Pour clore 2020, Le Grand Continent vous propose les réponses d’Olivier Blanchard, Mercedes d’Alessandro, Anne-Laure Delatte, Daniela Gabor et Ndongo Samba Sylla, Pierre-Yves Geoffard, Isabelle Méjean, Jean Pisani-Ferry et Gilles Saint-Paul.

Olivier Blanchard

Trois héritages macroéconomiques de la crise du Covid-19

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Le Covid a bouleversé l’économie en 2020, avec un choc majeur sur l’activité économique et une réponse de politique macroéconomique d’une ampleur inédite. À quoi peut-on s’attendre en 2021 et dans la phase post-vaccin ? Dans la phase post-vaccin, les gouvernements feront face à au moins trois héritages de la crise du Covid-19. 

Le premier est le processus de réallocation économique. On ne sait pas encore à quel point la crise du Covid-19 transformera l’économie. On peut être sceptique sur le fait qu’elle mènera à des changements majeurs, mais au moins un changement semble très probable : le télétravail est parti pour durer. En juin, 42 % des travailleurs américains travaillaient depuis leur domicile, beaucoup ont trouvé cette situation désirable et les entreprises devront s’y adapter. Ce phénomène a des implications potentielles majeures pour l’organisation des entreprises, pour la productivité, pour l’organisation des villes et des banlieues, pour les transports et pour les inégalités. Une anecdote qui le suggère est le fait que les loyers à New York aient déjà diminué, à cause du désir de vivre désormais plus loin des centres-villes exprimé par ceux qui peuvent télétravailler.

Le deuxième est l’importante augmentation de la dette publique, conséquence de l’importante hausse des dépenses publiques et du déficit liés au Covid-19. Le bureau du budget du Congrès américain prévoit une augmentation de la dette publique de 79,2 % du PIB à la fin 2019 à 98 % à la fin 2020 et 104 % à la fin 2021. Est-ce une raison de s’inquiéter ? Pas nécessairement, dans la mesure où les taux d’intérêt sont extrêmement bas et susceptibles de le rester pendant un certain temps.

Le troisième est la forte augmentation du bilan des banques centrales. Pendant la première phase de la crise du COVID-19, les banques ont non seulement diminué leur taux directeur, mais sont aussi intervenues sur les marchés financiers en achetant des actifs pour y stabiliser les taux. En échange, elles ont émis du passif monétaire, détenu en majorité par des banques sous forme de réserves à la banque centrale. Le passif de la Fed est passé de 4 100 milliards de dollars en février à 7 000 milliards en septembre ; le passif de la BCE est passé de 4 600 milliards en février à 6 500 milliards en septembre. Certains observateurs se sont inquiétés du fait que ces larges augmentations de l’offre de monnaie mènent à une forte inflation dans le futur. Cela est improbable. L’augmentation de la masse monétaire a pris essentiellement la forme de réserves bancaires rémunérées, et la masse monétaire non rémunérée, qui pourrait être éventuellement la source d’une inflation plus élevée, est restée largement stable. 

Mercedes d’Alessandro

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L’éclairage de l’économie féministe et le cas de l’Amérique latine

L’année 2020 a démontré que ceux d’entre nous qui viennent d’une formation d’économie féministe et qui travaillent pour l’inclusion sociale avons la possibilité et l’impératif de réfléchir et de mettre en œuvre des politiques et des solutions à la crise qui apportent des réponses structurelles.

L’économie féministe a beaucoup à apporter. Les femmes sont exposées aux inégalités, la pauvreté est féminisée, les femmes gagnent moins que les hommes et le niveau de précarité de leur travail est en moyenne plus élevé. Face à la pandémie, elles sont plus sensibles qu’auparavant à la perte de leur emploi.

Dans les politiques économiques mises en œuvre, un autre problème se pose vis-à-vis des femmes qui est que, en général, les modèles envisagés pour la reprise économique, surtout dans des pays latino-américains, sont associés à des secteurs masculins : l’industrie, l’énergie, les communications, la logistique, les transports. Si les modèles de reconstruction nationale, de développement des pays, sont orientés vers ces secteurs, et que nous ne faisons rien pour intégrer les femmes à ces espaces, nous les laissons une fois de plus de côté.

