La nomination des « top jobs » de l’Union européenne a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines. Après des jours de spéculation, de premiers compromis finalement non aboutis et, le 3 juillet, une liste de propositions du Conseil des chefs d’État et de gouvernement très commentée, le Parlement européen a investi Ursula von der Leyen comme présidente de la Commission européenne, mardi dernier. Cette confirmation suit celle de Christine Lagarde à la banque centrale européenne par l’Eurogroupe. Charles Michel, « libéral » (mouvement réformateur en Belgique) et Premier ministre belge-faisant fonction, ayant été nommé définitivement par ses pairs en tant que président du Conseil européen le 2 juillet, il ne reste désormais que la proposition de Josep Borrell, social-démocrate, ancien président du Parlement européen et actuel ministre des Affaires étrangères espagnol au poste de haut représentant pour les Affaires étrangères à confirmer par le Parlement européen lors des auditions puis des votes sur les commissaires pour que la proposition des chefs d’État et de gouvernement entre définitivement en vigueur. Le Parlement a de son côté procédé à l’élection de son président, l’Italien membre du groupe social-démocrate (parti démocrate italien), David Sassoli.
S’agit-il d’une surprise ? Pas complètement. Si la confirmation de la présidente de la Commission a pu paraître un moment problématique, c’est surtout du fait du jeu des négociations et des revendications des plus grands groupes même si son investiture s’est jouée de justesse (on y reviendra). Il reste que cette nouvelle équipe continue de faire l’objet d’interprétations très contradictoires. La fragmentation de l’espace politique européen fait qu’au sein de chaque pays, les interprétations vont bon train sur le rôle des chefs d’État et de gouvernement et, en France, pour savoir s’il s’agit d’une victoire ou d’une défaite d’Emmanuel Macron (victoire parce qu’il aurait joué un rôle pivot et contribué à placer une Française à la BCE, défaite parce qu’une Allemande prend la Commission aux dires des uns et des autres) ? Mais les interprétations très différentes tiennent aussi à une quête de sens qui traverse désormais en partie ces espaces. La nouvelle équipe est-elle annonciatrice d’un changement et d’une réforme de l’Europe comme le dit le président de la République ? S’agit-il, au contraire, d’un déni de démocratie et/ou de nominations entre copains, comme l’ont dit d’autres ?
Ces débats sont un puit sans fond si l’on tente de les trancher à partir des catégories ordinaires de la lutte politique nationale. Du point de vue de la sociologique politique de l’Union, ce qui s’est passé apparaît somme toute assez classique, et si quelques changements notables pointent, ils n’apparaissent, pour le moment, pas suffisants pour annoncer un tournant radical.
Pour le comprendre, il est primordial de commencer par déconstruire la conception de la « démocratie européenne » à l’aune de laquelle se sont forgées nombre d’interprétations, de même que le symbole (mais symbole pour qui ?) que représentait le Spitzencandidaten, cette procédure visant à faire en sorte que le leader de la liste arrivée en tête des élections soit élu à la tête de la Commission. Depuis Maastricht, l’Union européenne repose en effet sur une ambiguïté. La transformation des communautés européennes en une Union européenne s’est accompagnée d’un ensemble de discours sur la démocratie européenne plus ou moins confortés par la création dans et par le droit d’une citoyenneté européenne ou de partis politiques européens propres à incarner et, potentiellement, à faire advenir la prophétie d’un espace politique européen qui structure nombre de récits depuis l’origine. Le problème est que cette prophétie est très loin de s’être réalisée sociologiquement et que plaquer les grilles de lecture de la politique nationale sur la politique européenne relève le plus souvent du roman d’anticipation. L’Union européenne est dans de très larges proportions restée ce pour quoi les communautés avaient été créées, soit un champ bureaucratique et juridique destiné, tâche déjà particulièrement complexe en pratique, à fabriquer des politiques communes. Composé de mandataires très divers (fonctionnaires et diplomates nationaux, fonctionnaires européens, représentants d’intérêts économiques et sociaux divers et élus au Parlement européen), cet espace fonde sa légitimité politique sur la démocratie indirecte qu’incarnent le conseil de chefs d’État et de gouvernement et, dans le « processus de décision » des politiques publiques, le Conseil des ministres, et des éléments de démocratie directe incarnés par le Parlement européen. Très loin d’un gouvernement fédéral malgré certaines représentations communes, la Commission européenne fonctionne comme une agence visant à préparer les compromis entre les différents intérêts et à exécuter les traités et la volonté commune qu’ils incarnent. Son organe politique, le collège des commissaires relève de cette double logique : la proposition de ces membres appartient aux États membres et elle est confirmée (ou pas) par le Parlement européen.
