Douchanbé. Au Tadjikistan, l’État pénètre peu dans le GBAO, peuplé par la minorité Pamiri. Écarté du pouvoir et délaissée économiquement, il est l’oblast le plus pauvre du pays. Sous le contrôle de la milice mafieuse des “Autorités”, le GBAO cherche à accroître son autonomie depuis les années quatre-vingt-dix, y compris en ayant recours à la violence armée (2).
Les “Autorités” sont dirigées par des hommes qui ont combattu le président Emomali Rahmon pendant la guerre civile. Dans le cadre du traité de paix, ils ont obtenu des postes haut placés dans la police, la douane et les services de sécurité. Les réseaux qu’ils commandent sont partiellement intégrés dans les institutions publiques régionales qui échappent au contrôle du gouvernement. Les prestations sociales qu’ils proposent et la défense de l’identité pamiri offrent aux “Autorités” une base de soutien parmi la population locale. Plusieurs événements ont prouvé que les “Autorités” peuvent mobiliser des combattants contre le gouvernement. En 2012, 50 personnes ont par exemple été tuées à Khorog, la capitale régionale, dans des heurts entre les forces de l’ordre et des locaux armés.
La répression contre les dissidents s’accroît en vue de la passation de pouvoir : le fils d’Emomali Rahmon doit succéder à son père, dont les résultats furent mitigés dans le GBAO. Une transition mal gérée pourrait inciter les “Autorités” à se soulever pour tenter d’obtenir une part du pouvoir central ou une plus grande autonomie régionale. Selon les habitants de la région, les “Autorités” seraient aujourd’hui mieux armées et organisées qu’elles ne l’ont jamais été.
La Chine a un intérêt à ce que le GBAO reste stable. La région est à la frontière de la province autonome chinoise du Xinjiang, où vit la minorité indépendantiste ouïghoure, et de l’Afghanistan où peuvent passer des combattants terroristes tadjiks et ouïghours qu’elle craint voir revenir commettre des attentats. Pour ces raisons, et pour protéger ses investissements considérables en Asie Centrale, la Chine déploie sa présence militaire dans le GBAO. Elle a construit onze tours de contrôle à la frontière afghane et un centre de formation anti-terroriste sino-tadjik.
La présence de l’Etat islamique (EI) en Afghanistan, ainsi qu’un nombre important de combattants djihadistes d’origine tadjike dans les rangs de l’EI (les nationalités tadjikes et ouzbeks sont parmi les plus représentées dans les rang de l’EI) (1), laissent craindre de surcroît une radicalisation du pays dans les années à venir dans un contexte de mécontentement populaire où la corruption endémique et la répression des dissidents ne sont pas enrayées au Tadjikistan. La première attaque terroriste revendiqué par l’EI au Tadjikistan, perpétrée par des Tadjiks, a eu lieu en juillet 2018 au sud de Douchanbé dans le district de Danghara. Les autres États d’Asie centrale, aux régimes similairement dictatoriaux, sont aussi vulnérables à une radicalisation de leurs populations (1).
Perspectives :
- Les factions régionales qui se sont opposées pendant la guerre civile perdurent, bien qu’elles furent matées par le Président Rahmon. Elles pourraient s’affronter de nouveau pour le pouvoir si le pays venait à être déstabilisé.
- Les régimes corrompus et népotiques du Kazakh Nursultan Nazarbayev et de l’Ouzbek Shavkat Mirziyoyev, qui ont fait beaucoup de laissés-pour-compte, sont vulnérables à une menace terroriste. Le risque de voir des combattants centre-asiatiques revenir faire le djihad dans leur pays d’origine en traversant la frontière afghano-tadjike se pose de plus en plus.
- On estime que 1 300 à 2 000 Tadjiks ont fait le djihad en Irak et en Syrie. Avec le retrait des djihadistes de ces pays, on craint que les survivants ne se replient en Afghanistan ou ne tentent de rentrer chez eux.
Sources :
- DAMON Mehl, Converging Factors Signal Increasing Terror Threat to Tajikistan, CTC Sentinel, Combat Terrorism Center, novembre 2018, vol. 11, n°10,
- International Crisis Group, Rivals for Authority in Tajikistan’s Gorno-Badakhshan, Briefing n°8, 14 mars 2018.
Raphaëlle Guislain