Le 28 mai Pékin a voté l’approbation d’une nouvelle loi sur la sécurité nationale qui, selon beaucoup, signifie la fin du cadre « Un pays, deux systèmes » de Hong Kong1. D’autres l’ont qualifiée de violation totale de l’autonomie de la cité par la République populaire de Chine. Dans cet article, nous espérons faire la lumière sur la nouvelle loi, sur certaines des nuances juridiques et sur ce qu’elle signifie pour l’avenir de Hong Kong.

Quelles sont les nouvelles lois sur la sécurité nationale ? Et pourquoi sont-elles si controversées ?

Pékin vient de voter officiellement un nouvel ensemble de lois sur la sécurité nationale, qui comprend l’introduction d’infractions pénales pour des faits2 relevants de la sécession, la subversion, l’ingérence étrangère et le terrorisme. Les lois devraient entrer en vigueur à aout.

Cela interdit effectivement un large spectre d’activités politiques, qui comprendrait une grande partie de ce que nous avons vu jusqu’à présent dans le mouvement de Hong Kong. L’application des lois sur la sédition et la subversion diminue le droit des Hongkongais à la liberté d’expression et à la liberté de la presse. Toute relation avec des organisations politiques étrangères pourrait être considérée comme une ingérence étrangère. Les affrontements avec la police, même en cas de légitime défense contre leur violence inexplicable, pourraient être qualifiés d’activités terroristes.

Cependant, les clauses de sécurité nationale ne sont pas nouvelles à Hong Kong. Nombre d’entre elles se trouvent dans l’article 23 de la loi fondamentale de Hong Kong, la mini-constitution de la cité, mais les efforts déployés pour faire passer ces lois ont finalement été abandonnés après qu’un demi-million de personnes aient protesté contre son adoption en 2003. Qu’est-ce qui est différent cette fois-ci ? Pourquoi cette nouvelle a-t-elle provoqué un tel tumulte ? Pourquoi le législateur pro-démocratie Dennis Kwok a-t-il qualifié cette nouvelle de « la pire chose la plus qui soit arrivée à Hong Kong depuis la rétrocession » ?

Après cette dernière année de protestations, Pékin est arrivé à la conclusion qu’on ne peut plus faire confiance au gouvernement de Hong Kong (et à son Conseil législatif) pour l’adoption et l’application des lois sur la sécurité nationale.

En d’autres termes, l’administration Xi en a assez de Hong Kong et ne se contente plus de laisser le chef de l’exécutif de Hong Kong, Carrie Lam, « gérer » le mouvement de protestation de Hong Kong. Au lieu d’observer de loin, l’administration Xi a décidé d’intervenir directement dans les processus législatifs de Hong Kong et a l’intention de battre les Hongkongais en soumission en utilisant « l’état de droit ».

N’ayant plus aucune confiance dans le processus législatif de Hong Kong, l’administration de Xi veut confier la tâche de promulguer les lois de sécurité nationale de Hong Kong au Comité permanent du Congrès national du peuple (NPCSC).

Qu’est-ce que le NPCSC ? Quel est son rôle dans le système politique et juridique de Hong Kong ?

Le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire (NPCSC) est le plus haut organe du pouvoir d’État de la République populaire de Chine, et est dominé par des membres du Parti communiste chinois. On peut considérer qu’il dispose à la fois des pouvoirs d’un corps législatif et d’une cour constitutionnelle de dernière instance dans le cas de Hong Kong ; il a le pouvoir de rédiger certaines lois et d’interpréter la constitution de Hong Kong pour décider si ces lois sont légales.

Contrairement au Conseil législatif de Hong Kong (LegCo), qui aurait du mal à promulguer les lois de sécurité nationale en raison d’un climat politique tendu et d’une résistance pan-démocratique, le NPCSC – dominé par les membres du PCC – devrait rapidement rédiger et approuver ces nouvelles lois de sécurité nationale pour Hong Kong. Cela signifie que Pékin serait en mesure de contourner toute résistance locale de Hong Kong qui serait alors impliquée dans ce processus.

Mais Pékin peut-il adopter directement des lois pour Hong Kong ?

De façon générale, ce n’est pas possible. Cependant, le NPCSC dispose d’une arme secrète : l’article 18 de la loi fondamentale de Hong Kong. Cet article permet à la RPC d’appliquer directement ses lois à Hong Kong, avec une réserve cependant. L’article permet uniquement de qualifier certaines lois de la RPC : les lois relatives à la défense, aux affaires étrangères, ou à « d’autres questions en hors des limites de l’autonomie » de Hong Kong.

La question juridique est de savoir si cette liste de lois sur la sécurité nationale peut être classée de manière satisfaisante dans l’un de ces trois domaines. Heureusement, des lois telles que celles sur la sécession, la subversion et même le terrorisme ne sont généralement pas reconnues comme des questions de défense ou d’affaires étrangères (elles relèvent plutôt d’une catégorie différente appelée lois sur l’ordre public). En outre, l’article 23 stipule que les lois de sécurité nationale sont du ressort du gouvernement de Hong Kong et ne sont donc pas considérées comme « d’autres questions ne relevant pas des limites de l’autonomie [de Hong Kong] ».