Quand bien même ils auraient progressé, les éléments de démocratie directe n’ont jamais été les seuls ni les plus déterminants (le pôle démocratique du champ, pour ainsi dire, n’a jamais l’initiative pas plus pour les nominations que les lois). Cette démocratie européenne est surtout très peu encastrée dans les sociétés européennes, où il y a très peu d’engagement ou de mobilisation pour les questions européennes en soi et pour soi : à quelques exceptions près, les questions européennes sont l’instrument d’autres enjeux. À l’inverse de ce qui s’est passé pour le marché économique unique, il n’y a du reste pas eu d’investissements matériels dans l’unification d’un marché politique. En l’absence de distribution de biens politiques palpables, de transnationalisation des listes ou de tout instrument visant à objectiver un électorat autrement que comme une addition d’électorats nationalement constitués (qui place par définition les chefs de gouvernement au centre du jeu), les catégories juridico-institutionnelles propres à ancrer la fiction d’un espace politique commun sont restées comme suspendues. À l’inverse, la machine collective visant à produire des compromis de politiques publiques a acquis un degré de réalité et de consistance sociologique d’autant plus fort que s’y entrecroisent les mobilisations permanentes de la bureaucratie des différentes institutions européennes, des bureaucraties nationales en charge de représenter leur pays auprès de l’Union, et celles des industries et du privé que sont les lobbyistes ou du reste de différentes sorte de représentants d’intérêts et d’intermédiaires ou d’experts. Cette sphère fait l’objet d’un ensemble conséquent de contrôles formels et de règles de transparence, bien davantage que pour la politique nationale, qui l’ont rendu davantage bureaucratique et inaccessible aux non initiés. En conséquence, ou bien on participe à ce système et la démocratie formelle évoquée fait sens (parce qu’on y croit, parce qu’on pense qu’elle justifie et légitime des décisions ou qu’il faut faire advenir la prophétie qu’elle contient), ou ce n’est pas le cas et l’on n’en distingue guère les agencements ou seulement comme un plafond d’œuvres post-modernes, sublime ou complètement superflu selon ses affinités avec la chose européenne.
Dans cette perspective, le processus de Spitzencandidat a du sens pour le jeu institutionnel (en clair la balance entre le Parlement et le Conseil) et ceux qui s’y investissent en challenger (une fraction des parlementaires qui poussent à la parlementarisation du système), mais pas beaucoup ailleurs. Les chefs d’État et de gouvernement ne l’ont jamais vu d’un bon œil. Quant aux citoyens, ils votent (quand ils votent) avec bien d’autres choses en tête que la représentation d’une tête de liste, qu’ils ne connaissent pour la plupart pas et qui n’a pas beaucoup de sens pour eux. Seul exemple à ce jour, Jean-Claude Junker ne fut porté que par 10 % des électeurs (soit le score du PPE pondéré par la participation électorale alors inférieure à 50 %) soit un capital électoral pour le moins faible. Difficile dans ces conditions de prétendre sérieusement à une légitimité démocratique et de faire des miracles en son nom. Sauf à être un/une orfèvre dans la fabrication de compromis qui, dans la machine rapidement décrite plus haut, n’aboutissent que pour autant qu’ils sont dépolitisés, ce qui est la norme une fois la séquence électorale refermée, et qui restent de toute façon sous contrôle des gouvernements et de leur représentant à différents échelons de la décision et de la mise en œuvre des politiques.
