Les mesures de confinement liées à la pandémie de Covid-19 ont eu pour conséquence une importante baisse de la demande énergétique et des émissions de carbone et entraîné un ralentissement des investissements dans le secteur énergétique au niveau européen 1. Elles ont du même coup accru la prise de conscience de l’importance majeure d’une électricité fiable pour l’économie européenne, notamment pour les systèmes de santé et de communication, face aux difficultés rencontrées par les hôpitaux dans la gestion des patients et au besoin accru des ménages et les entreprises d’utiliser Internet, ordinateurs et téléphones portables pour communiquer, éduquer et divertir durant cette période d’isolement. Alors que les pays de l’UE entament la relance de leurs économies, l’orientation des politiques de reprise économique et les futurs investissements vers le soutien de la croissance verte et du développement des énergies propres focalise l’attention. Le paquet de relance économique annoncé par l’UE le 27 mai 2020 et son nouvel instrument « Next Generation EU » de 750 milliards d’euros viseront ainsi à promouvoir les investissements en vue d’un « avenir vert, numérique et résilient » 2. Cette nouvelle initiative appuiera le Green Deal européen et son objectif d’une Union européenne (UE) neutre en carbone d’ici 2050.
Le secteur de l’électricité est essentiel à l’atteinte de ces objectifs de décarbonation et de numérisation. La production d’électricité compte en effet à elle seule pour un tiers de toutes les émissions liées à l’énergie de l’UE, qui représentent elles-mêmes environ 75 % des émissions totales de CO2 de l’UE 3. L’Agence internationale de l’énergie prévoyait déjà avant l’arrivée de la pandémie une augmentation du rôle de l’électricité dans la consommation finale d’énergie dans les secteurs de l’industrie, des transports et des bâtiments au cours de la période allant jusqu’en 2040, lui conférant une place clé dans la stratégie de l’UE pour établir une « économie propre et circulaire » 4.
Cet article vise à examiner le rôle de l’énergie nucléaire dans cette transformation. À l’échelle de l’UE, l’énergie nucléaire joue un rôle important pour satisfaire la demande d’électricité, la production nucléaire de quatorze des vingt-huit États membres représentant en 2019 un quart de la production d’électricité et environ la moitié de la production d’électricité décarbonée de l’UE. Bien que la France domine la production nucléaire européenne en en concentrant près de la moitié en 2019, huit autres Etats membres (Belgique, Bulgarie, République tchèque, Finlande, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Suède) disposent d’un mix électrique reposant à plus de 30 % sur ce mode de production, comme l’illustre la figure 1 ci-dessous 5. Malgré ce rôle important au regard de l’objectif ambitieux de neutralité carbone en 2050 promu par le Green Deal, le débat reste ouvert concernant l’énergie nucléaire et sa place dans les futures politiques économiques et environnementales de l’UE. Certains Etats membres déclassent et ferment en effet actuellement des capacités nucléaires tandis que d’autres prévoient au contraire de mettre en service nouvelles unités et que la stratégie climatique de l’UE à horizon 2050 publiée en 2018 prévoit une baisse de la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique européen de 26 % à une valeur comprise entre 12 et 15 % 6. Nous analyserons ce paysage mouvant et ce rôle controversé de l’énergie nucléaire dans la sécurité d’approvisionnement et l’ambition climatique de l’Union.
Le rôle de l’énergie nucléaire dans le Pacte vert européen
En décembre 2019, la Commission européenne a dévoilé sa feuille de route pour la mise en œuvre du Green Deal, comprenant une proposition d’investissement de mille milliards d’euros (au travers des fonds Invest EU et Just Transition Fund) pour favoriser une « économie propre et circulaire » et lutter contre le changement climatique 7. Les responsables européens ont souligné que le Green Deal constitue tant une stratégie de croissance qu’une stratégie climatique couvrant tous les secteurs, y compris l’énergie. Le mécanisme « Next Generation » fournit un soutien politique et financier supplémentaire aux objectifs du Green Deal.
Avant même la proposition de Green Deal, la Commission avait déjà adopté trois objectifs en matière énergétique et climatique à l’horizon 2030 : (1) une réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre (par rapport aux niveaux de 1990), (2) une part d’au moins 32 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et (3) une amélioration d’au moins 32,5 % de l’efficacité énergétique. Un renforcement de l’objectif d’émissions de gaz à effet de serre à 50-55 % a également été envisagé par la Commission, qui a entamé un processus de consultation publique sur l’ambition climatique UE 2030 8.
À l’occasion d’une présentation le 20 février 2020 devant l’Atlantic Council, la directrice de l’énergie de l’Union, Ditte Jual Jogensen, a évoqué les cinq piliers de la stratégie de l’UE pour le secteur de l’énergie : la réforme du marché, la technologie et l’innovation, la finance durable, l’intégration sectorielle et la décarbonation, le futur rôle de l’énergie nucléaire étant concerné par l’ensemble de ces domaines. Les réglementations européennes permettent aux pays de développer leurs propres mix énergétiques dans leurs plans énergétiques et climatiques (NECP) pour la période 2021-2030 ainsi que dans leurs stratégies nationales à long terme.