Une crise des métiers de l’aide à la personne et du soin nous attend également, notamment dans le cadre de l’arrivée des systèmes mixtes (en présentiel et de façon virtuelle) d’assistance scolaire et professionnelle. Et cette crise, si nous ne faisons rien, va se répercuter sur les conditions de travail des femmes, largement majoritaires dans ce secteur.

Dans les quartiers populaires, les travaux des soins sont compris comme des actes de volontariat et d’extrême solidarité : c’est le cas en Argentine, avec les femmes qui prennent en charge la gestion des soupes populaires. L’admiration ne suffit pas. Chaque personne, chaque femme doit être reconnue pour ce qu’elle fait et cette reconnaissance doit lui permettre de pleinement vivre sa vie.

Anne-Laure Delatte

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Quels rapports entre politiques monétaire et budgétaire après 2020 ?

L’année 2020 a été marquée par une déconnexion inédite entre l’économie réelle et les marchés financiers. D’une part, l’activité réelle s’est interrompue brutalement et pourtant les indices boursiers ont connu des records inédits. D’autre part, les dettes publiques ont bondi sous l’effet de plans de soutien sans précédent et pourtant les taux d’intérêt sur les emprunts d’État ont baissé. Ces deux observations sont inédites dans l’histoire financière et ont comme facteur commun l’action nouvelle de la politique monétaire. Elles révèlent le rôle clé des banques centrales dans notre système économique ainsi que les déséquilibres que cela entraîne et qu’on commence tout juste à mesurer. 

Le prix de marché traduit les anticipations des investisseurs sur la rentabilité à venir de leur actif en portefeuille. Une chute brutale d’activité telle que celle entraînée par le confinement augure une chute brutale des bénéfices des entreprises ; de même, une augmentation du stock de dette publique telle que celle entraînée par les plans de soutien augure un plus grand besoin de financement des États. Dans les deux cas, les titres en portefeuille, privés ou publics, rapportent moins que prévu. Leurs prix devraient chuter, à moins qu’un acteur n’ait la possibilité de racheter les titres sous pression. Si cet acteur est doté d’une liquidité sans limite et qu’il s’engage à se substituer au marché, il soutient les prix et rétablit même la confiance au-delà de l’effet mécanique de ses propres achats. C’est bien ce que font les banques centrales des pays avancés depuis une dizaine d’années et de façon encore plus massive depuis mars 2020 quand elles ont annoncé de nouveaux plans d’achats de titres. Pourquoi ? Pas pour sauver les indices boursiers mais pour respecter leur mandat : maintenir le taux d’intérêt de long terme le plus bas possible afin de soutenir la demande agrégée et garantir la stabilité des prix. Les envolées boursières observées en 2020 sont donc un effet collatéral de cette politique qu’on commence à mesurer et comprendre. 

Certains dénoncent les conséquences en termes d’inégalités de patrimoine entre les détenteurs de portefeuille et les autres ; les autres arguent que cette politique réduit les inégalités de revenus qu’entraînerait un effondrement de la demande agrégée. Mais il existe un relatif consensus sur le fait que la politique monétaire actuelle atteint ses limites et ne parviendra pas seule à relever la demande agrégée en panne. L’année 2020 a révélé les limites d’un mix macroéconomique reposant uniquement sur l’action de la banque centrale. Une leçon est que la politique budgétaire devrait revenir au premier rang dans les années à venir. Reste à savoir si les conditions politiques sont réunies en Europe pour qu’un tel tournant s’opère. 