Dans ces conditions, la liste proposée par les chefs d’État n’a rien de vraiment surprenant. Elle prend en compte les équilibres politiques révélés par les élections européennes, en faisant que le groupe parlementaire dominant (le PPE, qui n’a pas été et ne sera pas affecté par le Brexit, même s’il pourrait perdre ses Hongrois) obtient deux des quatre positions, quand les socialistes et les libéraux arrivés après en obtiennent une chacun. Dans le même temps, et comme souvent à la tête de l’Union européenne, les personnalités disposent de propriétés qui brouillent en partie leur identification politique (ce qui n’était pas le cas du Bavarois Weber) et sont propres à favoriser des compromis. Ursula Von der Leyen est CDU, mais peut se revendiquer d’une fibre et de compétences sur les questions sociales et sociétales ; Christine Lagarde n’est pas hétérodoxe sur le plan économique, mais elle se démarque des tenants les plus orthodoxes de l’austérité ; Joseph Borell est socialiste, mais très tempéré ; Charles Michel est libéral, mais il a dirigé un gouvernement de coalition avec la NVA (le parti flamingant à la droite de la droite belge), ce qui peut donc rassurer les gouvernements nationalistes et/ou de droite radicale de l’Est européen.
Tous ont enfin des propriétés propices pour revendiquer avec succès une légitimité spécifiquement européenne (un capital européen pour le dire ainsi), même si c’est cette fois le cas par héritage (ce qui est somme toute nouveau). Borell a été président du Parlement européen puis de l’Institut universitaire de Florence, Lagarde au cœur des négociations de crise des années 2008-2011, puis à nouveau au cœur des débats économiques et monétaires européen une fois devenue directrice du FMI. Moins classiquement et en définitive plus proche d’une forme de noblesse européenne, von der Leyen est comme on l’a beaucoup dit la fille d’Albrecht, socialisée à Bruxelles et l’École européenne qui accueille les fils et filles de fonctionnaires européens, parfaitement trilingue et rompue au savoir-être multiculturel. Bruxelles bruissait de rumeurs sur sa possible nomination il y a 6 mois, avant qu’elle ne soit un temps oubliée. Charles Michel est le fils de Louis Michel qui fut une figure marquante de l’Union européenne ; informateur puis vice-Premier ministre du gouvernement de Verhofstadt (aujourd’hui l’un des ténors de l’embryon de vie politique de l’Union), le père de Charles Michel commissaire européen à la fin de la Commission Prodi et pour le premier mandat de Barroso, puis deux fois député européen. Pour deux des quatre personnalités, le capital européen est donc un capital hérité. C’est évidemment une ressource à double tranchant, mais surtout cela souligne à nouveau tout l’écart qui existe entre le processus d’intégration à la tête de l’Union et au sein des sociétés.
On peut néanmoins remarquer certaines nouveautés. La place des femmes dans les postes clefs est sans commune mesure avec les équipes dirigeantes précédentes. Les femmes sont présentes dans le système européen, mais elles ne l’ont été que très progressivement au collège de la Commission européenne, jamais en tant que présidente, et le plus souvent n’obtenant de position de pouvoir (à la notable exception de Simone Veil), qu’après un long investissement interne dans les institutions. Pas nécessairement en avance sur le plan national, la France apparait au passage plutôt à la pointe des autres pays pour ce qui est de pousser des femmes au sein de l’élite politique de l’Union européenne : deux présidentes du Parlement européen sur deux présidentes, deux commissaires, et désormais une Française sur deux présidents de la BCE français et quatre au total.
L’argument d’un retour de la francophonie n’est également pas faux. Il a longtemps été de tradition que le personnel politique parle le français, mais cette tradition a semblé progressivement remise en cause. La francophonie n’était pas particulièrement la marque de Donald Tusk (elle l’est évidemment de Charles Michel) et du reste peu celle du Sptizencandidat Weber (également moyennement anglophone). Parmi les quatre personnalités politiques figurent désormais deux natifs francophones et deux parfaits francophones (Van Der Leyen et Timmermans). De là à penser qu’une révolution culturelle est en marche, il y a néanmoins plus qu’un fossé dangereux.