La place de l’énergie nucléaire dans l’approche globale de l’UE en matière de climat et de durabilité a néanmoins été remise en question lors de l’élaboration d’un système de classification pour l’identification des activités économiques durables. Cette taxonomie comprend cinq domaines principaux : « l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques ; l’utilisation et protection durables des ressources en eau et marines ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et le contrôle de la pollution ainsi que et la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes » 9. Bien que le rôle que l’énergie nucléaire pourrait jouer dans la réduction des émissions soit reconnu, un débat considérable s’est installé entre les gouvernements, les ONG et l’industrie énergétique sur la manière dont l’énergie nucléaire devrait être traitée par cette classification, qui détermine son éligibilité au financement des investissements du Green Deal. Ledit débat a mis en évidence les différences de conception autour de l’énergie nucléaire entre les Etats de l’UE, et en particulier entre la France et l’Allemagne.
En décembre 2019, la Commission européenne a indiqué à ce sujet que « la décision d’inclure ou d’exclure l’énergie nucléaire a donc été renvoyée aux règles détaillées basées sur les contributions techniques des experts et le critère « do not significant harm », notamment en ce qui concerne la gestion des déchets ou les considérations relatives au cycle de vie 10. Le rapport subséquent rendu en mars 2020 par le Groupe d’experts techniques (Technical Expert Group – TEG) n’a à ce titre pas inclut l’énergie nucléaire parmi les sources durables de production d’électricité 11, ce qui a suscité de nouvelles critiques de la part des lobbies de la filière soutenant son rôle dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le groupe européen de l’industrie nucléaire FORATOM a ainsi appelé à la réalisation dès 2020 d’« une évaluation environnementale fondée sur la science aboutissant rapidement à une considération satisfaisante de l’énergie nucléaire par la taxonomie européenne » 12.
La fermeture de centrales, l’extension des durées d’exploitation, et leurs conséquences sur la décarbonation
Ce débat sur le rôle de l’énergie nucléaire intervient à un moment où plusieurs États membres de l’UE envisagent ou prévoient la fermeture de réacteurs nucléaires en exploitation et étudient les implications de la prolongation de la durée de vie des centrales pour les calendriers de déclassement. Ayant déjà fermé onze unités depuis 2011, l’Allemagne prévoit de fermer ses sept unités restantes d’ici 2022. Bien qu’elle ait retardé la réduction prévue de sa capacité de production nucléaire, la France envisage toujours de fermer quatorze réacteurs d’ici 2035. L’Espagne devrait commencer dès 2027 à fermer l’ensemble de ses sept réacteurs afin d’atteindre en 2035 son objectif de sortie du nucléaire. La Belgique, qui a déjà prolongé la durée de vie de deux réacteurs fournissant près de 50 % de sa production d’électricité, a confirmé en mars 2018 son objectif de fermeture des sept réacteurs présents sur son territoire d’ici 2025, malgré les avertissements du secteur et l’augmentation apparente du soutien public accordé au nucléaire 13. La Suède a commencé son processus de fermeture nucléaire à la fin de 2019 et prévoit une fermeture supplémentaire en 2020, en grande partie en raison des conditions du marché et de l’impact d’une ancienne taxe sur le nucléaire 14. Bien que les justifications de ces décisions de fermeture varient marginalement selon les États, elles résultent principalement d’une inquiétude accrue de l’opinion publique quant à la sécurité des centrales nucléaires à la suite de l’accident de Fukushima au Japon et d’un consensus croissant autour de la nécessité de développer massivement les énergies renouvelables. Contrairement aux États-Unis où la fermeture de centrales nucléaires répond davantage à des considérations économiques et où certains États fédérés comme l’Illinois, New York, le Connecticut, le New Jersey ou l’Ohio prévoient des crédits « zéro émission » pour les maintenir en activité, les fermetures pratiquées en Europe relèvent davantage de considérations politiques et d’oppositions à l’énergie nucléaire.
Certains États membres considèrent néanmoins la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires comme une option économiquement viable. Des prolongations ont ainsi été accordées pour des unités situées en République tchèque, en Finlande, en Hongrie, en Belgique, en Suède, aux Pays-Bas et en Bulgarie. Une décision l’Autorité de sûreté nucléaire française en la matière est également attendue en 2020 s’agissant de la prolongation de la durée de vie des réacteurs de 900 mégawatts (MW) que comporte le parc nucléaire d’EDF, qui sera suivie de revues de centrales individuelles 15. Il est à ce titre intéressant de noter qu’aux États-Unis, la prolongation de la durée de vie de 40 ans à 60 ans de 88 des 95 réacteurs nucléaires en exploitation a été autorisée par la US Nuclear Regulatory Commission (NRC), bien que certains aient été contraints de fermer plus tôt en raison des conditions économiques et du marché. En décembre 2019, la NRC a par ailleurs procédé au premier renouvellement de la licence (subsequent licence renewal – SLR) jusqu’à 80 ans des unités 3 et 4 de la Florida Power and Lights (FPL) 16. Avant cette nouvelle extension, la FPL a déployé d’importants efforts pour répondre aux principales préoccupations formulées par la NRC en matière de vieillissement des installations, s’agissant par exemple de la « fragilisation de l’enceinte sous pression du réacteur, de la fissuration par corrosion sous contrainte d’irradiation des composants internes des réacteurs, de la dégradation des structures en béton et de la conformité environnementale des câbles électriques ». Près de la moitié du parc nucléaire américain a plus de 40 ans et la plupart des réacteurs en exploitation devront voir leur licence renouvelée d’ici 2029 pour continuer à fonctionner. Le nucléaire fournissant 20 % de l’électricité américaine et 53 % de son électricité décarbonée, la perspective de ces fermetures potentielles faute de prolongation devient un problème de plus en plus important dans le débat américain relatif à la lutte contre le changement climatique.