Daniela Gabor et Ndongo Samba Sylla

Photo portrait Daniela Gabor Ndongo Samba Sylla bilan économique de la pandémie de crise du Covid-19 coronavirus et économie Consensus de Wall Street développement international durable Afrique obligations africaines

La pandémie a renforcé le consensus de Wall Street en Afrique

Au cours de la dernière décennie, le G20, le FMI, la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales de développement (dont la Banque africaine de développement), et les agences nationales de développement (dont l’Agence française de développement, l’AFD) ont poursuivi un nouveau programme de développement axé sur un grand pacte avec la finance privée : le Consensus de Wall Street. Sa logique est puissante. La surabondance mondiale des portefeuilles d’actifs financiers – les milliers de milliards gérés par les investisseurs institutionnels, principalement du Nord – pourrait financer les objectifs de développement durable, étant donné l’hypothèse de ressources publiques limitées dans le Sud. Par exemple, le programme de la Banque mondiale intitulé « Maximiser les financements pour le développement », introduit en 2017, promet aux investisseurs institutionnels des marchés d’un potentiel de 12 000 milliards de dollars dans les secteurs du social, de la santé, des infrastructures, des transports et de l’éducation. Mais les investisseurs institutionnels sont soumis à des règles d’investissement spécifiques dont il faut tenir compte si on veut qu’ils financent le développement. La question urgente en matière de développement devient alors : comment « accompagner » les investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance, fonds d’investissement) et leurs gestionnaires d’actifs vers ces opportunités ?

Spontanément, on pourrait penser à la réponse suivante. Les investisseurs pourraient acheter davantage d’obligations d’État émises par les pays africains – dans leur devise, pour éviter les problèmes bien connus de viabilité de la dette extérieure. Ces pays utiliseraient à leur tour ces conditions de financement à meilleur marché pour investir massivement dans l’éducation, le numérique, la santé et les services publics « verts », comme notre champion de l’axe eurafricain l’envisage pour l’Europe. Mais ce n’est pas la bonne réponse. Les investisseurs privés veulent plutôt des projets de développement « bankables ».

Mais l’ambition du Consensus de Wall Street va au-delà d’une simple vague thatchérienne de privatisations. Il s’agit plutôt de transformer l’État, pour qu’il n’ait plus pour seule fonction que de neutraliser les risques (derisk en anglais) liés aux investissements des financiers mondiaux. Lorsque les citoyens n’ont pas les moyens de payer les services privatisés, l’État intervient et indemnise les investisseurs, il assume lui-même les risques inhérents aux projets de développement afin que les investisseurs reçoivent un flux de trésorerie régulier. Un projet bankable est un projet dans lequel l’État s’engage à fournir aux investisseurs de tels filets de sécurité.

La pandémie en cours a donné un nouvel élan politique à cette ambition. Voici comment l’Alliance mondiale des investisseurs pour le développement durable, qui travaille sous les auspices des Nations unies, a présenté dans son manifeste de juillet 2020 sa vision de la réponse à la pandémie : « Un défi d’une telle ampleur exige que nous renforcions les partenariats public-privé à un degré jamais atteint depuis la Seconde Guerre mondiale – et un degré qui n’a peut-être jamais été vu en temps de paix ». De même, la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qui porte sur le financement privé, préconise des « solutions sur mesure » pour les pays en développement, notamment des « partenariats public-privé [PPP, NdlR], des viviers de projets rentables et de nouvelles structures de marché, afin de faciliter des opportunités commercialement viables d’investissement durable ».

La Banque mondiale prêche donc à l’Afrique l’« impératif du PPP », et la crise actuelle, semble-t-il, ne l’a rendu que plus pressant.

Pierre-Yves Geoffard

Photo portrait Pierre-Yves Geoffard bilan économique de la pandémie de crise du Covid-19 coronavirus et économie recherche épidémiologie économique Covid Economics

De l’ombre à la lumière : l’intérêt nouveau des économistes pour l’épidémiologie économique

La pandémie de 2020 a affecté la recherche en économie de plusieurs façons. Tout d’abord, comme dans d’autres activités, la crise a mis en lumière, et contribué à accélérer, des tendances profondes. La recherche a vu ainsi s’accentuer un basculement des approches théoriques vers des analyses empiriques, souvent en mobilisant des données statistiques de sources très variées, au-delà des traditionnelles données d’enquête collectées à des fins de recherche. Les innombrables informations contenues dans des systèmes de gestion aussi divers que les transactions bancaires, les remboursements d’assurance maladie ou d’autres prestations sociales, les ventes immobilières, les données de mobilité collectées par les opérateurs téléphoniques, etc., ont nourri de nombreuses et souvent passionnantes analyses empiriques. L’accès des chercheurs à de telles données, collectées par des institutions publiques ou des entreprises privées, continue et continuera à progresser, tant leur potentiel dans la production de connaissances est de plus en plus flagrant.