De façon moins perceptible, les économistes ne tiennent pas le haut du pavé. Seul le ministre des Affaires étrangères a des capitaux d’économiste (il fut, il y a longtemps, professeur d’économie). Ursula von der Leyen tranche avec la série de ministres des Finances ou d’économistes qui se sont succédé depuis Delors à l’exception de Barroso, Santer, Prodi (il professore), et Juncker avait succédé et conservé). Christine Lagarde ne relève pour sa part pas du pôle des économistes purs. Son capital est de type politique et juridique, ce qui la rapproche des agents de la Commission et l’éloigne de ceux des banques centrales. L’expérience politique (bourgmestre de Wavre et ministre de la Coopération, avant d’être Premier ministre) de Charles Michel est encore éloignée du pôle économiste.
On peut en conséquence douter que ces nominations soient annonciatrices d’une révolution européenne, d’autant qu’elles font face à un ensemble de conditions peu favorables.
Sur le plan des structures sociales et économiques de l’Europe, les divergences entre les pays ou des blocs de pays sont fortes et tendent à s’accroître. La montée des inégalités sociales est par ailleurs générale. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que s’accélère la fabrique d’un ressentiment social et national qui représente une bombe à retardement politique pour le continent et tout particulièrement les institutions européennes, dernières arrivées parmi les institutions politiques et faciles boucs émissaires compte tenu de leur faible ancrage politique dans les sociétés. Le diagnostic est connu de tous et il existe évidemment des solutions, mais il faudrait pour cela que les chefs d’État et de gouvernement dégagent un autre consensus et avec autant de force que celui qui s’est dessiné sur la « relance par le marché » dans les années 80. Herman van Rompuy, l’ancien président du Conseil européen et qu’on peut difficilement dépeindre le couteau entre les dents, a bien pu déclarer lors d’une conférence avec des intellectuels « There is no democratic deficit, there is a justice deficit, because we are market driven ». On peine à voir le tournant paradigmatique arriver.
Les conditions politiques d’un tel tournant n’apparaissent, du reste, pas complètement réunies. Au sein des chefs d’État et de gouvernement, le processus de nomination a révélé des difficultés et il ne s’agissait que de noms, pas de dessiner un projet qui engage l’Europe sur le long terme. Le fait que le scénario proposé par l’ancien président du Parlement européen pour sauver le Spitzencandidat et placer Timmermans, arrivé second, ait échoué, alors qu’il avait eu l’aval des Français et des Allemands lors de la réunion d’Osaka, est révélateur de ces tensions. Or il est très difficile on le sait de coopérer durablement sur la base d’une règle majoritaire, qui pourrait mettre durablement et trop visiblement aux marges politiques les représentants des petits pays ou du groupe de Visegrad, ici aux avant-postes de la rébellion. Il est aussi difficile de changer les choses dans un système politique non seulement segmenté, mais aussi désynchronisé. Emmanuel Macron en a fait les frais, son projet de relance de l’Europe a dû faire le pied de grue devant la formation d’une coalition en Allemagne. Les choses ne sont au demeurant pas finies tant est chancelante la coalition CDU/SPD avec tous les effets que cela a pu induire sur les positionnements des socialistes allemands et d’autres… au Parlement européen.
En ce qui concerne ce dernier, l’élection de la présidente de la Commission à moins de dix voix, la plus faible marge jamais obtenue, a aussi montré les fractures au sein de la coalition qu’on pensait voir émerger entre le PPE, les socialistes et les libéraux. L’intégration partisane au sein du Parlement européen est, on le sait, très différente de celle qui existe au sein des espaces nationaux et il arrive en effet que les délégations nationales d’un même parti expriment des positions politiques très différentes, y compris sur le fond des visions politiques. C’est d’autant plus le cas quand les partis sont dans l’opposition nationale et ne veulent pas donner à voir qu’ils se rallient à la position de leur gouvernement. À l’instar de la fétichisation du Spitzencandidaten, la volonté notamment des Verts et d’une partie des socialistes de politiser et de jouer le coup d’après en se situant dans « l’opposition » a pris à contrepied la coloration plus verte et rose esquissée par la candidate présidente (bien plus à « gauche », si les Verts le sont toujours, que le curseur qui résultait des élections) et a placé le PIS polonais et le Mouvement 5 étoiles en groupe pivot. En l’absence d’un accord de majorité global un tant soit peu durable, il y aura donc beaucoup de petits arrangements pour faire passer les textes, en attendant probablement de faire remonter des enchères lors des auditions des commissaires. Si la parlementarisation est en marche, c’est ainsi sous une forme elle aussi très suspendue… et suspendant.
