Lorsqu’elle s’est présentée devant le Parlement européen (PE) en juillet 2019, Ursula von der Leyen a choisi de qualifier la Commission européenne qu’elle était appelée à présider de « géopolitique ». Pour faire suite à la Commission « politique » de son prédécesseur Jean-Claude Juncker, elle entendait changer de focale et souligner la nécessité pour l’Union européenne (UE) de penser son action à l’échelle globale. Les raisons de ce choix sont connues : le monde contemporain est de plus en plus hostile, les grandes menaces – dérèglement climatique, pandémies, terrorisme, épuisement des ressources – sont globales, et, avec l’isolationnisme des États-Unis, les ambitions de la Chine et l’hostilité de la Russie, l’Union n’a plus d’allié naturel.

Ceci étant, la notion de « Commission géopolitique » était peu explicite. S’agissait-il de repenser les politiques internes en tenant compte du contexte international ? De renoncer à une vision pacifique des relations internationales, fondée sur des idéaux de paix, de démocratie et d’entraide ? D’affirmer la puissance de l’Union et de la confronter à celle des autres blocs ? De se rallier à la realpolitik qui guide l’action de ceux-ci ? Dix-huit mois plus tard, si un consensus relatif émerge pour dire que l’Union doit effectivement exister à l’échelle globale autrement que comme un acteur commercial et un prosélyte de ses propres valeurs, les contours de la politique de puissance de l’Union restent incertains, notamment faute d’instance capable de les esquisser.

Un contexte international en mutation

Ces dix dernières années, le contexte international a été bouleversé, contraignant l’Union européenne à revoir son approche en matière d’action extérieure. Historiquement, l’intégration européenne visait à promouvoir une conception des relations internationales guidée par la libéralisation du commerce, la promotion du multilatéralisme, la défense de la démocratie et des droits de l’Homme, et l’affirmation de l’Union comme modèle d’un développement régional pacifique.

Ce projet a été bousculé par plusieurs phénomènes. Il y a d’abord eu l’émergence de nouvelles puissances – Chine, Brésil, Inde, retour de la Russie ; elle n’était ni nouvelle ni imprévue, mais a pris des proportions plus importantes que prévu. Le déclin relatif de l’Union européenne est aussi plus rapide qu’envisagé, en termes de population comme de PIB, avec des perspectives de relégation inquiétantes. La libéralisation du commerce international et de l’économie souffrent par ailleurs des réflexes protectionnistes, et l’idée d’une régulation de la planète par des institutions multilatérales est contestée. À cela s’ajoute l’isolationnisme des États-Unis, qui n’ont plus la volonté ou la capacité d’être le gendarme du monde.

Plus fondamentalement, le projet européen doit faire face à une crise des valeurs occidentales qui, contrairement à la prédiction de Francis Fukuyama, ne se sont pas irrémédiablement imposées. Les droits fondamentaux sont en crise dans de nombreux pays, et le mouvement de démocratisation régresse.

Olivier Costa

Plus fondamentalement, le projet européen doit faire face à une crise des valeurs occidentales qui, contrairement à la prédiction de Francis Fukuyama, ne se sont pas irrémédiablement imposées. Les droits fondamentaux sont en crise dans de nombreux pays, et le mouvement de démocratisation régresse. On a aussi vu émerger des « États de civilisation » – Chine, Inde, Russie, Turquie – dont les leaders récusent le modèle de l’État-nation occidental et revendiquent la spécificité de leur mode de vie et leur attachement à une conception particulière de l’organisation politique et sociale, ainsi que des relations internationales. En somme, ils entendent proposer une alternative à la vision libérale et post-moderne de la démocratie née en Europe et en Amérique du nord, et considèrent que la prétention des Européens à imposer leurs conceptions est une forme d’impérialisme inacceptable.

Un discours inédit sur la souveraineté de l’Union européenne

Cette situation nouvelle a suscité un discours sur la souveraineté de l’Union européenne qui est par nature paradoxal, puisque l’intégration européenne s’est opérée dans le refus explicite de la  revendication d’une quelconque souveraineté. Il est en effet apparu, dès le Congrès de La Haye en 1948, que certains gouvernements excluaient que la construction européenne ne se fasse au détriment de leurs pouvoirs régaliens. Ce refus a été réitéré en 1954 avec le rejet par l’Assemblée nationale française du traité de Communauté européenne de la Défense, puis avec la politique dite de la « chaise vide » menée par Charles De Gaulle au second semestre 1965.