Au sein de l’Union européenne, la durée de vie moyenne des centrales nucléaires (35 ans) se révèle plus courte qu’aux États-Unis (39 ans) 17. Compte-tenu de la dépréciation économique de nombreuses unités, la prolongation de la durée de vie peut s’avérer économiquement très favorable avec un coût cash de 500 $ par kW installé, a fortiori si sont pris en compte les bénéfices liés à l’évitement d’émissions de CO2. Cette prolongation pourrait également permettre de différer les coûts élevés liés au déclassement des installations – l’Allemagne et la France ayant ainsi pu réserver plus de 40 milliards d’euros 18 – et de bénéficier de davantage de temps pour rassembler les fonds de déclassements, ainsi que cela a été entamé dans plusieurs États.
Bien que l’environnement politique puisse changer avec la prise de conscience par les décideurs politiques européen des avantages liés à la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire actuel, il semble à ce jour le secteur électrique européen pourrait voir fermer 36 unités nucléaires – soit un tiers du parc actuel – d’ici 2035. À demande d’électricité constante, une telle fermeture pourrait aboutir à une baisse de la production d’électricité décarbonée d’environ 18 % : FORATOM prévoit en effet dans ses scénarios qu’un fonctionnement prolongé de tous les réacteurs de l’UE permettrait l’augmentation de la part de l’électricité à faiblement carbonée de 50 % actuellement à 58 % en 2030 19, cette part risquant à l’inverse de chuter à 33 % sans prolongation. Une partie de cette capacité perdue pourrait être remplacée par la construction de nouveaux réacteurs prévus, comme évoqué ci-après, et certains nouveaux projets comme les futures unités Pak II en Hongrie devraient même compenser intégralement la fermeture des unités déclassées.
La majeure partie de la nouvelle production d’électricité européenne au cours des dernières années provient de moyens de production renouvelables – principalement éoliens et solaires –, bien que la production de gaz naturel ait également augmenté et remplacé la production issue des centrales à charbon déclassées, comme l’illustre la figure infra. Un constat similaire s’impose aux États-Unis, où la combinaison de bas prix des énergies renouvelables et du gaz naturel, d’objectifs étatiques de production renouvelable et d’incitations fiscales pour les projets renouvelables a permis aux énergies renouvelables et au gaz naturel de se substituer au charbon et renforcé leur concurrence avec les centrales nucléaires. Au sein de l’Union européenne, la production d’énergie renouvelable (qui constitue désormais la première source de production d’électricité européenne) a augmenté de 43 TWh en 2019 et a représenté cette année-là 34,6 % de la production totale, Royaume-Uni compris 20. La baisse des coûts des différentes technologies renouvelables – par exemple de l’éolien offshore dont la capacité a crû à 22 000 MW au travers de douze États membres en 2019 21, ont remis en cause la compétitivité économique des nouveaux projets nucléaires et leur financement sur une base uniquement commerciale. Les retards et les dépassements de coûts importants dans l’achèvement des projets de centrales nucléaires françaises (Flamanville 1 et 2), finlandaises (Olkiluoto 3), slovaques (Mochovce 3 et 4) et anglaise (Hinkley Point C) se sont ajoutés aux niveaux de risques perçus par les gouvernements, les investisseurs et les banques.
La croissance des énergies renouvelables a démontré que les systèmes électriques de l’UE peuvent fonctionner avec des niveaux élevés de production renouvelable variable. En 2019, la production d’énergie renouvelable représentait plus de 30 % de la production domestique totale dans quinze États membres et plus de 40 % dans certaines États comme l’Autriche, la Croatie, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne et la Suède 22. Cependant, bien que l’augmentation de la part des énergies renouvelables ait pu être réalisée sans compromettre la stabilité du système électrique européen, l’électricité nucléaire produite en base permet de compenser leur variabilité et assure tant la fiabilité que la flexibilité du système.
Perspectives pour les nouveaux investissements dans les grandes centrales nucléaires : la variable Russie/Chine
Malgré les problèmes que pose l’achèvement de nouvelles tranches nucléaires en France, en Finlande et en Slovaquie, au moins six pays de l’UE27 (Hongrie, République tchèque, Bulgarie, Roumanie, Finlande, Pologne) poursuivent leurs plans de construction de nouvelles grandes centrales nucléaires (plus de 1000 MW) ou envisagent de nouveaux investissements. Il est intéressant d’examiner les raisons pour lesquelles ces pays sont prêts à faire face aux risques inhérents à la poursuite de ces projets, et d’interroger le rôle que les gouvernements de l’UE joueront dans leur financement et leur garantie.
