Luxembourg. La controverse politico-judiciaire qui oppose depuis près d‘un an et demi Berlin à Vienne devant la plus haute juridiction européenne semble toucher à son terme. C‘est en tout cas ce que suggèrent les conclusions de l‘avocat général Nils Wahl qui, ce mercredi 6 février, a conseillé à la cour de rejeter le recours en manquement déposé par l‘Autriche contre l‘Allemagne. La procédure – un État membre en attaquant un autre devant la Cour européenne de justice de Luxembourg – est rarissime ; seuls six autres recours du même type ont été traités à ce jour par la juridiction européenne.

L‘objet de la discorde est la Loi introduisant un péage d‘infrastructure pour l‘utilisation des routes interurbaines fédérales (1) du 27 mars 2015, modifiée au 6 juin 2017, et dont l‘entrée en vigueur doit intervenir en octobre 2020. Défendue par l‘Union chrétienne-sociale (CSU) bavaroise, la mesure instaure une vignette obligatoire pour tous les véhicules de moins de 3,5 tonnes souhaitant circuler sur le réseau fédéral d‘autoroutes. Le prix de cette vignette est compensé, pour les propriétaires d‘un véhicule immatriculé en Allemagne, par une réduction de l‘impôt annuel sur les véhicules d‘un montant équivalent. L‘objectif déclaré : mettre à contribution les conducteurs étrangers, qui devront s‘acquitter du prix de la vignette sans bénéficier de l‘abattement fiscal correspondant. La République fédérale, dont le réseau routier entièrement gratuit est depuis de nombreuses années en situation de sous-investissement significative, entend ainsi dégager un excédent de 500 millions d‘euros par an (6).

La loi avait fait l‘objet dès 2015 d‘un recours de la Commission, qui la suspectait d‘être contraire au principe de non-discrimination selon la nationalité défini par l‘article 18 TFUE. Après un accord à l‘amiable (2), la Commission avait cependant gelé sa plainte, essentiellement pour des raisons politiques, et l‘Allemagne revu sa copie. L‘Autriche a donc introduit elle-même son recours le 12 octobre 2017 (3), bientôt rejointe par les Pays-Bas, alors que le Danemark se plaçait aux côtés de l‘Allemagne. La requérante argue que, dans la mesure où la possession d‘un véhicule immatriculé en Allemagne coïncide dans la plupart des cas avec la détention de la nationalité allemande, le double dispositif constitué de la vignette et de l‘abattement fiscal qui la compense constitue en pratique une discrimination indirecte selon la nationalité. Elle affirme également que les contrôles qui seront réalisés s‘appliqueront principalement aux véhicules étrangers, et que la mesure nuira à la liberté de circulation des biens et des services (art. 34 et 56 TFUE) ainsi qu‘à l‘égalité de traitement entre transporteurs des différents États membres (art. 92 TFUE).

L‘avocat général considère que l‘Autriche a mal interprété la notion de « discrimination » prévue par le droit communautaire. Pour établir la discrimination, il faut montrer que des citoyens se trouvant dans une situation comparable font l’objet d’une inégalité de traitement fondée sur leur nationalité. Or, les conducteurs allemands et les conducteurs étrangers ne se trouveraient pas dans une situation comparable dès lors que leur statut de contribuable entre en jeu : seuls les propriétaires allemands sont soumis à l‘impôt. En outre, ces derniers sont tenus de s‘acquitter de l‘entièreté du prix de la vignette annuelle, alors que les conducteurs étrangers peuvent faire le choix d‘une vignette temporaire lors de leur passage : les conducteurs étrangers ne seraient donc pas défavorisés ; leur contribution resterait même dans tous les cas inférieure à celle des conducteurs-contribuables locaux. Sur les autres points, l‘avocat général considère que l‘Autriche n‘a pas apporté de preuves suffisantes à ses affirmations.

Dans la grande majorité des cas soumis à la Cour, les juges suivent l‘avis de l‘avocat général. La décision des juges devrait cependant n‘intervenir que dans plusieurs mois. Si les conclusions de Nils Wahl sont catégoriques, plusieurs juristes autrichiens soulignent dans les colonnes du Standard le danger d‘un jugement conforme : un précédent qui ouvrirait la voie, selon eux, à l‘instauration par les États membres de mesures discriminatoires par le truchement de la fiscalité (5). Paradoxalement, il pourrait donner raison à l‘Autriche contre la Commission dans sa volonté de diminution des allocations versées aux parents d‘enfants de citoyens européens résidant hors du pays.

Reste que derrière cette affaire européenne se cache un différend régional : la CSU bavaroise, qui a su imposer sa loi dans le contrat de coalition contre l‘avis de la chancelière et des sociaux-démocrates, conserve un ascendant certain sur les politiques liées à l‘automobile. Elle entend ainsi rétablir un équilibre face aux régions frontalières suisses et autrichiennes dans lesquelles les conducteurs allemands sont astreints de longue date à l‘achat d‘une vignette. Le vice-chancelier autrichien Norbert Hofer (FPÖ, ENL) envisage déjà une mesure de rétorsion (4). Il pourrait par exemple doubler le prix de la vignette autrichienne… tout en introduisant pour ses nationaux un abattement fiscal d‘un montant équivalent, jugé conforme par la Cour dans le cas allemand.

Perspectives :

  • À partir d’avril 2019 : jugement de la Cour de justice sur l’affaire C-591/17 Autriche c/ Allemagne.

Sources :

  1. Gesetz zur Einführung einer Infrastrukturabgabe für die Benutzung von Bundesfernstraßen, Bundesgesetzblatt, 11 juin 2015.
  2. EU-Kommission und Deutschland einigen sich auf gerechte und diskriminierungsfreie Maut, Commission européenne, 1er décembre 2016.
  3. Klage, eingereicht am 12. Oktober 2017 – Republik Österreich / Bundesrepublik Deutschland, Cour de justice de l’Union européenne, 12 octobre 2017.
  4. Hofer droht Deutschland mit Revanche im Pkw-Maut-Streit, Der Standard, 6 février 2019.
  5. Spruch zur deutschen Maut : Experten warnen vor « Ausländerabgaben », Der Standard, 7 février 2019.
  6. Bundestag sagt Ja zur PKW-Maut, Euractiv, 24 mars 2017

François Hublet