Depuis le début du mois d’octobre, un vent de contestation souffle sur l’Amérique latine, et notamment en Équateur, au Chili et en Bolivie. Symptômes d’un malaise économique, social ou politique profond, ces soulèvements témoignent de l’état d’urgence dans lequel se trouvent des millions de citoyens, appelant les gouvernements à agir au plus vite pour garantir un niveau de vie décent et une vie politique démocratique. Pour faire entendre cet impératif d’action, les espaces publics ont été investis par des formes de protestation aussi bien pacifiques que violentes.
Face à ces manifestations inédites, les gouvernements en place en Équateur et au Chili ont choisi de déclarer l’état d’urgence et de déployer l’armée. En Bolivie, le président Evo Morales a aussi mis en place un état d’urgence après l’organisation par l’opposition de manifestations pour contester sa victoire dès le premier tour de la présidentielle. C’est dans ce contexte régional que se déroulent, ce dimanche, les élections générales en Argentine et en Uruguay où les gouvernements en place, s’ils n’ont pas connu en ce début de printemps de manifestations d’une telle envergure, peuvent voir s’exprimer dans les urnes les voix contestataires.
La proximité géographique et temporelle de ces manifestations inédites en Amérique latine questionne la possibilité de parler d’un « printemps latino-américain » : pouvons-nous déceler, à travers les spécificités de chaque mouvement national, la structuration d’un mouvement contestataire régional ?
Des mesures-étincelles
À l’origine des différents soulèvements populaires en Équateur et au Chili, ce sont des mesures économiques, qui ne semblaient pas appeler sur le papier les manifestations que l’on connaît, qui ont allumé un foyer de contestations inédites. Le refus de ces mesures par la population souligne l’état d’urgence économique et social dans lequel se trouvent les populations équatoriennes et chiliennes où la moindre augmentation du coût de la vie peut fragiliser durablement le maintien d’un niveau de vie décent.
Le 3 octobre dernier, en Équateur, c’est l’annonce de la fin des subventions sur le pétrole qui a conduit à l’émergence de nombreuses manifestations dans le pays. Avec une augmentation attendue des prix du pétrole de 120 %, le secteur des transports équatorien a initié une série de blocages des grands axes routiers. Rapidement rejoint par les populations indigènes directement touchées par cette mesure pour l’exportation de leurs produits agricoles, le mouvement a pris une dimension nouvelle en paralysant l’économie du pays avec le blocage total des transports publics et des puits pétroliers en Amazonie, empêchant la distribution de plus de 70 % de la production de brut équatorienne.
Au Chili, l’augmentation des tarifs des transports publics dans la capitale, et notamment celle du prix du ticket de métro de 3,5 %, est à l’origine de la contestation. Mouvements initiés par les étudiants, les manifestations sont devenues massives et ont pris une dimension sociale au cours des deux dernières semaines dans un pays où les inégalités ne cessent de croître entre les différentes classes sociales. En effet, l’un des principaux slogans scandés par les manifestants est : « Nous ne luttons pas pour 30 pesos [équivalent de la hausse du prix du ticket de métro], mais contre trente ans de politique libérale. »
Des systèmes économiques et sociaux à bout de souffle ?
Les systèmes économiques et sociaux équatorien et chilien sont devenus progressivement de véritables poudrières que les mesures récentes n’ont eu aucun mal à embraser. Face à des inégalités croissantes, des systèmes précaires et une plus grande difficulté à faire face aux dépenses de la vie quotidienne, le mécontentement social n’a cessé de se renforcer ces dernières années et s’est cristallisé récemment autour de ces annonces gouvernementales.
En Équateur, l’arrivée au pouvoir de Lenín Moreno a marqué un tournant néo-libéral inattendu, alors que le programme du candidat se présentait comme une continuité des politiques sociales du président Rafael Correa. Ce changement politique a notamment été incarné par le prêt réalisé par le gouvernement équatorien auprès du Fonds monétaire international. Pour faire face à un déficit fiscal important, l’Équateur a emprunté 4,2 milliards de dollars. Cet emprunt ne s’est pas fait sans conditions : le FMI a demandé une réduction des dépenses de l’État et de la fonction publique ainsi que des réformes fiscales et du travail. La suppression des subventions sur le pétrole s’inscrit dans ces politiques néo-libérales, induites par le prêt de l’État équatorien.