Tous les pays qui poursuivent la construction de nouvelles centrales nucléaires, à l’exception de la Roumanie (18 % de centrales nucléaires) et de la Pologne, ont reçu plus de 35 % de leur électricité de centrales nucléaires en 2019. Tous ces pays dépendent principalement des importations de gaz en provenance de Russie, bien que la consommation de gaz dans le secteur de l’électricité soit inférieure à 10 % dans tous les pays sauf en Hongrie (27 %). Pour la Bulgarie, la République tchèque et la Pologne, le nucléaire est considéré non seulement comme un moyen d’éviter une dépendance accrue aux importations de gaz, mais aussi comme un moyen important d’atteindre les objectifs nationaux en matière d’émissions, puisque ces pays produisent chacun plus de 35 % de leur électricité à partir de charbon ou de lignite. La Finlande cherche également à réduire son utilisation de charbon, qui est actuellement de 12 %, en construisant deux nouveaux réacteurs nucléaires.
En envisageant ces nouveaux projets électronucléaires, les gouvernements sont courtisés par la Russie et la Chine et par leurs entreprises nucléaires étatiques. La Russie cherche à maintenir ses liens nucléaires de longue date avec les pays de l’UE, où 18 réacteurs nucléaires de conception soviétique ou russe sont actuellement exploités dans cinq pays : République tchèque (quatre unités VVER-440-v213 à Dukovany et deux unités VVER-1000-v320 à Temelin) ; Hongrie (quatre unités VVER-v213 à Paks) ; Slovaquie (deux unités VVER-v213 à Bohunice et deux réacteurs VVER-v213 à Mochovce) ; Bulgarie (deux unités VVER-1000-v320 à Kozluduy) ; et Finlande (deux VVER-v213 modifiés à l’ouest à Loviisa).
En 2014, la Russie et son entreprise nucléaire d’État Rosatom ont signé un accord de financement de 10 milliards d’euros avec la Hongrie pour deux réacteurs de génération III VVER-1200-v527 à Paks, couvrant 80 % des coûts. La Hongrie a accepté de financer 20 % du projet. Après un examen approfondi de la Commission européenne et d’Euratom, et malgré les pressions exercées par l’Autriche pour des raisons de sécurité et par d’autres pays opposés à la cession d’un marché à fournisseur unique impliquant une prétendue « aide d’État » russe, l’approbation de l’UE a été obtenue en 2017 et un permis de construire a été délivré 23.
Mais en raison des retards, la Hongrie a cherché à reporter son remboursement, qui devait commencer en 2026, jusqu’à ce que les centrales soient opérationnelles. Bien que la Hongrie ait rejeté le modèle « Construire, posséder, exploiter » que la Russie poursuit avec la Turquie, les observateurs occidentaux continuent de s’inquiéter des implications de ce projet vaste et coûteux pour la sécurité énergétique de la Hongrie dans le contexte de la posture agressive de la Russie en Ukraine et le reste de la région, ainsi que des relations étroites entre le Premier ministre hongrois Viktor Orban, avec ses actions « démocratiques illibérales » 24, et le président autoritaire de la Russie, Vladimir Poutine 25.
Actuellement, Rosatom est en concurrence avec la CNNC 26 (China National Nuclear Corporation) et la CGN (China General Nuclear) chinoises pour des contrats de construction de réacteurs prévus à Belene en Bulgarie et à Dukovany en République tchèque. Après avoir finalement résolu un litige de plusieurs années avec la Russie concernant le dédommagement relatif au projet nucléaire inachevé de Belene, le gouvernement bulgare a repris le projet et a présélectionné Rosatom, CNNC, Korea Hydro & Nuclear, la société française Framatome, et GE-Hitachi. La date limite pour les candidatures à l’appel d’offre était le 31 mai 2020, mais cette date a été reportée en raison de la pandémie 27. Le gouvernement bulgare a depuis longtemps adopté la position qu’il n’offrira pas de garanties d’État ou des garanties d’entreprise pour les nouveaux projets nucléaires 28. Cela a été l’un des obstacles à la conclusion d’un accord avec Westinghouse pour la construction d’un réacteur de classe AP-1000 à Kozluduy en 2015, ainsi qu’à la demande du gouvernement que Westinghouse prenne une part financière de 49 % dans le projet. Au début de 2020, il a été signalé que le gouvernement bulgare chercherait à obtenir un financement pour deux réacteurs à Belene auprès du Fonds de transition équitable de l’UE afin de pouvoir atteindre ses objectifs de réduction des émissions de CO2 29. Mais, comme indiqué précédemment, il n’est pas certain que le nucléaire sera éligible aux fonds issus de ce mécanisme.
