Les élections du 28 février ont confirmé ce que de nombreux sondages prédisaient : Nuevas Ideas (Nouvelles Idées), le parti du président Nayib Bukele, a obtenu la majorité à l’Assemblée législative. Sur 84 sièges, le parti du « N » de Nayib en a remporté 56, selon les données du Tribunal suprême électoral, ce qui lui confère un contrôle absolu au sein du parlement et le pouvoir, par exemple, de choisir le prochain président de la Cour suprême de justice et d’approuver unilatéralement les trois prochains budgets du pays. Ce résultat réaffirme la fin du bipartisme, dans un scénario politique dominé depuis la fin de la guerre civile par deux partis hégémoniques : le parti de gauche, le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN), et le parti conservateur de droite, Arena.
Oscar Ortiz, secrétaire général du FMLN, a été le premier à annoncer, après les premiers recomptages, la défaite électorale retentissante de son parti. « Le FMLN ferme un cycle et commence une profonde réforme politique », a-t-il écrit sur son compte Twitter. Une telle réforme est la même que celle qui avait été promise après les précédentes élections présidentielles, à la suite desquelles Ortiz, ancien commandant de la guérilla et fondateur du parti, a pris la direction du parti. De nombreux analystes prédisent déjà la possible « mort politique » du FMLN, historiquement réticent à embrasser des courants idéologiques différents de la gauche orthodoxe.
Pour Arena, le jour des élections n’a pas été moins gris non plus. Ses anciennes figures ont été confrontées à la justice ces dernières années et le parti est en constante division. En outre, selon une enquête du journal El Faro, nombre de ses principaux donateurs ont décidé de ne pas soutenir le parti pour ces élections en raison de la détérioration de sa situation financière. Il ne reste rien ou presque des deux partis traditionnels, vestiges de la guerre civile, et ils se préparent à nager dans les eaux de l’insignifiance.
Selon une enquête de l’Institut universitaire d’opinion publique (IUDOP), à la question de savoir quels sont leurs sentiments lorsqu’ils entendent parler de ces deux instituts politiques, la réponse des Salvadoriens les réponses vont du mépris à la haine en passant par l’inquiétude. Après trente ans au gouvernement, aucun des deux n’a su répondre aux demandes populaires, pris dans un système économique néolibéral qui a perpétué les inégalités sociales. Ainsi, ces gouvernants ont quitté le pouvoir les uns après les autres, laissant derrière eux un amalgame de promesses inachevées.
Le taux de criminalité élevé, la situation économique précaire et la corruption ont créé des conditions propices au rejet populaire et à la fuite des bases électorales en question. Les partis d’opposition ont axé leur campagne sur l’idée de « défendre l’institutionnalité », « protéger la démocratie », « sauvegarder l’État de droit ». Ils ont oublié qu’au Salvador, un pays pratiquement dépourvu d’éducation civique, de démocratie et d’institutionnalité, nombreux sont ceux qui ne mangent pas. De même, de nouveaux groupements politiques qui prétendaient embrasser le secteur le plus jeune de la population ont essayé de courir avant de marcher et ont oublié que l’action politique va au-delà des hashtags et des réseaux sociaux.
De l’autre côté, le calcul politique du président Bukele a une fois de plus été efficace. Au-delà du fait que les « anti-bukeliens » remettent en question la légalité des stratégies utilisées, comme le gel du paiement de la dette politique envers les partis sous l’argument que l’État manque de liquidités pour faire face à l’urgence de la pandémie, on ne peut pas douter que l’élection ait reflété le sentiment populaire des larges majorités. Son mouvement qui a débuté en 2018, avec la fondation de Nuevas Ideas, jouit aujourd’hui d’une légitimité plus grande que jamais.
Désormais, le président pourra gouverner à partir de l’exécutif sans contrepoids pour contrôler son pouvoir. Connaissant l’histoire de l’Amérique latine, il est normal qu’on entende tirer la sonnette d’alarme par crainte d’un retour à régime autoritaire. Mais avant de s’obstiner dans la critique, il faudra d’abord qu’une opposition soit capable de se mettre en place, la situation qui se dessine, sans leadership solide au sein d’aucun des courants idéologiques traditionnels invite à l’émergence de nouveaux groupements politiques et mouvements sociaux. A cela s’ajoute le fait qu’il faudra dépasser la polarisation, qui rend les sociétés malades, et espérer que cette nouvelle législature s’efforcera de régler la dette historique de la politique envers les Salvadoriens.