Sarajevo. Dimanche 7 octobre, les électeurs bosno-herzégovins étaient appelés aux urnes pour élire leur présidence, leur Parlement national et leurs gouvernements sub-nationaux, soit plus de 7000 candidats pour 518 postes et 67 partis politiques en lice. Au lendemain des élections, le risque de paralysie institutionnelle pèse lourdement sur un pays déjà mal en point.

Depuis les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre de Bosnie en 1995, le pays est divisé en deux “entités” : la Republika Srpska (RS) à prédominante serbe, ultra-centralisée, à l’est et au nord ; une Fédération à prédominante croate et bosniaque, au centre, à l’ouest et au sud. L’appareil d’État tout entier s’est construit sur un délicat équilibre entre les trois “nations constitutives” avec, entre autres, une présidence tripartite (un président pour chaque groupe ethnique), un millefeuille administratif où le droit de veto est très accessible, et près de 200 ministres pour un pays de quelque 3,5 millions d’habitants.

Au lendemain d’un scrutin épargné par les irrégularités massives, les résultats attestent d’une très forte poussée des nationalistes (3). Au Parlement, les porte-drapeaux des trois principaux groupes ethniques l’ont remporté haut la main, avec l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) pour les Serbes, le Parti d’Action démocratique (SDA) pour les Bosniaques et l’Union démocratique croate (HDZ) pour les Croates (1). La présidence tripartite accueille, elle, de vieux visages de la politique : le membre serbe sera désormais le très sulfureux Milorad Dodik (SNSD), admirateur déclaré de la Russie laissant transparaître des ambitions séparatistes (2). Le membre bosniaque, Šefik Džaferović, suivra la ligne très nationale de son prédécesseur. Seul le membre croate, Željko Komšić du Front démocratique, fait preuve de positions modérées et non fondées sur des critères ethniques.

Autant d’éléments qui risquent de fragiliser le peu d’unité qui règne en Bosnie, favoriser les blocages et freiner les réformes économiques. La nouvelle donne à Sarajevo pourrait impliquer une profonde remise en question du rôle de Bruxelles, celle-ci n’ayant pas su engendrer un élan réformiste à même d’empêcher l’arrivée de populistes au pouvoir et de trouver des résolution à des difficultés politiques chroniques (4).

Perspectives :

  • Au lendemain des élections, les observateurs s’attendent à de longues négociations pour parvenir à la constitution d’un gouvernement central, qui sera nécessairement une coalition du fait du mode de scrutin ; les divisions internes pourraient retarder les dossiers les plus urgents, et notamment la réforme de la loi électorale.
  • Outre les questions politiques et géopolitiques qui la concernent, la Bosnie-Herzégovine est en proie à de nombreux défis socioéconomiques : émigration massive de la population, augmentation des inégalités, corruption galopante, l’un des plus forts taux de chômage des jeunes en Europe.
  • La Bosnie-Herzégovine n’est pas encore reconnue comme candidate à l’intégration par l’Union européenne, malgré le dépôt de sa candidature en 2016. Avec la venue d’un pro-russe comme membre serbe de la présidence, Moscou pourrait bénéficier d’une influence accrue non plus seulement à Banja Luka, capitale de la Republika Srpska, mais également à Sarajevo. En effet, Milorad Dodik, a d’ores et déjà annoncé une remise en cause de l’ordre établi : il demande la révocation du Bureau du Haut Représentant, mandaté par la communauté internationale depuis 1995, et paraît prêt à explorer les options possibles pour que l’entité serbe puisse faire sécession. On prédit déjà que les prochaines élections, en 2022, seront décisives pour l’existence même du pays.

Sources :

  1. Élections en Bosnie-Herzégovine : nouvelles figures et vieux programmes, Le Courrier des Balkans, 2018.
  2. BASSUENER Kurt, Bolstered EU Force Could Help Stabilize Bosnia, as Russia and Elections Close In, Just Security, 2018.
  3. LAKIC Mladen, Serbian Hardliners Claim Victory in Bosnian Elections, Balkan Insight, 2018.
  4. LATAL Srečko, EU’s Withdrawal is Creating ‘Domino Effect’ Across Balkans, Balkan Insight, 2018.