Ces divers éléments ont imposé le projet d’une intégration européenne à vocation essentiellement économique, conduite au moyen d’instruments juridiques, adoptés au terme de négociations dont la dimension politique était gommée. Qu’il s’agisse de la « méthode communautaire », qui fait la part belle à la Commission et à l’expertise, ou de la « méthode intergouvernementale », qui est fondée sur une logique diplomatique, les processus de décision européens aspirent à une dépolitisation des enjeux.

Depuis son élection directe (1979), le Parlement européen (PE) a toutefois bousculé cet ordonnancement par ses ambitions politiques. Le traité de Maastricht (1993) a formalisé et légitimé l’activisme du PE, et amorcé un processus de politisation de l’Union : il a donné une place croissante à la logique partisane et représentative dans son fonctionnement, et encouragé une interaction proprement politique entre les institutions et leurs composantes. Les citoyens, les partis européens et les parlements nationaux ont également été davantage associés aux débats. Pour autant, les traités ne font toujours pas mention d’une quelconque souveraineté de l’Union, et n’incluent aucun des concepts évocateurs d’un État fédéral ou d’un fonctionnement politique qui étaient présents dans la défunte constitution européenne.

Néanmoins, on entend de plus en plus distinctement un discours sur la souveraineté de l’Union. Dès les années 1970, le politologue norvégien Johan Galtung estimait que la Communauté était une superpuissance en devenir. Des notions comme celle de « puissance civile » sont venues souligner son rôle global en tant que puissance économique et commerciale, très active dans le domaine de l’aide au développement et de la coopération, bien que dépourvue de capacités militaires propres et de prétention à la contrainte. Les Communautés ont ensuite été qualifiées de « puissance normative », par référence à l’influence qu’elles tirent de la diffusion d’une certaine conception des rapports entre les États et de l’ordre international. En somme, l’intégration européenne a, par la force des choses, engendré une entité d’un type nouveau. La nature de sa puissance est elle aussi inédite, car étrangère aux concepts classiques de conflit, de force et de coercition.

Le traité de Maastricht a changé la donne à un double titre. D’abord, il affirme le caractère proprement politique de l’UE, afin qu’elle devienne une « polité », c’est-à-dire une entité humaine politiquement organisée. Il institue en second lieu une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui sera approfondie par les traités suivants, jusqu’à inclure la possibilité d’une défense européenne. Toutefois, leur mise en œuvre se heurte à l’absence de volonté politique : certains États sont jaloux de leur statut de puissance, d’autres sont attachés à leur neutralité, d’autres encore ne comptent que sur l’OTAN pour ce qui a trait à leur sécurité.

Les citoyens, les partis européens et les parlements nationaux ont également été davantage associés aux débats. Pour autant, les traités ne font toujours pas mention d’une quelconque souveraineté de l’Union, et n’incluent aucun des concepts évocateurs d’un État fédéral ou d’un fonctionnement politique qui étaient présents dans la défunte constitution européenne.

Olivier Costa

Les changements récents du contexte international ont nourri un sentiment d’urgence inédit quant à l’affirmation de la puissance de l’Union. Les opinions publiques sont désormais ouvertes à un concept qu’elles récusaient en raison de leur attachement au rôle historique des États-nations dans la conduite des politiques régaliennes. Plusieurs leaders européens ont appelé l’Union à trouver sa place dans le concert des superpuissances. Même dans les pays attachés à leur neutralité ou au rôle de l’OTAN, les ambitions de Vladimir Poutine comme le désinvestissement de Donald Trump ont ébranlé les certitudes.

Quelle souveraineté pour l’Union ?

