Bruxelles. Lors du Conseil européen de décembre, les chefs d’État et de gouvernement seront invités à approuver la réforme de la Mécanisme européen de stabilité (MES). Ils ne devraient pas le faire, car la clôture actuelle des négociations sur la mesure de sauvegarde d’urgence éliminerait un élément important d’un éventuel accord global. En effet, la réforme est très imparfaite et déséquilibrée, et le débat sur la réforme de la zone euro mérite un agenda plus large et plus ambitieux.

La réforme de la mesure de sauvegarde d’urgence fait l’objet de négociations depuis trois ans et avait trois objectifs importants :

  • Intégrer la mesure de sauvegarde d’urgence dans le droit communautaire afin de réformer sa gouvernance, de réduire les possibilités de veto des gouvernements nationaux et d’accroître la responsabilité de ses décisions devant le Parlement européen ;
  • Renforcer la capacité du mécanisme de sauvegarde d’urgence à agir de manière préventive et à préserver la stabilité financière au moyen d’instruments de précaution et ;
  • Élargir le rôle du mécanisme de sauvegarde d’urgence afin qu’il puisse jouer le rôle d’appui au fonds de résolution unique.

Sur ces trois points, la réforme décidée par les ministres des Finances est une profonde déception.

  • Le MSU (Mécanisme de surveillance unique, NdT) resterait une organisation intergouvernementale plutôt qu’elle ne se transformerait en une institution européenne. Sa gouvernance resterait donc dominée par les vetos nationaux, ses décisions ne seraient pas soumises à l’obligation de rendre compte au Parlement européen et, plus important encore, ses pouvoirs s’étendraient à ceux de la Commission européenne en vertu d’un protocole de coopération qui étend le rôle de contrôle et de surveillance du MSU sans accroître la responsabilité au niveau européen de ces pouvoirs.
  • La capacité du MES à jouer un rôle stabilisateur accru grâce à la création d’une ligne de crédit conditionnelle de précaution (PCCL) a été évoquée par une série de critères qui la rendent inaccessible à la plupart des pays (la France n’est pas éligible par exemple). Dans l’intervalle, la ligne de crédit à conditions bonifiées (ECCL) reste accessible, mais nécessite la signature d’un protocole d’accord pour permettre la transaction monétaire ferme (OMT) de la BCE. Il n’y a donc pas de progrès dans cette réforme en ce qui concerne la capacité de stabilisation de la MSU. En fait, une réforme des clauses d’action collective a été introduite et le rôle du mécanisme de sauvegarde d’urgence dans les restructurations de la dette a été renforcé, ce qui, en l’absence de progrès sur un actif sûr, ne stabilise pas le processus.
  • Enfin, l’accord visant à utiliser la mesure de sauvegarde d’urgence comme un filet de sécurité pour le FRS est perçu comme un grand progrès même s’il reste soumis au veto des parlements nationaux. En outre, comme l’expérience récente l’a montré et comme l’a reconnu le document officieux allemand sur le syndicat bancaire, le Conseil de résolution unique n’est en fait pas en mesure d’entreprendre la résolution d’une petite banque en Europe, il semble donc difficile d’envisager son utilisation pour une grande banque qui pourrait nécessiter le recours au Fonds à résolution unique, puis le soutien. L’antidévireur MES est donc un tigre en papier.

Il ne faut pas hésiter à retarder la conclusion d’un accord sur la mesure de sauvegarde d’urgence en raison de ces lacunes, mais aussi parce que la réforme de la mesure de sauvegarde d’urgence devrait s’inscrire dans un ensemble plus large.