Le deuxième phénomène majeur a été l’intérêt nouveau de milliers de chercheurs en économie, à travers le monde, pour les phénomènes sociaux mêlant la santé humaine, les systèmes de soins, et l’activité économique. En particulier, l’« épidémiologie économique » a littéralement explosé. Ce domaine de recherche, né à la fin du siècle dernier, cherche à enrichir des modèles mathématiques de diffusion d’épidémies par des outils issus de l’analyse économique : meilleure prise en compte des comportements humains, de leur hétérogénéité mais surtout des incitations qui peuvent les influencer, formalisation des interactions stratégiques, et analyses normatives s’appuyant sur un critère explicite de bien-être social. Jusqu’alors resté relativement confidentiel, ce domaine a suscité des milliers d’articles nouveaux, dont la diffusion sous forme de documents de travail n’a pas attendu l’onction des grandes revues scientifiques. En témoigne la création, par le CEPR (Centre for Economic Policy Research), d’une revue ad-hoc, en ligne, Covid Economics, privilégiant la rapidité de publication au lent travail éditorial. Dans ses six premiers mois d’activité, cette revue a publié 332 articles, sur près de 800 proposés par leurs auteurs, témoignant ainsi de la volonté des chercheurs en économie à contribuer, avec leurs outils, à la compréhension de la pandémie et de ses conséquences sociales et économiques.

Isabelle Méjean

Photo portrait d'Isabelle Méjean démondialisation 2021 échanges internationaux commerce exportations bilan économique de la pandémie de crise du Covid-19 coronavirus et économie protectionnisme

2020, année de la démondialisation ?

La pandémie a-t-elle mis un terme à l’hyperglobalisation qui caractérise l’économie mondiale depuis le début du XXe siècle ? Au contraire, le commerce international, dopé par la demande de médicaments et autres matériels médicaux, a finalement résisté à 2020. En septembre 2020, le volume des échanges internationaux n’avait diminué que de 1,6 % par rapport à septembre 2019, une baisse similaire à celle de la production industrielle mondiale.

À quoi s’attendre à plus long terme ? 2021 sera-t-elle l’année de la démondialisation après la croissance extraordinaire du volume des échanges internationaux observée depuis le début des années 1990 ? Probablement pas. D’abord, il faut rappeler que la croissance des échanges entre 1990 et 2008 constitue une période exceptionnelle dans l’histoire de la mondialisation, tirée par l’intégration très rapide d’un certain nombre de pays émergents aux marchés internationaux, au premier rang desquels la Chine dont les taux de croissance à deux chiffres sur la période sont largement tirés par l’exportation. 

L’explosion du volume du commerce tient également au développement des chaînes de valeur internationales qui représentent aujourd’hui 70 % du commerce international. Mécaniquement, la fragmentation des processus productifs démultiplie les flux d’échanges internationaux puisqu’un même composant va effectuer plusieurs voyages internationaux avant d’atteindre son lieu de consommation finale, sous des formes de plus en plus transformées.

Mais cette organisation de la production rend aussi très rigide la structure du commerce international. Derrière ces chaînes de valeur se cachent des investissements dans des outils productifs et des chaînes logistiques. Ajuster la géographie de la production au sein de ces chaînes de valeur nécessite de renoncer à ces investissements pour investir ailleurs, ce que les entreprises ont évidemment des réticences à faire. Si la pandémie a pu amener à revoir l’évaluation des risques au sein de ces multinationales, il est très peu probable qu’on observe le moindre impact sur la géographie du commerce international, au moins à moyen terme. 

Finalement, la principale menace sur le commerce mondial pour 2021 est probablement plus géopolitique qu’économique. Comme souvent en périodes de crise économique, les tensions protectionnistes risquent de ressurgir, ce qui pourra compliquer la reprise de certains secteurs exportateurs, qui auront besoin de relais de croissance à l’étranger si l’économie européenne continue à se caractériser par une demande intérieure faible.

