Luxembourg. Dans une décision du 14 mai 2019, la CJUE a énoncé qu’il était obligatoire pour l’employeur de mesurer le temps de travail journalier. Les Etats membres doivent se conformer à la jurisprudence européenne. En Allemagne, où l’employeur n’avait que l’obligation de comptabiliser les heures supplémentaires, la décision va induire des changements importants.

Comparons d’abord le dispositif de la décision de la CJUE et l’alinéa 2 de l’article 16 Arbeitszeitgesetz (ArbZG). La CJUE énonce que le droit européen s’« oppose à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur »1. L’article 16 ArbZG, dans son alinéa 2, impose seulement à l’employeur de décompter les heures dépassant la durée du travail fixée par l’article 3 ArbZG. La jurisprudence n’en donne pas une interprétation différente.

Le droit européen et le droit allemand sont incompatibles. Un changement s’impose donc en Allemagne. Pourtant, force est de constater que des employeurs et le gouvernement allemand sont rétifs à une modification de la législation. Des employeurs s’élèvent contre une trop grande bureaucratie, des commentateurs contre un manque de confiance2, et le ministre de l’économie, Peter Altmaier, exclut l’idée que la décision de la CJUE soit mise en œuvre3.

Que se passerait-il si l’ArbZG restait inchangée ? Le juge national remplirait son office. Comme le législateur, le juge national doit se conformer au droit européen4. Si un litige sur la comptabilisation des heures de travail est porté devant le juge allemand, celui-ci devra laisser inappliqué l’article 16 ArbZG ou alors en faire une interprétation très extensive.

Toutefois, même si le juge allemand peut avoir une fonction palliative, il est nécessaire de changer le texte de loi. D’abord, la loi est une source connue du profane : il peut la consulter. Garder un article inapplicable, car non conforme au droit de l’Union européenne, peut l’induire en erreur. Cela conduit des salariés et des employeurs mal conseillés à méconnaître l’étendue réelle de leurs droits ou obligations. Ensuite, le Conseil d’entreprise (Betriebsrat) a le devoir de veiller au respect par l’employeur des lois bénéficiant aux salariés, conformément à l’article 80 alinéa 1er du BetrVG. Cela renforce les garanties des employés et peut prévenir le contentieux.

Plutôt qu’une nouvelle contrainte, le décompte des heures constitue une avancée. Il aide l’employeur à assurer son obligation de santé et sécurité. En mesurant le temps de travail journalier dans son intégralité, on évite de dépasser sa durée maximale. On sait à quel moment il faut accorder des pauses et du repos au salarié.

Décompter les seules heures supplémentaires est insuffisant pour atteindre ces objectifs-là. En effet, la durée légale ou conventionnelle du travail peut avoir été déjà dépassée avant leur décompte.

L’obligation de comptabiliser le temps de travail n’est d’ailleurs pas synonyme de méfiance. Dans certaines branches, l’employeur mesure la durée du temps de travail journalier dans son intégralité. Cela surpasse les exigences de l’ArbZG et surtout, cela résulte d’un accord collectif5, laissant suggérer une relation de confiance entre organisations d’employeurs et syndicats.

Perspectives :

  • La décision de la CJUE ne fait pas l’unanimité en Allemagne. Certains s’inquiètent d’une trop grande bureaucratie et minimisent la portée réelle de l’arrêt.
  • Si la législation allemande n’est pas modifiée, c’est le juge qui prendra le relai. Il écartera notamment la norme contraire au droit de l’Union.
  • La décision de la CJUE constitue une avancée, notamment en matière de santé et de sécurité au travail.