Introduction
Alberto Beneduce a été l’un des hommes les plus puissants du régime fasciste. Dans les années 1930, il était considéré comme « le banquier de Mussolini » et « le dictateur de l’économie italienne » 1. Dans un enregistrement de 1934, deux membres de l’establishment italien commentent le rôle du puissant technocrate : « Celui qui gouverne l’Italie maintenant, c’est Beneduce », « il est le maître de tout » et « quand vous avez besoin de quelque chose, vous devez demander à Beneduce », concluent-ils. 2
En raison de ses compétences dans le domaine économique, Beneduce devient le principal conseiller financier de Mussolini ; il fonde et gère des entités publiques, des sociétés, des banques et des entreprises d’État ; il maîtrise la politique bancaire et industrielle du régime ; il représente le gouvernement italien dans les conférences économiques internationales des années 1920 et 1930.
D’un point de vue historiographique, le rôle de Beneduce a été largement analysé en termes d’histoire économique et administrative. En termes d’histoire politique, sa figure n’a pas encore été analysée en profondeur au niveau international 3.
La carrière de Beneduce est particulièrement importante pour sa position au sein du régime : il était proche de Mussolini, mais il n’a jamais adhéré au parti fasciste ni obtenu de rôle politique. Au cours de ses quinze années de collaboration avec le régime, il est devenu un acteur économique et politique clé, atteignant l’apogée de son influence en tant que technocrate dans les années de la présidence de l’IRI (1933-1939).
En termes politiques, la figure de Beneduce est restée dans une zone d’ombre bien qu’il ait été le leader d’un groupe d’élite technocratique influent au sein de la dictature fasciste, un groupe qui a traversé l’État libéral, l’État fasciste et s’est envolé vers l’État républicain d’après-guerre grâce aux élèves de Beneduce. En particulier, la plupart des entités publiques, des sociétés et des holdings créées par Alberto Beneduce dans les années 1910-1930 ont survécu à l’effondrement du régime fasciste, et à la fin de la Seconde Guerre mondiale 4. Le « système Beneduce », qui organisait la relation entre l’État et le marché, était de facto l’un des ponts qui reliaient l’ère libérale, l’ère fasciste et l’ère républicaine 5.
Cet article évalue le rôle de Beneduce en tant qu’acteur politique au sein du régime fasciste. Il analyse, en particulier, la trajectoire intellectuelle et politique de Beneduce, son rôle central dans la structure du pouvoir fasciste, sa relation avec Mussolini et son héritage en tant que fondateur des institutions technocratiques. Pour atteindre correctement cet objectif, Alberto Beneduce doit être replacé dans un contexte culturel et institutionnel plus large, celui de la transformation du concept d’État au début du XXe siècle, et de l’essor de la pensée technocratique dans les années 1920-1930 6. Car seule une compréhension adéquate de sa figure permet d’évaluer le rôle de la technocratie au sein du régime fasciste. En particulier, l’histoire de Beneduce montre comment l’équilibre des pouvoirs était organisé dans un système de pouvoir totalitaire, et combien cet aménagement présentait d’ambiguïtés.
La crise et le nouvel État
Dans son chef-d’œuvre L’Ordinamento giuridico 7, publié en 1918, l’éminent juriste italien Santi Romano a fourni une nouvelle représentation de l’État moderne. Selon Romano, l’État abandonne sa « nature monolithique » et il est appelé à faire face à une pluralité croissante d’intérêts qui dépendent d’une part du développement économique et social, et d’autre part de la démocratisation de la société. Dans ce processus, le « vieil » État moderne s’est pluralisé et fractionné, il est devenu une mosaïque de différents niveaux territoriaux, d’associations, de syndicats, d’entreprises, d’entités publiques, d’administrations spéciales, de coopératives 8. En conséquence, l’administration publique doit remplir des fonctions plus spécifiques pour répondre à la montée des nouveaux intérêts sociaux 9.
