« Quel spectacle ! On dit que c’est l’élection la plus frauduleuse de l’histoire des États-Unis. Qui dit cela ? Le président qui est actuellement en fonction. Son rival dit que Trumps a l’intention de truquer les élections ! Voici comment sont les élections américaines et la démocratie aux Etats-Unis ! ».  C’est à travers ce tweet publié le 4 novembre dernier, alors que le décompte des voix était toujours en cours, que le Guide Suprême Sayed Ali Khamenei a commenté le contexte électoral tendu aux Etats-Unis1. Quelques heures auparavant, le Guide Suprême avait également déclaré lors d’un discours que les élections américaines ne pourraient affecter la politique iranienne puisque celle-ci est « calculée et claire »2. Qu’en est-il réellement ?

Depuis l’annonce du retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018, les Etats-Unis et l’Iran sont entrés dans un cycle de conflits quasi permanents. Reprochant à l’administration précédente de Barack Obama de ne pas avoir fait véritablement face à l’Iran sur les questions du nucléaire, des missiles balistiques ainsi que de son rôle dans la région, la politique de « pression maximale » mise en place par Donald Trump se devant plus contraignante a eu de graves répercussions sur l’économie iranienne. A travers ces sanctions, Donald Trump souhaitait faire revenir les autorités iraniennes à la table des négociations afin de signer un nouvel accord beaucoup plus contraignant, Téhéran préférant toutefois adopter la posture de « patience stratégique » en pariant très tôt sur une victoire de Joe Biden3.

La nouvelle administration démocrate présidée par Joe Biden pourrait-elle ramener les Etats-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien et ainsi pacifier davantage les rapports entre les différents acteurs au Moyen-Orient ? Il est vrai que durant la campagne électorale américaine, le président Biden l’avait à plusieurs reprises mentionné. La réintégration dans le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) reste donc une promesse électorale. Il est également certains que les deux parties ont en effet un intérêt commun à l’apaisement et à la désescalade dans la région. Avec une économie en chute libre accompagnée d’une crise du Covid-19 difficile à contenir, un allégement des sanctions est nécessaire pour Téhéran. Toutefois, plusieurs interrogations se posent quant à la manière de procéder et aux conditions exigées. Avec une majorité démocrate au Sénat, Joe Biden pourrait facilement repousser la résistance du Congrès en réintégrant comme il l’a promis lors de sa campagne le JCPOA sans, dans un premier temps, l’élargir aux questions liées aux systèmes balistiques ainsi que sur le rôle de l’Iran dans la région. Par ailleurs, en plus de respecter une promesse électorale, y revenir serait pour lui une manière d’affirmer «  l’héritage d’Obama »4. En contrepartie, une réduction de l’uranium enrichi par les iraniens serait appliquée. Toutefois, si les Républicains venaient à être majoritaire au Sénat, la capacité du nouveau président se verrait être limitée. Ainsi, dans un scénario où le Congrès serait dominé par les Républicains, réintégrer le JCPOA dans l’état actuel pourrait être difficile tant la pression de l’opposition pourrait se faire ressentir. 

Menaces contre l'Iran dans la région L'iran et ses alliés

Le président américain va également devoir résister à la suggestion faite par certains de ses conseillers d’ajouter des concessions supplémentaires en négociant avec l’Iran pour un retour dans l’accord. En effet, même avec un actuel gouvernement réformiste, le président Hassan Rohani à travers son ministre Mohammad Javad Zarif ainsi que l’ambassadeur iranien à l’ONU Majid Takht-Ravanchi ont tout de même démontré qu’ils pouvaient s’inscrire dans une démarche où Téhéran réclamerait également des concessions. Il a ainsi été demandé une compensation pour les dommages économiques subis par les pressions exercées par l’administration Trump.5 Simple posture de communication ou volonté réelle de répondre à un éventuel projet de renégociation, en prenant le risque de faire durer les échanges le danger principal serait de mettre en péril l’accord même maintenu en vie par les Européens. De plus, dans le cas d’un retour lent dans l’accord, les pressions des puissances régionales au Moyen-Orient hostiles au JCPOA se feraient de plus en plus ressentir6. Enfin, les risques d’une escalade des tensions pour influer sur les négociations ne sont pas exclus. Il est important de rappeler qu’avant la signature de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015, de nombreux accrochages avaient eu lieu dans la région.

Difficile mais pas impossible, afin d’éviter un lent retour des Etats-Unis dans le JCPOA, le gouvernement iranien à travers son ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a proposé que celui-ci puisse se faire par décret7. L’espoir d’un retour rapide est essentiel puisque la prochaine élection présidentielle iranienne prévue mi-2021 réduira certainement la capacité de Téhéran à répondre à toute initiative sur du long terme. En effet, les différentes crises économiques et sanitaires dues aux « pressions maximales » mises en place par Donald Trump ont fortement délégitimé le président Hassan Rohani et son gouvernement, à la fois auprès du guide suprême mais également auprès de sa propre base électorale dont certains ont appelé à la démission8. L’analyste Sadegh Zibakalam a d’ailleurs prédit dans le journal Etemad un taux de participation maximal de 30 % à la prochaine élection présidentielle9. Une nouvelle majorité de tendance conservatrice et proche du Guide Suprême mais pragmatique pourrait donc émerger en 2021. L’ancien ministre de la défense Hossein Dehghan ainsi que Ali Larijani figurent parmi les candidats probables. 

Ainsi la voie adoptée par Joe Biden impactera très certainement les relations entre l’Iran et les Etats-Unis durant son mandat. De plus, son choix pourrait d’une certaine manière façonner la future élection iranienne de 2021, qui sera à son tour importante pour définir la posture future de l’Iran10.