Dans un système politique national, l’appareil de l’État serait sans doute en mesure de pourvoir. Force est de reconnaître, que l’embryon d’appareil a beaucoup perdu de sa superbe, comme on l’a montré ailleurs. Au cœur du champ de l’eurocratie et de ses protagonistes très divers, la fonction publique européenne qui s’était construite comme un équivalent de la fonction publique d’État a vu son modèle singulièrement challengé, sous les coups politiques, mais aussi de son propre management interne. En particulier, la conversion aux sirènes du « nouveau » (il est en fait déjà très daté) management public l’a finalement privée de nombre des atouts (la qualité de son recrutement, de son expertise interne, la confiance des personnels dans le projet européen, la capacité à nourrir le sens de ce projet). La capacité de leadership et d’intégration des positions dans des dynamiques politiques dont témoignait le personnel de la Commission sous l’ère Delors a pris du plomb dans l’aile mis à part pour quelques secteurs, ce qui fait douter que les institutions remplissent le rôle d’impulsion qui leur a été initialement confié dans le système.
Peut-on dire pour autant que la faible majorité d’Ursula von der Leyen témoigne de sa faiblesse à venir ? Pas nécessairement là encore, sauf à prendre les fétiches politiques pour des réalités plus structurales. La force d’un président de la Commission ne tient pas à sa force d’incarnation politique (tous ceux qui ont joué cela ont échoué), mais à la capacité à faire tourner cette machine complexe et initier avec l’aide de chefs d’État une dynamique de compromis. Cela ne nécessite pas que des muscles et de la voix, mais surtout de la finesse et du soutien des acteurs clefs du système à tous les échelons. La socialisation d’Ursula von Der Leyen et la modestie de son succès pourraient tout aussi bien la conduire à adopter le profil bas qui convient à ce jeu. La qualité de l’équipe que forme le collège est aussi un ingrédient important et force est de reconnaître que pour le moment, la présidente de la Commission a toutes les chances d’être accompagnée d’insiders de la politique européenne dotés d’une forte légitimité dans le champ et d’une très bonne connaissance des arcanes (Timmermans, Vestager, Šefčovič et probablement d’autres connus dans le champ). Certes, il y aura des commissaires venant de pays très éloignés de la vision intégratrice de la présidente et de son futur entourage politique, mais, quel que soit leur portefeuille, le décalage sera probablement réduit. Pour ne pas se marginaliser et passer la barre des auditions au Parlement, les pays les plus réticents à l’Europe envoient généralement des personnalités compatibles – dans la dernière Commission, le commissaire Hongrois envoyé par V. Orban (qui ne s’est pas montré un ami de Juncker) était un ancien professeur Jean Monnet. Avec huit membres de cabinet dont la moitié sont d’une autre nationalité et la moitié en provenance des services, les marges d’un ou d’une commissaire novice sont faibles s’il reste en marge du cœur du pouvoir du collège et ne gagne pas l’estime de son administration.
Bref, des marges contraintes, mais rien d’impossible non plus pour la nouvelle commission. Le discours d’investiture et l’annonce d’hier visant à créer un fond pour absorber les chocs d’emploi liés au Brexit marque des orientations moins emphatiques, mais en définitive pas moins prometteuses que le discours de la dernière chance de la dernière commission. Avec l’enthousiasme de la volonté, beaucoup de choses restent aussi ouvertes, à la condition toutefois que l’ensemble des protagonistes de ce jeu fonde les solutions à apporter à la démocratie européenne sur le pessimisme de la raison plutôt que sur le fétichisme institutionnel ou le wishfull thinking.