Paris. Plus aucun continent n’est épargné. Depuis un peu plus de deux mois, la qualité et la solidité des systèmes de santé des pays du monde entier, ainsi que la réactivité de leurs gouvernements, ont été mises à l’épreuve. Depuis son apparition en Chine, dans la ville de Wuhan en décembre 2019, le COVID-19 – nouvelle maladie infectieuse causée par un virus appartenant à la famille des coronavirus – n’a laissé personne indifférent. La peur s’est propagée plus rapidement que le virus, qui s’est avéré très contagieux mais moins mortel que ses prédécesseurs, les coronavirus connus sous les noms de SARS-CoV et MERS-CoV. L’hypothèse d’une zoonose, une maladie d’origine animale, a la préférence des scientifiques puisque les premiers cas de COVID-19 sont liés à des personnes qui ont fréquenté ou qui travaillaient dans un marché de fruits de mer et d’animaux sauvages de Huanan, à Wuhan.

Les zoonoses ne sont pas un phénomène nouveau. Le virus responsable de l’épidémie de SRAS en Chine (2003) a été transmis de la civette à l’homme, tandis que celui de l’épidémie de MERS au Moyen-Orient (2012) a été transmis par le dromadaire. Toutefois, elles sont devenues de plus en plus courantes en raison de la proximité accrue entre les animaux sauvages, les animaux domestiques et les personnes ; et elles se répandent plus facilement en raison de la mondialisation et donc de l’augmentation et de la fréquence des mouvements de personnes à l’intérieur des pays et entre ceux-ci. Cette situation, associée à des facteurs tels que le changement climatique, l’urbanisation et le manque d’eau et d’assainissement, contribue à la propagation rapide des virus et à des épidémies catastrophiques. Ainsi, la menace d’une épidémie, voire d’une pandémie susceptible de se propager dans le monde entier, est réelle. Un agent pathogène à évolution rapide peut rendre malade ou même tuer un grand nombre de personnes, perturber les économies et déstabiliser la sécurité nationale et mondiale.1

Avec la propagation mondiale du COVID-19, on s’inquiète de ce que les pandémies passées pourraient nous apprendre sur l’impact potentiel de ce nouveau coronavirus sur l’économie mondiale. Mais cette fois-ci, c’est différent. Près de deux décennies se sont écoulées depuis l’épidémie de SRAS qui, en six mois, a infecté 8 098 personnes et en a tué 774 avant d’être endiguée, selon le bilan dressé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).2 Le coût économique a été estimé à 40 milliards de dollars, comprenant les coûts médicaux directs pour traiter les patients, mais aussi les coûts indirects massifs des voyages et des perturbations commerciales : une baisse de 80 % des recettes du tourisme et un déficit de près de 50 % pour les compagnies aériennes, les restaurants, les voyagistes et les transports.3 Cette situation a été exacerbée en partie par le manque de connaissances sur le virus, le manque de préparation des pays de la région touchée pour faire face à l’épidémie, et le manque de transparence de la Chine concernant le temps qu’il a fallu pour admettre et signaler l’existence du virus.

Une carte sur la dimension mondiale d'une pandémie potentielle

Depuis lors, non seulement la Chine, mais le monde entier a beaucoup changé, ce qui nous amène à nous demander si cette fois-ci l’économie est mieux ou moins bien préparée que par le passé à faire face à une éventuelle pandémie. Les progrès médicaux et le développement des nouvelles technologies sont clairement un avantage évident qui permettent d’améliorer les soins médicaux et de trouver des moyens plus sophistiqués pour contenir la propagation du virus. Toutefois, une grande partie de l’impact négatif de ces épidémies est principalement liée à l’affaiblissement de l’économie dû aux perturbations causées par les tentatives pour le contenir, plutôt qu’au virus lui-même. L’importance croissante du secteur tertiaire dans l’économie mondiale est un risque majeur pour l’activité économique dans ce type de situation. Surtout lorsque les individus choisissent d’éviter les lieux et les services appartenant à ce secteur, qui occupe une place plus importante dans l’économie par rapport aux décennies précédentes.4

Ces dernières années, la Chine est devenue la deuxième économie mondiale et un élément indispensable du commerce mondial. Non seulement elle est devenue l’usine du monde, produisant des produits de haute technologie et stimulant la demande de matières premières telles que le pétrole et le cuivre, mais elle est également l’un des principaux consommateurs mondiaux de produits de luxe, de tourisme et d’automobiles. Si en 2003, la Chine représentait environ 4 % du PIB mondial, elle représente 19 % en 2019 selon le Fonds Monétaire International.5 Cela a conduit différentes entreprises à construire des chaînes d’approvisionnement avec la Chine comme épicentre, rendant les économies beaucoup plus interconnectées, et dans le même temps, plus vulnérables aux situations critiques comme celle que nous connaissons aujourd’hui. 

