Ce texte a été prononcé par Martin Kimani, le Représentant permanent du Kenya aux Nations unies, lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité à propos de la situation en Ukraine le 21 février, quelques heures avant le début d’une invasion russe à grande échelle.

Nous nous réunissons ce soir au bord d’un conflit majeur en Ukraine. La voie diplomatique à laquelle nous avons exhorté le 17 février est en train d’échouer.

L’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine sont violées. La Charte des Nations Unies continue d’être piétinée sous l’assaut incessant des puissants.

En un instant, elle est invoquée avec révérence par les mêmes pays qui lui tournent ensuite le dos pour poursuivre des objectifs diamétralement opposés à la paix et à la sécurité internationales.

Lors des deux dernières réunions sur la situation en Ukraine et assistant au renforcement des forces de la Fédération de Russie autour de l’Ukraine, le Kenya a demandé instamment que l’on donne une chance à la diplomatie.

Notre appel n’a pas été entendu et, plus important encore, l’exigence issue de la Charte selon laquelle les États doivent « régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques de telle sorte que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger » a été profondément compromise.

Aujourd’hui, la « menace ou l’usage de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine » a été mise à exécution.

Le Kenya est gravement préoccupé par l’annonce faite par la Fédération de Russie de reconnaître les régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine comme des États indépendants.

De notre point de vue, cette action et cette annonce portent atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Nous ne nions pas qu’il puisse y avoir de graves problèmes de sécurité dans ces régions. Mais ils ne peuvent justifier la reconnaissance aujourd’hui de Donetsk et de Louhansk en tant qu’États indépendants. Surtout pas au moment où de multiples voies diplomatiques étaient disponibles et en cours, qui avaient la capacité d’offrir des solutions pacifiques.

Le Kenya, comme presque tous les pays africains, est né de la fin d’un empire. Nos frontières n’ont pas été dessinées par nous-mêmes. Elles ont été tracées dans les lointaines métropoles coloniales de Londres, Paris et Lisbonne, sans aucun égard pour les anciennes nations qu’elles ont séparées.

Aujourd’hui, de l’autre côté de la frontière de chaque pays africain vivent nos compatriotes, avec lesquels nous partageons de profonds liens historiques, culturels et linguistiques.

Au moment de l’indépendance, si nous avions choisi de poursuivre des États sur la base de l’homogénéité ethnique, raciale ou religieuse, nous serions encore en train de mener des guerres sanglantes de nombreuses décennies plus tard.

Au lieu de cela, nous avons convenu que nous nous contenterions des frontières dont nous avions hérité. Mais que nous poursuivrions dans le même temps l’intégration politique, économique et juridique du continent. Plutôt que de former des nations qui regardent toujours en arrière dans l’histoire avec une dangereuse nostalgie, nous avons choisi de regarder vers l’avant, vers une grandeur qu’aucune de nos nombreuses nations et aucun de nos nombreux peuples n’avait jamais connue.

Nous avons choisi de suivre les règles de l’OUA et de la Charte des Nations Unies non pas parce que nos frontières nous satisfaisaient mais parce que nous voulions quelque chose de plus grand, forgé dans la paix.

Nous croyons que tous les États formés à partir d’empires qui se sont effondrés ou retirés comptent de nombreux peuples qui aspirent à s’intégrer aux peuples des États voisins. C’est normal et c’est compréhensible. Après tout, qui ne souhaite pas s’unir à ses frères et faire cause commune avec eux ?

Cependant, le Kenya refuse qu’une telle aspiration soit poursuivie par la force. Nous devons achever de guérir sur les braises des empires morts sans replonger dans de nouvelles formes de domination et d’oppression.

Nous avons rejeté hier l’irrédentisme et l’expansionnisme sur quelque base que ce soit, y compris les facteurs raciaux, ethniques, religieux ou culturels. Nous les rejetons à nouveau aujourd’hui.

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