En République tchèque, malgré un débat considérable sur les coûts et le financement d’un ou de plusieurs nouveaux réacteurs à Dukovany, le gouvernement a donné son approbation préliminaire au projet à la mi-2019 et a signé un accord-cadre avec la compagnie d’électricité CEZ, qui prévoyait un accord de rachat permettant au gouvernement d’acheter de l’électricité à CEZ à un prix convenu et de la vendre en bourse 30. Mais le 28 mai 2020, le Premier ministre tchèque Andrej Babiš a indiqué que le gouvernement accorderait un prêt à CEZ couvrant 70 % du coût d’un réacteur (estimé à 6 milliards d’euros), CEZ fournissant les 30 % restants 31. Le 24 mars 2020, CEZ avait déposé une demande auprès du régulateur nucléaire national pour la construction de deux réacteurs à Dukovany d’une puissance maximale de 1200 MW chacun. La presse indique que plusieurs entreprises internationales, à savoir EDF, Korea Hydro & Nuclear, et Westinghouse, ainsi que Rosatom et CGN, ont manifesté leur intérêt pour le projet 32. Un appel d’offre devrait être lancé d’ici la fin de 2020, la sélection devant être effectuée en 2022.
La Chine a clairement fait preuve d’un engagement fort en faveur du développement de l’énergie nucléaire sur son territoire, avec 45 réacteurs en exploitation et 12 en construction 33. Pourtant, à l’exception du Pakistan, où elle a construit de plus petits réacteurs dans le passé et où elle achève deux unités Hualong One de conception autochtone à Karachi, la Chine n’a pas d’autres centrales nucléaires en exploitation à l’étranger. Mais les entreprises chinoises ont de l’expérience dans la construction et l’exploitation d’unités occidentales de type EPR de génération III, ainsi que d’unités AP-1000 en Chine, tandis que d’autres réacteurs similaires sont aussi en construction en Europe et aux États-Unis. Les entreprises nucléaires chinoises ont cherché à se développer à l’international et à mettre un pied sur le marché européen. Elles se sont d’abord concentrées sur le Royaume-Uni et la Roumanie. La Chine a ainsi pris un intérêt financier dans le projet Hinkley Point C au Royaume-Uni avec EDF pour un réacteur EPR ; elle tente également de commercialiser son réacteur Hualong One auprès de sites nucléaires britanniques dans l’Essex et ailleurs. L’autorité britannique de sûreté nucléaire procède actuellement à un examen de la sûreté de la conception du système Hualong One 34. En Roumanie, la CGN poursuit la construction de nouvelles tranches nucléaires à Cernavoda (3&4) depuis un accord initial avec la société d’État roumaine Nuclearelectrica en 2015. Un accord préliminaire avec les investisseurs a été signé en mai 2019 pour la création d’une entreprise commune. Mais en février 2020, le Premier ministre a annoncé que la Roumanie ne serait plus partenaire de la CGN pour ce projet. Cette décision pourrait avoir été influencée par l’opposition des États-Unis à l’implication chinoise et par la mise sur liste noire de la CGN en août 2019 pour « s’être engagée ou avoir permis des efforts pour acquérir des technologies et du matériel nucléaires américains avancés pour les détourner à des fins militaires en Chine » 35. Les États-Unis et la Roumanie avaient également signé un accord de coopération nucléaire en septembre 2019 36.
Bien que la Finlande ait décidé de poursuivre la construction de la centrale d’Olkiluoto 3 avec la technologie européenne EPR, le gouvernement finlandais, avec l’approbation du Parlement, a décidé de procéder à la construction d’un nouveau réacteur à Hanhikivi, qui sera construit par la société finlandaise Fennovoima en utilisant la technologie VVER-1200- AES2006 de Rosatom ainsi que des systèmes de GE-Alstom, Framatome et Siemens. Fennovoima a conclu un contrat à prix fixe avec Rosatom et le processus d’examen des licences de construction a commencé 37.
Alors que les pays susmentionnés disposent tous d’unités nucléaires en fin de vie, la Pologne a longtemps débattu mais n’a encore jamais entrepris de construire des centrales nucléaires. Cependant, sous le gouvernement du président Andrzej Duda et du premier ministre Mateasz Morawiecki, la Pologne a adopté l’énergie nucléaire et planifie un vaste programme visant à accroître la sécurité énergétique du pays et à réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant du charbon. Bien que le commissaire polonais chargé des infrastructures énergétiques stratégiques, Piotr Naimski, ait d’abord annoncé des plans pour au moins 6 grands réacteurs d’au moins 1000 MW chacun d’ici 2040, dont le premier serait prévu pour 2033 38, la politique énergétique révisée de la Pologne à l’horizon 2040 a réduit cet objectif à 3,9 GW 39. Le gouvernement et l’industrie américains travaillent en étroite collaboration avec les responsables polonais sur ce programme. Malgré les critiques de la France et les inquiétudes concernant l’évaluation environnementale inadéquate par des groupes en France, il semble y avoir un soutien public considérable pour ce programme et le président Duda semble susceptible d’être réélu lors du scrutin présidentiel de cette année.