La notion d’Europe « géopolitique » – avec son corollaire : la prétention à contrôler un territoire – est fondamentalement en contradiction avec la nature humaniste et pacifiste du projet européen, la croyance en la possibilité de relations coopératives entre les États, le refus de toute visée impérialiste, et l’attachement au multilatéralisme. Affirmer la souveraineté de l’Union ne peut se faire qu’au prix de nombreuses clarifications.

Cela impose, tout d’abord, de définir la place qu’elle doit occuper à l’échelle globale, entre les États-Unis, la Chine et la Russie. Les tensions vont croissant entre ces blocs, qui ont des modèles de développement politique, économique et social contrastés, et n’envisagent pas les relations internationales de la même manière. La concurrence entre eux s’accroît pour capter des ressources qui se raréfient, et ils sont de moins en moins portés à la solidarité internationale – comme l’a montré la crise du Covid-19.

Historiquement, l’Union européenne s’est placée dans le sillage des États-Unis, dont elle partage l’essentiel des valeurs et des conceptions, et dont elle dépend largement pour sa sécurité. Cet alignement souffre toutefois de la tendance des États-Unis à faire cavalier seul, à se désinvestir de certains enjeux globaux, et à remettre en cause la logique multilatérale et ses institutions. En outre, si les liens de l’UE sont plus forts et mieux structurés avec les États-Unis qu’avec les autres puissances, la Chine est désormais un partenaire incontournable pour elle, en termes de commerce et de présence économique sur le sol européen. S’ajoute à cela que l’Union n’a pas les mêmes objectifs que les États-Unis : tandis que les premiers sont dans une logique de compétition pour la domination mondiale, l’UE entend simplement que ses partenaires respectent les règles du jeu économique, commercial et politique.

Il faut aussi rappeler que le revirement de la Commission sur la question de la puissance est un constat d’échec : l’Union européenne n’a pas été capable de forger le monde à son idée (multilatéralisme, coopération pacifique…) et selon ses valeurs (démocratie, droits de l’Homme, progressisme, développement durable, cohésion…), et elle doit se ranger à une approche plus classique des relations internationales pour échapper au déclin. Ceci implique de changer d’échelle dans la conception des politiques européennes, mais aussi d’opter pour une approche plus politique et stratégique – et donc moins bureaucratique et experte – des grands enjeux. Enfin, il convient que la Commission apprivoise pleinement l’idée de puissance et de souveraineté, qu’elle a longtemps considérée comme une entrave à son objectif ultime : un monde gouverné par le libre-échange et le multilatéralisme.

Les responsables des institutions européennes évoquent la question de la souveraineté avec une franchise croissante – alors que dans les années 2000 ils s’en tenaient aux notions inoffensives de « pouvoir civil » et « soft power ». L’idée d’une Europe « géopolitique » a ouvert la voie à l’évocation de la « puissance » et de la « souveraineté » de l’Union. Il s’agit certes moins de concepts analytiques, destinés à rendre compte de réalisations, que de concepts prescriptifs, visant à définir des objectifs. Mais on voit émerger des initiatives concrètes.

Les responsables des institutions européennes évoquent la question de la souveraineté avec une franchise croissante – alors que dans les années 2000 ils s’en tenaient aux notions inoffensives de « pouvoir civil » et « soft power ».

Olivier Costa

Quelles actions à ce jour ?

Depuis le début des années 2000, la Commission est accaparée par la gestion des urgences. Elle s’active pour réagir à des crises et menaces, et non pour mettre en œuvre de grandes réformes. Ursula von der Leyen a essayé d’infirmer cette tendance et de développer une stratégie raisonnée, bâtie autour de la notion programmatique de « géopolitique ». Ainsi, à mesure que la Commission réforme les politiques européennes (concurrence, énergie, agriculture, recherche ou industrie), notamment pour les adapter aux nouvelles perspectives financières 2021-2027, elle y intègre une perspective internationale. La Commission a aussi pris des initiatives plus spécifiques en plusieurs directions.

Elle s’est d’abord penchée sur le domaine industriel et financier. Elle a cherché à y contrer l’attitude hostile de ses partenaires – États-Unis, Chine, Russie – et à mettre au pas les géants de l’économie numérique. Elle s’emploie par ailleurs à remédier à la dépendance de l’Union aux importations, mises en évidence par la crise du Covid-19, et de soutenir le tissu industriel européen.