Le Chili, cité comme un succès économique exemplaire en Amérique latine et désigné par son président Sebastián Piñera comme une oasis quelques jours avant les manifestations, demeure un des pays les plus inégalitaires d’Amérique du Sud. Façonné durant la dictature de Pinochet comme une vitrine du néolibéralisme par les Chicago Boys, le modèle économique et social chilien a généré de nombreuses inégalités structurelles qui ont nourri un mécontentement populaire. Sur le plan économique, les prix ne cessent d’augmenter – l’électricité de 9,2 %, les titres de transports de 3,5 % –rendant les dépenses de la vie quotidienne plus lourdes. Sur le marché du travail, les emplois précaires et les bas salaires se multiplient. Sur le plan social, les systèmes éducatif et d’accès aux soins sont aujourd’hui très coûteux et inégalitaires car, en grande partie, privatisés. À cela s’ajoute la précarisation du système de pension. Sur le plan politique, la classe politique souffre d’une crise de confiance de la part de la population après des cas de corruption. Enfin, l’accès à l’eau reste un enjeu central dans un pays où la ressource est privatisée.
Des mobilisations et des violences inédites
La particularité des mobilisations récentes réside dans leur intensité et leur envergure. Mobilisant en un temps très court un grand nombre de personnes, ces mouvements de protestations ont revêtu un caractère inédit par la violence qu’ils ont généré et par le nombre de morts à la suite du déploiement de l’armée dans la rue. Dans tous les cas, on peut observer un décalage radical entre les contestations et leur gestion par les États concernés.
En Équateur, au plus fort de la crise, plus de 291 points de contestation de la mesure sur la suppression des subventions sur le pétrole ont été recensés. En plus des différents barrages installés, des manifestants des villes voisines ont convergé vers la capitale où ont eu lieu des débordements : l’incendie du bureau de l’Inspection générale des finances, des intrusions dans l’Assemblée nationale, pillages et autres dégradations des bâtiments publics ont été rapportés. Pour faire face à ces événements, le gouvernement a déployé 29 000 militaires et 50 000 policiers pour assurer le maintien de l’ordre. Le bureau du Défenseur du peuple, organisme public de défense des droits, a fait état de 6 morts, 937 blessés et 1121 arrestations.
Au Chili, des manifestations d’envergure dans la capitale mais aussi dans d’autres régions du pays ont conduit à plusieurs débordements. Les transports ont été la principale cible des dégradations avec l’incendie volontaire des lignes de bus et de métro. Des scènes de pillages ont aussi été observées. Plus de 20 000 militaires et policiers ont été déployés dans le pays, dont 8 000 dans la capitale. À la suite des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, 18 personnes ont perdu la vie et plus de 700 personnes ont été arrêtées.
En Bolivie, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle – qui s’est déroulé dimanche 20 octobre – sont aujourd’hui contestés par l’opposition conduite par Carlos Mesa, principal adversaire du président sortant, Evo Morales. L’enjeu central est la différence, en points de pourcentage, entre les deux candidats, puisque celui arrivé en tête doit d’obtenir 45 % des suffrages avec 10 points d’écart avec le deuxième pour emporter l’élection. Après un dépouillement ralenti et interrompu à plusieurs reprises, notamment par la démission du vice-président du Tribunal suprême électoral bolivien (TSE) Antonio Costas, Evo Morales a été déclaré vainqueur de la présidentielle dès le premier tour, malgré les soupçons de fraude électorale. Ces soupçons sont aussi partagés par les observateurs de l’Organisation des États américains (OEA) qui restent sceptiques et ont fait part de leur « profonde inquiétude et surprise face au changement radical et difficile à justifier concernant la tendance des résultats préliminaires ». En effet, en début de semaine, les premières estimations créditaient le président socialiste de 45,98 % des voix, contre 37,41 % pour Carlos Mesa pour 96,27 % des bulletins dépouillés, amenant ainsi à la tenue d’un second tour. Malgré ces résultats, le président Evo Morales a déclaré dès mercredi 23 octobre être « totalement sûr » d’avoir gagné l’élection dès le premier tour. De nombreuses manifestations, qui avaient débuté après la déclaration d’Evo Morales, se sont poursuivies et intensifiées dans le pays ; certaines pour contester les résultats, d’autres pour les soutenir. Des affrontements ont été observés, notamment entre manifestants et forces de l’ordre.