Les développements en Pologne auront également des implications importantes pour les pays baltes et sur leurs efforts pour s’intégrer dans le système synchrone ENSO-E d’ici 2025 et éliminer la dépendance vis-à-vis du système IPS/UPS de la Russie 40. L’UE a investi plus d’un milliard d’euros dans ce projet. La Pologne et la Lituanie ont réalisé en 2015 une interconnexion terrestre haute tension entre leurs deux réseaux asynchrones – par définition plus complexe car nécessitant d’harmoniser leurs différentes fréquences – et ont convenu en 2018 de construire un câble sous-marin dans la mer Baltique et autour de Kaliningrad d’ici 2025 41. La Russie a poussé la Lituanie à acheter de l’électricité à sa nouvelle centrale nucléaire Ostrovets, construite par Rosatom en Biélorussie. La Lituanie s’est fortement opposée à la construction de cette centrale pour des raisons politiques et de sécurité. La Lituanie avait envisagé de construire une nouvelle centrale nucléaire à Visaginas, qui est proche de la frontière avec Ostrovets, pour remplacer les réacteurs d’Ignalina qui ont été fermés en 2004 et 2009 dans le cadre de l’accord sur l’adhésion de la Lituanie à l’UE. Mais le projet de Visaginas, qui était poursuivi par Mitsubishi et d’autres entreprises occidentales, a rencontré une opposition publique et a été mis au placard.
Des propositions de nouvelles centrales nucléaires ont été faites dans d’autres pays de l’UE, mais elles sont moins assurées. Même en France, où une baisse progressive de la production nucléaire est prévue, le gouvernement a demandé à EDF, au début de l’année 2020, d’envisager la construction de six nouveaux réacteurs. Mais le ministre de l’énergie français a indiqué qu’aucune décision ne serait prise avant la fin de l’année 2022 et après le démarrage du réacteur EPR Flamanville 3 42. En 2019, le premier ministre slovène Sarec a exprimé son soutien envers un projet de centrale nucléaire qui pourrait remplacer la centrale nucléaire de Krsko construite par Westinghouse en 1984, qui est détenue conjointement avec la Croatie et qui a fourni environ 37 % de l’électricité slovène en 2019 43. Le ministre des infrastructures a récemment indiqué qu’une décision concernant une nouvelle centrale serait prise d’ici 2027 44.
Innovation et promesse d’une nouvelle génération de petits réacteurs modulaires
Si la construction de plusieurs grands réacteurs nucléaires de troisième génération semble pouvoir se poursuivre dans l’Union européenne, en parallèle de décisions visant à prolonger la durée de vie de certains réacteurs, il existe un intérêt croissant pour une nouvelle génération de petits réacteurs modulaires plus sûrs, moins complexes, fabriqués en quelques années grâce à une technologie de pointe et transportés sur site, avec des intervalles de rechargement du combustible plus longues et pouvant fonctionner de manière plus souple pour accompagner la production issue d’énergies renouvelables intermittentes. Ces réacteurs ne sont pas encore en exploitation commerciale et leur démonstration ne fait que commencer. Des entreprises en Europe, aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Corée du Sud, en Argentine, en Chine et en Russie travaillent sur ces systèmes. La première opération commerciale occidentale devrait être réalisée par NuScale aux États-Unis en 2027 dans le cadre d’un projet avec l’Utah Associated Municipal Power Systems, qui prévoit l’installation de douze modules de 60 MW au laboratoire national de l’Idaho du département américain de l’énergie. La Chine et la Russie cherchent de toute évidence à concourir sur cette technologie. La Chine procède actuellement à la démonstration de plusieurs modèles de SMR, dont un flottant, et a conclu des accords internationaux avec l’Arabie saoudite, l’Indonésie et d’autres pays, notamment en ce qui concerne son réacteur à haute température à refroidissement gaz. La Russie a fait la une des journaux en 2019 avec le déploiement de ses réacteurs de propulsion navale KLT-40 modifiés sur un navire flottant à Pevek dans l’Arctique 45, et développe actuellement plusieurs SMR plus avancés.
Les SMR pourraient trouver des applications dans des domaines autres que la production d’électricité, comme par exemple la chaleur industrielle, le chauffage urbain, le dessalement et la production d’hydrogène. La Finlande s’intéresse aux SMR pour le chauffage urbain, et le centre de recherche technique VTT en Finlande, procède à l’évaluation de différents modèles. Si plus d’une douzaine d’entreprises américaines travaillent sur des systèmes de SMR, des efforts de développement industriel sont également en cours en Europe, certains avec des partenaires internationaux. Une collaboration française impliquant le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), EDF, Naval Group et TechnicAtome développe un SMR pressurisé de 300-400 MW appelé Nuward ; Rolls-Royce, au Royaume-Uni, a un projet de SMR de 220-440 MW dont le déploiement est prévu pour 2029 ; L’Estonie explore la technologie SMR avec GE-Hitachi et NuScale et coopère avec la Finlande ; GE-Hitachi poursuit également un projet avec une entreprise chimique en Pologne, son unité BWRX-300 ; et EDF travaillerait avec Westinghouse sur la même technologie.
