Ce texte a été publié originellement dans l’édition 56 de La Lettre du Lundi d’aujourd’hui, 13 mai. La Lettre du Lundi est la newsletter operationnelle hebdomadaire du Grand Continent. Vous pouvez retrouver l’édition complète – dédiée, entre autres choses, aux élections présidentielles en Lituanie, à la doctrine de Trump dans l’Arctique et à la sécurité énergétique en Europe – ici. Abonnez-vous ici.
Bruxelles. Aujourd’hui commence officiellement la campagne européenne. Rien ou presque ne bouge à la surface mais un changement important est en train de se produire : une profonde recomposition politique est en cours.
Deux des principaux groupes du Parlement : le Parti populaire européen (PPE) et le parti démocrate libéral (ALDE) ne seront plus les mêmes à partir du 26 mai.
On vous en parlait déjà il y a quelques semaines 1, maintenant c’est officiel : ALDE changera de nom. Pour son leader Verhofstadt, il s’agit de marquer la transformation en « un groupe centriste pro-européen avec Emmanuel Macron » (ces deux derniers mots sont évidemment essentiels). L’objectif : chercher à attirer des forces hétérogènes et disparates pour peser plus nettement sur la prochaine Commission, dans le prochain Parlement et indirectement sur la nomination du prochain banquier central. Un problème pour la stratégie du Président français : l’intensité des négociations à Bruxelles du lendemain des élections pourrait contraster avec l’exigence du Président français de tout suivre depuis l’Elysée.
Un concept utile pour décrire cette dynamique de recomposition politique fraîchement sorti de l’atelier du Grand Continent : la très grande coalition. 2.
Manfred Weber, le leader du PPE dans la campagne électorale, a de son côté rompu définitivement avec Orban, en déclarant ne pas souhaiter devenir Président de la commission avec les votes du Fidesz. Cette prise de position crée un contexte politique en partie nouveau et ouvre à une transformation de taille après le vote. Toutes nos sources convergent : Weber est un candidat faible à la Présidence de la Commission.
Pourquoi ? Le PPE s’affaiblit électoralement (il devrait perdre environ 60 sièges, y compris sans Orban). Il s’agit d’une contradiction politique insoluble entre ses deux composantes (centre-droit libéral et droite extrême illibérale) qui le déchire.
Par ailleurs le système du Spitzenkandidat (ie le leader du groupe qui gagne les élections devient président de la Commission) est clairement contesté par Macron qui souhaite jouer un rôle dans le processus de désignation et qui semblerait miser sur Barnier, le négociateur du Brexit. Si Weber veut augmenter ses chances de porter sa candidature au lendemain de l’élection, il doit donc trouver le soutien de Macron. Comment ? En prenant des positions proches : il marque ainsi son opposition aux “nationalistes sans projets” comme Orban, en prétendant même parfois s’opposer à des positions allemandes comme Nord Stream II. 3.
Une alliance souverainiste construite autour d’Orban et Salvini deviendrait la première grande force d’opposition structurée d’extrême droite dans l’histoire du Parlement européen. Selon les projections, les eurodéputés des droites radicales et extrêmes (divisés maintenant en trois groupes ECR, ELDD et ENL) pourraient être plus ou moins 170, représentant entre 20 et 25 % des sièges.
Orban perdrait pourtant sur le court terme son avantage compétitif avec Salvini qui pourrait relancer son projet de ligue de ligues en contrevenant aux principes énoncés par sa doctrine. Elle énonçait un principe clair : plutôt que de quitter le PPE pour « fonder un parti européen anti-immigration 4 », Orban souhaitait le « renouveler », en infléchissant sa politique et le sens du projet européen. 5
Perspectives :
- Cette campagne n’est pas à la hauteur de la dynamique d’européanisation du politique des mois passés, mais on parie que les braises qu’elle entretient s’enflammeront au lendemain des élections, le 28 mai, lors du prochain Conseil. Le Grand Continent suivra avec précision cette séquence. Abonnez-vous.
Sources
- La Lettre du Lundi, édition 50, 1 avril 2019
- HUBLET François, SCHLEYER Johanna, L’ère des Très Grandes Coalitions et l’Allemagne ingouvernable, Le Grand Continent, 29 avril 2019
- VAYA SOLER Antonio, L’Allemagne opte pour la collaboration européenne afin de sortir progressivement du charbon, Le Grand Continent, 24 avril 2019
- ROY Olivier, La tactique Orban, Le Grand Continent, 16 avril 2019
- La doctrine Orban, Le Grand Continent, 21 juin 2018.