Paris. Deux ans après son adoption, la loi française sur le devoir de vigilance commence à faire des adeptes1.

Loi collaborative, elle est le fruit de quatre ans de débat et d’un combat multi-parties prenantes. Loi émotionnelle, elle s’inscrit dans l’actualité dramatique de l’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013, qui avait fait plus de 1 138 morts et 2 000 blessés. Loi pionnière, la France est le premier pays au monde à imposer de tels standards de protection des droits humains aux entreprises opérant sur son territoire.

Assurément, la loi du devoir de vigilance, promulguée le 27 mars 20172, impose aux sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre d’au moins 5 000 salariés en son sein et dans ses filiales dont le siège social est fixé en France ou au moins 10 000 salariés dont le siège social est fixé en France ou à l’étranger d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance propre à identifier et prévenir les risques d’atteinte aux droits humains et libertés fondamentales. Les sociétés sont ainsi soumises à des obligations de prévention et de signalement auxquelles s’ajoute la possibilité d’engager leur responsabilité civile relative à leur impact humain et environnemental.

Cette loi a deux ans mais reste imparfaitement et incomplètement appliquée. L’état des lieux établi par les ONG résonne comme une forme d’avertissement3. Dès aujourd’hui, certaines vont pouvoir poursuivre devant des tribunaux français les entreprises les plus récalcitrantes et les forcer à faire connaître la façon dont ils comptent s’impliquer dans le contrôle de leurs chaînes d’approvisionnement. Cependant, sans cadre juridique international contraignant, les ONG n’ont que peu d’espoir de poursuivre des entreprises opérant dans plusieurs territoires pour leurs violations graves des droits humains et environnementaux4.

Toutefois, depuis son adoption, d’autres pays européens travaillent sur des dispositifs responsabilisant les multinationales en cas de violations des droits humains. Cyril Cosme, directeur de l’Organisation internationale du travail (OIT), reste optimiste et affirme que plusieurs pays se dirigent dans la même direction que la France. Il espère également que le débat resurgira au Parlement européen, à l’instar du Parlement néerlandais qui a adopté un projet de loi sur « la diligence raisonnable en matière de travail des enfants », qui s’appliquera à partir du 1er janvier 20205. En Allemagne, les partenaires sociaux travaillent actuellement sur un projet de loi comparable. Enfin, un avant-projet de Traité onusien a été présenté à Genève en octobre 2018 et pourrait aboutir à la signature d’un texte définitif fin 2019.

En l’absence de traité universel, l’OIT mène des actions sur le terrain et tente d’améliorer la vie des salariés de grandes multinationales, notamment dans l’industrie textile. Ainsi, quelques 3 000 entreprises ont été contrôlées par des instances indépendantes et ont dû se mettre en conformité. Par ailleurs, une autre mesure a été mise en place par l’OIT à savoir la mutualisation des audits sociaux effectués dans les usines, permettant aux donneurs d’ordre, multinationales ou non, de choisir leurs fournisseurs ou sous-traitants en toute connaissance de cause.

En attentant la mise en place d’un cadre juridique international et faute de réel engagement de la part de l’Union Européenne et de la communauté internationale, les ONG encouragent la France à constituer un exemple positif pour ses pairs dans le renforcement de leurs cadres juridiques en matière de droits humains et environnementaux, craignant qu’elle ne passe de pionnière à retardataire6.

Perspectives :

  • D’autres pays européens devraient être incités à travailler sur davantage de diapositifs responsabilisant les multinationales en cas de violations de droits humains et environnementaux.
  • Les Etats membres de l’ONU reprendront leurs débats sur la rédaction du traité sur le devoir de vigilance, à la rentrée de septembre 2019, qui continue de diviser la scène internationale.