Varsovie. Depuis 2016, des forces de l’Otan sont déployées aux frontières occidentales de l’Europe (Pologne, Lettonie, Lituanie et Estonie) sous la forme de groupements tactiques multinationaux, pour un total d’environ 4 500 militaires. Le groupement tactique stationnant actuellement en Pologne est dirigé par les États-Unis qui sont sa nation-cadre, avec des contributions britanniques, roumaines et croates. L’offre polonaise d’établir une base militaire américaine permanente sur son territoire reflète très certainement une aspiration ancienne de Varsovie à resserrer ses relations de défense avec les États-Unis et, en retour, à augmenter le nombre de troupes américaines présentes sur son sol. C’est particulièrement le cas depuis l’entrée de la Pologne dans l’Otan en 1999 : elle fut l’une des premières nations de l’ancien Pacte de Varsovie à rejoindre l’Alliance. En effet, « ce fut la Pologne qui insista le plus pour rejoindre l’Otan, et ces demandes insistantes furent essentiel pour pousser l’Alliance à envisager son propre élargissement » (3). Plus récemment, cependant, cette volonté de renforcer la présence américaine en Pologne s’est muée en demande urgente avec les sorties agressives de la Russie, notamment l’annexion de la Crimée ukrainienne en 2014 et ses continuelles prises de position agressives contre l’Otan.

Bien que la Pologne ait soutenu la présence américaine sur son territoire en nombre raisonnable, son gouvernement cherche cependant à approfondir cette relation en demandant au Pentagone d’établir un quartier-général de division permanent sur le territoire polonais. À l’heure actuelle, les États-Unis n’ont pas pris leur décision ; selon les déclarations de James Mattis, « ce que nous faisons actuellement, c’est, avec la Pologne et à ses côtés, étudier le territoire dont ils parlent. La première chose que nous avons à faire, c’est d’examiner leur offre, car c’est seulement ainsi que nous pourrons estimer quelles en sont ses potentialités. Nous sommes seulement dans la phase exploratoire » (3). Cependant, certains détracteurs du projet au Pentagone ont déjà commencé à remettre en question « la valeur stratégique globale d’une telle base dans la lutte contre des menaces modernes, hybrides et asymétriques » et à préciser que « l’offre polonaise de 2 milliards de dollars ne représenterait qu’une infime fraction des coûts de personnel à long terme nécessaires pour maintenir une présence militaire permanente importante » (1).

Si une telle décision d’établir une présence américaine permanente en Pologne devait être prise, cela pourrait poser problème à l’OTAN. Certains membres européens de l’Otan pourraient considérer qu’une telle base militaire américaine dans la région interfère avec les efforts des membres européens pour contenir la menace russe. De plus, de nombreux membres de l’Otan pourraient voir l’installation américaine comme une mesure de provocation non-nécessaire. Cette base militaire pourrait notamment fournir à Moscou l’opportunité d’accuser l’Otan d’être un agresseur, ce qui pourrait en retour provoquer une action du Kremlin pour protéger les intérêts russes.

En effet, cette initiative ne pourrait qu’attiser la colère russe. Elle pourrait notamment être interprétée par le Kremlin comme une violation de l’Acte Fondateur des relations mutuelles Otan-Russie de 1997 par lequel l’Otan s’est engagée à ne jamais déployer la moindre force permanente en Europe de l’est dans le cadre de sa stratégie d’élargissement. Mais l’insistance de certains membres de l’Otan pour continuer de respecter l’Acte Fondateur pourrait à terme risquer de fragiliser la sécurité et la stabilité de l’Europe. Le président Poutine cherche des failles dans l’Alliance transatlantique afin de mieux s’y engouffrer et de les élargir. Ainsi, les États occidentaux doivent reconnaître la situation actuelle de conflit et de renforcer leur cohésion au sein de l’Otan de manière à protéger leurs valeurs communes et leur sécurité qui restent vulnérables (2).

Il existe plusieurs solutions de dissuasion n’impliquant pas de base militaire permanente afin d’allier l’efficacité et la cohésion de l’Alliance. Cela devrait notamment prendre la forme d’une mise en place de forces rotatives dans la région, une initiative qui pourrait être s’étendre des États baltes à la Pologne. Ce qui fait de l’Otan l’alliance militaire la plus efficace de l’Histoire est la cohésion de ses membres. Toute initiative qui risquerait d’y porter atteinte devrait être considérée avec une prudence critique. Ainsi, une telle initiative de la part des États-Unis et de la Pologne ne devrait être acceptée qu’en cas de consensus entre les membres de l’Otan, avec la certitude que ce projet améliorera la dissuasion et améliorera l’environnement de sécurité global.

Une Otan unie, forte, parlant d’une seule voix et agissant d’un seul cœur vers un objectif commun est cruciale dans un environnement de sécurité sans cesse en mouvement. L’interdépendance et l’interconnexion du monde moderne exige de l’Otan qu’elle agisse comme un seul homme. Ainsi, si l’Europe de l’est veut renforcer l’effet dissuasif de l’Otan, la présence très clivante d’une base militaire américaine permanente en Pologne n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir. Une approche plus efficace serait de protéger la cohésion des membres de l’Otan, tout en s’assurant que des forces qualifiées et interopérables des États membres soient prêtes à être déployées en cas de besoin.

Sources :

  1. SHEFTALOVICH Zoya, US considering building ‘Fort Trump’ in Poland, Politico, 19 septembre 2018.
  2. TOWNSEND Jim, Fort Trump Is a Farce Foreign Policy, 8 octobre 2018.
  3. TRITTEN Travis J, Poland offered to pay to build ‘Fort Trump,’ and now the Pentagon is checking out land there Business Insider, 25 septembre 2018.