Hier, les chefs d’Etat et de gouvernement européens ont trouvé un accord sur le cadre financier pluriannuel (CFP) et le fonds de relance Next Generation EU. Cet accord s’inscrit dans la continuité de celui obtenu au mois de juillet au sein du Conseil et de la position commune entre le Conseil de l’Union et le Parlement européen du mois de novembre

Si un compromis semblait avoir été atteint sur l’ensemble des éléments, la Hongrie et la Pologne menaçaient de mettre leur veto au mécanisme envisagé pour établir un lien entre le versement des fonds européens et le respect de l’État de droit. L’accord final est indéniablement historique, mais l’affrontement sur le régime de l’État de droit a toutefois révélé de profondes divisions sur les valeurs fondamentales de l’Union. 

Quelques points pour comprendre les signaux faibles de cette séquence :

  • Une première leçon : cette séquence interroge sur la cohésion du groupe de Visegrad qui s’est présenté en ordre dispersé lors de cette phase de négociation. Au-delà de la question migratoire, cette cohésion de groupe s’avère de plus en plus illusoire. Économiquement, démographiquement et politiquement, le soutien de la Slovénie à la position polonaise et hongroise s’est avéré peu à même de compenser cette dislocation. Par ailleurs, le positionnement du chef du gouvernement slovène Janez Janša ne semblait pas s’inscrire dans une perspective stratégique pérenne. 
  • Deuxième leçon : la menace de veto brandie par la Pologne et la Hongrie paraissait difficilement tenable pour plusieurs raisons internes comme externes. Celle-ci était d’abord très contestée en interne compte tenu de l’importance des fonds européens pour ces pays, mais aussi des sommes envisagées dans le cadre du fonds de relance, particulièrement pour la Pologne. De plus, le personnel politique polonais semblait lui aussi divisé  : alors que le ministre de la Justice Ziobro se montrait réticent, le Premier ministre Morawiecki considère le plan de relance comme “une double victoire”. Par ailleurs, la Commission, le Parlement et l’ensemble des autres États membres, Pays-Bas en tête, abordaient la question d’un front commun depuis l’accord du mois de novembre.
  • Au-delà de la posture politique, il était peu probable que ces pays renoncent à une part non négligeable de leur PIB en fonds européens (entre 3 et 5 %) pour un mécanisme de conditionnement dont l’activation est essentiellement tributaire de la volonté politique de la Commission et du Conseil. Un tel renoncement serait potentiellement plus explosif encore pour ces gouvernements que l’hypothétique déclenchement du mécanisme de conditionnement à terme.
  • Si la menace de ce veto a engendré une multitude de propositions alternatives, l’accord arraché hier s’apparente plutôt à un cas typique où la pression de la table du Conseil a forcé le compromis. Dans les faits, cet ultime accord n’altère pas substantiellement la philosophie ni le principe du dispositif défini en novembre. Il en retarde toutefois significativement le déploiement, dans la mesure où le mécanisme visant à bloquer les fonds en cas de non-respect de l’État de droit sera mis en suspens si l’État accusé en conteste la légalité devant la Cour de justice de l’UE. La Commission ne pourra donc pas sanctionner financièrement l’État en question avant le verdict de la Cour, ce qui risque de prendre de longs mois, voire des années, notamment au-delà des prochaines élections parlementaires en Hongrie prévues en 2022. 
  • Lorsque l’on compare ce blocage à celui opéré par les frugal four l’été dernier, une différence stratégique majeure semble émerger. Les frugaux ont obtenu d’importantes concessions, leur stratégie reflétait une véritable conflictualité multidimensionnelle de géopolitique interne sous-tendue par une perspective de long terme sur le projet européen. Ses conséquences sont largement reflétées dans l’accord final mais aussi dans l’équilibre des rapports de force au sein de l’Union.
  • Dans le cas de la Hongrie et de la Pologne, leur opposition frontale est ancrée dans une perspective stratégique sur le projet européen, mais contribue difficilement à la constitution d’une capacité d’influence sur le long terme. En faisant planer le risque d’un blocage, ces pays ont surtout signalé à leurs partenaires leur intention de mettre d’autres dossiers en péril en cas d’activation du mécanisme de conditionnement. Cette opposition est néanmoins révélatrice d’une profonde fracture européenne concernant l’État de droit.