Genève. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a jugé, dans une décision arbitrale rendue le 2 octobre 20191, que l’administration américaine a le droit d’imposer des tarifs douaniers sur les exportations européennes à hauteur de 7,5 milliards de dollars. 

Cette décision met fin à un contentieux ayant opposé les Etats-Unis à l’Union européenne pendant près de 15 ans, et donne raison à l’administration américaine, qui soutenait que les subventions versées par les Etats européens au groupe Airbus étaient prohibées par le SMC (accord sur les subventions et les mesures compensatoires) et le GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) de 1994. 

En 2006, les Etats-Unis avaient intenté une action contre l’Union devant les tribunaux de l’OMC, au motif qu’Airbus aurait reçu près de 22 milliards de dollars de subventions illégales de la part de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne et du Royaume-Uni. L’administration américaine soutenait que ces aides avaient causé à son industrie aéronautique un préjudice économique de plus de 200 milliards de dollars. 

L’Union avait alors réagi en poursuivant à son tour les Etats-Unis devant les tribunaux de l’OMC, au motif que ces derniers auraient également versé des subventions illégales à Boeing, leur principal constructeur aéronautique. 

Une première décision rendue en 2011 par un panel d’experts de l’OMC a jugé que la production par Airbus des avions A350 et A380 était facilitée par des subventions illégales, en violation des articles 1 et 2 du SMC. Un second panel a jugé en 2012 que des exemptions d’impôts accordées par les Etats-Unis à Boeing constituaient une violation similaire, une telle pratique ayant illégalement facilité la production par Boeing de ses avions 787 Dreamliner. 

Plus récemment, une décision de l’organe d’appel de l’OMC de mai 2018 a condamné l’Union européenne au motif que les contrats LA/MSF d’Airbus continueraient de reposer sur le mécanisme de subvention illégale précédemment sanctionné. La décision du 2 octobre 2019 vient clarifier les contre-mesures que les Etats-Unis sont fondés à prendre pour obtenir la réparation de leur préjudice. 

L’importance de la décision du 2 octobre 2019 est donc considérable, puisque cette dernière vient ouvrir un nouveau volet dans la guerre commerciale qui oppose les Etats-Unis à leurs principaux partenaires commerciaux. Le contexte dans lequel s’inscrit cette décision est d’autant plus sensible que l’économie mondiale est déjà sensiblement ralentie par la guerre commerciale sino-américaine. 

Le représentant américain du commerce extérieur Robert Lighthizer s’est félicité de la décision de l’OMC2, et a précisé que des taxes de 25 % seraient imposées sur les importations américaines de Scotch, de whiskey irlandais, de vin français, et de fromage italien. Une taxe de 10 % s’appliquera également aux avions Airbus vendus aux Etats-Unis. Le United States Trade Representative (USTR) a confirmé que les taxes pourraient être mises en place dès le 18 octobre.  

L’Union européenne n’a pas tardé à réagir : la Commissaire au commerce Cecilia Malmström a condamné la décision de l’administration américaine d’instaurer ces droits de douane dans un communiqué, sans aborder la question des modalités d’une éventuelle riposte3. Le gouvernement français s’est montré de son côté plus explicite : la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a promis des mesures de rétorsion4, et le ministre de l’Economie Bruno le Maire a affirmé que des sanctions seraient prises contre différents produits américains si les tarifs douaniers venaient à être appliqués. 

La chancelière allemande Angela Merkel a en revanche opté pour une position plus mesurée, en précisant lors d’une entrevue avec des journalistes à Berlin que la décision des Etats-Unis d’imposer des tarifs douaniers sur les produits européens n’était pas « arbitraire »5. L’Allemagne cherche pour l’instant à privilégier la conciliation plutôt que la riposte, afin d’éviter une escalade qui pourrait mener Donald Trump à instaurer des taxes sur l’industrie automobile, véritable poumon de l’économie allemande. La question des tarifs douaniers semble ainsi mettre à l’épreuve l’unité de la politique commerciale européenne.  

On peut s’étonner de voir les Etats-Unis de Donald Trump, qui ont fait de l’unilatéralisme la clé de voûte de leur politique commerciale, imposer des tarifs douaniers à leurs principaux partenaires commerciaux en se prévalant des règles commerciales multilatérales. A cet égard, la décision du 2 octobre 2019 risque de raviver les critiques formulées à l’égard de l’OMC, dans un contexte où les membres de la communauté internationale doivent se réunir lors de la conférence d’Astana de juin 2020 pour discuter d’une éventuelle réforme de l’institution6.

Perspectives :

  • Si l’instauration par les Etats-Unis de tarifs douaniers sur les produits européens fait craindre le déclenchement d’une guerre commerciale, le gouvernement américain a précisé que le but de toute contre-mesure éventuelle serait de parvenir à un accord.
  • L’efficacité de la réaction européenne sera déterminée par la capacité des Etats membres à adopter une position commune sur la question des tarifs douaniers, alors même qu’une guerre commerciale aurait un impact différencié sur les économies des Etats membres.