Ensuite, le rôle de l’État a changé dans les années 1930 en raison du changement de paradigme économique. Les gouvernements ont réagi en rejetant les théories orthodoxes de la croissance en faveur de nouvelles politiques qui, espéraient-ils, allaient redresser leurs économies. La dévaluation de la monnaie, l’interventionnisme de l’État et l’augmentation des dépenses publiques étaient désormais considérés comme un remède à l’économie. Dans le domaine de la politique industrielle, les gouvernements ont également essayé d’inverser le ralentissement économique en renversant leur stratégie traditionnelle. Les États-Unis ont abandonné la réglementation du marché en faveur d’une cartellisation dirigée par l’État ; la Grande-Bretagne a remplacé les politiques destinées à soutenir les petites entreprises par des politiques visant à créer d’énormes monopoles ; la France a remplacé le libéralisme par l’étatisme ; et l’Italie a lancé une intervention publique massive dans le secteur financier et économique par le biais de participations de l’État 10.
Ce cadre intellectuel et institutionnel a eu une grande influence sur l’organisation de l’État italien dans les années 1910 et 1930, lorsque Beneduce est devenu l’architecte de nombreuses nouvelles institutions. Au cours de sa carrière, il a fondé une variété d’entités publiques spécialisées, morcelant l’État et renforçant le lien entre le secteur public et le secteur privé 11. En outre, ces nouvelles institutions, rebaptisées Enti Beneduce par l’historiographie, s’inspiraient d’une approche technocratique. Elles étaient créées pour sélectionner et nommer des techniciens capables de remplir une fonction spécifique, elles avaient une organisation de type commerciale avec un conseil exécutif au sommet et des employés peu nombreux, compétents et bien payés 12.
Beneduce a su profiter de la crise politique de l’État libéral pour créer des entités publiques non bureaucratiques, capables de traiter avec le secteur privé et de soutenir le développement industriel. Mais le contexte dans lequel la carrière de Beneduce a décollé serait incomplet si l’on ne tenait pas compte du rôle de la compétence technique comme facteur politique légitimant.
La montée de la technocratie : les années 1920-1930
Les idées technocratiques ont été beaucoup plus influentes dans l’entre-deux-guerres qu’on ne le pense souvent. Une approche technocratique a imprégné et permuté les idéologies fascistes, socialistes, communistes et libérales 13. La technocratie ne doit pas être considérée uniquement comme une solution partielle pour optimiser la production. Au contraire, comme Charles Maier l’a affirmé avec force, les chefs d’entreprise, les ingénieurs, les politiciens, les intellectuels et leurs organisations et partis respectifs y ont vu un moyen de créer un nouvel ordre sociétal pour les États-nations d’Europe (et d’Amérique du Nord), en proie à d’énormes problèmes d’instabilité, de conflits sociaux, de chômage et de dépression économique 14.
En 1919, l’ingénieur californien William H. Smyth avait inventé le terme « technocratie » pour décrire « le gouvernement du peuple rendu efficace par l’action de ses serviteurs, scientifiques et ingénieurs ». Des mouvements similaires ont été relancés après la crise de 1929, lorsque Howard Scott a fondé l’Alliance technique, qui a reçu un soutien initial de l’administration Roosevelt. Ses membres — des hommes d’affaires et des savants ayant de forts liens avec le monde universitaire — attachaient une énorme importance au progrès technique et proposaient de remplacer les politiciens par des ingénieurs ayant la formation adéquate pour diriger l’économie, qui n’était plus guidée par le mécanisme des prix 15.
L’expérience de la rationalisation industrielle promue en Allemagne par Walther Rathenau, aspirait à la fondation d’une « nouvelle économie » dans laquelle l’« expérience technique accumulée par les grandes entreprises pour la transférer à tous les systèmes de production de la nation […] [et en même temps] […] utiliser le pouvoir de direction politique de l’État, de plus en plus accru par les exigences de la guerre, pour contrôler le développement économique, social et culturel de la nation » 16, était significative.
Plus tard, les ingénieurs allemands ont joué un rôle important dans la formulation de l’idéologie nazie. L’organisation nazie des ingénieurs diplômés, le NS Bund Deutscher Technik, comptait plus de 50 000 membres et publiait un journal mensuel, le Deutsche Technik, dont les rédacteurs étaient Fritz Todt et, plus tard, Albert Speer, qui devinrent les deux technocrates les plus éminents du régime nazi 17.
Fritz Todt, le père du système d’autoroutes, devient en 1932 le chef de l’Union technique nationale socialiste. En 1938, l’Organisation Todt (OT) est créée en dehors de l’armée et du parti nazi pour réaliser des projets de construction militaire. Libérée des bureaucraties de l’armée et du parti et ne répondant qu’à Todt, l’OT est incroyablement efficace. Todt devient ministre du Reich pour l’Armement et les Munitions en 1940, mais l’OT continue de mener à bien des projets de construction essentiels en temps de guerre.