Enfin, il est nécessaire de rappeler qu’une réintégration rapide dans l’accord n’empêchera pas le président Biden de discuter du rôle de l’Iran dans la région ainsi que de son arsenal conventionnel, notamment les missiles balistiques. Protéger ses intérêts stratégiques est primordiale pour Téhéran, les récents rapprochements entre Israël et certaines monarchies du golfe sont perçus par les autorités iraniennes comme menaçant car ils permettraient d’étendre l’influence israélienne près de ses frontières. L’ancien commandant de la marine des gardiens de la révolution Sardar Hossein Alaei avait d’ailleurs déclaré : « Israël va utiliser toute la géographie de ces pays pour espionner et menacer l’Iran […] nous devons être vigilant face aux opérations des unités spéciales d’Israël contre les navires et les lignes maritimes »11. Nul doute donc que les tensions s’amplifieraient, se traduisant par des provocations de part et d’autre, obligeant le président américain à réagir. Il est également important de noter qu’une fois un retour dans le JCPOA acté, Washington pourra facilement convaincre l’Europe d’utiliser les mécanismes de l’accord contre l’Iran, notamment par une extension de l’embargo sur les armes iraniennes à travers la résolution 2231 du Conseil de Sécurité de l’ONU, ce qui pourrait participer à accroître les tensions, puisqu’en effet Téhéran a aujourd’hui besoin de réintroduire de nouvelles plateformes dans son arsenal conventionnel. Un maintien des prix bas du pétrole est également prévu par Joe Biden. Cependant, la fin du soutien inconditionnel américain envers certaines monarchies du golfe et en premier lieu l’Arabie Saoudite, dont le prince héritier Mohammad ben Salman reste impopulaire à Washington, pourrait être perçu par Téhéran comme une volonté d’équilibrer les rapports régionaux.12

Un retour dans le JCPOA est réalisable mais Joe Biden devra agir rapidement car les retards pourraient être préjudiciable pour le maintien de l’accord. Toutefois, un retour même rapide ne sera pas forcément synonyme d’entente cordiale. Cela permettra certes d’apaiser les tensions, mais les rivalités seront toujours présentes.

Sources
  1. Ayatollah Ali Khamenei, https://twitter.com/khamenei_ir/status/1324060283103518721, 04 novembre 2020. Texte original en anglais : What a spectacle ! One says this is the most fraudulent election in US history. Who says that ? The president who is currently in office. His rival says Trumps intends to rig the elections ! This is how #USElections & US democracy are
  2. Aniseh Bassiri Tabrizi, https://twitter.com/AnisehBassiri/status/1323599902883172352, 03 novembre 2020
  3. Mohammad Hossein Ziya, Ayatollah Kahmenei’s gamble and green light for negotiations, https://www.mei.edu/publications/ayatollah-khameneis-gamble-and-green-light-negotiations
  4. Vali Nasr, Iran and the US : The long and Arduous Diplomatic Road,https://rusi.org/commentary/iran-and-us-long-and-arduous-diplomatic-road
  5. Radio Farda, Zarif sets conditions for U.S return to nuclear deal in Sputnik interview, 26 septembre 2020, https://en.radiofarda.com/a/zarif-sets-conditions-for-us-return-to-nuclear-deal-in-sputnik-interview/30859432.html
  6. Joe Cirincione, How Joe Biden can solve the Iran crisis, Responsible Statecraft, 25 septembre 2020, https://responsiblestatecraft.org/2020/09/25/how-joe-biden-can-solve-the-iran-crisis/
  7. Anthony Di Paola ; Arsalan Shahla, Oil faces Iran shock if Biden win points to nuclear deal, 29 octobre 2020, https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-10-29/oil-market-faces-iran-shock-if-biden-win-points-to-nuclear-deal?sref=IkO5HceU
  8.  Rohollah Faghihi, The Reformist push for Rouhani’s resignation, Al – monitor, 30 janvier 2020, https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/01/iran-rouhani-resignation-idea-hardliners-reformists.htm
  9. Patrick Wintour, Even if Biden wins US elections, time is running out to save Iran nuclear deal, The Guardian, 21 octobre 2020, https://www.theguardian.com/us-news/2020/oct/21/even-if-biden-wins-us-election-time-is-running-out-to-save-iran-nuclear-deal
  10. Vali Nasr, Iran and the US : The long and Arduous Diplomatic Road
  11. https://www.jamaran.news/%D8%A8%D8%AE%D8%B4-%D8%B3%DB%8C%D8%A7%D8%B3%D8%AA-12/1470837-%D8%A7%D9%81-%D9%87%D8%A7-%D8%AF%D8%B1-%D8%A7%D9%85%D8%A7%D8%B1%D8%A7%D8%AA-%D8%B9%D9%84%DB%8C%D9%87-%D8%A7%DB%8C%D8%B1%D8%A7%D9%86-%D9%85%D8%B3%D8%AA%D9%82%D8%B1-%D9%85%DB%8C-%D8%B4%D9%88%D9%86%D8%AF-%D9%BE%D8%A7%D8%B3%D8%AE-%D8%B3%D8%B1%D8%AF%D8%A7%D8%B1-%D8%B9%D9%84%D8%A7%DB%8C%DB%8C
  12.  Philip H. Gordon, The next administration needs a plan for de-escalation in the Gulf, Foreign Policy, 22 septembre 2020, https://foreignpolicy.com/2020/10/22/election-2020-trump-biden-iran-saudi-arabia/