États d’urgence en cascade
Face à ces manifestations inédites, les différents gouvernements ont instauré un état d’urgence dans leurs pays respectifs. Face à ces mesures jugées radicales et dénoncées comme inconstitutionnelles par certains observateurs, les dirigeants semblent eux-mêmes pris dans une spirale de l’urgence, privilégiant le maintien de l’ordre à tout prix, aux dépens de toute forme de dialogue. Il est intéressant de noter que les gouvernements en question ont justifié les états d’urgence, a priori, par l’utilisation des champs lexicaux de la guerre et de l’ennemi, pour donner lieu, ensuite, à des vraies scènes de guerre entre manifestants et militaires, à bord de chars et munis d’armes de guerre dont l’usage n’était pas interdit.
En Équateur, Lenín Moreno a décrété l’état d’urgence à l’échelle nationale après une journée de manifestations, « afin d’assurer la sécurité des citoyens et d’éviter le chaos ». Le président a rappelé qu’il ne permettait pas que les manifestants « imposent le chaos ». Cet état d’exception permet d’établir des zones de sécurité sur le territoire ainsi et de limiter, voire de suspendre, certains droits. Il facilite aussi la mobilisation de l’armée et de la police pour assurer l’ordre public. Face à l’étendue et l’intensité des manifestations, le siège du gouvernement a été déplacé de Quito à Guayaquil, fragilisant la position de Lenín Moreno. Le président a notamment accusé publiquement Rafael Correa, son prédécesseur, et Nicolas Maduro, président vénézuélien, d’être à l’origine de ces manifestations qu’il a qualifiées de « tentative de coup d’État ».
Au Chili, le président Sebastián Piñera a décrété l’état d’urgence trois jours après le début des manifestations dans neuf des seize régions du pays, dont la capitale, Coquimbo, Valparaíso, O’Higgins et Biobío. Cet acte politique fort a été justifié comme « un moyen d’assurer l’ordre public, la tranquillité et la protection des biens publics et privés, ainsi que de garantir les droits des citoyens. » La mise en place de l’état d’urgence a été accompagnée d’une rhétorique guerrière puisque le président a annoncé « être en guerre contre un ennemi puissant, implacable, qui ne respecte rien ni personne et qui est prêt à faire usage de la violence et de la délinquance sans aucune limite. » La désignation d’un ennemi interne à travers cette rhétorique fait, par ailleurs, directement écho à ce que fut la doctrine de sécurité nationale sous la dictature. De fait, ce recours à l’état d’urgence est vivement critiqué, notamment par les membres de la Chaire des droits de l’Homme de l’université du Chili : la déclaration de l’état d’urgence constitutionnel est une mesure exceptionnelle qui ne peut être justifiée, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que lorsque « la vie de la nation est en danger ».
En Bolivie, à la suite des manifestations de l’opposition et de l’annonce d’une grève générale, le président Evo Morales a déclaré l’état d’urgence déclarant qu’un « processus de coup d’État est en cours (…) la droite s’est préparée, avec le soutien international, à un coup d’État. (…) Comment se manifeste le coup d’État ? En ne laissant pas le dépouillement des bulletins de vote se faire, en incendiant des structures de l’État, comme les tribunaux électoraux départementaux, en menaçant les locaux de campagne ». Une mesure qui a eu pour conséquence de renforcer les mouvements protestataires.
Quelle(s) sortie(s) de crise ?
Après un bras de fer avec les manifestants qu’ils ont, semble-t-il, perdu, les pouvoirs en place ont été contraints de dialoguer avec les forces d’opposition afin de mettre fin aux affrontements de plus en plus préjudiciables pour leurs mandats. Les stratégies de sortie de crises sont assez semblables : supprimer les mesures à l’origine des manifestations et/ou proposer une série de mesures sociales sur le court terme pour améliorer le quotidien des populations.
En Équateur, après dix jours de contestation, Lenín Moreno a annoncé sur Twitter accepter « de participer au dialogue direct ». La Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (Conaie) a accepté un dialogue avec le gouvernement après plusieurs refus de dialoguer avec un pouvoir qu’elle qualifiait « d’assassin ». Un accord a été trouvé entre les deux parties : l’annulation du décret sur la suppression des subventions sur le pétrole.