Par conséquent, la légalité de l’adoption par Pékin de ces lois de sécurité nationale en vertu de l’article 18 est suspecte. Par contre, cela n’empêchera pas de toute façon le NPCSC de les voter.

Ces lois peuvent-elles être légalement contestées à Hong Kong ?

Les textes lois peuvent être effectivement contestés devant les tribunaux de Hong Kong pour en remettre en cause la légalité. Plus précisément, elles peuvent être contestées sur la question de savoir si elles excèdent les pouvoirs qui leur sont conférés par la Loi fondamentale de Hong Kong. Il y a de bonnes raisons de croire qu’une telle contestation peut même aboutir. Toutefois, en vertu de l’article 158, le NPCSC détient le pouvoir final d’interpréter la loi comme il le souhaite, de sorte qu’il peut toujours annuler la décision du tribunal.

Le fait que le NPCSC détienne le pouvoir final d’interpréter la Loi fondamentale réduit toutes les garanties constitutionnelles de la Loi fondamentale de Hong Kong « à de simples promesses dont la réalisation est à la merci du Parti communiste chinois3 ». En d’autres termes, Hong Kong n’a jamais vraiment eu de véritable État de droit constitutionnel et son ordre juridique même a toujours été subordonné aux caprices politiques de Pékin.

Donc, en substance, les lois pourraient être contestées. Mais le NPCSC serait en mesure d’annuler toute décision de justice défavorable en émettant sa propre interprétation finale en vertu de l’article 158, ce qu’il fera presque certainement puisque c’est le même organe qui écrira et promulguera la loi.

De quoi d’autre devons-nous nous préoccuper ?

Selon un projet de résolution du NPCSC sur la nouvelle loi de sécurité nationale, le gouvernement de Hong Kong sera chargé de « mettre en place une organisation et un mécanisme opérationnel pour protéger la sécurité nationale »4. Mais si le gouvernement de Hong Kong venait à échouer, le gouvernement central chinois pourra également, en fonction des besoins, créer son propre office de la sécurité nationale qui opérera à Hong Kong afin de faire appliquer ces lois5. Cela signifierait que les agences chinoises chargées de l’application des lois et de la sécurité pourraient intervenir directement dans la cité.

Les détails de cet arrangement n’ont pas encore été dévoilés, mais cette initiative s’inscrit dans le cadre de l’audace croissante de Pékin qui contourne totalement les institutions de Hong Kong pour exercer un contrôle plus direct.

Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de Hong Kong ?

Avec l’adoption de ces lois, tant les protestations de masse que les actions individuelles de résistance politique pourront avoir des conséquences beaucoup plus lourdes. Toute activité politique jugée séditieuse ou défavorable au gouvernement central sera beaucoup plus risquée pour les militants de Hong Kong. Les Hongkongais sont déjà nombreux à installer des VPN pour protéger leur identité en ligne.

Mais les conséquences vont bien au-delà de la simple substance des lois de sécurité nationale. Nous ne sommes pas encore en 2003. La combinaison du pouvoir de Pékin de promulguer directement des lois pour Hong Kong et d’interpréter ces lois aussi largement qu’ils le souhaitent sonne le glas du principe « un pays, deux systèmes », et de tout semblant d’autonomie politique et juridique dont la région jouit encore.

Si le projet de loi sur l’extradition de l’année dernière était un portail juridique qui avait envoyé des individus sur le continent pour contourner l’État de droit, l’indépendance judiciaire et les procédures légales de Hong Kong, alors ces nouvelles lois sur la sécurité nationale sont un portail juridique qui envoie directement la législation de Pékin à Hong Kong par décret. En d’autres termes, au lieu d’extrader les Hongkongais vers la Chine continentale pour qu’ils soient jugés, le système juridique de Pékin sera simplement amené à Hong Kong.

Mais si nous avons appris quelque chose de la longue histoire de construction du mouvement à Hong Kong6, c’est que nous pouvons nous attendre à ce que les Hongkongais continuent à résister.

Les règles du jeu ont changé et le mouvement de Hong Kong doit en faire autant. Le sort des Hongkongais étant désormais plus intimement lié à celui des personnes marginalisées et opprimées en Chine continentale, les Hongkongais doivent réaligner leurs luttes sur celles des Chinois de Chine continentale qui sont tout aussi opprimés par l’État chinois.

Ce n’est pas le moment de se tourner vers l’Occident. C’est le moment de la solidarité avec les travailleurs chinois, les militants chinois et tous ceux qui sont opprimés en Chine.

Crédits
Cet article a été originellement publié en anglais sur Lausan, un collectif basé à Hong Kong, et est ici reproduit avec son consensus : https://lausan.hk/2020/beijings-new-national-security-laws-and-the-future-of-hong-kong/