Albert Speer, avant même que les nazis ne prennent le pouvoir, organise la rénovation du siège du parti, et lorsque Hitler arrive au pouvoir, Speer rénove l’ancienne chancellerie du Reich allemand à Berlin, établissant une étroite amitié avec lui. Après avoir entrepris un certain nombre d’autres travaux architecturaux, Speer est nommé Inspecteur général des bâtiments de Berlin en 1937, et il conçoit et construit une série de quartiers généraux du Führer dans tous les territoires occupés allemands.
À la mort de Todt en 1942, Hitler nomme immédiatement Speer ministre de l’Armement, un poste par lequel il contrôle efficacement et avec compétence l’économie du Reich, admettant sa dette envers le mouvement de rationalisation de Rathenau 18.
En France, il y avait le mouvement du Redressement Français, fondé en 1925 par l’entrepreneur et gestionnaire des secteurs de l’électricité et du pétrole, Ernest Mercier, selon une vision élitiste et technocratique. Sa biographie présente de nombreux points communs avec celle de Beneduce : ingénieur diplômé, combattant héroïque de la Première Guerre mondiale, il avait travaillé au ministère de l’Armement et des Fabrications de guerre, puis à celui de la reconversion industrielle, où il avait tissé des liens importants avec les milieux politiques. Mercier était imprégné d’esprit national et, avec son mouvement de polytechniciens modernisateurs, il avait l’ambition de faire de la France une grande puissance industrielle. Même dans son cas, donc, la vision nationale et l’approche technocratique étaient indissociables. Dans les années 1930, c’est le tour du Groupe X-Crise, composé de diplômés de l’École polytechnique et destiné à rassembler un groupe restreint d’élites intellectuelles françaises sur la base d’« études scientifiques et mathématiques rigoureuses des problèmes économiques et sociaux ». Ils entendent remettre en question le système libéral dont la crise a révélé les faiblesses, l’incompétence des hommes politiques à gouverner l’économie, et la planification de la production 19.
Le fascisme des débuts était également fasciné par l’attrait de la pensée technocratique, et il associait la technocratie à la productivité. Le produttivismo de Mussolini s’appuyait sur les experts et les gestionnaires, et les producteurs étaient utilisés par le parti comme un moyen de légitimation, pour être perçu comme plus acceptable par l’establishment industriel italien. Les statuts du parti de 1921 demandaient aux cadres locaux de recruter des experts, des gestionnaires et des professionnels en les organisant en gruppi di competenza (groupes de compétences). En termes pratiques, ces groupes étaient utilisés pour gagner des sympathisants potentiels en faisant apparaître le parti comme moins idéologiquement étroit. Ils représentent une politique de normalisation, une dévalorisation de l’approche révolutionnaire adoptée par son aile radicale. Cependant, le paradigme technocratique a également été utilisé par les théoriciens du corporatisme qui visaient une collectivisation de la propriété et une planification économique 20.
Ainsi, le régime fasciste a produit trois nuances technocratiques différentes : une « technocratie opportuniste » recherchée par le Parti fasciste pour construire une nouvelle classe dirigeante (compétente et spécialisée), une expérience qui décline avec le tournant autoritaire de 1925 ; une « technocratie utopique » pour réformer le système capitaliste envisagé par les théoriciens corporatistes comme Ugo Spirito, Giuseppe Bottai et Camillo Pellizzi ; et une « technocratie pragmatique » qui provenait des entités publiques et du complexe financier-industriel de l’ère de Giovanni Giolitti, comme dans le cas d’Alberto Beneduce et de son groupe.
Le jeune Beneduce
Alberto Beneduce est né en 1877 à Caserte, une ville d’Italie du Sud, fils d’une famille de la petite bourgeoisie 21. Il étudie les mathématiques à Naples, où il obtient son diplôme en 1902. En 1904, il s’installe à Rome, car il est sélectionné par un concours comme fonctionnaire de rang moyen par le ministre de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. Pour ses connaissances mathématiques, il est affecté à la prestigieuse division des études statistiques du ministère, où il travaille sur les statistiques sociales et démographiques. Une fois à Rome, en 1905, Beneduce entre dans la Grande Oriente d’Italia, la plus vaste organisation maçonnique italienne, où il a la chance de rencontrer l’aile laïque de l’establishment italien 22.