Un deuxième domaine dans lequel la Commission s’est montrée active est celui de la protection des « valeurs européennes ». Concrètement, elle développe une « politique d’identité » qui tait son nom, en affirmant la spécificité des valeurs et du mode de vie européens. Il est, par essence, difficile de définir ce qu’est l’européanité, compte tenu de la grande diversité des situations et histoires nationales, et des conceptions de l’intégration européenne. Cette mosaïque, que traduit la devise « unie dans la diversité », gagne en cohérence sitôt que l’on se place dans une perspective d’altérité. Autrement dit, les valeurs et les objectifs politiques, économiques et sociaux qui fondent l’intégration européenne sont sans doute divers et complexes, mais, analysés à l’échelle globale, ils sont spécifiques à l’Union européenne et distincts de ceux des autres blocs. En un sens, la Commission assume enfin l’idée que l’Union ne peut imposer ses valeurs à l’échelle globale, et qu’elle n’est pas obligée de partager celles de ses partenaires pour coexister pacifiquement avec eux. Ceci implique que Bruxelles n’est pas tenue de s’aligner sur les positions de Washington, notamment si elle n’est pas associée à ses choix stratégiques.

La question de l’identité européenne est toutefois d’un maniement délicat, au-delà des divergences qu’elle peut générer parmi les Européens. D’abord, la notion de « civilisation européenne » est difficile à invoquer, puisqu’elle a fortement alimenté les prétentions coloniales. À l’idée de promotion de l’identité européenne, Mme Von der Leyen a ainsi préféré celle, plus passive, de « défense du mode de vie européen ». Mais même ce vocable a suscité de vives réactions lorsqu’il a été appliqué au portefeuille de Margaritis Schinas, notamment parce qu’il incluait aussi la politique migratoire, suggérant ainsi que l’immigration porte atteinte au mode de vie européen.

Depuis le début des années 2000, la Commission est accaparée par la gestion des urgences. Elle s’active pour réagir à des crises et menaces, et non pour mettre en œuvre de grandes réformes.

Olivier Costa

La politique migratoire est, précisément, le troisième axe de mobilisation de la Commission en lien avec la problématique de la souveraineté de l’Union. Pour faire face à la crise des années 2010, elle a mis en place une politique restrictive et développé une nouvelle approche des frontières extérieures de l’Union. Cette réponse n’est pas que technique : c’est une façon pour la Commission de montrer aux opinions publiques et aux gouvernements nationaux qu’elle est à l’écoute de leurs préoccupations. Cette vision de la politique migratoire véhicule aussi une certaine conception des intérêts de l’Union, que l’on entend faire primer sur la défense du droit d’asile.

Un rôle pour le Parlement européen ?

Interrogée sur le sens de l’expression « mode de vie européen », la Présidente de la Commission avait fait référence aux valeurs de l’Union et à l’article 2 du traité sur l’Union européenne. La réponse était prudente, mais elle laissait bien des questions en suspens : les valeurs européennes sont-elles spécifiques à l’UE ou universelles ? Comment appréhender les divergences nationales qui existent sur de nombreuses questions de société et de géopolitique, en lien avec ces valeurs ? Enfin, comment appréhender le fait que certains États-membre (Pologne, Hongrie) deviennent des « États de civilisation », dont les leaders revendiquent des valeurs qui ne sont pas celles promues par les institutions de l’Union ?

Fondamentalement, l’affirmation de la « souveraineté » de l’Union se heurte à la variété des approches des États membres vis-à-vis des autres blocs, qui sont guidées par autant de données idéologiques, stratégiques, économiques et historiques. Le concept de « Commission géopolitique » est supposé dépasser ce morcellement, en affirmant que l’Union doit agir selon ses intérêts, objectifs et valeurs, mais ceux-ci doivent d’abord être définis. Autrement dit, tant que l’Union sera elle-même une arène géopolitique, faite d’États qui ont leurs propres ambitions et stratégies, il lui sera difficile d’agir dans une logique géopolitique.

