En 2020, le Kremlin avait prévu de se focaliser sur la politique intérieure après six ans marqués par les coups d’éclats sur la scène internationale en Ukraine ou en Syrie, afin de remobiliser la population russe. Il était perceptible dès le début de l’année 2020 que les effets des discours de diabolisation de l’Occident – déployés suite à l’annexion de la Crimée – s’essoufflaient, et que les difficultés économiques étaient au centre des préoccupations des citoyens. Ainsi, Vladimir Poutine s’est garanti dès janvier la possibilité de rester en poste jusqu’en 2036, afin de limiter les bruits de couloirs au sein de l’élite quant à son départ. Le reste de l’année devait être destiné à stimuler la mobilisation populaire en faveur du régime. La célébration des 75 ans de la victoire sur le nazisme lors de la Grande Guerre Patriotique, de même que la tenue d’un référendum constitutionnel à statut symbolique, semblaient être propice à une telle stimulation des citoyens. Vladimir Poutine devait être au centre de ces deux moments de rassemblements autour du passé (la Grande Guerre Patriotique) et du futur (une nouvelle constitution) de la Russie. Plusieurs imprévus entravant la capacité du régime à exalter l’opinion publique ont toutefois joué les trouble-fête cette année et continueront à rythmer l’année 2021 du Kremlin. Le régime se retrouve à court d’idées pour stimuler sa population, et ne peut que proposer un projet politique fondé sur une stabilité illusoire.

Le premier imprévu est bien évidemment la pandémie de Covid-19. Sur le plan sanitaire, la Russie a été durement touchée avec un bilan officiel s’élevant à plus de 186 000 morts liés au coronavirus1. Vladimir Poutine est apparu en retrait face à ces chiffres élevés, retranché dans un bunker et déléguant les décisions destinées à lutter contre le virus au niveau régional. Le gouvernement peut difficilement se réjouir d’avoir pu contenir les effets de la pandémie sur son PIB (une baisse d’environ 4 % contre plus de 10 % dans les pays européens), puisque la hausse des prix en fin d’année a durement atteint les consommateurs. Le Président russe a mis en scène une réprimande du ministre de l’économie Maxim Reshetnikov, et a imposé un plafonnement du prix des denrées alimentaires qui risque de nuire à la qualité des produits 2. Les problèmes économiques rencontrés depuis 2014 par la population ont empiré, et 60 % des citoyens estiment que le gouvernement n’est pas en capacité de sortir le pays de la récession et de redresser leurs revenus3. Les perspectives de croissance de 2021 sont en effet limitées du fait du manque d’investissement et de problèmes structurels qui ne peuvent être réglés sans des réformes nécessitant un changement politique.

Face à ces difficultés économiques qui ne peuvent être résolues, le Kremlin s’est ainsi assuré de renforcer son appareil répressif et de restreindre les activités de l’opposition afin de solidifier la stabilité du régime autoritaire. Les derniers mois de l’année ont été marqués par l’adoption d’un grand nombre de lois visant à limiter toute forme de protestations ou à entraver les activités des individus et organisations affiliés d’une quelconque façon à des fonds étrangers. De plus, l’empoisonnement d’Alexeï Navalny symbolise la fin des efforts pour préserver les illusions démocratiques, et l’adoption d’un modèle d’autoritarisme plus poussé. Bien que le régime se retrouve, grâce à ces mesures, préservé d’une opposition véhémente, il ne peut se prémunir de l’état de passivité, d’apathie politique et de fatalisme dans lequel est plongé un grand nombre de citoyens face aux difficultés économiques et de manque d’horizons politiques. Cette absence d’engagement des citoyens dans la vie politique et sociale du pays se retranscrit dans l’incapacité de  plus du tiers de la population à nommer une seule actualité mémorable de l’année 2020, un quart citant uniquement des événements ayant eu lieu dans la sphère privée4. La domination du Kremlin lors des élections législatives prévues au niveau régional et national en 2021 est ainsi sans doute assurée, mais la part de la population habitée d’un sentiment d’adhésion puissant au régime semble s’éroder.

L’idylle politique prévue en 2020 par le Kremlin a également été entravée par les évènements imprévus s’étant  déroulés dans l’espace post-Soviétique. Au Bélarus, la population a commencé à manifester en août contre Alexandre Loukachenko, un leader tentant de s’accrocher indéfiniment au pouvoir. Lorsque les manifestations sans précédent ont débuté dans ce pays qui était considéré jusqu’alors comme un îlot de stabilité, le référendum constitutionnel permettant à Vladimir Poutine de rester président après 2024 venait à peine de prendre fin. Face aux manifestations qui se poursuivent et qui continuent de signaler au Kremlin les risques encourus par un leader impopulaire réticent à quitter son poste, Moscou se cantonne à un soutien diplomatique en faveur du dirigeant bélarusse. La Russie dispose en effet d’une marge de manœuvre limitée pour se prémunir du départ de Loukachenko et d’un potentiel rapprochement de Minsk en direction de l’UE, tout en évitant l’aliénation de la population bélarusse à son égard. Il semble compliqué pour le Kremlin de parvenir à convaincre Loukachenko de se retirer afin de laisser la place à un successeur choisi par Moscou ; ce remplaçant ne disposerait en outre que d’une légitimité très limitée au sein de la population bélarusse. Le Kremlin peut ainsi seulement espérer que les manifestations prennent fin durant l’hiver et qu’un semblant de stabilité soit restauré via l’orchestration d’un changement artificiel de la constitution, laquelle scellerait la dépendance quasi-totale de Minsk sur Moscou.

Au Nagorno-Karabakh, la volonté de la Russie d’influencer seule son étranger proche s’est par ailleurs retrouvée confrontée aux ambitions de la Turquie, poussant le Kremlin à une nouvelle intervention militaire via l’envoi de soldats de maintien de la paix. Cette issue peut sembler conforme aux intérêts de la Russie, puisque Moscou avait proposé en vain par le passé de déployer de telles forces dans la région ; outre le coût économique de la présence constante de 2000 soldats, la stabilité du territoire dans les mois à venir est toutefois loin d’être assurée, posant le risque pour la Russie de se retrouver directement impliquée contre son gré dans les affrontements entre Arméniens et Azerbaidjanais. Les combats ont ainsi pris fin, mais la paix est loin d’être garantie alors qu’Alyiev multiplie les déclarations belliqueuses.

Le Kremlin pointe du doigt les instabilités dans ses pays frontaliers et en Occident afin d’afficher les risques que comportent les transitions politiques et les mouvements populaires. Dans un monde dépeint comme chaotique, Poutine fait de la stabilité – comprise comme une absence de changement – son étendard et projet politique. Cette stabilité reste cependant garantie par des mesures à court terme, qui ne permettront pas de régler en 2021 les problèmes structurels de la Russie.