Durant sa période de fonctionnaire, Beneduce rencontre Francesco Saverio Nitti en 1909 23. Celui-ci admire les compétences techniques du jeune Beneduce, et lorsqu’il devient ministre de l’Agriculture en 1911, il nomme Beneduce secrétaire de son cabinet 24.
Beneduce est profondément influencé par Nitti dans ses idées politiques et culturelles et, en particulier, par le radicalisme et le positivisme. Comme le souligne Giovanni Orsina, le réformisme est entendu comme la capacité d’organiser un nouvel État industrialisé et démocratique, dans lequel la confiance dans la compétence scientifique comme condition préalable à l’activité politique était partagée par tous les radicaux, et par les assistants de Nitti 25 .
Façonné par ces idées, mais avec un penchant plus fort pour le socialisme par rapport à Nitti, Beneduce entre en contact avec Leonida Bissolati, le leader des socialistes-réformistes en 1910. Beneduce et Bissolati aspirent à un parti de type travailliste, social-démocrate, capable de donner une représentation aux masses, organisé en associations syndicales, et visant à gérer le pouvoir avec la bourgeoisie entrepreneuriale progressiste.
La création de l’INA
Une fois que Nitti est devenu ministre de l’agriculture et qu’il a promu Beneduce comme secrétaire de cabinet, il a immédiatement compris que le jeune statisticien était l’homme idéal pour superviser la réforme du secteur des assurances, une politique phare de son programme politique. L’idée de Nitti était de monopoliser le secteur de l’assurance-vie en créant une entité publique dédiée pour gérer le monopole 26. Le plan est également soutenu par Giovanni Giolitti, le Premier ministre.
Beneduce rédige le plan technique que Nitti devra défendre dans de nombreux domaines politiques et stratégiques. Le monopole de l’État sur l’assurance vie est définitivement approuvé par le Parlement en 1912. L’entité publique habilitée à fournir des services d’assurance s’appelle INA, Istituto Nazionale Assicurazioni. L’INA était une entité publique, mais avec un modèle de gouvernance privé, il s’agissait d’une innovation institutionnelle importante pour l’État italien. Il a été le précurseur d’une nouvelle classe d’organismes financiers spécialisés visant à limiter le risque et l’incertitude dans la vie économique, tout en diffusant une nouvelle culture de la sécurité sociale parmi les classes inférieures et les régions méridionales sous-développées 27. Bonaldo Stringher, directeur général de la Banque d’Italie, est nommé président de l’INA et Alberto Beneduce devient membre du conseil d’administration.
L’expérience à l’INA devient fondamentale pour le jeune technicien. En effet, désormais, il n’est plus seulement un brillant fonctionnaire et un savant, mais il est en mesure d’acquérir de nouvelles compétences managériales et d’entrer dans le cercle exclusif de la haute administration publique 28.
Entre guerre et politique (1914-1922)
En 1915, Beneduce part à la guerre comme volontaire et il entre dans le corps des génies militaires. Comme Bissolati et Nitti, il soutient l’entrée de l’Italie dans la Première Guerre mondiale et affiche une posture nationaliste 29. En 1915, il continue à collaborer avec Stringher pour fonder le Consorzio per sovvenzioni su valori industriali, une société publique chargée de planifier le financement industriel pendant la guerre.
Dans le conflit, Beneduce a probablement vu une chance de redistribution du pouvoir politique et économique. Il affirmait : « il sera nécessaire de répondre à la nécessité d’une intervention croissante de l’État dans l’économie, et cela peut être réalisé en organisant cette intervention dans des bureaux spécialisés, en dehors de l’administration publique, avec l’autonomie nécessaire pour fonctionner dans une économie de marché. » 30
En 1917, il revient à Rome du front et il est nommé administrateur délégué de l’INA. Sous sa direction, l’Institut aide la Banque d’Italie et le Trésor à mettre en place des « prêts nationaux » pour relancer l’économie. En outre, en 1917, il est nommé membre du conseil d’administration de l’Istituto nazionale dei cambi con l’estero. La même année, il promeut l’Opera Nazionale Combattenti (ONC), une entité publique destinée à aider les vétérans de guerre en les aidant dans la recherche d’emploi, la formation et la promotion d’hypothèques et d’assurances rentables. En outre, par le biais de l’ONC, de nouvelles politiques ont été promues, comme une nouvelle vague de travaux d’assèchement et de travaux publics pour relancer l’économie et créer de nouveaux emplois 31. En 1919, Beneduce a fondé la CREDIOP, une banque nationale pour les travaux publics dont il est resté président jusqu’en 1939. L’objectif de cette institution était de garantir des ressources financières pour les travaux publics par le biais d’émissions d’obligations garanties par l’État 32.