Ainsi, étant donné la taille et l’importance de l’économie chinoise, l’impact sur l’économie mondiale sera probablement plus important que lors des précédentes épidémies. Si l’on se base sur les estimations des dommages économiques causés par le SRAS et sur les taux actuels de contamination mondiale par le COVID-19, ce nouveau coronavirus pourrait coûter des billions dans le monde entier.6

The Economist Intelligence Unit a prédit une réduction de la croissance du PIB réel de la Chine de 5,9 % en 2019 à 5,4 % en 2020, en supposant que le virus soit contenu d’ici la fin mars.7 Le coup porté à l’activité économique chinoise aura des répercussions sur les principales chaînes d’approvisionnement et les marchés internationaux, dont beaucoup considèrent la Chine comme un nœud essentiel. En fait, la province de Hubei, dont Wuhan est la capitale provinciale, est un important centre de fabrication de produits électroniques, biopharmaceutiques et autres produits industriels. Il s’agit également d’une importante plaque tournante pour les réseaux de transport aérien, ferroviaire, routier et maritime.

En effet, alors que l’OMS a relevé le niveau de menace du virus à « très élevé », la Bourse a connu sa pire semaine depuis 2008, ce qui indique que l’une des plus longues expansions de l’histoire pourrait bien toucher à sa fin. Pour sa part, la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, a déclaré que l’épidémie de COVID-19 pourrait mettre en péril la fragile reprise de l’économie mondiale.8 Même si le virus est contenu rapidement, la croissance en Chine et dans le reste du monde sera touchée, réduisant la croissance mondiale : l’OECD a révisé ses prévisions pour l’année, passant d’un niveau déjà faible de 3 % en novembre à seulement 2,4 %, soit le niveau le plus bas depuis la crise financière de 2008. Et il s’agirait d’un scénario optimiste, indique Laurence Boone, économiste-en-chef de l’OCDE, basé sur la situation actuelle : dans un scénario où l’epidémie éclate dans certains autres pays du monde, le ralentissement sera plus marqué et plus prolongé – jusqu’à 1,5 % pour l’année.9

Avec le virus désormais détecté dans au moins 61 pays, près de 90 000 personnes infectées et près de 3 000 morts, les entreprises ajustent leurs prévisions de bénéfices annuels, les économistes revoient à la baisse leurs prévisions de croissance mondiale et les décideurs politiques se disent prêts, si nécessaire, à agir pour stabiliser l’économie.10

En fin de compte, si l’approche actuelle consiste à mettre fin à la transmission interhumaine, des mesures d’atténuation et de redressement rapide doivent être prévues et mises en œuvre dès que possible pour minimiser l’effet perturbateur sur l’économie, au niveau local et mondial.  Toutefois, à ce jour, les avis des experts sur cette question restent très prudents et la seule certitude est que rien n’est sûr pour l’instant. L’évolution de l’épidémie au cours des prochains jours et semaines sera cruciale, et son impact sur l’économie dépendra en grande partie du temps nécessaire pour arrêter la propagation du COVID-19.

Sources
  1. OLESSA-DARAGON Xavier, KUIJPER Fiene-Marie, 10 points sur le Coronavirus COVID-19 ? carte mise à jour, Le Grand Continent, 26 janvier 2020
  2. HOLLINGSWORTH Julia, A lot has changed since China’s SARS outbreak 17 years ago. But some things haven’t, CNN, 25 janvier 2020
  3. LEE Jong-Wha, McKIBBIN J., Estimating the global economic costs of SARS, in Learning from SARS : Preparing for the Next Disease Outbreak : Workshop Summary, Institute of Medicine (US) Forum on Microbial Threats ; Knobler S, Mahmoud A, Lemon S, et al., editors. Washington (DC) : National Academies Press (US), 2004.
  4. BLOOM David E., CADARETTE Daniel, SEVILLA JP, Epidemics and Economics, Finance and Development, Vol. 55, No. 2, juin 2018
  5. RILEY Charles, HOROWITZ Julia, The coronavirus is already hurting the world economy. Here’s why it could get really scary, CNN, 10 février 2020
  6. ]LEE Jong-Wha, McKIBBIN J., Estimating the global economic costs of SARS, in Learning from SARS : Preparing for the Next Disease Outbreak : Workshop Summary, Institute of Medicine (US) Forum on Microbial Threats ; Knobler S, Mahmoud A, Lemon S, et al., editors. Washington (DC) : National Academies Press (US) ; 2004
  7. HUIFENG He, Why Wuhan is so important to China’s economy and the potential impact of the coronavirus, South China Morning Post, 24 janvier 2020
  8. Remarks by IMF Managing Director Kristalina Georgieva to G20 on Economic Impact of COVID-19, IMF, 22 février 2020
  9. OECD, Coronavirus : the world economy at risk, OECD Interim Economic Outlook March 2020, 2 mars 2020
  10. GOODMAN Peter S., China’s Coronavirus Has Revived Global Economic Fears, The New York Times, 27 janvier 2020