Stockholm. La ministre suédoise des Finances, Magdalena Andersson, s’est rendue ce week-end avec ses collègues danois et finlandais au conseil des ministres des finances de l’Union, réuni afin de discuter de l’introduction d’une taxe sur les entreprises numériques. Cette nouvelle taxe a été proposée par la Commission européenne en mars et découle de la critique émises à l’égard d’entreprises telles que Google et Facebook, qui paieraient trop peu d’impôts dans l’Union. En effet, celles-ci déclarent leurs bénéfices dans les pays les moins taxés, comme le Luxembourg ou l’Irlande. À court terme, le Conseil a l’intention d’introduire une taxe de vente de 3 pour cent sur certaines activités numériques où les utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeurs. À long terme, la Commission veut passer à un impôt sur les bénéfices générés par les activités numériques dans un pays, même si la société n’y est pas physiquement présente.

La proposition a toutefois été critiquée par plusieurs États membres, notamment l’Allemagne, l’Irlande, Malte, et le Danemark, mais surtout la Suède, où plusieurs sociétés du secteur numérique ont leur siège statutaire. Ces pays se heurtent au gouvernement français, principal promoteur de la proposition, qui met tout en œuvre pour que cette taxe soit acceptée et tente de convaincre les pays réticents avant la fin de l’année (4). Mais les dirigeants suédois ne veulent pas remettre en question leur position et espèrent ainsi bloquer le projet. “Les questions fiscales faisant l’objet d’un accord unanime, la proposition de la Commission ne peut être examinée que si tous les États membres acceptent une proposition” a déclaré Gösta Brunnander, attaché de presse du ministère des finances suédois. La Suède plaide surtout pour une recherche de solutions au niveau mondial. En effet, “la numérisation est un phénomène mondial et toute modification de la fiscalité des entreprises doit être résolue au niveau mondial. Il est important que l’Union ne décide pas d’actes incompatibles avec les règles internationales en matière de fiscalité des entreprises (…)”, a-t-il encore déclaré. Pour le royaume scandinave, il s’agit d’éviter une législation ouvertement hostile aux États-Unis, pays qui héberge la plupart des géants du numérique (2).

Il faut dire que les autorités suédoises font face à une forte pression des milieux d’affaires suédois. Les chefs d’entreprise du secteur du numérique craignent en effet une hausse de l’imposition. En mars, le journal Veckans Affärer a révélé que le directeur général de Spotify, Daniel Ek, avait adressé une lettre personnelle au Premier ministre dans laquelle il “exhortait le gouvernement suédois à s’opposer à la taxe européenne sur les ventes d’entreprises numériques, telle que spécifiée par la Commission” (3). Cette semaine, un éditorial signé Staffan Bohman, le président de la Commission de la fiscalité des entreprises, critique fortement la proposition française et enjoint au gouvernement suédois de maintenir sa position. Il pointe du doigt une proposition “populiste et protectionniste” qui accroît le risque de guerre commerciale avec les États-Unis (1). Les milieux économiques suédois craignent en effet des représailles économiques avec une taxation des produits européens aux États-Unis : “Si l’Union agissait de manière unilatérale, les pays tiers risqueraient fort de prendre des mesures similaires à l’égard de l’Union”, explique ainsi Gösta Brunnander. Ce serait un coup dur pour l’économie suédoise, traditionnellement tournée vers les exportations à cause d’un marché intérieur réduit. L’attaché de presse du ministère des finances insiste ainsi sur la nécessité pour les grands pays européens comme la France de prendre en compte les intérêts légitimes des petites économies ouvertes et exportatrices.

Sources :

  1. BOHMAN Staffan, FALL Johan, Populistiskt förslag om digitalskatt, Dagens Industri, 30 octobre 2018.
  2. MAMLQVIST Mattias, Flera på Sveriges linje om EU:s digitalskatt – fruktar USA:s hämnd, ComputerSweden, 6 novembre 2018.
  3. MAMLQVIST Mattias, Därför säger Sverige nej till ny EU-skatt för nätjättarna, ComputerSweden, 5 juin 2018,
  4. NUMMELIN Wiktor, Svenskt nej blockerar digitalskatt i EU, Göteborgs-Posten, 6 novembre 2018.

Thomas Gauchet