Au Chili, le président Sebastián Piñera a supprimé la mesure concernant la hausse des prix des transports et a décidé de prendre un tournant social : « Cet agenda social ne résoudra pas tous les problèmes qui accablent les Chiliens, mais c’est un effort nécessaire et significatif pour améliorer la qualité de vie des plus vulnérables ». Les mesures qui devront être approuvées par le Congrès ou par décret présidentiel concernent un gel du prix de l’électricité, une baisse du prix des médicament, une hausse de 20 % des pensions de retraite les plus basses, une revalorisation du salaire minimum, une augmentation d’impôts pour les plus riches ou encore une baisse du salaire des parlementaires. Malgré ce paquet de mesures, la mobilisation se poursuit et les principales organisations d’étudiants et de travailleurs ont appelé à une grève générale mercredi 23 et jeudi 24 octobre, pour condamner notamment le recours aux forces armées. Certains manifestants demandent des mesures politiques comme l’adoption d’une nouvelle Constitution pour remplacer celle actuelle, héritée de la dictature d’Augusto Pinochet.
En Bolivie, les manifestations se poursuivent en l’absence des résultats définitifs du premier tour de l’élection présidentielle. Aucun dialogue ne semble établi pour l’instant entre l’actuel président Evo Morales et son opposant Carlos Mesa. Il est trop tôt pour envisager une quelconque sortie de crise. Cependant, une possibilité de dérive autoritaire n’est pas exclue par plusieurs observateurs qui font mention du rejet par le président Evo Morales des résultats du référendum du 21 février 2016. Avec 84 % de participation, les Boliviens avaient voté « non » à 53,3 % à la possibilité pour Evo Morales de briguer un quatrième mandat de cinq ans. Le président avait fait le choix de ne pas prendre en compte ce résultat et de se présenter à l’élection de 2019, renforçant un mécontentement populaire et signant, pour certains, un tournant illibéral.
La défaite des gouvernements en place ?
La gestion de ces manifestations par les gouvernements a été grandement critiquée par les populations et a constitué une véritable défaite pour les partis au pouvoir. Le recours à l’armée pour maintenir l’ordre et la mort de manifestants au Chili et en Équateur ont été vivement condamnés par les opinions publiques nationales et ont alimenté les mouvements de protestations. Si seules les prochaines élections pourront évaluer les conséquences réelles de ces événements pour ces gouvernements, la défaite de la communication est à n’en pas douter un élément structurant dans la crise du politique que traversent les États latino-américains, avec plus ou moins d’intensité selon les pays.
L’exemple du gouvernement Sebastián Piñera est, sur ce point, éclairant. La présence de l’armée dans la rue, tirant à balles réelles sur les manifestants, a constitué un choc émotionnel pour une large partie de la population qui n’avait pas vu les militaires patrouillant dans la rue depuis la fin de la dictature du général Pinochet. Un sentiment et une émotion renforcés par la diffusion des images d’interpellations violentes sur les réseaux sociaux avec le hashtag #EstoPasaEnChile (« voilà ce qui se passe au Chili »). Face à cette mauvaise gestion évidente de la crise, Sebastián Piñera a déclaré qu’il avait « entendu la voix de ceux qui ont exprimé leur douleur et leurs espoirs » et a reconnu qu’il n’avait pas été « capable de reconnaître l’ampleur de cette situation d’inégalités et d’abus. Je vous demande pardon pour ce manque de vision. » Cependant, aucun commentaire n’a été fait par le président sur l’usage des forces armées dans sa gestion de cette crise.
Non sans paradoxes, il est possible de rapprocher dans l’actualité latino-américaine, la gestion d’une autre crise, bien plus au nord. Au Mexique, la capture puis la libération d’Ovidio Guzmán López, un des chefs du cartel de Sinaloa et fils d’El Chapo, montre un autre visage de la défaite d’un gouvernement en place. Comme dans les cas précédents, le recours aux forces armées n’a pas été un bon choix de gestion pour Andrés Manuel López Obrador, non plus pour sa disproportion dans la réaction mais bien cette fois-ci pour son aveu de faiblesse militaire.
