Bruxelles. Dans leur forme actuelle, les traités de libre-échange de l’Union européenne n’impliquent pas en contrepartie le respect d’engagements climatiques.1 Les chapitres consacrés au développement durable dans le commerce sont en effet exemptés de dispositions relatives à la résolution des disputes qui permettraient à l’Union de prendre des mesures économiques punitives en cas de non-respect des règles préétablies. Ces mesures relèvent d’une procédure moins contraignante de résolution à l’amiable avec réunion d’un comité d’experts émettant des recommandations publiques. Un premier tel litige est en cours sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Corée du Sud. La Commission européenne défend ce fonctionnement2 : à travers l’influence de l’opinion publique et la négociation dans le cadre des traités, il permettrait de trouver une solution commune acceptable.

La Commission européenne appelle donc à l’adoption rapide des traités de libre-échange3, permettant la mise en place par l’Union de négociations politiques constructives sur le climat dans le cadre de ces traités. Néanmoins, pour des accords mixtes, comme le traité UE-Mercosur4, les mesures liées aux commerces sont appliquées temporairement en attendant la ratification par les États, le commerce étant une compétence exclusive de l’Union. Les clauses de dialogue politique et de coopération, en revanche, ne peuvent être mises en place qu’après ratification, ce qui pourrait créer un délai de plusieurs années.

Selon le service de recherche du Parlement européen, l’imbroglio politique autour de la ratification des traités de libre-échange par chaque État pourrait donc retarder la possibilité de négociations diplomatiques sur les questions environnementales. Cette approche est pourtant celle prônée par la Commission européenne – notamment sur les questions de déforestation et conservation des écosystèmes en Amérique du Sud soulevées par l’accord UE-Mercosur.

Faut-il donc faire pression sur les traités de libre échange avant leur signature, quitte à geler ou rejeter les accords si des engagements environnementaux ne sont pas pris ? C’est la position qu’ont adopté Leo Varadkar, Emmanuel Macron, ainsi que des pétitions issues de la société civile vis-à-vis du traité UE-Mercosur à la suite des incendies en Amazonie cet été. Selon le rapport du Parlement européen, ceci constitue une réponse politique envisageable lorsque des engagements bilatéraux n’ont pas encore été pris. Néanmoins, se retirer dans une phase plus avancée d’un traité peut être vu comme un fléchissement vers des groupes d’intérêt contraire, qui se rallient par convenance à la bannière de l’environnement. Dans l’exemple du traité UE-Mercosur, les agriculteurs européens et notamment français, irlandais et polonais craignent une distorsion de la concurrence due aux importations de viande (160 000 tonnes par an) et de matières premières d’Amérique du Sud.5

Dans ce traité, le Brésil s’était engagé à mettre fin à la déforestation illégale, restaurer avant 2030 douze millions d’hectares de forêt tropicale et réduire de 37 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2025. La validité de ces engagements avait été sévèrement remise en question par l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir en début 2019, puis par la fuite le 21 août via le média d’investigation openDemocracy de documents allégeant de projets du gouvernement Bolsonaro pour exploiter l’Amazonie, développer la région économiquement et empêcher l’exécution de projets de conservation de la forêt équatoriale.6

Une autre option pour l’Union est l’application des exceptions générales aux règles du GATT relatives à l’environnement.7 Incorporées dans les traités de libre échange de l’Union, elles disposent qu’il est possible pour un État de prendre des mesures restreignant le commerce dans les cas de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, de préservation des végétaux ou de conservation des ressources naturelles épuisables. L’Union pourrait donc en théorie prendre des mesures environnementales via une réduction du commerce. Néanmoins, il est nécessaire, par-delà cette exception, de prouver le lien de causalité entre restriction commerciale et résolution du problème environnemental. Dans les questions complexes comme le changement climatique, ce lien est difficile à démontrer. Il y a donc de grandes chances que la taxe carbone proposée par Ursula von der Leyen soit dénoncée comme entrave aux règles de commerce du GATT.8 Pourquoi ne pas imaginer une renonciation à ces règles de l’OMC sous des circonstances climatiques exceptionnelles ?

Une dernière possibilité serait d’agir via la suspension de privilèges commerciaux. Le Système Généralisé de Préférences (SPG), par exemple, est un ensemble de règles permettant aux exportateurs de pays en développement de payer moins ou pas de droits d’entrée vers l’UE. Néanmoins, la suppression de ces avantages n’est légalement possible que dans le cas de violations d’une des 27 conventions fondamentales, essentiellement relatives aux droits de l’homme et du travail. En mars 2019, le Parlement européen a fait appel dans une résolution à l’ajout de l’Accord de Paris à ces conventions. La régulation du SPG entrera en révision en 2020.

Un large éventail de possibilités pour utiliser la politique commerciale afin d’influencer la politique climatique étrangère est donc disponible. Ce rapport du Service de Recherche du Parlement Européen en détaille les avantages et les inconvénients. L’approche mise en avant par la Commission européenne via la signature d’accords de libre-échange puis la négociation politique ; celle prônée par certains États et acteurs de la société civile par la pression et la remise en question de ces mêmes accords ; mais aussi une démarche passant par les règles du GATT et l’OMC ou l’action sur le Système généralisé de préférences sont ainsi évaluées. Il reste maintenant à voir quelles mesures seront choisies par les décideurs de l’Union européenne.

Perspectives  :

  • La mise en œuvre prochaine du Green New Deal par la Commission d’Ursula von der Leyen – sur laquelle Le Grand Continent a récemment interrogé Frans Timmermans9 – mettra potentiellement à profit des ressorts de politique commerciale, notamment via sa proposition de taxe carbone aux frontières.
  • À suivre : avenir de l’accord commercial UE-Mercosur. Qui sortira vainqueur du bras de fer entre la Commission européenne et les états ?
  • Quel avenir pour les règles de libre-échange du GATT dans le contexte environnementale et climatique actuel ? Quelle intégration de ces mêmes enjeux dans le futur Système Généralisé de Préférences ?