Berlin. La Commission allemande pour la croissance, les changements structurels et l’emploi, qui rassemble des acteurs politiques, industriels, associatifs, syndicaux et locaux de premier plan, a rendu public début 2019 sa proposition pour abandonner les centrales électriques à charbon d’ici 2038 par un processus de réduction progressive de leur production, après avoir déclaré vouloir abandonner toutes centrales nucléaires d’ici 2022. Si les conditions le permettent, cet objectif pourrait être avancé à 2035. D’autres propositions de la commission incluent une part de 65 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité d’ici 2030, l’accélération du plan d’expansion du réseau électrique, l’expérimentation d’une tarification du carbone étendu aux secteurs ne faisant pas partie du Système Communautaire d’Échange de Quotas d’Émission (SCEQE/ETS) et la garantie d’un approvisionnement énergétique sûr et abordable. Un plan final permettant de mettre en place toutes ces mesures doit encore être approuvé.

Ces propositions arrivent presque 10 ans après la publication du document stratégie fondateur de la politique climatique allemande : Le Concept de l’Énergie1. Depuis lors, les performances de l’Energiewende (la transition énérgetique) montrent que l’Allemagne a réussi à transformer le secteur de l’énergie avec l’expansion – et la réduction des coûts de production qui en résulte – de l’énergie éolienne et du solaire photovoltaïque. Cependant l’éolien et le solaire ont majoritairement remplacé 11 GW2 d’énergie nucléaire à faible émission de carbone et certains secteurs comme le transport et le chauffage ont pris du retard. En conséquence, les émissions de carbone ont stagné depuis 20143. Selon Bloomberg, la réduction des émissions de carbone par rapport au niveau de 1990 ne représente que 27,7 % en 2017 alors que l’objectif était de 40 % pour 2020. Malgré sa décision de consacrer 500 milliards d’euros à la transition énergétique jusqu’en 2025, l’Allemagne manquera probablement ses objectifs climatiques pour 20204. De plus, les ménages allemands payent l’une des électricités les plus chères d’Europe, juste après le Danemark5. Le gouvernement allemand est conscient qu’il doit fournir des efforts supplémentaires et regarde à présent vers les objectifs pour 2030 et pour 2050. Ces objectifs sont axés sur l’expansion des énergies renouvelables, avec une réduction de la consommation d’énergie primaire de 50 %, et l’efficience énergétique afin de réduire les émissions de carbone avec un objectif de 80-95 % par rapport aux chiffres de 1990 d’ici 2050.

La sortie du carbone permettra d’accomplir les objectifs climatiques de 2050, mais dans un pays où le nucléaire et le charbon représentaient à eux deux 55 % de la production d’électricité en 20166, cela pourrait représenter un défi de taille. Selon les premières projections, 12,6 GW pourraient être produits par d’autres moyens que le charbon d’ici 2023.

Figure 1  : Capacité du charbon avant et après la sortie du charbon suggérée par la Commission allemande. Source  : APPUNN Kerstine, Coal in Germany, Clean Energy Wire, 7 février 2019.

Ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 22 GW si on inclut les 9,5 GW7 de nucléaire. Cette énergie, qui représente environ 23 % de la production d’électricité, serait probablement remplacée par des énergies gazières importées et par diverses énergies renouvelables. Dans ce contexte, le controversé projet de gazoduc Nord Stream II, qui devrait permettre un doublement de la capacité de transport de Nord Stream I à l’horizon 2020, consoliderait non seulement la place de l’Allemagne comme pays de transit du gaz russe en Europe8, mais occupe également une place à part entière dans la stratégie énergétique nationale. Moins émetteur de CO2 que le charbon, le gaz naturel permet à l’Allemagne de réduire substantiellement son bilan carbone tandis qu’elle continue d’investir dans des énergies renouvelables compétitives. La réduction de la part du charbon dans le mix énergétique allemand pourrait provoquer une plus grande volatilité des prix de l’électricité sur le marché et la sécurité de l’approvisionnement pourrait être compromise. La capacité de l’Allemagne à réduire la demande d’électricité en améliorant l’efficacité énergétique et en mettant en place des mécanismes de gestion de la demande pourrait néanmoins limiter ces effets.

