Ankara. La dévaluation de la livre turque est un fait saillant de l’actualité. Les journaux parlent chaque jour d’un «  tarihi rekor », c’est-à-dire du record historique des devises face à la livre turque, ce qui effraye l’investissement étranger. Le mois du mai a été le pire des dix dernières années, la livre turque, qui a perdu 17 % de sa valeur, ayant chuté tout au long du mois à l’exception de trois jours (3). Selon les plus récents taux de change, elle vaut 5,5 pour un euro et 4,7 pour un dollar (5).

Il ne s’agit pas d’une crise temporaire. La livre turque n’arrête pas de chuter mais le gouvernement est incapable de proposer des solutions à long terme. Par exemple, le président Erdoğan avait prononcé un discours lors d’une inauguration à Ankara le 2 décembre 2016 et avait demandé aux Turcs d’échanger les devises qu’ils gardaient précieusement sous leurs couettes afin de faire baisser la valeur du dollar et le taux de change défavorable (1). Contrairement aux politiques économiques orthodoxes, Erdoğan promet de résoudre cette crise après les élections anticipées en s’opposant davantage à l’augmentation des taux d’intérêts et, pour ce faire, en faisant pression sur Merkez Bankası, la Banque centrale de Turquie (7). Cependant, Muharrem Ince, le candidat du principal parti d’opposition Cumhuriyet Halk Partisi, a défendu l’indépendance de la Banque lors de sa campagne électorale à Erzincan et a aussi demandé au président de réviser son choix de conseillers économiques (4).

Erdoğan et son entourage ne lient la dévaluation de la livre turque ni aux instabilités politiques en Turquie ni aux mesures à court terme qu’ils favorisent au détriment d’une politique monétaire efficace. La crise est plutôt présentée comme un complot contre Erdoğan. Son beau-fils, Berat Albayrak, a même parlé d’une « opération » étrangère qui vise à renverser le gouvernement (6). Ce récit conspirationniste n’est pourtant pas chose nouvelle : d’autres évènements comme la réticence de certains pays européens à accueillir Erdoğan pour sa campagne électorale ont été interprétés comme des complots. Récemment, la Une de la revue Le Point, qui qualifie Erdoğan de « dictateur », a aussi  été très mal accueilli par les internautes du réseau Ekşi Sözlük, une plateforme créée en 1999 et très populaire parmi les Turcs qui peuvent discuter de l’actualité de manière anonyme. Ils ont souligné le fait que ce genre d’écrits ne permettent pas de décrédibiliser Erdoğan aux yeux de ses partisans mais d’appuyer son discours et de montrer qu’un complot de grande ampleur viserait bien leur leader élu démocratiquement (2).

Perspectives :

  • Les élections anticipées auront lieu le 24 juin 2018. La dévaluation de la livre turque est susceptible d’être un argument aussi pour que contre Erdoğan. Certains lui reprochent d’attendre les résultats des élections pour réagir et critiquent sa politique monétaire alors que d’autres pensent réellement qu’il s’agit d’un complot, soutenant ainsi Erdoğan, un “leader mondial” capable de défier l’Occident.

Sources  :

  1. « Erdoğan’dan ‘döviz’ çağrısı : Bozdurun altına yatırın », BBC Türkçe, 2 Décembre 2016.
  2. Site officiel d’Ekşi Sözlük (plus particulièrement la page concernant la discussion sur la Une de la revue Le Point).
  3. EL BALTAJI, Dina et ÖZSOY, Tuğçe, « Lira Heads for Crisis Mode on Eve of Erdogan’s Election Speech », Bloomberg, 23 Mai 2018.
  4. « Muharrem İnce’den Cumhurbaşkanı Erdoğan’a dolar çağrısı », HaberTürk, 23 Mai 2018.
  5. « Dolar kuru bugün ne kadar ? (24 Mayıs 2018 dolar – euro fiyatları) », NTV, 24 Mai 2018.
  6. PITEL, Laura, « Erdogan’s siege mentality pushes Turkish lira to the brink », Financial Times, 24 Mai 2018.
  7. « Cumhurbaşkanı Erdoğan Merkez Bankası açıklaması », Sözcü, 15 Mai 2018.