  1. En 2011, le pacte fiscal (TSCG) a été clairement conçu comme une contrepartie pour la création du FESF/MES. Il était alors entendu qu’après avoir été créé dans l’urgence de la crise financière, le MES et le pacte fiscal seraient regroupés dans le droit communautaire (cet engagement a été inscrit dans le TSCG lui-même). Ce projet a depuis lors été abandonné au profit d’une forte impulsion en faveur d’une réforme du MSU dans le sens d’un élargissement de ses pouvoirs et d’une érosion de la Commission au lieu de la placer sous le contrôle du droit européen et sous le contrôle du Parlement européen. Une réforme plus ambitieuse devrait être l’occasion d’un véritable débat sur la réforme à la fois du MES et des règles budgétaires européennes. Le Conseil budgétaire européen a fait un certain nombre de propositions dans ce sens, mais elles ont été ignorées par l’Eurogroupe et doivent en tout état de cause être complétées par un réel effort de réforme des règles budgétaires afin qu’elles prennent en compte l’énorme responsabilité éventuelle créée par l’inaction climatique. En effet, les changements et les risques climatiques créent des passifs futurs qui ne sont pas pris en compte dans notre cadre financier et qui ne peuvent diminuer que si suffisamment d’investissements verts sont faits aujourd’hui.
  2. La réforme de la GER elle-même doit être modifiée de plusieurs façons. Premièrement, le mémorandum de coopération conclu avec la Commission européenne va un peu trop loin dans l’extension des compétences du MSU. Il doit être révisé de manière à ce que les missions de GER soient définies de manière plus étroite et intégrées dans le cadre institutionnel européen, soit en tant qu’agence de l’UE (l’embryon d’un Trésor européen), soit en tant qu’organisme doté de ses propres capitaux, comme la BEI. Une telle communautarisation réelle nécessiterait au fil du temps un transfert des ressources financières (versées en capital) et des risques (garanties) et réduirait au fil du temps le rôle et les vetos potentiels des gouvernements nationaux dans son utilisation, à l’instar des mécanismes de l’EFSM ou du mécanisme de soutien à la balance des paiements, qui sont beaucoup plus solides tant au niveau institutionnel que démocratique. La mesure de sauvegarde d’urgence devrait également avoir une véritable ligne de précaution qui pourrait être activée à sa discrétion plutôt que dans le seul contexte de critères d’éligibilité étroitement définis.
  3. L’utilisation du mécanisme de sauvegarde d’urgence comme filet de sécurité pour le fonds de résolution unique devrait certes être préservée et renforcée, mais, comme le souligne le récent document non officiel allemand/BMF sur l’union bancaire, cela ne serait efficace qu’après des réformes considérables de la directive sur le recouvrement et le règlement des opérations bancaires (BRRD) ainsi que des réformes du conseil à résolution unique. En l’absence de progrès en ce qui concerne le syndicat bancaire, la promesse d’un filet de sécurité déposée dans le cadre du mécanisme de sauvegarde d’urgence n’est qu’une promesse vide, car il est certain qu’il ne sera pas activé. Une réforme ambitieuse de la GER devrait donc aller de pair avec des mesures ambitieuses visant à améliorer le cadre de résolution des banques européennes.
  4. Enfin, la question de l’intégration et de la stabilisation fiscales a été largement ignorée. Le BICC est loin d’être le type d’instrument dont la zone euro a besoin. Il pourrait être amélioré avec le temps si l’idée du juste retour était abandonnée et si un accord intergouvernemental permettait d’augmenter ses ressources en cas de besoin. En outre, la question d’un régime européen d’assurance chômage mentionnée dans la déclaration de Meseberg n’a pas progressé à ce jour et doit être incluse dans un vaste paquet d’intégration de la zone euro.

Dans l’ensemble, étant donné la nouvelle direction de la Commission européenne, les progrès réalisés au cours des deux dernières années et le changement d’attitude de Berlin à l’égard de l’union bancaire, accepter la réforme actuelle de la GER serait une occasion manquée pour un paquet plus large et plus ambitieux. Les chefs d’État et de gouvernement européens doivent prendre un moment pour s’arrêter, prendre du recul et concevoir un programme de réforme plus complet et plus ambitieux pour la zone euro. Il doit s’appuyer sur : la réforme du MSU, la réforme de la TSCG, les progrès de la résolution dans le syndicat bancaire et les progrès du BICC et de l’assurance chômage.