Ankara. Dans la Turquie d’Erdoğan, l’instabilité n’est pas que politique. Les programmes de l’enseignement sont tout aussi instables que les taux de change. L’objectif de ces changements est, selon les mots d’Erdoğan, de former une “jeunesse pieuse” (1). L’histoire n’échappe pas à la règle et figure parmi les disciplines qui sont sujettes à des modifications. L’historiographie officielle nouvellement forgée tend à mettre l’accent sur le passé ottoman, voire même à le glorifier, et apporte un regard critique sur la période républicaine. Cette réécriture du passé s’observe également dans la sphère publique, notamment à travers les discours d’Erdoğan qui décrédibilisent les pères fondateurs de la République de Turquie, tels Mustafa Kemal Atatürk et İsmet İnönü, qualifiés de “deux ivrognes” (2).

Récemment, c’est une photo d’archives qui a soulevé un débat animé. En effet, lors d’une réunion de l’AKP à Kızılcahamam, le président Erdoğan a montré une photographie de İsmet İnönü, qui, militaire de profession et compagnon d’armes d’Atatürk, fut le deuxième président du pays. D’après Erdoğan, ce qui frappe immédiatement est le drapeau américain que İnönü tient dans sa main. En s’appuyant sur cette photo, Erdoğan entend discréditer le premier parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi  : CHP), dont İnönü faisait partie, en l’affichant comme étant dangereusement pro-Américain (3). La critique vise non seulement le drapeau, perçu comme un symbole fort, mais aussi la politique économique de İnönü, qui, selon Erdoğan, avait menacé l’indépendance de la Turquie en acceptant les prêts accordés dans le cadre du Plan Marshall.

Le cliché en question sert à représenter l’opposition comme l’ennemi de la nation (le mot “traître” est très populaire dans les cercles AKP) en l’accusant d’être soumis aux Américains et à transmettre un message clair : Trump a beau imposer un embargo et “attaquer” la Turquie économiquement, Erdoğan ne cédera pas.

Perspectives :

  • Alors que le président Erdoğan a de nombreuses fois assuré que la Turquie ne se livrera pas aux États-Unis, les autorités turques ont libéré le vendredi 12 octobre le pasteur Andrew Craig Brunson, accusé d’espionnage et de soutien à des groupes terroristes (4). L’image que Erdoğan veut donner de lui-même, le “défieur” de l’Occident, est-elle réaliste ?

Sources :

  1. Dindar gençlik yetiştireceğiz, Hürriyet, 2 février 2012.
  2. Erdoğan : ‘İki ayyaşın yaptığı yasa…’, Sözcü, 28 mai 2013.
  3. Erdoğan ‘Bunların geçmişi bu’ diyerek fotoğrafı gösterdi, Yeni Akit, 7 octobre 2018.
  4. Son dakika : Rahip Brunson serbest bırakıldı, Milliyet, 12 octobre 2018.