Estonie : le fantôme de l’extrême droite dans un pays-modèle

Tallinn. L’Estonie, ancienne république soviétique, est souvent considérée comme le modèle d’une transition vers une économie de marché et d’une intégration réussie au sein de l’OTAN et de l’Union Européenne. Grâce à une administration efficace, un faible taux de corruption et des investissements dans les nouvelles technologies, l’Estonie a tissé des liens avec Europe de l’ouest, tournant le dos à son voisin russe. Le gouvernement estonien met en avant sa politique numérique et ses citoyens peuvent ainsi voter en ligne depuis jeudi 16 Mai. L’Estonie mène une politique libérale depuis son indépendance en 1989, son commerce extérieur représentait 90 % de son PIB en 20171.

À l’opposé de cette image de pays europhile et atlantiste, les sondages avant les élections européennes de ce dimanche indiquent que le parti nationaliste EKRE pourrait remporter un siège au parlement. EKRE fait parti de la coalition gouvernementale en Estonie, mené par Jüri Ratas du parti centriste estonien, Eesti Keskerakond. EKRE s’est ainsi progressivement imposé au centre du jeu politique en Estonie, bien que des nombreux leaders du parti ont ouvertement affiché leur sympathie pour le suprématisme blanc, ont relayé des théories négationnistes et multiplié les commentaires antisémites et racistes2.

Édouard Philippe avait effectué sa première visite officielle en tant que Premier Ministre à Tallinn et vanté l’Estonie comme un « pays de référence ». Signe d’un basculement dans la politique estonienne, Marine Le Pen a fait une visite remarquée durant la campagne des élections européennes dans la capitale estonienne pour rencontrer Mart Helme, leader d’EKRE. EKRE est un parti traditionnellement hostile à Russie et critique vis-à-vis de la minorité Russophone, représentant 25 % de la population du pays Balte. Il s’est cependant résolu à s’allier aux partis d’extrême droite européens malgré la position de ces derniers en faveur du Kremlin. À l’inverse du PiS en Pologne ou des Démocrates de Suède, les liens entre Marine Le Pen ou Matteo Salvini avec le Kremlin n’ont pas empêché EKRE de s’allier avec le Rassemblement National et de la Ligue au sein d’une grande coalition des partis nationalistes européens.

Le parti libéral de la Réforme D’Estonie, membre de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ALDE), est en tête des sondages suivi du Parti du centre d’Estonie (également membre de l’ALDE) puis du parti Social-Démocrate, ce dernier siègera au sein du groupe européen d’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D). Cependant, les élections européennes en Estonie risquent de renforcer encore davantage la normalisation des idées de EKRE en introduisant le parti-d ’extrême-droite au parlement européen.

En Lituanie les européennes rythmées par les présidentielles

Vilnius. Ce dimanche, en élisant leurs parlementaires européens, les Lituaniens élisent en même temps leur président. La campagne électorale pour le deuxième tour des présidentielles a rythmé les préparations pour les européennes3. Deux candidats du centre-droit, proches idéologiquement comme dans leurs discours, Ingrida Šimonytė et Gitanas Nausėda, sont en concurrence étroite. La situation favorise indirectement le parti conservateur (TS-LKD) qui a mené une campagne active pour Mme Šimonytė aux présidentielles en même temps que pour leur parti aux européennes.

En revanche, la candidature de l’actuel Premier Ministre Saulis Skvernelis s’est retourné contre le Parti des paysans et des verts (LVZS) qu’il représente, quand ce dernier est arrivé troisième au premier tour des présidentielles (12 mai). Le chef du parti Ramūnas Karbauskis avait annoncé la démission du Gouvernement si le parti perd aussi aux européennes, mais à l’approche des élections sa rhétorique est devenue plus retenue. Il est probable qu’il n’y aura pas de bouleversements annoncés sur le paysage de la politique interne, le conseil du parti LVZS ayant décidé de rester au gouvernement.

Dans tous les cas, les européennes ne sont pas au premier plan en Lituanie. Les enjeux de la campagne tournent autour des problématiques nationales (croissance économique, politique sociale, meilleure utilisation des fonds européens, etc.). L’ambiance est positive et largement pro-européenne. Pour les petites listes, qui ont émergé à l’occasion des européennes, c’est une opportunité d’exprimer des opinions particulières (écologistes, nationalistes) ou pour les hommes et les femmes politiques individuels de s’exercer dans le jeu électoral. Les favoris des sondages sont des « habitués » de la politique européenne et nationale, les grands partis politiques : les paysans et les verts, les conservateurs, les sociaux-démocrates, tous représentés actuellement au parlement national.

Sources
  1. BEAUCHAMP Frank, The First Estonian Presidency of the EU : A Model Country Takes the Helm, BertelsmannStiftung, 30 Juin, 2017.
  2. WALKER Shaun, Racism, sexism, Nazi economics : Estonia’s far right in power, The Guardian, 21st May, 2019.
  3. PUNDZIUTE-GALLOIS Emilija, Une élection présidentielle en Lituanie sans inspiration, Le Grand Continent, 5 mai 2019.