L’échec de cette démonstration de force a été vue par un grand nombre d’observateurs comme une sérieuse remise en question de sa crédibilité pour assurer la sécurité des concitoyens face à la violence des narcotrafiquants. En effet, jeudi 17 octobre, l’armée mexicaine a capturé Ovidio Guzman López. En représailles, les narcotrafiquants ont mis à feu et à sang la ville de Culiacán, obligeant les autorités – sans réelle stratégie d’intervention – à relâcher le prisonnier afin d’assurer un retour à l’ordre. Les incidents survenus dans l’État du Sinaloa ont mis en lumière la faiblesse structurelle et le manque de cohérence stratégique de l’État mexicain dans son rapport de force avec les cartels.
Élections en Argentine et en Uruguay : une contestation dans les urnes ?
De part et d’autre du Río de la Plata, des élections ont lieu dimanche 27 octobre qui témoignent des dynamiques contradictoires à l’œuvre dans le continent.
L’Argentine, qui se trouve depuis presque deux ans embourbée dans une crise économico-financière, a déjà exprimé dans les urnes lors des primaires de la présidentielle son rejet des politiques néolibérales de Mauricio Macri ayant fait appel, en 2018, au Fonds monétaire international. Dans un pays où la crise, qui s’est traduite pour la population argentine par une baisse considérable du niveau de vie, a conduit le Congrès argentin à déclarer en septembre 2019 une « urgence alimentaire » jusqu’en 2022, on aurait pu attendre une effervescence similaire à celle que l’on a pu voir en Équateur ou au Chili. Si l’Argentine, quoiqu’à bout de souffle, n’a pas vu éclore de tels mouvements où les populations s’insurgent contre le néolibéralisme, c’est peut-être que les primaires de la présidentielle – ouvertes, simultanées et obligatoires, elles font en Argentine office de grands sondages – ont permis l’expression de la contestation dans les urnes. Les primaires du mois d’août ont non seulement canalisé les revendications de l’opposition, mais elles ont montré que les dés étaient jetés pour Mauricio Macri. En effet, dans une élection où les deux blocs majoritaires présentaient une seule liste, Juntos por el Cambio (la coalition macriste) a obtenu 31,7 % des suffrages, contre 47,79 % pour le candidat du Frente de Todos (coalition péroniste-kirchnériste), Alberto Fernández. Dans un pays où il suffit au candidat arrivé en tête d’atteindre 45 % des suffrages au premier tour, ou 40 % avec 10 points d’écart avec le deuxième candidat pour être proclamé vainqueur, les primaires semble avoir déjà donné à voir la défaite du gouvernement du président sortant.
L’Uruguay, de son côté, ne se montre pas imperméable à la vague de droite qui s’est traduite ailleurs dans la région par l’élection de Piñera au Chili, de Macri en Argentine, de Duque en Colombie ou de Bolsonaro au Brésil. Si les sondages donnent le candidat gauche du Frente Amplio – Daniel Martínez – en tête au premier tour, les prévisions pour le deuxième tour sont plus incertaines. Les sondages prévoient en effet, au second tour, une défaite du candidat face au Parti National. C’est justement de ce parti dont est issu Jorge Larrañaga, sénateur conservateur, à l’origine de l’initiative « Vivir sin Miedo » (« Vivre sans crainte »), un projet de réforme constitutionnelle qui a fait l’objet d’un plébiscite dont le vote aura aussi lieu dimanche 27 octobre. Très critiquée par les détracteurs du Parti National aussi bien que par une partie de ses membres, cette proposition sécuritaire présuppose entre autres la création d’une Garde nationale composée de militaires et la collaboration avec la police.
Lenín Moreno et Sebastián Piñera se remettront-ils totalement de ces crises ou est-ce que le virage à droite conduira dans certains cas à une impasse ? L’avenir d’Evo Morales, et le résultat des élections en Argentine et en Uruguay donneront sans doute des premiers éléments de réponse. En attendant, l’analyse de ces différents mouvements nationaux de protestation permet de s’interroger sur les changements sociaux et politiques à l’oeuvre en Amérique latine. À l’échelle des gouvernements analysés, s’observe le développement d’une tendance autoritaire avec un recours facilité à l’état d’urgence et à la militarisation du maintien de l’ordre. À l’échelle des manifestants, les contestations semblent avoir initié un mouvement protestataire de fond qui dépasse les clivages traditionnels entre la gauche et la droite. Autant de dynamiques régionales qui peuvent amener à une recomposition des scènes politiques nationale et régionale.