Cependant, pour mener à bien ce projet de redressement économique, Beneduce estime qu’il est inévitable de descendre dans l’arène politique. En novembre 1919 il se présente aux élections législatives dans la circonscription de Caserte. Il est élu député et rejoint le groupe des socialistes-réformateurs, dirigé par Ivanoe Bonomi. Pour ses compétences techniques, il est nommé président de la commission financière de la Chambre.
Au cours de cette période, Beneduce acquiert une réputation internationale. Il représente le gouvernement italien dans les principales conférences économiques internationales de Bruxelles (1920) et de Gênes (1922). À Bruxelles, il soutient que l’équilibre n’est plus la condition naturelle du système monétaire, et espère l’intervention des gouvernements pour qu’ils prennent des mesures correctives afin d’atteindre une plus grande stabilité 33.
Dans les gouvernements dirigés par Bonomi, il est choisi comme ministre du Travail (4 juillet 1921 – 26 février 1922). Pendant son mandat parlementaire, il continue à collaborer avec Bonaldo Stringher et la Banque d’Italie, et se voit confier de nouveaux postes de gestion 34.
Le gouvernement est vivement critiqué par Benito Mussolini, mais l’opinion du futur Duce sur Beneduce apparaît plus nuancée par rapport à son commentaire sévère sur l’ensemble du gouvernement. Dans un article paru dans le journal fasciste Il Popolo d’Italia, Mussolini semble apprécier le choix du nouveau ministre du Travail : « Il a le nombre, en termes d’intelligence et de compétence, pour mener à bien sa tâche mieux que ne l’a fait l’honorable Labriola. » 35 Cette déclaration est le premier signe de l’estime personnelle du leader fasciste.
En tant que ministre du Travail, Beneduce obtient beaucoup moins de résultats qu’en tant que technocrate. En effet, en août 1921, Beneduce déclare que son ministère ne dispose pas de suffisamment de ressources et d’outils pour mettre en œuvre les politiques essentielles en matière de travail, et il se rend compte que son programme aurait été impossible à mettre en pratique 36. En octobre de la même année il démissionne de son poste, le Premier ministre Bonomi accepte cette démission en février 1922.
Sources
- A. De Stefani, Baraonda bancaria, Edizioni del Borghese, Milan, 1960, p.518 ; F. Amatori, « IRI : financial intermediary or entrepreneurial state ? », Financial History Review, Vol. 27, n°3, 2020, p. 436-448 ; M. Franzinelli & M. Magnani, Beneduce. Il finanziere di Mussolini, Mondadori, Milan, 2009.
- Dialogue entre le sénateur Giovanni Silvestri et la femme du grand industriel Ettore Conti, 14 mars 1934, ACS, spd, cr B 94, rapporté pour la première fois par E. Cianci, Nascita dello Stato imprenditore in Italia, Mursia, Turin, 1977, p.116.
- Sa figure est à peine considérée par exemple par Adrian Lyttleton, Denis Mack-Smith, Stanley Paine, Robert Paxton. De même, le rôle du technocrate n’est pas pris en compte par R.J.B. Bosworth (ed), The Oxford Handbook of Fascism, Oxford University Press, Oxford, 2010. On trouve quelques indications sur Beneduce dans Jean-Yves Dormagen, Logiques du fascisme : L’état totalitaire en Italie, Fayard, Paris, 2007.
- Sur la continuité institutionnelle des entités Beneduce à l’époque républicaine, voir L. Tedoldi, Storia dello Stato Italiano, Laterza, Rome, 2018 ; G. Melis, Storia della pubblica amministrazione italiana, Il Mulino, Bologne, 1996 ; G. Astuto, Dal centralismo napoleonico al federalismo amministrativo, Carrocci, Rome, 2017 ; M. De Cecco, « Splendore e crisi del sistema Beneduce » in F. Barca (ed.), Storia del capitalismo italiano, Donzelli, Florence, 2010, p.389-405.
