Kinshasa. Le 17 septembre 2018, la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas) a rendu un nouveau jugement contre Jean-Pierre Bemba, homme politique et seigneur de guerre, fondateur du Mouvement pour la libération du Congo (Mlc), pour manipulation de témoins lors de son procès. L’appel a été rendu public par une circulaire de ses avocats. Bemba et ses avocats auraient corrompu au moins 14 témoins (4). Déjà condamné en 2016 à 18 ans de prison pour crimes de guerre et après acquitté en appel, Jean-Pierre Bemba a été exclu des élections prévues le 23 décembre 2018 en République démocratique du Congo à la tête de son Mlc. Cette exclusion, annoncée en août 2018, pourrait dangereusement modifier l’équilibre politique du pays, ouvrant de nouveaux scénarios dans un avenir proche (1).
Fils d’un homme d’affaires bien connu, Bemba était l’un des quatre vice-présidents de Joseph Kabila, actuel président, à la suite de l’accord de paix de Sun City (signé en Afrique du Sud en 2002) qui a mis fin, au moins officiellement, à la deuxième guerre du Congo. Il s’est distingué de tous les candidats aux élections présidentielles de 2006, n’ayant perdu contre Kabila qu’au second tour. Néanmoins, lui et sa formation (le Mlc) ont obtenu la majorité des voix dans les grandes villes de l’ouest du pays, en particulier à Kinshasa, rendant la défaite moins lourde et créant une situation plus volatile et fragile (2). Le début de son procès à la Cour pénale internationale de La Haye en 2008 pour des actes commis en République Centrafricaine en 2002 a marqué la fin d’un homme politique qui n’a jamais bénéficié de la popularité et du soutien de la communauté internationale car il fut l’un des chefs de guerre les plus craints dans le contexte du conflit congolais de 1998-2003 (2). Les crimes qui lui sont reprochés remontent aux événements dramatiques de cette période, dans laquelle la centralité du front oriental a permis à Bemba, avec l’appui ougandais, de s’installer dans la province de l’Équateur, au nord-ouest de la République démocratique du Congo, à la conquête d’un des centres les plus symboliquement et stratégiquement importants, Gbadolite (ancien symbole de la splendeur du régime mobutu) (1).
Le Mouvement pour la Libération du Congo (Mlc) a été fondé par une branche du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (Rcd) de Wamba dia Wamba, le principal pôle anti-gouvernemental dans le cadre de la Grande Guerre de l’Afrique. Immédiatement après la prise de Goma le 1er août 1998, les pays des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda et Burundi), principaux partisans de la ligne anti-Kabila, ont radicalement différencié leurs politiques militaires. Bemba et le Mlc sont devenus le pilier de Kampala dans le conflit congolais (3). Malgré la forte opposition de la communauté internationale, Bemba a été coopté dans la lutte pour le pouvoir, ce qui a entraîné la transformation de sa milice, accusée de crimes de guerre, en un parti politique régulièrement présent au Parlement. Entrepreneur riche et reconnu, Bemba peut compter depuis des années sur de solides réseaux économiques et politiques dans les principales villes congolaises, dont Kinshasa. Cela soulève de sérieuses questions sur le processus démocratique qui aura lieu en décembre 2018 (2).
Le cas de Bemba est important pour comprendre comment la question de la souveraineté de l’État congolais n’est pas seulement liée au front oriental, mais est également présente dans la partie nord-ouest du pays. Cette région de la République démocratique du Congo est devenue vitale en raison de la présence de réfugiés de la République centrafricaine. Le Mlc, désormais établi dans ces régions en tant que parti, tout en conservant sa nature paramilitaire, pourrait les utiliser comme une nouvelle voie de consensus, non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi pour influencer la dynamique de la guerre en Afrique centrale, voire menacer la prise de Bangui. Selon de nombreux experts, le Mlc s’est toujours distingué des autres milices par sa capacité de vision diplomatique régionale, ayant joué un rôle important dans la transition politique au Burundi dans le cadre de la montée de Pierre Nkurunziza, en 2005 (3). Les missions de l’Onu au Burundi et en République démocratique du Congo ont considéré Bemba comme la principale menace dans le cadre des élections présidentielles de 2006, plus grande encore que celle de Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda, commandants et fondateurs du Congrès national pour la défense du peuple (Cndp), une milice établie au Kivu.
Contrairement à cette dernière, le Mlc et Bemba ont dû être pleinement impliqués dans le processus électoral, car il aurait été risqué d’exclure un représentant d’une grande partie de la classe moyenne et de la population congolaise des centres urbains (3). Telle semble cependant être la situation décrite dans la perspective des élections présidentielles du 23 décembre, qui font peser des risques incalculables sur le fragile processus étatique congolais.
Perspectives :
- La visite du Conseil de sécurité de l’Onu à Kinshasa a clairement montré que le processus électoral, caractérisé par des problèmes logistiques et politiques, passe également par le front nord, où la présence de réfugiés de la République centrafricaine est complétée par la présence de réalités politico-militaires telles que le Mlc. Leila Zerrougui, envoyée spéciale de l’Onu pour la République démocratique du Congo, a souligné à plusieurs reprises combien tout programme d’aide et de cooptation des réalités de ces régions est inutile, face à une réduction substantielle de l’aide des partenaires mondiaux.
- 23 décembre 2018 : date fixée pour les élections présidentielles en République démocratique du Congo.
- 31 mars 2019 : fin officielle du mandat de la mission des Nations Unies Monusco.
Sources :
- BBC News, Jean-Pierre Bemba ‘cannot run for DRC president’, 25 août 2018.
- International Crisis Group, DR Congo : the Bemba Earthquake, Africa Report n. 140, 15 juin 2018.
- RHOADS Emily Paddon, ‘The United Nations in the Great Lakes’, in Khadiagala Gilbert M., War and peace in Africa’s Great Lakes, 2017.
- WAKABI Wairagala, Bemba to appeal “Unfair” ICC penalty,International Justice Monitor, 23 octobre 2018.
Alessandro Rosa