Les efforts de l’UE et de la communauté internationale, notamment de l’Agence internationale de l’énergie atomique, sont de plus en plus axés sur l’élaboration de normes pour les SMR. Par exemple, Euratom finance le projet ELSMOR (European Licensing of Small Modular Reactors), qui développe des méthodes et des outils pour l’évaluation et la vérification de la sûreté des SMR à eau légère devant être déployés dans l’UE. La question du combustible pour les nouveaux SMR est extrêmement importante, d’autant plus que certaines des conceptions proposées nécessitent de l’uranium faiblement enrichi à dosage élevé (HALEU) utilisant du combustible enrichi jusqu’à 19,9 %. Aux États-Unis, le département de l’énergie soutient un effort de démonstration de Centrus Energy visant à développer la production d’uranium faiblement enrichi d’origine américaine pour des utilisations civiles et militaires 46. Et la filiale américaine de la société européenne URENCO, qui possède la seule installation d’enrichissement opérationnelle aux États-Unis, a indiqué qu’elle envisageait d’ajouter une chaîne de production de HALEU à son installation d’enrichissement d’uranium faiblement enrichi au Nouveau-Mexique 47. EURATOM a examiné la demande potentielle future de l’UE en combustible HALEU et les implications pour la construction de nouvelles installations 48. Avec le développement de ces nouveaux systèmes de SMR et de ces nouveaux types de combustibles, les questions de sécurité et de garde-fous internationaux commencent à être abordées et sont aujourd’hui hautement prioritaires si l’on veut poursuivre leur commercialisation mondiale.
La question de savoir si les SMR seront en mesure d’être compétitifs sur le plan économique sera certainement cruciale. Étant donnée l’absence de démonstration commerciale, les coûts de ces systèmes ne sont pas encore clairement établis et dépendront en fin de compte de la réalisation d’économies grâce à la fabrication d’un nombre important de systèmes et à la réduction du temps et des coûts de construction. NuScale aux États-Unis a déclaré viser un coût normalisé d’environ 65 dollars par MWh pour sa première centrale de 12 modules dans l’Idaho en 2027 49. Cette estimation est supérieure au coût normalisé de l’électricité prévu pour l’éolien terrestre, le solaire photovoltaïque et le cycle combiné gaz aux États-Unis en 2025, et nécessitera des garanties de prêts et des crédits d’impôt de la part du gouvernement 50. Dans l’UE, les prix plus élevés du carbone attendus d’ici les années 2030 pourraient fournir des incitations économiques à ces nouvelles technologies. Il est difficile de comparer les coûts des SMR avec ceux des énergies renouvelables et du gaz, car les unités nucléaires avancées sont conçues pour fonctionner pendant 60 ans avec des facteurs de capacité élevés et une capacité de suivi de la charge, alors que la durée de vie prévue de la plupart des systèmes renouvelables à faible rendement est beaucoup plus courte. Les projections de croissance de la demande d’électricité étant relativement faibles dans l’UE et la plupart des pays de l’OCDE, les concepteurs de SMR se tournent vers les marchés internationaux, dans des régions en développement comme l’Asie, où la demande d’électricité augmente plus rapidement et où les efforts se multiplient pour lutter contre la pollution atmosphérique et remplacer les centrales électriques au charbon.
Le déploiement de SMR posera d’autres questions essentielles, telles que l’acceptabilité sociale de la technologie et la gestion des combustibles usés. Les SMR, avec leur taille réduite, leurs systèmes de sécurité passifs et, dans certains cas, leur construction souterraine, sont très différents des grands réacteurs à eau légère d’aujourd’hui. Il sera difficile de sensibiliser le public à ces différences et au risque d’accidents beaucoup plus faible. La plupart des SMR nécessiteront des réapprovisionnements moins fréquents et ceux qui utilisent du combustible HALEU présenteront également une consommation plus efficace de combustible. Une réglementation de la gestion des combustibles usés pour les SMR autres que les réacteurs à eau légère, avec différents flux de déchets, est envisagée. De nouvelles normes et technologies pour le transport des combustibles HALEU et le stockage des combustibles usés (par exemple, de nouveaux conteneurs) sont en cours d’élaboration. L’empreinte au sol des SMR sera beaucoup moins importante, et il est envisagé de délimiter des zones d’exclusion beaucoup plus petites. Dans certains cas, les pays disposant d’anciens réacteurs envisagent d’implanter des SMR sur ces sites.
Conclusion
Alors que l’UE déploie son plan de relance économique et affine ses ambitions en matière de croissance verte et de climat, le rôle de l’énergie nucléaire continuera à jouer un rôle à la fois crucial et controversé dans le débat politique. D’une part, comme le soutient Yves Desbazeille, directeur général de Foratom : « …les objectifs de décarbonation de la transition d’ici 2050 ne peuvent être atteints sans le nucléaire, qu’il s’agisse de la construction de nouvelles centrales ou de l’exploitation à long terme des centrales existantes. En fait, si l’UE investissait dans le maintien d’un parc nucléaire pleinement opérationnel pendant cette période, 58 % de son électricité proviendrait de sources à faible émission de carbone d’ici 2030, ce qui en ferait le leader mondial en matière de politique de lutte contre le changement climatique. Dans le cas contraire, cette part tomberait à 38 %, ce qui augmenterait les émissions cumulées d’environ 1 500 millions de tonnes de CO2 d’ici à 2030 » 51. D’autres militants soulignent le rôle du nucléaire dans l’emploi d’environ un million de personnes dans l’UE, ainsi que dans la génération de 507 milliards d’euros de PIB et de 124 milliards de recettes publiques en 2019 52.