- M. De Cecco, « Splendore e crisi del sistema Beneduce » dans F. Barca, Storia del capitalismo italiano, Donzelli, Florence, 2010, pp. 389-405
- Sur le managérialisme et la technocratie, voir R.G. Olson, Scientism and technocracy in the twentieth century, Lexington Books, New York, 2016 ; L. Castellani, L’ingranaggio del potere, Liberilibri, 2020 ; Sur l’influence du débat américain en Europe sur ces concepts, voir C.S. Maier, In search of stability : Explorations in Historical Political Economy, Cambridge University Press, Cambridge, 1988 ; L. Castellani, The history of the US civil service. From the postwar years to the twenty-first century, Routledge, New York, 2021.
- S. Romano, L’Ordinamento giuridico (1918), Quodlibet, Macerata, 2019.
- Dans le même ordre d’idées, la conception pluraliste de l’État a été façonnée par les universitaires contemporains Léon Duguit et Maurice Hariou. Voir J.M. Blanquer et M. Milet, L’ Invention de l’Etat : Léon Duguit, Maurice Hauriou et la naissance du droit public moderne, Odile Jacob, Paris, 2015.
- Santi Romano, tout comme Alberto Beneduce, était un « a-fasciste » qui coopérait avec le régime, devenant le Président du Conseil d’Etat dans les années 1930.
- Sur les États-Unis, voir E.W. Hawley, New Deal and the problem of monopoly. A study on economic ambivalence, Fordham University Press, New York, 1995 ; sur la France R.F. Kuisel, Capitalism and the State in Modern France : Renovation and Economic Management in the Twentieth Century, Cambridge University Press, 1981 ; sur le Royaume-Uni, voir D. Ritschel, The Politics of Planning : The Debate on Economic Planning in Britain in the 1930s, Oxford University Press, 1997 ; sur l’Italie, F. Barca, Storia del capitalismo italiano, Donzelli, 2010.
- L. Castellani, « Administrative traditions matter. Continuity and change in the Italian Civil Service : from post-war to the twenty-first century », in F. Mandak (ed), Identity Crisis in Italy, Dialog Campus, Budapest, 2019.
- Voir S. Cassese, Lo Stato fascista, Il Mulino, Bologne, 2007.
- La technocratie exprime une préférence pour une méthode de travail qui sépare les questions techniques de la politique. Selon les défenseurs de la pensée technocratique, une stratégie de séparation commune consistait à « technifier » la discussion, en d’autres termes, à définir certaines questions comme techniques et apolitiques. Pour une approche générale, voir L. Castellani, L’ingranaggio del potere, Liberilibri, Macerata, 2020 ; sur la technocratie des années 1930, voir Schot, Johan, et Vincent Lagendijk, « Technocratic internationalism in the interwar years : Building Europe on motorways and electricity networks », Journal of Modern European History, Vol. 6, n°2, 2008, p. 196-217.
- Charles S. Maier, « Between Taylorism and technocracy : European ideologies and the vision of industrial productivity in the 1920s. », Journal of contemporary history, Vol. 5, n°2, 1970, p. 27-61.
- Smyth W.H., Technocracy, University of California Press, Berkeley, 1920 ; W.Akin, Technocracy and the American Dream : The Technocracy Movement 1900-1941, University of California Press, Berkeley, 1977 ; B.H. Burris, Technocracy at work, State University of New York Press, New York, 1993, p. 25.
- L. Villari, Introduzione a Rathenau, L’economia nuova, Einaudi, Turin, 1976, p. XVIII.
- B. Taylor, Hitler’s engineers. Fritz Todt and Albert Speer : Masters’ builder of the Third Reich, Casemate, Londres, 2010.
- M.Guillén, « States, Professions, and Organizational Paradigms : German Scientific Management, Human Relations, and Structural Analysis in Comparative Perspective », Papier présenté au Center for Advanced Study in the Social Sciences du Juan March Institute, Octobre 1990, p.30.
- R.F. Kuisel, Ernest Mercier French Technocrat, University of California Press, Berkeley, 1967 ; J. Meynaud (1964), La Technocratie, mythe ou réalité, Payot, Paris, 1964 ; O.Dard, « Voyage à l’intérieur d’X-Crise », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°47, 1995, p. 132-146.
