Après plusieurs mois d’âpres négociations, le Conseil de l’UE et le Parlement ont trouvé un accord sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 (CFP). Si les négociations budgétaires ne sont pas encore formellement arrivées à leur terme, cette percée ouvre la voie au déploiement du CFP à partir du mois de janvier et, indirectement, à la ratification du fonds de relance « Next Generation EU ».

Depuis de nombreuses semaines, les négociations étaient bloquées principalement autour de deux éléments : le conditionnement de l’octroi de fonds européens au respect de l’État de droit, et l’augmentation des dépenses1 sur une multitude de programmes du budget général.

Sur l’État de droit, le mécanisme final est moins ambitieux que le dispositif initialement proposé par la Commission européenne, mais plus que celui envisagé par le Conseil européen lors du sommet marathon de juillet dernier. Selon les termes de l’accord, la Commission propose l’activation du mécanisme au Conseil qui doit s’exprimer à la majorité qualifiée2 dans un délai maximum de trois mois.

Le champ couvert par le mécanisme concerne les violations de l’État de droit lorsque celles-ci « affectent ou risquent sérieusement d’affecter » la gestion des fonds de l’UE ou les intérêts financiers de l’UE « d’une manière suffisamment directe ». La formule retenue couvre les « aspects systémiques liés aux valeurs fondamentales de l’UE » et non pas seulement les irrégularités avérées dans l’utilisation des fonds de l’UE. La remise en cause de l’indépendance du pouvoir judiciaire est notamment explicitement référencée parmi ces violations. La protection des bénéficiaires est par ailleurs garantie dans la mesure où les États membres concernés par la suspension seront tenus de verser les fonds aux bénéficiaires. Enfin, le dispositif s’applique à l’ensemble des fonds européens. Il n’est donc pas circonscrit au seul fonds de relance et constitue de ce fait une avancée institutionnelle notable.

L’effectivité de ce mécanisme reste toutefois très largement à déterminer dans la mesure où son activation est tributaire de la volonté politique du Conseil et de la Commission d’en faire usage. Il s’agit en revanche d’une importante victoire pour le Parlement qui a su ne pas céder à la pression du temps pour trouver un accord. Les tensions des deux côtés de la table des négociations n’ont pourtant pas manqué de se faire entendre, y compris sur Twitter. Au plus fort de ces échauffourées, le Parlement a notamment habilement pris le public à partie en publiant un sondage suggérant que « près de 8 personnes interrogées sur 10 dans l’UE (77 %) soutiennent l’idée que l’Union ne devrait fournir des fonds aux États membres que si le gouvernement national met en œuvre l’État de droit et les principes démocratiques. »

S’agissant des fonds supplémentaires, le Parlement et le Conseil ont arrêté une position d’équilibre entre la hausse de l’ordre de 39 milliards d’euros défendue par les eurodéputés et la ligne rouge du Conseil envisagée à 10 milliards d’euros. Le CFP a ainsi été augmenté de 15 milliards d’euros, dont approximativement 11 milliards issus du produit des amendes infligées aux entreprises qui enfreignent les règles de concurrence. Les 4 milliards restant proviendront des marges non allouées et de réaffectations. Ces augmentations seront notamment fléchées vers les programmes phares tels que Horizon ou Erasmus, très importants aux yeux de l’hémicycle européen. Enfin, un accord a également été trouvé sur une feuille de route pour la mise en place de nouvelles ressources propres. 

Si ce compromis est très proche de la position arrêtée par le Conseil en juillet et que la menace d’un véto par la Hongrie et la Pologne plane encore au-dessus de l’accord, cette énième étape de la longue séquence budgétaire du CFP 2021-2027 s’achève néanmoins sur un rééquilibrage institutionnel qu’il est intéressant d’observer. En effet, la mise à l’écart du Parlement lors de l’avènement du Covid-19 et durant les négociations du fonds de relance constituait une sérieuse menace pour l’équilibre entre les institutions européennes.

Historiquement, le Parlement renforce sa légitimité institutionnelle sur le terrain des négociations budgétaires. Ainsi, lorsque l’hémicycle rejeta le projet de budget de l’année 1980, immédiatement après la première élection au suffrage universel direct de ses membres, le ton était donné. Les concessions budgétaires obtenues depuis ont été intimement liées à l’accroissement du pouvoir formel du Parlement sur l’ensemble de la législation européenne. Sa capacité à s’élever à la table des négociations du paquet budgétaire le plus ambitieux de l’histoire de l’Union européenne relevait donc d’un défi existentiel.

Plus que l‘envergure des concessions arrachées au Conseil, c’est la préservation de l’équilibre des pouvoirs institutionnels qui était partiellement en jeu ici. L’accord final n’est pas idéal d’un point de vue juridique et politique, ni au regard des ambitions initialement affichées par la Commission et le Parlement. Toutefois, celui-ci ouvre la voie à des évolutions institutionnelles et politiques historiques et permet d’affirmer la légitimité du Parlement ainsi que sa crédibilité en tant que co-législateur pour la procédure budgétaire annuelle. Cela aura des conséquences sur les rapports de force institutionnels des sept prochaines années.

Sources
  1. Le terme ‘augmentation’ est utilisé en référence à l’accord du Conseil européen extraordinaire du 17-21 juillet
  2. dans sa proposition initiale, la Commission envisageait de faire adopter les mesures par un vote à la majorité qualifiée inversée, procédure qui rend leur blocage plus difficile