La principale difficulté à laquelle l’UE se heurte aujourd’hui dans l’affirmation de sa souveraineté est donc le dépassement des divergences, indéterminations et ambiguïtés qui la traversent, et, plus fondamentalement, l’absence d’institution capable d’opérer ces clarifications. En effet, le choix initial d’opérer la construction européenne en marge de toute prétention à la souveraineté a eu pour corolaire une organisation institutionnelle complexe, ignorant les concepts de centralité et de hiérarchie au bénéfice d’une multiplicité d’institutions devant œuvrer de concert.

Certains espèrent que la Conférence sur l’avenir de l’Union permettra d’aborder de front la question du rôle international de l’Union, mais c’est sans doute trop lui demander. Le Conseil européen et le Conseil sont, a priori, les institutions compétentes pour définir les grands axes de la politique étrangère de l’Union, mais elles sont paralysées par la règle de l’unanimité en ces matières. La Commission se heurte pour sa part à un rôle subsidiaire sitôt qu’il s’agit de diplomatie, de sécurité et de défense – raison pour laquelle elle se focalise sur la dimension « interne » de la politique extérieure de l’UE, sur la politique migratoire et sur ladite « défense du mode de vie européen ».

Reste le Parlement européen (PE). Au titre des traités, son rôle en matière de politique étrangère se limite à une fonction de consultation, de contrôle et de ratification des accords internationaux. C’est le cas de la plupart des législatures, le pouvoir exécutif étant traditionnellement responsable de la définition de la politique étrangère. Pourtant, le Parlement a toujours été très actif sur la question des relations internationales et de la sécurité, et plus largement au sujet du rôle de l’Union dans le concert des nations. Cet intérêt remonte à une époque où l’assemblée n’avait pas de pouvoir législatif effectif, et consacrait une large part de ses délibérations aux conflits, à la promotion des droits humains et à la situation politique et sociale partout dans le monde. En tant que « plus grande assemblée démocratiquement élue », le PE entendait s’ériger en autorité morale, capable de promouvoir les valeurs des Communautés. Ce rôle a décliné à mesure que le PE gagnait des pouvoirs législatifs, budgétaires, et de contrôle, mais l’intérêt des députés européens pour les questions internationales n’a pas faibli.

Le PE a la légitimité – démocratique et historique – pour contribuer à la définition de ce que pourrait être la politique de puissance de l’Union. Il en a aussi la capacité pratique, n’étant pas tenu comme le Conseil européen et le Conseil par des règles d’unanimité et la défense d’intérêts nationaux étroits. Enfin, contrairement à la Commission, le PE n’est pas contraint de respecter la souveraineté des États, et ne s’est jamais privé de commenter des décisions qui en relevaient.

Le Conseil européen et le Conseil sont, a priori, les institutions compétentes pour définir les grands axes de la politique étrangère de l’Union, mais elles sont paralysées par la règle de l’unanimité en ces matières.

Le PE a surtout un mode de fonctionnement qui permet d’appréhender ces questions complexes et fondamentalement politiques. Elles réclament de l’expertise, mais aussi une délibération approfondie et argumentée, favorisant le dépassement des positions en présence par l’énonciation de solutions qui n’avaient pas été initialement considérées. Le PE est passé maître dans l’art de surmonter les antagonismes partisans, philosophiques et nationaux. C’est ainsi l’institution la plus à même de définir les contours d’une stratégie européenne en faisant fi des clivages nationaux et partisans, et en réunissant, en finalité, de larges majorités. Il n’y a pas lieu de réformer les traités pour permettre cela : le PE jouit d’un droit de délibérer de toutes les questions en lien avec l’intégration européenne, et le Conseil européen est libre de tenir compte du résultat de ces délibérations – comme il l’avait fait, en 2003, avec le texte issue de la Convention sur l’avenir de l’Union.

Certes, il n’est pas question de remplacer le rôle central des États membres dans la conduite de la politique étrangère, de sécurité et de défense de l’Union, et dans la prise de décisions opérationnelles. Il importe toutefois de faire émerger à l’échelle supranationale un consensus sur les grands objectifs de l’action extérieure de l’Union, sur sa stratégie et ses moyens, qui bénéficie d’une légitimité suffisante à fonder des actions concrètes.