- A. Salsano, L’altro corporativismo. Tecnocrazia e managerialismo tra le due guerre, Il Segnalibro, Turin, 2003 ; C. Pellizzi, Una rivoluzione mancata, Il Mulino, Bologne, 2009.
- Son père était un concierge qui est ensuite devenu un petit entrepreneur dans le secteur de l’imprimerie.
- En quelques années, il atteint les plus hauts rangs de la franc-maçonnerie et en 1912, il est nommé membre du comité central du Grand Orient.
- La même année, Beneduce obtient un poste d’Ispettore dei demani comunali e degli usi civici en 1909, et il commence à coopérer également avec le commissaire à l’émigration au ministère des Affaires étrangères, où il étudie les statistiques de rapatriement des émigrants des États-Unis.
- Beneduce a été présenté à Nitti en 1909 par le juriste Lodovico Mortara, dont Beneduce était un ami de son fils Giorgio, qui était un collègue de Nitti à l’Université de Naples. L’intérêt pour une collaboration apparaît dans une lettre de Nitti d’avril 1909 : « Cette année, à l’occasion du budget, je m’occuperai longuement des désordres du ministère de l’Agriculture. Je vous serai reconnaissant de rassembler tous les éléments qu’il sera possible de réunir. » Voir Potito das AA.VV, L’insegnamento di Alberto Beneduce, Rubbettino Editore, Soveria Manelli, 2014.
- Orsina, Senza chiesa né classe, Carocci, Rome, 1998.
- Dans ce contexte, il y avait l’influence des conceptions idéologiques modernes relatives à la relation entre l’État et le secteur de l’assurance, qui se répandaient en Europe. En particulier, les théories des « socialistes à la présidence » en Allemagne considéraient l’assurance comme un service public nécessaire et, par conséquent, détaché des tendances du marché. Voir A. Jorio, « Impresa di assicurazione e controllo pubblico », Quaderni di Giurisprudenza commerciale, n°29, 1980, p. 24-26.
- N.De Ianni « Il viaggio breve. Beneduce dal socialismo al fascismo », Rivista di Storia Finanziaria, 2005, p.48.
- Rapport du projet de loi présenté par Nitti sur les dispositions relatives à l’exercice de l’assurance sur la durée de la vie humaine par INA, dans les actes parlementaires, Chambre des députés, séance du 3 juin 1911, p.23.
- D. Felisini, « Between State and Market. Managerial Capitalism Italian Style : IRI, 1933-1970 », Revista de Historia Industrial, Vol. 54, 2014, p. 81-107.
- Comme le rapporte P. Saraceno, « Keynes e la politica italiana di piena occupazione », dans Studi Svimez, n. 7-8, vol. 36, 1983, p.279-298.
- G.Melis, La macchina imperfetta, Il Mulino, Bologne, 2018.
- Crediop, avec l’ICIPU fondé en 1924, peut être considéré comme le précurseur de l’IRI et de la loi bancaire de 1936 pour l’intention de découpler le crédit à moyen terme pour les industries des banques universelles. L’idée de créer des institutions spécialisées pour gérer les différents risques financiers était la base de la stratégie de Beneduce. En effet, pour les prêts plus risqués aux industries, il fallait des outils différents de ceux de la banque traditionnelle. Voir P. Baratta, « Alberto Beneduce e la costituzione e gestione del CREDIOP e dell’ICIPU », Edindustria, Rome, 1985 ; M. De Cecco e P.F. Asso, Storia del CREDIOP, Laterza, Rome-Bari, 1994.
- ASbI, Carte Beneduce, cart. 109, « Actions nécessaires pour réduire les déséquilibres internationaux », discours de Beneduce à la Conférence de Bruxelles, 29 septembre 1920.
- Il est nommé membre du conseil de l’Istituto Nazionale dei cambi con l’estero (1919) ; puis président de la Cassa Nazionale di previdenza per l’invalidità e la vecchia degli operai (1919) ; membre du conseil du Consiglio superiore del credito et du Consiglio superiore della previdenza e assicurazioni sociali (1920).
- B. Mussolini, « Il nuovo governo », 5 juillet 1921.
- Voir Potito, Ibid, p.28.