale ont largement transformé ces dynamiques. Alors que Minsk faisait l’objet d’importantes sanctions occidentales, le président Vladimir Poutine a été l’un des rares dirigeants à soutenir son voisin. Ce soutien russe, qui s’est notamment traduit par des prêts, s’est cependant payé au prix de l’indépendance de la Biélorussie. La souveraineté du pays s’est graduellement érodée tandis que son isolement s’accroissait. L’Union européenne avait notamment décidé de fermer son espace aérien à la Biélorussie suite à l’interception par Minsk d’un vol européen survolant la capitale biélorusse avec à son bord un dissident. 

Ce soutien russe, qui s’est notamment traduit par des prêts, s’est cependant payé au prix de l’indépendance de la Biélorussie. La souveraineté du pays s’est graduellement érodée tandis que son isolement s’accroissait.

Milán Czerny

Le début de l’invasion russe en Ukraine marque sans doute la fin de la souveraineté biélorusse. 

Quelques jours avant l’invasion, la Russie a annoncé que ses troupes présentes en Biélorussie dans le cadre des exercices militaires « Détermination alliée-2022 » resteraient indéfiniment. Ces forces basées en Biélorussie jouent depuis le début des hostilités un rôle central dans l’offensive russe en descendant directement depuis Gomel sur Kiev par le Nord. Des missiles russes Iskander ont été également lancés depuis le territoire biélorusse en direction de l’Ukraine et notamment de l’aéroport de Zhytomyr5. Après que les forces ukrainiennes ont repoussé une offensive contre l’aéroport de Hostomel, les avions russes chargés de parachutistes ont pu se retirer vers la base aérienne de Gomel6. Des hôpitaux biélorusses s’occupent également de soigner les blessés russes. 

Dans le dispositif stratégique de Moscou, la Biélorussie sert donc de rampe de lancement en offrant une base arrière aux forces russes au Nord du territoire ukrainien. Cela fait de facto de la Biélorussie une extension directe du district militaire occidental russe. 

La souveraineté de la Biélorussie dans la prise de décision militaire est elle aussi largement compromise. En outre, selon des officiels américains, la Biélorussie se prépare à envoyer ses propres troupes contre l’Ukraine. Enfin, un référendum de la Constitution biélorusse adopté le dimanche 27 février alors, que les combats faisaient rage en Ukraine, a retiré le principe de neutralité et son statut d’État non-nucléaire dans la Constitution biélorusse, ouvrant  directement la possibilité de stationner des armes nucléaires russes sur le sol biélorusse, aux portes de l’Union européenne. 

Dans le dispositif stratégique de Moscou, la Biélorussie sert donc de rampe de lancement en offrant une base arrière aux forces russes au Nord du territoire ukrainien. Cela fait de facto de la Biélorussie une extension directe du district militaire occidental russe.

Milán Czerny

La fin de la souveraineté biélorusse, particulièrement dans le domaine militaire, a des implications directes pour la sécurité européenne. Les frontières de la Russie se sont de facto étendues vers l’Occident, offrant à Moscou une profondeur stratégique accrue. En outre, cela permet à la Russie de couper les pays baltes du reste de l’Europe en prenant le contrôle de la ligne de Suwałki. Alors que les conséquences de l’invasion russe en Ukraine sont encore difficiles à établir, la perte de la souveraineté biélorusse constitue d’ores et déjà un bouleversement de l’architecture de sécurité européenne.

Sources
  1. “Is Belarus Waging an Information War against Russia ?” Belarus Digest, Consulté le 1er mars 2022. https://belarusdigest.com/story/is-belarus-waging-an-information-war-against-russia/?print=pdf.
  2. Tsarik , Yuri. “The Russian Media in Belarus.” Riddle, October 30, 2019. https://ridl.io/en/the-russian-media-in-belarus/.
  3. “Встреча в преддверии 100-летия белорусской дипломатической службы”, Belarus President’s website, 18 janvier 2019 : https://president.gov.by/ru/events/vstrecha-v-preddverii-100-letija-belorusskoj-diplomaticheskoj-sluzhby-20311
  4. ”Pompeo offers Belarus oil in rare visit”. BBC, 1er février 2020 : https://www.bbc.com/news/world-europe-51342197
  5. “Airport in Central Ukraine Reportedly Targeted by Missile Fired from Belarus.” The Times of Israel, February 27, 2022. https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/airport-in-central-ukraine-reportedly-targeted-by-missile-fired-from-belarus/.
  6.  “Ukraine War News from February 25 : Kyiv Suburbs Breached, Russian Forces Face Resistance, Zelensky Warns Russia Will ‘Storm’ Capital.” Financial Times, February 26, 2022. https://www.ft.com/content/93554a7e-f974-49fc-85ba-c111d253b002.