Malgré ces avantages économiques et climatiques, il existe une opposition forte à l’énergie nucléaire, fondée à la fois sur des questions de sûreté et de gestion des déchets radioactifs et sur des considérations économiques. Certains groupes écologistes considèrent que le nucléaire est à la fois inutile et non rentable, car la demande d’électricité peut être satisfaite à moindre coût grâce à des énergies renouvelables moins risquées, à l’efficacité énergétique, au développement des réseaux de transport et au stockage sur le réseau sans affecter la stabilité de celui-ci. De toute évidence, de grands pays de l’UE comme l’Allemagne, la France et l’Espagne ont montré qu’ils étaient déterminés à fermer tout ou partie de leurs réacteurs au cours des 15 prochaines années.
Malgré ces fermetures, de nombreux États membres récemment entrés dans l’UE, comme la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie, continuent à intégrer l’énergie nucléaire dans leurs systèmes électriques, et la Pologne a rejoint le cercle des pays qui considèrent le nucléaire comme important pour assurer leur sécurité énergétique et réduire leurs émissions. Les pays qui exploitent depuis longtemps des réacteurs de conception russe envisagent toujours la possibilité de conclure des accords, comme l’a fait la Hongrie, pour le développement de nouveaux réacteurs russes. Même si cette stratégie permet de réduire la production d’électricité à partir de charbon et la demande en gaz russe, elle renforcerait la dépendance à long terme à l’égard de la technologie et du combustible russes, y compris en ce qui concerne la reprise éventuelle du combustible usé et des déchets radioactifs. Mais si les systèmes EPR, AP-1000 et sud-coréens pourraient être privilégiés, l’expérience européenne en matière de systèmes EPR a été problématique et la construction des AP-100 de Vogtle, en Géorgie, ne sont pas encore terminés. En revanche, l’expérience de la Corée du Sud dans la construction de quatre réacteurs APR-1400 à Barakah, dans les Émirats arabes unis, sur une décennie, pour un montant d’environ 25 milliards de dollars, a été assez fructueuse et place la Corée du Sud dans une bonne position concurrentielle, malgré sa politique de non-construction de nouveaux réacteurs sur son territoire. Les Chinois offriront sans doute des conditions tarifaires et financières intéressantes, mais suivre cette voie soulèverait aussi d’autres préoccupations pour l’Union européenne quant à une plus grande percée économique et dépendance technologique de la Chine. L’expérience opérationnelle des réacteurs chinois Hualong One, qui viennent d’entrer en activité en Chine et qui sont actuellement examinés par l’autorité britannique de sûreté nucléaire, est également limitée.
La crise de la COVID-19 a introduit des incertitudes majeures en termes de demande future d’électricité dans l’UE, de dette et de déficits budgétaires des États membres, et de disponibilité des financements pour des projets nucléaires coûtant chacun 6 milliards d’euros ou plus. Avant la crise économique, la Russie était déjà réputée surchargée pour avoir fourni plus de 100 milliards de dollars de financement public à ses nombreux projets nucléaires à l’étranger. Avec l’effondrement des prix du pétrole, la baisse des recettes publiques et les exigences de la reprise économique de la Russie, il n’est pas certain qu’elle serait en mesure d’accorder le même type de crédit aux nouveaux projets de l’UE qu’elle a réalisés en Hongrie et ailleurs. L’obtention d’un financement commercial pour les nouveaux EPR est également très incertaine compte tenu de l’évolution de l’économie des énergies renouvelables, les coûts de l’énergie éolienne et solaire étant inférieurs à 50 euros par MWh et ceux de l’énergie éolienne en mer tombant à 100 euros par MWh ou moins 53.
Compte tenu de ces facteurs et des longs et coûteux délais de construction des grands réacteurs de troisième génération, il pourrait être plus judicieux de poursuivre une double stratégie consistant à la fois à investir dans la prolongation de la durée de vie des centrales existantes sûres et à accélérer la démonstration des petits réacteurs modulaires qui, bien qu’ils ne soient pas susceptibles d’être disponibles pour un déploiement commercial à grande échelle avant les années 2030, ont la perspective d’être plus sûrs, plus abordables et mieux adaptés aux futurs marchés des énergies propres dans l’UE 54. En conclusion, l’énergie nucléaire a bien un avenir dans l’UE, mais les progrès en matière d’innovation et d’éducation du public sur les nouveaux systèmes modulaires, ainsi que les décisions politiques à venir sur le rôle de l’énergie nucléaire dans la stratégie et le financement du Pacte vert européen seront décisifs pour faire de l’énergie nucléaire une option économique et environnementale acceptable pour le plus grand nombre.
Sources
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