Londres. Proposée par Michel Barnier, considérée comme possible par Theresa May devant les vingt-sept réunis à Bruxelles, l’idée serait de prolonger la période dite de transition, entre la sortie du Royaume-Uni de l’Union le 29 mars 2019 et l’entrée en vigueur d’une nouvelle relation au 1er janvier 2021. En reculant d’un an cette date butoir, les deux négociateurs semblent rendre plus praticable la voie d’un accord de libre-échange sur le modèle du Canada (que les spécialistes nomment la solution Canada +++, dans la mesure où il s’agirait d’un accord de libre-échange avec une très longue liste de produits ouverts aux deux marchés). En allongeant la période de transition, ils risquent aussi de faire durer, plus que prévu, le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union douanière et du marché unique, ce qui ne peut qu’exacerber les tensions au sein du parti conservateur britannique.

Car la négociation bloque toujours, au sein de la majorité britannique, notamment dans l’aile dure du parti Conservateur et chez les unionistes du DUP. Elle bloque sur le « filet de sécurité », ou « backstop », exigé afin d’éviter le retour d’une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Selon certains alliés de Theresa May, cette solution, proposée par Bruxelles, menacerait l’intégrité du Royaume-Uni (5). La députée européenne du DUP, Diane Dodds, a déclaré la semaine dernière que son parti est en faveur d’un Brexit « positif pour toutes les parties constitutives du Royaume-Uni » et que la proposition d’une extension de la période de transition manque de résoudre ce point. La question de la séparation entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni resterait un problème au cas où, après une période de transition prolongée, les négociations devaient échouer.

Les chances d’un no-deal grandissent. Le Conseil européen de la semaine dernière a montré que les conditions ne sont pas réunies pour un sommet mi-novembre, qui avait été indiqué comme prochain rendez-vous crucial pour la négociation. Le vote au Parlement sur l’accord de Chequers sera donc décisif mais son issue est loin d’être certaine. Dominic Raab, Ministre en charge du Brexit, a déclaré dans une lettre adressée à la Commission des Procédures, que Westminster devra approuver sans équivoque le plan de Chequers, faute de quoi les entreprises et les citoyens resteront dans l’incertitude (2). On peut s’attendre à une forte opposition qui remettra toutes les hypothèses sur la table, du no-deal au second référendum. Cette dernière possibilité a mené plus d’un demi-million de personnes à se mobiliser samedi à Londres, pour réclamer un référendum sur l’accord final. Il s’agirait du plus important rassemblement depuis la manifestation contre la guerre en Irak en 2003

Quant aux partisans du no-deal, ces Brexiters persuadés qu’une sortie de la Grande-Bretagne rétablirait son rôle international en dehors de l’Union européenne, une bonne nouvelle leur est arrivée d’outre-Atlantique. L’administration Trump a en effet fait savoir qu’elle serait prête à élaborer un accord de libre-échange entre les deux pays, lorsque la Grande-Bretagne quittera, comme il semble probable, l’Union douanière (4). Cela restituerait tout son sens au vote du Brexit. Le Président Trump semble bien choisir les moments de ses interventions, après sa visite au mois de juillet dernier, lors de la publication du plan de Chequers, où il avait dit tout et son contraire sur la question d’un accord. En effet, même si le plan de Chequers tiendrait à respecter le choix des électeurs du Brexit d’une Grande-Bretagne à même de nouer ses propres accords bilatéraux, le Président américain avait prévenu que si la proposition du gouvernement May était validée, elle tuerait toute possibilité d’accord de libre-échange entre les deux pays. Pour déclarer, le lendemain, que la “relation spéciale” entre les deux pays n’avait jamais été aussi spéciale (3). Avec 19 pour cent des exportations du Royaume-Uni, les États-Unis sont le plus grand partenaire commercial de la Grande-Bretagne, en deuxième position après l’Union, si l’on considère le bloc représenté par le marché unique (6). Trouver un accord ne serait pas simple : la Grande-Bretagne se heurterait à la question de la réduction des tarifs douaniers, la même qui a fait échouer le TTIP (accord transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis), sans mentionner les réglementations américaines, pas moins nombreuses que celles imposées par l’Union.

Le 29 octobre se tiendra le vote sur le budget 2018, contre lequel le DUP a menacé de se prononcer (1). C’est le gouvernement May tout entier, qui repose sur une poignée de députés du parti unioniste nord-irlandais, qui pourrait être en de mauvaises eaux.

Perspectives :

  • 29 octobre : vote du budget 2018 au Parlement britannique.

Sources :

  1. DUP ‘could vote against the Budget’ over Brexit deal, BBC, 10 octobre 2018
  2. JAMES William, SMOUT Alistair, LEFIEF Jean-Philippe, Brexit : Raab veut un feu vert sans équivoque du parlement, Challenges, 17 octobre 2018.
  3. MARCHAND Vera, Le grand écart de Theresa May, La Lettre du Lundi, 15 juillet 2018.
  4. RAPHAEL Therese, Trump Offers Brexiters a Trade-Shaped Gift, Bloomberg, 18 octobre 2018.
  5. VEY Jean-Baptiste, PIPER Elizabeth, BACZYNSKA Gabriela, Brexit : Les Européens pressent May de trouver une solution à Londres, Challenges, 18 octobre 2018.
  6. WALKER Andrew, PALUMBO Daniele, The UK-US trade relationship in five charts, BBC, 12 juillet 2018.

Vera Marchand