Jean Pisani-Ferry

Photo portrait de Jean Pisani-Ferry retour des asymétries mondiales nowcasting bilan économique de la pandémie de crise du Covid-19 coronavirus et économie chute du PIB

Une crise qui ne ressemble à aucune autre

Un choc exogène, sectoriel, mondial et extraordinairement violent : il n’a pas fallu longtemps pour se rendre compte de ce que cette crise ne ressemblait à aucune autre. Née contrairement aux précédentes en dehors de la sphère économique, porteuse d’effets extrêmement hétérogènes d’un secteur à l’autre, de même nature (mais pas de même intensité) dans tous les pays, et d’une telle ampleur que le PIB mensuel a chuté d’un tiers et que certains secteurs se sont mis à l’arrêt, elle ne pouvait pas être appréhendée avec les schémas d’analyse et les outils d’observations classiques. La seule analogie possible était avec l’économie de guerre, dont on avait largement perdu la mémoire. 

En mars-avril on a vite compris que les enquêtes usuelles ne disaient plus rien d’utile, que la prévision était devenue sans objet et que les grilles d’analyse macroéconomiques étaient prises à contrepied. C’est ce qui a motivé le recours à une multiplicité de sources nouvelles, le basculement vers le nowcasting (prévoir le moment présent était déjà un tour de force) et la construction de schémas d’analyse reposant sur l’identification des contraintes sectorielles et de leurs canaux de répercussion. En France, la statistique publique a immédiatement adapté ses outils, tandis que les économistes obtenaient l’accès à des données granulaires sur les comportements. La crise, de ce point de vue, a été l’occasion d’un progrès considérable, et certainement durable, des méthodes d’observation. Elle a également conforté les intuitions de ceux qui, comme Emmanuel Farhi, s’attachaient à repenser la macroéconomie en prenant en compte réseaux de production et hétérogénéité des secteurs.

Le choc pandémique a finalement questionné les finalités de la politique économique. Quand l’analyse traditionnelle privilégiait l’efficacité, la crise a conduit à mettre en avant la résilience : un concept un peu flou, susceptible de diverses interprétations, mais dont on voit bien qu’il va être au cœur des analyses dans les années à venir. 

Gilles Saint-Paul

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«  Pitié pour les économistes »

Pitié pour les économistes

Oui, Monsieur le juge.

Nous nous sommes couchés devant l’enfermement et la surveillance totalitaire de toute une population. Mais les élus, les syndicats, la presse, l’administration, la justice, les associations, n’en ont-ils pas fait de même ? Ces choses-là ne sont pas notre job. Et puis nous avions peur. Comme tout le monde !

Nous avons laissé détruire, en France, trois cent milliards de PIB, cent cinquante milliards de recettes publiques. Des secteurs entiers anéantis, l’avenir d’une jeunesse saccagée. Ailleurs, cent trente millions de personnes jetées dans la famine, alors que doublait la fortune des magnats de la Silicon Valley. 

Nous aurions pu signer quelque pétition, produire quelque rapport, pendant qu’il était encore temps, comme nous le faisons si complaisamment lorsqu’il s’agit d’appeler à voter pour tel candidat ou de recommander telle réglementation. Voire demander des moyens.

Mais, en mars 2020, personne ne nous a sonnés. Soudain, les experts, ce n’était plus nous ! De plus, protester aurait fait le jeu des populistes.

On n’y pouvait rien ! C’était la pandémie. C’est elle, la coupable ! 

Nous serons toujours partisans du bien-être social. Nous comparons les coûts et les bénéfices. Les inégalités nous préoccupent. Même quand cela ne se voit pas.

La preuve : nous avons pondu, en quelques mois, des milliers d’articles de recherche. Une nouvelle discipline est née : les Covid Economics  ! Et nous prodiguons nos avis sur le plan de relance. Que ferait-on sans nous ?

Monsieur le juge, nous implorons les circonstances atténuantes.