Les conséquences de la sortie du nucléaire et du charbon pourraient également se faire sentir dans les pays voisins. Par exemple, le développement important des énergies renouvelables dans le Nord de l’Allemagne met déjà sous pression les réseaux de pays comme la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie9. Dans ce contexte d’incertitude, le ministre allemand de l’Économie Peter Altmaier a opté pour une approche plus collaborative. Il a ouvert le 8 avril un cycle de discussions avec les ministres de l’Énergie de 11 pays, dont la Commission européenne, à propos de la décision allemande de sortir du charbon. Le but de ces conversations est d’accroître la coopération dans des domaines comme la demande d’électricité et les marchés de l’électricité.

La plupart de ces pays ont également prévu de fermer leurs centrales à charbon restantes. Cette impulsion du gouvernement allemande est aussi une opportunité de tirer parties des leçons offertes par chaque pays, en particulier sur les sujets d’opinion publique. La sortie du charbon pourrait coûter environ 80 milliards d’euros ces 20 prochaines années sous la forme de compensations pour les biens d’équipement et d’aides structurelles aux régions les plus vulnérables10. Une alternative intéressante consisterait à réutiliser les centrales au charbon existantes comme sites de stockage thermique de sels fondus et à en partager les bénéfices avec les collectivités locales11. Une étude suggère que la sortie du charbon pourrait être économiquement bénéfique pour l’Allemagne puisque cela stimulerait les investissements dans les technologies de gestion de la demande, de stockage, d’échange de puissance et d’efficience énergétique et que cela pourrait également réduire les coûts de gestion du réseau électrique12.

Par son intention de sortir du charbon dans une approche collaborative, l’Allemagne ne fait pas que réactiver l’Energiewende ; elle envoie également un signal politique clair, affirmant que la transition énergétique est une opportunité d’accroître le multilatéralisme et de coordonner les efforts entre les pays. À une époque où le nationalisme prend un nouvel élan en Europe, le changement climatique apparaît comme une manière de créer de nouvelles valeurs communes autour desquelles on peut s’unir.

GEG | Pole cartographe pour Le Grand Continent

Perspectives

  • En ce début d’année, la Commission pour la croissance, le changement structurel et l’emploi a proposé au gouvernement allemand de sortir du pétrole à l’horizon 2038. Cependant, aucun plan de sortie officiel n’a encore été adopté.
  • Selon les premières projections de sortie du charbon, l’Allemagne pourrait être forcée de remplacer 22 GW d’électricité issue du nucléaire et du charbon avant 2023 (soit 23 % de sa production totale) essentiellement par des énergies renouvelables et de l’énergie gazière importée. En conséquence, l’Allemagne pourrait faire face à des problèmes de sécurité d’approvisionnement et de stabilité des prix ces prochaines années, surtout dans un contexte de croissante hostilité vers le projet de gazoduc Nord Stream 2 : Manfred Weber, le Spitzenkandidat du PPE, a promis s’y opposer s’il devient président.
  • Le gouvernement allemand a envoyé un signal politique fort selon lequel la transition énergétique serait une opportunité d’initier des efforts coordonnés entre les pays européens.
Sources
  1. The Energy Concept, Ministère allemand de l’Énergie, octobre 2011.
  2. L’Allemagne en route vers une sortie du charbon d’ici 2038, Libération, 26 janvier 2019.
  3. Statistics, IEA, 2016.
  4. Germany’s Failed Climate Goals – A Wake-up Call for Governments Everywhere, Bloomberg, 15 août 2018.
  5. Electricity price statistics, Eurostat, novembre 2018.
  6. Statistics, IEA, 2016.
  7. Energy Charts, Fraunhofer Gesellschaft, 2019.
  8. RAMDANI Sami, L’Allemagne se liquéfie devant Trump, Le Grand Continent, 12 janvier 2019
  9. RUSSELL Ruby, SCHLANDT Jakob, Loop flows : Why is wind power from northern Germany putting east European grids under pressure ?, Clean Energy Wire, 29 décembre 2015.
  10. L’Allemagne en route vers une sortie du charbon d’ici 2038, Libération, 26 janvier 2019.
  11. DEIGN Jason, Germany Looks to Put Thermal Storage Into Coal Plants, Green Tech Media, 18 mars 2019.
  12. WEHRMANN Benjamin, Coal phase-out in Germany will be economic net gain, study finds, Clean Energy Wire, 14 mars 2019.